Décision

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Droit de la famille — 222162

2022 QCCS 4995

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 

 

 :

200-12-092722-223

 

 

 

DATE :

12 décembre 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

FRANÇOIS HUOT, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

A

Demanderesse

c.

B

Défendeur

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JUGEMENT SUR MESURES PROVISOIRES

______________________________________________________________________

 

[1]                Les parties se sont mariées le 17 juillet 2010 à Ville A et n’ont eu aucun enfant.

[2]                Le défendeur a été repêché par une équipe de la Ligue nationale de hockey (LNH) pour laquelle il a commencé à jouer en 2006. Dans ce contexte, il a emménagé à Ville B, en Californie, la demanderesse l’a rejoint à l’automne de l’année suivante.

[3]                La demanderesse et le défendeur partagent une passion commune pour les chiens. Tout au long de leur relation, ils ont vécu au quotidien avec plusieurs de ces animaux domestiques.

[4]                En raison de leurs difficultés conjugales, la demanderesse est revenue s’établir à Ville A en mars 2020 avec les trois golden retrievers des parties, A, B et C, des femelles âgées respectivement de 9, 5 et 2 ans.

[5]                Le 9 janvier 2022, le défendeur revient à Ville A pour y chercher la demanderesse et les chiens dans une tentative de réconciliation, laquelle échouera rapidement.

[6]                Depuis avril 2022, madame A demeure à Ville A à temps plein, en compagnie des trois chiens. Son refus absolu d’accorder au défendeur la possibilité de rendre visite aux animaux apparaît motivé par la rancune.

[7]                Par la présente requête, le défendeur demande au soussigné de statuer sur la garde des chiens A, B et C, de même que sur les droits d’accès à ces derniers.

1-     ANALYSE

[8]                Le Tribunal remarque d’abord qu’il est regrettable que la demanderesse et le défendeur n’aient pu s’entendre, comme il eut été raisonnable de l’espérer, sur la garde des trois chiens faisant l’objet de la présente requête. À l’évidence, la bonne foi ne surabonde guère dans la présente affaire, du moins quant à cet aspect précis du dossier.

[9]                Manifestement, chaque partie est profondément attachée aux trois golden retrievers, lesquels sont considérées par elles comme leurs propres enfants.

[10]           Le Tribunal prend acte, par ailleurs, que la propriété des animaux demeure contestée à cette étape des procédures. Il incombera au juge du fond de trancher cette question en présence d'une preuve plus complète.

[11]           La Loi sur le Divorce[1] prévoit que le tribunal compétent peut « rendre une ordonnance parentale provisoire à l’égard de l’enfant dans l’attente d’une décision » prévoyant l’exercice du temps parental ou des responsabilités décisionnelles à l’égard de tout enfant à charge[2]. Aucune disposition similaire n’est prévue à l’égard des animaux domestiques. Cette même Loi ne traite pas davantage des droits de propriété, lesquels relèvent de la compétence exclusive des législatures provinciales.

[12]           Dans deux décisions, la Cour supérieure a déjà décidé qu’elle n’a pas compétence pour ordonner « un partage de temps de vie » d’animaux domestiques ou encore un « partage de [leur] garde et […] entretien ». Dans S.A. c. M.D., l’honorable Pierre C. Gagnon statuait :

« […] un animal échappe à la sphère de l’article 410 C.c.Q. qui permet au Tribunal d’attribuer durant l’instance l’usage de meubles, mais uniquement ceux qui répondent aux critères de l’article 401 C.c.Q. »[3]

[13]           Le soussigné partage ce point de vue. On ne peut en effet affirmer qu’un animal domestique représente un meuble « qui sert à l’usage du ménage ».

[14]           Plus récemment, notre collègue Karen Kear-Jodoin écrivait :

« It is evident that dogs are not children nor are family assets subject to partition. The Court has no jurisdiction to determine their « custody » nor to grant visiting rights in the dog’s best interest. »[4]

[15]           Il est vrai que l’article 898.1 C.c.Q. édicte :

« 898.1 Animaux :  Les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques.

Dispositions applicables : Outre les dispositions des lois particulières qui les protègent, les dispositions du présent code et de toute autre loi relative aux biens leur sont néanmoins applicables.

[16]           Si attachant soit-il, un chien demeure un chien, bien qu’il ne puisse être assimilé à un bien étant donné sa sensibilité et ses « impératifs biologiques ». Malgré l’amour que leur portent leurs maîtres, les trois golden retrievers ne sauraient être considérées comme des êtres humains. Elles ne constituent pas davantage un bien du patrimoine familial[5].

[17]           En droit civil, les animaux doivent être considérés comme des meubles et les litiges entourant leur possession tranchés sur la base du droit de la propriété.

[18]           Dans un récent article de doctrine, le professeur Alain Roy soumet qu’on ne saurait rompre les liens affectifs qu’un animal de compagnie a pu développer avec les personnes qui en prennent soin sans conséquences significatives pour l’être sensible que constitue désormais l’animal, au sens de l’article 898.1 C.c.Q.[6].

[19]           À son avis, les impératifs biologiques de l’animal pourraient justifier le maintien des liens significatifs que ce dernier aura pu développer avec le conjoint qui ne peut en réclamer la propriété. Ainsi, un conjoint propriétaire de l’animal pourrait se voir imposer une « garde partagée » de celui-ci ou des droits d’accès en faveur du conjoint non propriétaire dans la mesure où les impératifs biologiques de l’animal le réclament.

[20]           L’auteur critique ainsi l’interprétation faite par l’honorable Pierre C. Gagnon, j.c.s. de l’article 401 C.c.Q. qu’il qualifie d’« étroite et littérale ». Il reconnaît toutefois que ses positions sont audacieuses et anticipe, à juste titre, une réticence des tribunaux à les endosser.

[21]           Avec égards, le soussigné estime que c’est au législateur qu’il incombe avant tout d’adapter le droit applicable aux divers changements de mentalité influant sur notre société. Les articles 401 et 410 C.c.Q. ne souffrent d’aucune ambiguïté. À l’heure actuelle, la notion de garde d’animaux n’existe tout simplement pas, ni dans la Loi sur le Divorce ni même en droit civil québécois.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[22]           DÉCLINE compétence juridictionnelle sur la garde des trois chiens, de même que sur les droits d’accès à ces derniers.

 

 

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FRANÇOIS HUOT, j.c.s.

 

Me Anne-France Goldwater

Me Stéphanie Herbert

Goldwater Dubé

Procureures de la demanderesse

 

Me Jocelyn Verdon

Me Guillaume Potvin

Verdon Armanda Gauthier

Procureurs du défendeur

 

 


[1]  L.R.C. (1985) ch. 3.

[2]  Art. 16.2 L.D.

[3]  #505-04-011011-038, 6 août 2003, par. 31.

[4]  Droit de la famille – 21257, 2021 QCCS 711, par. 95; voir aussi : R.Z. v. S.B., 2021 QCSS 5377, par. 74.

[5]  Droit de la famille – 091700, 2009 QCCS 3447, par. 4.

[6]  Alain ROY, La garde de l’animal de compagnie lors de la rupture conjugale, (2022) 51 RDUS 249.

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