Fournier et Habitations HPR inc. |
2011 QCCLP 4933 |
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[1] Le 16 juin 2010, monsieur Luc Fournier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 21 mai 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare sans objet la demande de révision logée par le travailleur à l’encontre d’une décision rendue le 23 février 2010. Cette décision portait sur le pourcentage d’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique retenu suivant une récidive, rechute ou aggravation survenue le 20 février 2008, de sa lésion professionnelle initiale du 15 octobre 2002.
[3] La CSST confirme également deux décisions rendues le 23 mars 2010 et déclare, d’une part, que le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter du 17 mars 2010 et que la CSST est justifiée de poursuivre le versement de son indemnité de remplacement du revenu jusqu’au plus tard le 16 mars 2011 et, d’autre part, que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais d’entretien courant de son domicile pour le grand-ménage annuel, le lavage des fenêtres et l’entretien du gazon.
[4] L’audience s’est tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 5 avril 2011 en présence du travailleur, de sa procureure et d’un représentant de Habitations HPR inc. (l’employeur). Le procureur de la CSST, partie intervenante au litige, a avisé le tribunal de son absence à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il n’est pas capable de refaire l’emploi de concierge qu’il occupait au moment de la récidive, rechute ou aggravation du 20 février 2008 et qu’il a droit au remboursement des frais d’entretien pour le grand ménage annuel (lavage des murs et des plafonds), le lavage des fenêtres et l’entretien du gazon.
LA PREUVE
[6] Le travailleur est concierge pour le compte de l’employeur depuis plus de 18 ans lorsqu’il subit un accident de travail le 15 octobre 2002 en déménageant une unité d’air conditionné. Le diagnostic accepté est celui d’entorse cervicale et cervico-brachialgie gauche. Cette lésion professionnelle est consolidée le 25 août 2003 sans atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ni limitations fonctionnelles.
[7] Le 18 juin 2004, l’instance de la révision administrative de la CSST reconnaît une récidive, rechute ou aggravation survenue le 12 janvier 2004 dont le diagnostic est une tendinite à l’épaule gauche.
[8] En relation avec cette récidive, rechute ou aggravation, la docteure Browman, chirurgienne orthopédiste, procède à une acromioplastie et résection de la clavicule distale de l’épaule gauche le 24 septembre 2004.
[9] Cette lésion professionnelle est consolidée le 22 septembre 2005 avec un déficit anatomo-physiologique de 5 % et les limitations fonctionnelles suivantes :
Le patient doit éviter :
- Les mouvements répétitifs de l’épaule gauche, surtout à bout de bras et à une hauteur plus élevée que l’épaule gauche;
- La manipulation soutenue ou répétitive de plus que 10 lb.
[sic]
[10] Le 19 décembre 2005, suivant une analyse de l’emploi prélésionnel, la CSST détermine que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable de concierge chez son employeur, sans travaux de peinture et taillage de haies.
[11] Le travailleur exerce cet emploi jusqu’à ce qu’il déclare une nouvelle récidive, rechute ou aggravation le 20 février 2008 suivant une augmentation de douleurs à l’épaule gauche. À cette date, la docteure Browman diagnostique une tendinite de la coiffe gauche, prescrit des anti-inflammatoires et des traitements de physiothérapie.
[12] En réponse à une demande de la CSST concernant l’existence d’une relation entre la tendinite traitée en 2004 et l’état actuel du travailleur, la docteure Browman indique que l’imagerie par résonance magnétique (IRM) récente démontre une déchirure partielle de la coiffe, non présente en 2004, et qu’il y a donc aggravation de l’ancienne lésion. Cette récidive, rechute ou aggravation est reconnue par l’instance de révision administrative de la CSST.
[13] Devant l’absence d’amélioration de la condition malgré les traitements conservateurs reçus, le travailleur subit une reprise d’acromioplastie avec reconstruction de la coiffe le 4 septembre 2008. En postopératoire, l’arrêt de travail est maintenu et de nouveaux traitements de physiothérapie sont prescrits. En mars 2009 s’ajoutent des traitements d’ergothérapie.
[14] Le 3 juin 2009, une conseillère en réadaptation procède à une visite à domicile afin d’évaluer les besoins futurs du travailleur en regard des travaux d’entretien courant du domicile. Le travailleur précise qu’il faisait lui-même l’entretien du gazon à l’aide d’une tondeuse et d’un coupe-bordures et l’informe avoir dû donner cette tâche à forfait à un tiers pour l’été. En ce qui concerne le grand ménage, lui et sa conjointe se partageaient le lavage des fenêtres et il fait maintenant appel à un tiers pour le lavage extérieur.
[15] Le 6 août 2009, la docteure Browman rapporte une augmentation des douleurs depuis un à deux mois, suspend les traitements d’ergothérapie et procède à une infiltration sous-acromiale. Les traitements de physiothérapie et l’arrêt de travail se poursuivent.
[16] Le 12 novembre 2009, compte tenu du peu d’amélioration de la condition du travailleur, la docteure Browman produit un rapport final établissant la consolidation de la lésion à cette date et prévoit une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles additionnelles.
[17] Le 28 décembre 2009, le docteur Gaspard, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de la CSST conformément à l’article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) afin de se prononcer sur l’existence et l’évaluation d’une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et de limitations fonctionnelles.
[18] À l’examen subjectif, le travailleur lui rapporte une douleur à l’épaule gauche avec irradiation vers le cou et le membre supérieur gauche. Il ressent aussi une douleur à l’omoplate gauche. Il relate avoir beaucoup de difficultés à faire certaines activités de la vie quotidienne telles que prendre un bain, ouvrir des bouteilles et des conserves, faire la lessive, faire les lits, prendre un sac de lait, faire le ménage de la maison et tordre le linge. Il est impossible pour lui de travailler les bras dans les airs ou faire du jardinage. Il consomme un à deux comprimés par jour de Percocet avec codéine.
[19] À l’examen objectif, le docteur Gaspard note des amplitudes articulaires diminuées à l’épaule gauche tant en passif qu’en actif. Passivement, les mouvements atteignent 90 °en flexion, 80 ° en abduction, 20 ° en adduction et extension et 40 ° en rotation externe et interne. Activement, les mouvements de flexion, abduction et rotation interne sont davantage limités.
[20] À titre de conclusion, le docteur Gaspard mentionne que le travailleur présente des douleurs à la moindre mobilisation de l’épaule gauche, surtout lorsque celle-ci n’est pas soutenue et précise que les mouvements de cette épaule sont très limités. Il estime qu’il y a définitivement un accrochage au niveau de l’épaule gauche qui amène une incapacité à faire les mouvements et une diminution nette de la force musculaire du membre supérieur gauche qui, en pratique, n’est pas utilisable plus haut que le niveau du coude gauche.
[21] Il établit le déficit anatomo-physiologique à 11 % et émet les limitations fonctionnelles suivantes :
Le patient ne peut :
- Élever le bras plus haut que la hauteur du coude du côté gauche
- Garder le bras en position statique d’élévation ou d’abduction, même inférieur à 90°
- Effectuer des mouvements de rotation de l’épaule gauche
- Soulever ou porter des charges des charges dépassant environ 1 (un) kg avec la main gauche
- Pousser, presser, appuyer
- Tirer
- S’accrocher, s’agripper
- Lancer
- Éviter les mouvements répétitifs de cette épaule, même plus bas que le niveau du coude
- Subir des vibrations ou des contrecoups
[sic]
[22] Il n’y a aucune note évolutive au dossier afférente à la réception de ce rapport par un agent de la CSST, de telle sorte qu’on ne connaît pas le traitement réservé à celui-ci. Rien n’indique que l’expertise du docteur Gaspard a été acheminée à la docteure Browman.
[23] Il appert des notes évolutives que, lors d’une conversation avec une conseillère en réadaptation, le 26 janvier 2010, le travailleur s’interroge sur le type d’emploi qu’il pourrait éventuellement occuper, car il ne croit pas être en mesure de refaire l’emploi de concierge et la docteure Browman lui a dit qu’il devrait changer de travail.
[24] Le 27 janvier 2010, la docteure Browman produit un rapport médical dans lequel elle indique « expertise faite, réorientation ».
[25] Le 7 février 2010, elle rédige un rapport d’évaluation médicale pour le diagnostic de séquelles postchirurgie de l’épaule gauche. Le travailleur se plaint alors d’une douleur constante à l’épaule gauche qu’il évalue à 8-9 sur 10, même au repos, avec irradiation en paracervical gauche ainsi qu’au niveau du bras gauche. Malgré deux chirurgies, le travailleur se voit très limité et mentionne que les gestes même les plus simples, amènent une enflure à l’épaule et une douleur l’obligeant à prendre une médication. Le matin, il est plus fonctionnel, mais rapidement en après-midi, il devient souffrant et doit se coucher, incommodé par la douleur.
[26] À l’examen objectif, la docteure Browman retrouve également une perte d’amplitude articulaire en flexion qui atteint 120 °, et de 90 ° en abduction. Elle ne spécifie pas si ces amplitudes sont obtenues passivement ou activement, mais indique que tous les mouvements de l’épaule gauche dépassant 70 ° sont très sensibles. La rotation interne est nulle (0 °) et l’extension, diminuée à 20 °.
[27] En conclusion, elle retient un déficit anatomo-physiologique corrigé de 12 % et les limitations fonctionnelles suivantes :
Le patient ne pas faire :
- De mouvements répétitifs de l’épaule gauche, surtout à bout de bras et à un niveau plus élevé que 70 degrés de flexion et d’abduction.
- De manipulation de charges de plus que 5 lb avec le bras gauche.
[sic]
[28] La CSST statue que le travailleur a droit à la réadaptation et une rencontre a lieu le 16 mars 2010 avec une conseillère en réadaptation afin d’évaluer sa capacité à refaire son emploi.
[29] Lors de cette rencontre, le travailleur mentionne à la conseillère avoir une diminution de douleurs lors de la prise de médication, mais celles-ci l’obligent à se coucher tous les après-midi. La conseillère l’invite à discuter de cet aspect avec son médecin. Puis, suivant une analyse comparative des limitations fonctionnelles émises par la docteure Browman le 22 septembre 2005, versus celles qu’elle a retenues le 7 février 2010, la conseillère conclut à une légère augmentation qui ne rend pas le travailleur incapable de refaire son emploi, le tout à la lumière d’une analyse des tâches effectuées le 21 janvier 2010 par une autre conseillère en réadaptation. Elle écrit notamment :
[…]
Si l’on compare les limitations fonctionnelles, on peut conclure qu’elles ont un peu augmenté, soit les mouvements de l’épaule passe de 90° à 70°, mais toujours pour les mouvements répétitifs et à bout de bras. Pour les charges, malgré que la limite était à 10 livres, on ne spécifiait pas avec quel bras, donc maintenant on spécifie 5 livres avec le bras gauche, ce qui veut dire 10 livres avec les 2 bras.
[sic]
[nos soulignements]
[30] Suivant la nomenclature des tâches effectuées par le travailleur, elle poursuit ainsi :
[…]
Les tâches on peut le constater son variées. Le rythme de travail n’est pas imposé par une chaîne de production donc les mouvements répétitifs, il est possible de les éviter puisque T peut gérer le rythme de son travail en variant les tâches et en les répartissant tout au long de la journée. De plus, T n’a pas de travaux de peinture à effectuer, ce qui pourrait entraîner des mouvements répétitifs des bras.
Pour les charges à soulever, comme expliqué ce-haut, elles n’ont pas réellement changé, seul la formulation est différente.
Nous considérons donc que la légère augmentation des limitations n’est pas suffisante pour que T ne soit plus capable de refaire son emploi.
[sic]
(nos soulignements)
[31] La conseillère refuse également d’octroyer au travailleur le droit au remboursement des frais pour l’entretien du gazon et le grand ménage annuel, étant d’avis que cela n’exige pas un mouvement de plus de 70 ° de flexion ou d’abduction de manière répétitive, puisque le travailleur peut décider du rythme d’exécution.
[32] Faisant part de ses conclusions au travailleur, elle précise que ce dernier n’est pas d’accord puisqu’il estime que son état est pire qu’avant, étant incapable de se servir de son bras gauche qui ne lève pas plus qu’à 70 °. La conseillère lui rappelle qu’elle est liée aux nouvelles limitations fonctionnelles émises par son médecin traitant, la docteure Browman, et l’invite à contester les décisions qu’il recevra sous peu. Étant donné que son droit de retour au travail est échu, le travailleur bénéficie de l’application de l’article 48 de la loi.
[33] Le 25 mars 2010, le travailleur communique avec la conseillère afin d’obtenir quelques précisions sur certains aspects des décisions à venir. Il réitère ne pas être capable de se servir de son bras gauche et prendre une médication importante qui l’oblige à se coucher les après-midi. La conseillère explique à nouveau être liée aux limitations fonctionnelles de la docteure Browman et incite le travailleur à s’adresser à celle-ci s’il veut savoir pour quelles raisons elle n’a pas émis des limitations fonctionnelles plus sévères.
[34] Dans sa décision du 23 mars 2010, la CSST statue qu’après avoir analysé les conséquences de sa lésion professionnelle du 20 février 2008, elle considère que le travailleur est capable, à compter du 17 mars 2010, d’exercer l’emploi qu’il occupe habituellement, d’où l’un des présents litiges.
[35] À l’audience, le travailleur reconnaît que les plaintes suggestives, telles que rapportées par la docteure Browman dans son rapport d'évaluation médicale, représentent fidèlement sa condition. Il explique avoir décidé de prendre postérieurement rendez-vous avec la docteure Browman afin de lui expliquer la situation et sa position face à sa capacité à refaire son travail.
[36] C’est dans ce contexte qu’il revoit la docteure Browman le 28 juillet 2010, laquelle émet un addenda à son expertise du 27 janvier 2010 indiquant que le travailleur ne peut faire des mouvements de rotations avec son épaule gauche, pousser, tirer, s’appuyer, presser, s’accrocher, grimper, lancer et subir des vibrations ou des contrecoups. Elle écrit : « réorientation SVP ».
[37] Aucune suite n’est donnée à ce rapport médical par les agents de la CSST.
[38] Le 18 janvier 2011, la procureure du travailleur écrit à la docteure Browman l’invitant à expliquer les motifs qui l’ont amenée à modifier les limitations fonctionnelles initialement émises au rapport du 7 février 2010 et, par le fait même, à se prononcer sur la capacité du travailleur à refaire son emploi de concierge. À cette correspondance est jointe une description détaillée des tâches du travailleur, colligée par la procureure du travailleur à même une description de tâches produite au dossier de la CSST.
[39] En réponse à cette demande, le 10 février 2011, la docteure Browman écrit ce qui suit :
Cher Maître,
Suite à votre lettre datée du 18 janvier 2011, veuillez prendre note des précisions suivantes.
1. L’expertise médicale que j’ai faite le 7 février 2010, a accordé au patient, Luc Fournier, un degré d’atteinte permanente du 10% ainsi que de limitations fonctionnelles précises, reliées à son accident de travail du 15 octobre 2002, soit :
- D’éviter les mouvements répétitifs de l’épaule gauche, surtout à bout de bras et à un niveau plus élevé que 70° de flexion et d’abduction.
- D’éviter la manipulation de charge de plus que 5 lb avec le bras gauche.
2. Un addendum à l’expertise médicale fut soumis le 28 juillet 2010, afin de rajouter aux limitations fonctionnelles déjà émises les limitations fonctionnelles additionnelles suivantes :
· Le patient ne doit pas faire de mouvements répétitifs de rotation de l’épaule gauche ni de pousser, tirer, s’appuyer, presser, s’accrocher, grimper, lancer et de subir des vibrations ou des contrecoups.
Ces précisions aux limitations fonctionnelles ont été établies justement à cause du travail physique et exigeant du patient dont les spécifications m’ont été expliquées par le patient lors de la visite du 28 juillet 2010. De plus, les détails du travail du patient furent confirmés dans le rapport de la conseillère en réadaptation le 21 janvier 2010.
Il est de mon humble avis, que le patient ne pourrait plus refaire ce dit travail de concierge, même si le patient peut gérer son rythme de travail en variant les tâches et en les répartissant tout au long de la journée. Ce travail exigeant et lourd comprend trop d’activités où les inconvénients répétitifs sont inhérents et vont sûrement prédisposer le patient à subir des rechutes de tendinite à l’épaule gauche.
En espérant que ces renseignements vous seront utiles, veuillez agréer, l’expression de mes sentiments distingués.
[sic]
[40] À l’audience, le travailleur fait une description détaillée de son poste de concierge chez l’employeur, dont le mandat est de gérer un édifice pour personnes retraitées autonomes. À titre de concierge, il s’occupe de la maintenance et de l’entretien ménager de l’immeuble, sauf les travaux de peinture, et de l’entretien extérieur de la propriété, à l’exception du taillage de haies. Il est le seul à occuper ce poste et son horaire est de 8 h à 17 h, du lundi au vendredi. Il peut aussi être appelé à travailler les fins de semaine, s’il y a une urgence.
[41] L’immeuble est composé de six étages. Au rez-de-chaussée se trouve un grand hall d’entrée avec ascenseurs, précédé d’un portique vitré, les bureaux de l’administration, une salle de réception avec cuisinette, salles de bain adjacentes et espaces de rangement, ainsi que dix logements et une buanderie. Chacun des cinq autres étages est composé de 16 logements, un salon commun avec tables et sofas, une buanderie et une chute à déchets. Au sous-sol se trouve la salle des machines (système de plomberie et électrique), des espaces de rangement pour les locataires, deux salles de bain, une plate forme hydraulique (monte-charge), les conteneurs à déchets et un espace de rangement pour l’outillage utilisé. Le terrain, d’environ 80 000 pieds carrés, comporte plusieurs arbres, trottoirs et un grand stationnement dont le déneigement est assumé par un tiers.
[42] À titre de concierge, le travailleur s’occupe de toutes les tâches usuelles à l’entretien courant des aires communes de la propriété (intérieur et extérieur) ainsi que des tâches saisonnières ou particulières, par exemple lors d’une situation d’urgence (dégât d’eau) ou lorsqu’un logement devient vacant. Il est appelé à faire une multitude de tâches dont notamment, et de manière non exhaustive :
Ø Passer l’aspirateur dans les corridors et salons communs chaque jour afin d’avoir complété tous les étages en une semaine, ce qui implique de devoir déplacer des meubles;
Ø Laver les planchers des aires communes, ce qui peut survenir plusieurs fois par jour, en ce qui concerne le hall d’entrée l’hiver;
Ø Disposer des ordures ménagères qui se retrouvent dans des conteneurs au sous-sol, ainsi que disposer des bacs à recyclage, selon les horaires en vigueur;
Ø Laver régulièrement les fenêtres de l’entrée principale et, quatre fois par année, les 186 fenêtres de l’immeuble, de même que les murs, plafonds et cages d’escaliers;
Ø Déneiger les trottoirs à l’aide d’un tracteur muni d’un souffleur, épandre du sel et du sable, déneiger avec une pelle le devant de l’entrée principale et chaque sortie de secours;
Ø Tondre le gazon en utilisant un tracteur et un coupe-bordures, amasser et disposer des feuilles mortes ou autre détritus;
Ø Faire des réparations mineures tant dans les aires communes que dans les logements privés, par exemple changer une cuvette, ajuster une porte ou une fenêtre, changer les ampoules et néons;
Ø Faire la réfection et le nettoyage des logements vacants aux fins de location;
Ø Remettre en ordre la salle de réception suivant une soirée;
Ø S’assurer du bon fonctionnement des installations et équipements de l’employeur.
[43] En ce qui concerne le remboursement pour les travaux de grand-ménage, le travailleur témoigne avoir toujours lavé les murs, plafonds et fenêtres alors que sa conjointe faisait le lavage des armoires. Compte tenu de la hauteur des fenêtres, il doit utiliser un bâton muni d’une raclette, ce qui nécessite l’utilisation de ses deux bras dans les airs, tout en appliquant une pression. Pour démarrer sa tondeuse, il doit déployer une certaine force avec sa main gauche pour tenir enfoncée une clenche, pendant qu’il actionne de sa main droite le système de démarrage. Il doit, de plus, manipuler avec ses deux mains un coupe-bordures à l’essence pour finaliser la coupe du gazon.
[44] Le représentant de l’employeur reconnaît que la description des tâches relatée par le travailleur lors de son témoignage est conforme à la réalité.
[45] Une étude du poste de concierge occupé par le travailleur est réalisée par monsieur Simon Lebeau, ergonome. Son rapport du 13 mars 2011 est déposé en preuve. Selon la méthodologie rapportée, cette analyse fait suite à une visite du poste de travail chez l’employeur, ainsi qu’à une entrevue avec le travailleur. Lors de la visite de poste, certaines tâches ont été simulées et filmées afin de qualifier les mouvements, et l’évaluation des charges manipulées s’est faite à l’aide d’un dynamomètre.
[46] Dans ce rapport, l’ergonome Lebeau fait une revue exhaustive des tâches effectuées par le travailleur et du temps alloué pour chacune d’elle. Il conclut au non-respect des limitations fonctionnelles émises par la docteure Browman lors de l’exécution de plusieurs tâches.
[47] Concernant la limitation fonctionnelle de ne pas manipuler des charges de plus de cinq livres avec le bras gauche, il estime que celle-ci n’est pas respectée lors des tâches suivantes :
- Manutention de conteneur de déchet : 38,8 livres.
- Manutention de conteneur de recyclage : 24,0 livres.
- Soulèvement du conteneur de déchet.
- Soulèvement de la porte coulissante verticale : 38 livres.
- Manipulation de l’aspirateur : 26,6 livres.
- Manipulation de la vadrouille mouillée : 6,7 livres
- Manipulation du levier soulevant l’unité souffleuse : 50,5 livres.
- Manipulation de la manivelle opérant la buse de la souffleuse : 9,3 livres.
- Manutention des sacs de sel : 11,3 livres.
- Déplacement de l’épandeuse de sel : 20 livres.
- Manipulation de la pelle traîneau.
- Déplacement et opération de la machine à cirer les planchers dont le poids est de 90 livres.
- Déplacement des meubles des salons de la laveuse et sécheuse, des débris, des rebuts, des articles abandonnés, du boyau d’arrosage, etc.
[sic]
[48] Par ailleurs, il considère que les tâches suivantes contreviennent à la limitation fonctionnelle de ne pas faire de mouvements répétitifs de l’épaule gauche, surtout à bout de bras, et à un niveau plus élevé que 70° de flexion et d’abduction, car même si le travailleur est droitier, l’utilisation des deux membres supérieurs est requise :
- Passer la vadrouille sur les plafonds des différentes zones suivantes : grand salle communautaire, hall d’entrée, passages et corridors et les salons.
- Nettoyer 186 fenêtres (intérieures et extérieures) des cages d’escalier, des corridors sur 6 étages et de la grande salle.
- Laver les couvercles en plastique du néon dans la grande salle, les salons et la buanderie.
- Lors de la préparation des logements vacants aux fins de location.
[sic]
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[49] La procureure du travailleur allègue qu’en ce qui a trait aux limitations fonctionnelles découlant de la récidive, rechute ou aggravation du 20 février 2008, la CSST était liée par le rapport d'évaluation médicale de la docteure Browman du 7 février 2010, mais aussi par son addenda produit le 28 juillet 2010. Elle souligne que les limitations fonctionnelles émises par le médecin désigné de la CSST étaient beaucoup plus sévères que celles retenues initialement par la docteure Browman et allègue que la CSST aurait dû, dans ces circonstances, et même si elle n’en a pas l’obligation, soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale pour qu’un membre clarifie cette question. Elle invoque que la CSST aurait dû, du moins, requérir de la part de la docteure Browman un avis complémentaire sur le sujet.
[50] Elle rappelle qu’exceptionnellement et pour des raisons d’équité, le tribunal peut écarter un rapport médical liant ou retenir une deuxième opinion du médecin traitant et soumet une décision[2] au soutien de ses prétentions.
[51] Selon le rapport de l’ergonome qui a analysé le poste, l’emploi occupé par le travailleur au moment de sa dernière récidive, rechute ou aggravation ne respecte pas les limitations fonctionnelles émises par la docteure Browman dans son rapport d'évaluation médicale du 7 février 2010 et, dès lors, le dossier devrait être réacheminé à la CSST pour la détermination d’un emploi convenable. Toutefois, dans l’intérêt du travailleur, elle estime qu’il y a lieu pour le présent tribunal de clarifier les limitations fonctionnelles auxquelles la CSST est liée afin que l’emploi convenable déterminé soit conforme à l’état réel du travailleur. Par ailleurs, elle estime que le travailleur a droit au remboursement des travaux d’entretien demandés.
L’AVIS DES MEMBRES
[52] Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a obtenu l’avis motivé des membres ayant siégé avec elle dans la présente affaire.
[53] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête du travailleur. Selon eux, la preuve prépondérante démontre que l’emploi de concierge, tel qu’occupé par le travailleur au moment de la récidive, rechute ou aggravation du 20 février 2008, ne respecte pas les limitations fonctionnelles émises par la docteure Browman dans son rapport d'évaluation médicale du 7 février 2010. De plus, les travaux de grand ménage (lavage des murs et des plafonds), le lavage des fenêtres et l’entretien du gazon impliquent des exigences physiques incompatibles avec les limitations fonctionnelles retenues.
[54] Par ailleurs, ils sont d’avis que lors de l’élaboration du prochain plan individualisé de réadaptation, la CSST devrait tenir compte de l’ensemble des limitations fonctionnelles émises par la docteure Browman en vue de respecter la réelle capacité résiduelle du travailleur, capacité également constatée par le médecin désigné de la CSST.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[55] La Commission des lésions professionnelles doit décider, dans un premier temps, de la capacité du travailleur à exercer l’emploi qu’il occupait au moment de sa récidive, rechute ou aggravation du 20 février 2008 et, dans un deuxième temps, déterminer s’il a droit au remboursement des frais pour les travaux d’entretien du grand ménage (lavage des murs et des plafonds), du lavage des fenêtres et de la tonte du gazon.
La capacité à occuper l’emploi prélésionnel
[56] Les faits juridiques pour décider de la capacité à occuper l’emploi prélésionnel sont : les limitations fonctionnelles retenues, les tâches de l’emploi prélésionnel et la compatibilité entre ces deux éléments[3].
[57] La détermination des limitations fonctionnelles liant les parties revêt donc toute son importance, et la décision quant à la capacité du travailleur d’exercer son emploi est la seule qui, bien qu’indirectement, traite des limitations fonctionnelles retenues à titre de « conséquences de la lésion professionnelle ». En effet, aucune autre décision n’est rendue spécifiquement quant aux limitations fonctionnelles liantes. Dans le cadre du présent litige, le tribunal peut déterminer quelles sont les limitations fonctionnelles liantes afin de disposer des questions dont elle est saisie.
[58] Le 7 février 2010, la docteure Browman, qui est sans aucun doute la médecin qui a charge du travailleur, complète un rapport d'évaluation médicale dans lequel elle rapporte adéquatement les plaintes suggestives du travailleur. Suivant un examen objectif qui témoigne de mouvements limités et douloureux de l’épaule gauche, elle fixe des limitations fonctionnelles moins restrictives que celles émises par le médecin désigné de la CSST, qui avait évalué le travailleur cinq semaines auparavant et qui avait noté des pertes d’amplitudes articulaires encore plus importantes. Malgré cette divergence d’opinions entre le médecin qui a charge et son médecin désigné, la CSST ne soumet pas ces rapports au Bureau d'évaluation médicale, ce qui est, son droit le plus strict compte tenu du libellé de l’article 205.1 de la loi qui stipule que la CSST peut soumettre ces rapports à un membre du Bureau d'évaluation médicale.
[59] La CSST étant liée par les conclusions du médecin qui a charge, conformément à l’article 224 de la loi, a donc fondé son analyse et ses décisions sur la base des limitations fonctionnelles émises par la docteure Browman le 7 février 2010. Or, cinq mois plus tard et suivant une visite médicale requise par le travailleur, cette dernière émet des limitations fonctionnelles supplémentaires.
[60] Il est bien établi qu’un travailleur ne peut contester les conclusions de son médecin qui a charge. Ce principe s’infère des articles 203, 224 et 358 de la loi qui se lisent comme suit :
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
__________
1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26
[61] Il est aussi reconnu que la production d’un deuxième rapport final ou d’un rapport amendé par le médecin qui a charge, de manière consécutive à une décision de la CSST, ne peut avoir de caractère liant, sauf dans des circonstances exceptionnelles, car cela équivaudrait à permettre à un travailleur de contester l’opinion de son médecin traitant, ce que la loi n’autorise pas[4].
[62] La Commission des lésions professionnelles a discuté à plusieurs reprises des circonstances exceptionnelles dans lesquelles un rapport final pouvait être valablement modifié par le médecin qui a charge ou dans quelles conditions particulières il était possible pour le tribunal de faire abstraction d’un rapport médical du médecin qui a charge, même s’il n’a pas été convenablement contesté par le biais de la procédure d’évaluation médicale.
[63] Ainsi, une erreur matérielle manifeste, comme une erreur d’écriture, ou un changement d’opinion fondé sur une évolution inattendue de la pathologie du travailleur, sont généralement reconnus comme étant des situations pouvant donner lieu à un second rapport du médecin qui a charge. Il en est de même si le médecin reconnaît avoir commis une erreur, dans la mesure toutefois où l’erreur est dûment prouvée[5].
[64] Il est également possible d’écarter un rapport médical du médecin qui a charge malgré son caractère liant dans des cas exceptionnels ou dans des circonstances très particulières lorsque, par exemple, il s’agit manifestement d’un rapport de complaisance, d’un rapport fondé sur un diagnostic certainement faux, ou sur des résultats radiologiques erronés ou encore d’un rapport médical final qui ne respecte pas les conditions édictées à l’article 203 de la loi[6].
[65] À l’instar de ces décisions, il est aussi reconnu que des erreurs d’interprétation du Barème des dommages corporels ne lient pas la Commission des lésions professionnelles tout comme un rapport d’évaluation médicale qui comporte des faiblesses importantes nuisant à une juste évaluation des séquelles d’un travailleur.[7]
[66] La mission du tribunal, qui est la recherche de la vérité dans le but de déterminer le droit des parties et de rendre des décisions suivant l’équité et d’après le mérite réel et la justice du cas, sous-tend, dans bien des cas, le ratio de ces décisions. Il se dégage également de cette jurisprudence que ces cas commandent d’être examinés avec beaucoup de sérieux, de rigueur et de prudence. Sur ce, le juge administratif Juteau s’exprime ainsi dans l’affaire Vandette et Habitation Terrasse St-Michel ltée[8].
[28] La lecture de la jurisprudence sur la question permet d’établir qu’une demande visant à considérer un amendement ou un deuxième rapport médical final modifiant le rapport initial émis par le médecin traitant doit être examinée avec beaucoup de sérieux. Le sérieux de la démarche vise à éviter d’ébranler inutilement le principe de la stabilité juridique des décisions considérant que l’opinion du médecin traitant fonde les décisions de la CSST puisque cet organisme est lié à cette opinion. Il vise également à éviter de permettre au travailleur de faire de façon détournée ce que la loi ne lui permet pas de faire, soit de contester l’opinion de son médecin traitant.
[67] Après avoir considéré et analysé l’ensemble des circonstances entourant l’émission de l’addenda de la docteure Browman, le tribunal considère que la situation en l’instance ne s’apparente pas à des circonstances exceptionnelles et cas particuliers tels que visés par la jurisprudence.
[68] En aucun temps, la docteure Browman n’indique ou n’explique avoir commis une erreur dans l’appréciation de l’état du travailleur ou lors de la rédaction de son rapport d'évaluation médicale en ce qui a trait aux limitations fonctionnelles. L’ajout de limitations fonctionnelles en juillet 2010 est basé sur les mêmes constats médicaux, ce qui ne peut justifier un amendement au rapport médical final, à moins d’erreurs manifestes et prouvées, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[69] Le seul motif invoqué par la docteure Browman pour justifier l’ajout de limitations fonctionnelles est que les spécifications de l’emploi du travailleur lui ont été expliquées par ce dernier lors de la visite médicale du 28 juillet 2010 et que l’exercice d’un travail aussi exigeant physiquement nécessitait des précisions aux limitations fonctionnelles.
[70] Or, il a été maintes fois reconnu que les limitations fonctionnelles s’évaluent en fonction de la condition médicale d’un travailleur, et non en fonction du travail exercé par ce dernier[9]. Qui plus est, le 27 janvier 2010 la docteure Browman indiquait à son rapport qu’une réorientation serait nécessaire, ce qui laisse présumer qu’elle avait eu connaissance du type d’emploi effectué par le travailleur. Ainsi, le motif invoqué par la docteure Browman ne peut constituer une circonstance particulière et exceptionnelle, comme l’enseigne la jurisprudence.
[71] Certes, la preuve n’indique pas si la CSST a acheminé ou non le rapport de son médecin désigné à la docteure Browman, comme l’oblige l’article 215 de la loi, privant peut-être celle-ci d’avoir pu émettre un rapport complémentaire conformément à l’article 205.1 de la loi. Toutefois, la preuve ne démontre pas que ce manquement, si manquement il y a eu, a eu un quelconque impact dans l’évaluation de la docteure Browman en ce qui a trait aux limitations fonctionnelles.
[72] Le tribunal comprend que le travailleur puisse trouver injuste que le médecin désigné de la CSST émette des limitations fonctionnelles plus représentatives, selon lui, de son état, que son propre médecin. Il comprend également la démarche entamée auprès de son médecin afin de faire valoir, de son point de vue, la vraie nature de ses capacités. Toutefois, même si cette démarche était initiée en toute bonne foi, les motifs qui ont amené la docteure Browman à ajouter des limitations fonctionnelles, et non pas à strictement étayer ses conclusions quant aux limitations fonctionnelles émises ou donner son accord à celles émises par le docteur Garspard, ne peuvent être retenus comme étant une mesure exceptionnelle ou une situation particulière, justifiant un amendement à son rapport final et au rapport d'évaluation médicale valablement produits conformément à l’article 203 de la loi.
[73] Dans ces circonstances, le tribunal estime que les limitations fonctionnelles liantes aux fins de déterminer si le travailleur a la capacité d’exercer son emploi prélésionnel et s’il a droit au remboursement de certains travaux d’entretien courant de son domicile, sont celles émises par la docteure Browman dans son rapport d'évaluation médicale du 7 février 2010, à savoir que le travailleur ne peut pas faire de mouvements répétitifs de l’épaule gauche, surtout à bout de bras, et à un niveau plus élevé que 70 ° de flexion et d’abduction, et qu’il ne peut faire de manipulation de charge de plus de cinq livres avec le bras gauche.
[74] Aux fins d’analyse de la capacité pour le travailleur à exercer son emploi prélésionnel, la conseillère en réadaptation a procédé à une étude comparative des limitations fonctionnelles actuelles et antérieures. Elle a jugé qu’au niveau de la manipulation de charge, la limitation fonctionnelle était la même, seule la formulation était différente.
[75] Le tribunal ne partage pas cet avis.
[76] La limitation fonctionnelle antérieure émise en 2005 indiquait que le travailleur devait éviter la manipulation soutenue ou répétitive de plus de 10 livres. Le retrait des qualificatifs « soutenue ou répétitive » change la nature même de la limitation, même si le poids peut être qualifié de similaire. Dorénavant, le travailleur ne peut manipuler de charge de plus de cinq livres avec son bras gauche alors qu’auparavant, il pouvait le faire si ce n’était pas de manière soutenue ou répétitive.
[77] Après avoir entendu le témoignage du travailleur concernant ses tâches, lequel est corroboré par le représentant de l’employeur, et après avoir pris connaissance de l’étude de poste détaillée réalisée par un ergonome selon une méthodologie rigoureuse, la Commission des lésions professionnelles est convaincue que l’emploi de concierge, tel qu’exercé par le travailleur au moment de sa récidive, rechute ou aggravation du 20 février 2008, implique une manipulation de charge de plus de cinq livres avec sa main gauche. Sur ce, elle retient comme prépondérantes les conclusions émises par l’ergonome dans son rapport du 13 mars 2011.
[78] Le tribunal retient également l’opinion de l’ergonome en ce qui a trait à l’autre limitation fonctionnelle et estime qu’elle n’est pas respectée puisque le cumul de gestes inhérents à une multitude de tâches usuelles fait en sorte que le travailleur effectue des mouvements répétitifs de l’épaule gauche à plus de 70 °, même si son travail est varié et n’est pas en soi de nature répétitive.
[79] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur n’est pas capable de refaire son emploi de concierge chez l’employeur. Il y a donc lieu de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle détermine un emploi convenable, c’est-à-dire un emploi qui, notamment, est approprié et respecte la capacité résiduelle du travailleur.
[80] Le tribunal tient à rappeler que la notion de capacité résiduelle ne fait pas uniquement référence aux limitations fonctionnelles reconnues en relation avec la lésion professionnelle, mais réfère à la condition globale d’un travailleur, laquelle peut s’apprécier à la lumière de l’ensemble des rapports médicaux produits par les médecins qui ont examiné le travailleur[10].
Le remboursement de travaux d’entretien
[81] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si le travailleur a droit au remboursement pour les travaux reliés à l’entretien du gazon et au grand ménage, plus particulièrement le lavage des murs, plafonds et fenêtres.
[82] L’article 165 de la loi stipule ce qui suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[83] D’emblée, le tribunal reconnaît que chacun des travaux d’entretien réclamé constitue des travaux d’entretien courant du domicile. De plus, selon la preuve prépondérante, le travailleur aurait lui-même fait ces travaux n’eut été de sa lésion, la participation de sa conjointe se situant au niveau du lavage des armoires et de manière partielle, des fenêtres.
[84] Reste à évaluer si le travailleur présente une atteinte permanente grave à son intégrité physique et psychique.
[85] Selon la jurisprudence, la notion d’atteinte permanente grave doit être appréciée en fonction de la capacité résiduelle du travailleur à effectuer les activités visées à l’article 165 de la loi, selon les exigences physiques particulières de chacun des travaux d’entretien du domicile réclamé[11]. En d’autres termes, chacun des travaux d’entretien réclamé doit être analysé selon la compatibilité entre les exigences physiques de ces travaux et les limitations fonctionnelles du travailleur.
[86] L’analyse effectuée par la conseillère en réadaptation sur cet aspect est très succincte. Elle indique que le fait de pousser la tondeuse n’implique pas des mouvements répétitifs de l’épaule à plus de 70 °, et précise que le travailleur peut prendre des pauses lors du grand ménage afin d’éviter la répétitivité des mouvements. Aucune évaluation à même la grille d’exigences physiques, qui est un outil de référence souvent utilisé par les agents de la CSST dans de telles situations, n’a été faite et la limitation fonctionnelle d’éviter la manipulation de charge de plus de cinq livres avec le bras gauche n’a tout simplement pas été considérée.
[87] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que les exigences physiques afférentes au lavage des murs, plafonds et fenêtres et à l’entretien du gazon sont incompatibles avec les limitations fonctionnelles du travailleur.
[88] Le travailleur est très limité au niveau de la manipulation de charge avec son bras gauche qui ne doit pas dépasser cinq livres.
[89] L’entretien du gazon implique pour le travailleur, outre l’utilisation d’une tondeuse, celle d’un coupe-bordures à l’essence ce qui requiert, de l’avis du tribunal, une manipulation de plus de cinq livres avec la main gauche. L’actionnement de la tondeuse à gazon dont dispose le travailleur nécessite aussi une certaine force de la main gauche pour enfoncer une clenche lors du démarrage.
[90] Quant aux travaux de grand ménage (lavage des plafonds et des murs), ils peuvent vraisemblablement nécessiter le déplacement de meubles ce qui requiert également, selon la soussignée, une manipulation de plus de cinq livres de la main gauche. Même si de tels travaux peuvent être fractionnés dans le temps afin d’éviter les mouvements répétitifs, la limitation fonctionnelle relative à la manipulation de charge n’est pas de nature répétitive ou soutenue.
[91] Relativement au lavage des fenêtres, le travailleur explique utiliser un bâton muni d’une raclette pour laver et essuyer, ce qui implique qu’il travaille les deux bras dans les airs. Même si le travailleur peut y aller à son rythme et prendre une pause entre chaque fenêtre à laver, le lavage et l’essuyage d’une seule fenêtre nécessitent plusieurs mouvements de va-et-vient en élévation du membre supérieur gauche, avec charge, engendrant une flexion de l’épaule gauche de beaucoup supérieure à 70 °. De l’avis du tribunal, cela contrevient également aux limitations fonctionnelles émises dans ce dossier.
[92] Pour tous ces motifs, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur a droit au remboursement des frais pour le grand ménage (lavage des murs et des plafonds), le lavage des fenêtres et l’entretien du gazon, si de tels frais ont été encourus.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Luc Fournier, le travailleur;
MODIFIE la décision rendue le 21 mai 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail suivant une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Luc Fournier n’est pas capable de refaire son emploi prélésionnel de concierge;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour la détermination d’un emploi convenable qui tiendra compte, notamment, de la capacité résiduelle de monsieur Luc Fournier.
DÉCLARE que monsieur Luc Fournier a droit au remboursement des frais encourus pour les travaux d’entretien courant de son domicile afférents au grand ménage (lavage des murs et des plafonds), au lavage des fenêtres ainsi qu’à la tonte du gazon;
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Sonia Sylvestre |
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Me France Cormier |
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Représentante de la partie requérante |
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M. Marc-André Philie |
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Représentant de la partie intéressée |
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Vigneault Thibodeau Bergeron, Avocats |
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Représentants de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Wetherall et Les Entreprises Renaud Rioux, C.L.P. 361173-01C-0810, 24 août 2009, J.-F. Clément.
[3] Daige et Transport Pozer inc., C.L.P. 194718-32-0211, 26 mars 2003, Lise Langlois; Di Bartolo et Studio de photo Tre Color enr., C.L.P. 136129-72-0004, 19 décembre 2000, L. Crochetière.
[4] Boisseneault et Imprimerie Interweb inc., [1998] C.L.P. 220 ; Lanciault et Tricots Maxime inc., C.L.P. 170601-63-0110, 13 juin 2002, F. Juteau, révision pour cause rejetée, 25 juilllet 2003, G. Godin; Lachance et Gestion Loram inc., C.L.P. 214050-64-0308, 19 novembre 2004, R. Daniel.
[5] Lachance et Gestion Loram inc. précitée note 4., Vandette et Habitation Terrasse St-Michel ltée, C.L.P. 284515-71-0603, 18 avril 2007, F. Juteau.
[6] Voir l’affaire Wetherall et Les Entreprises Renaud Rioux, précitée note 2, et la jurisprudence à laquelle elle réfère.
[7] Paradis et Entreprises de construction Roland Paradis inc., C.L.P. 112989-04-9903, 28 octobre 1999, J.-L. Rivard ; Desfossés et Lambert & Grenier inc., C.L.P. 263943-04B-0506, 27 février 2006, L. Collin ; Smith et Soucy International inc., C.L.P. 356738-04B-0808, 29 janvier 2009, M. Watkins.
[8] Précitée note 5.
[9] RLM/Poirier Équipement inc. et Arsenault, C.L.P. 165099-62B-0107, 13 mai 2002, N. Blanchard; Lanciault et Tricots Maxime inc., précitée note 4.
[10] Boulianne et Les Transports Chaumont inc., C.L.P. 292602-63-0606, 16 août 2007, D. Besse; Beausoleil et Assurances générales des Caisses Desjardins inc., C.L.P. 130989-63-0002, 22 novembre 2000, D. Besse.
[11] Boileau et Les Centres jeunesse de Montréal, C.L.P. 103621-71-9807, 1er février 1999, A. Vaillancourt; Lalonde et Mavic Construction, C.L.P. 146710-07-0009, 28 novembre 2001, M. Langlois.
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