Garcia-Cocina et Bombardier Aéronautique inc. |
2009 QCCLP 6282 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 29 janvier 2009, monsieur Arturo Garcia-Cocina (le travailleur) dépose une requête en révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles du 19 janvier 2009.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette une requête déposée par le travailleur le 2 avril 2008, confirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 27 mars 2008, rendue à la suite d’une révision administrative, et déclare que le diagnostic de contusion rotulienne au genou droit, produisant un syndrome fémoro-patellaire, n’est pas relié à l’événement du 10 mai 1995.
[3] À l’audience tenue le 9 septembre 2009 à Montréal, le travailleur est présent et représenté par avocat. Bombardier Aéronautique inc. (l’employeur) est absent et non représenté.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande au tribunal de révoquer la décision rendue par le premier juge administratif le 19 janvier 2009 du fait qu’il n’a pu se faire entendre, pour des raisons jugées suffisantes.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et celle issue des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête du travailleur. Ils estiment que ce dernier n’a pu se faire entendre le 15 janvier 2009, pour des raisons jugées suffisantes. Le travailleur était en vacances en Europe du 14 décembre 2008 au 15 janvier 2009. Avant de quitter, il a pris les précautions nécessaires avec son représentant syndical pour que l’audience du 15 janvier 2009 soit remise. La demande de remise n’a pas été faite. Le travailleur a agi avec diligence. Il n’a pas renoncé à son droit de se faire entendre.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu de révoquer la décision du premier juge administratif du 19 janvier 2009.
[7] Le pouvoir de révision ou de révocation est prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Cet article se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Dans la cause sous étude, le travailleur réfère particulièrement au deuxième paragraphe de l’article 429.56, soit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles peut être révoquée lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre.
[9] Il revient à la Commission des lésions professionnelles d’apprécier la preuve et de décider si des raisons suffisantes ont été démontrées pour expliquer que la partie n’a pu se faire entendre. Pour être suffisantes, les raisons invoquées doivent être sérieuses et il ne doit pas y avoir eu négligence de la part de la partie qui prétend n’avoir pu se faire entendre. Il faut toutefois mentionner que la règle qui doit alors guider le tribunal lorsqu’il a à décider de cette question est le respect des règles de justice naturelle[2].
[10] Dans l’affaire Hall c. C.L.P[3]., la Cour supérieure rappelle que le droit d’être entendu, soit la règle audi alteram partem, est la première règle de justice naturelle qui doit être observée. La Cour supérieure rappelle toutefois que cette règle n’a pas un caractère absolu. Une personne peut y renoncer soit expressément, soit implicitement ou par sa négligence.
[11] Dans la cause sous étude, un avis de convocation est envoyé le 8 octobre 2008 aux parties. L’audience doit avoir lieu le 15 janvier 2009, à 15 h, aux bureaux de la Commission des lésions professionnelles, à Montréal.
[12] À cette date, seul l’employeur est représenté. Aucune preuve particulière n’est soumise. Le premier juge administratif procède à rendre sa décision en regard de la preuve déjà consignée au dossier.
[13] Le 19 janvier 2009, il rend une décision par laquelle il rejette la requête du travailleur et déclare que le diagnostic de contusion rotulienne au genou droit, produisant un syndrome fémoro-patellaire, n’est pas relié à l’événement survenu le 10 mai 1995.
[14] Le 29 janvier 2009, par l’entremise de son nouveau procureur, le travailleur produit une requête pour faire révoquer cette décision du premier juge administratif. Il réfère principalement au second paragraphe de l’article 429.56 de la loi :
« PETITIONER ARTURO GARCIA RESPECTFULLY SUBMITS :
1. On January 19th, 2009, the Commission rendered a Decision on the merits in the present matter;
2. Petitioner was not present at the hearing, held on January 15th, 2009;
3. Therefore, the hearing was held ex-parte;
4. Petitioner has a good and valid reason as to why he was not present at the hearing as explained more fully hereinafter;
5. Petitioner has a good and valid case to present to the Commission which if so presented could effect the outcome of a decision;
6. Petitioner wishes a new hearing in order to fully present his proof and to cross- examen any witnesses;
7. Specifically, Petitioner wishes to argue the medical expertise of record filed by Dr. Gilles Roger Tremblay and to have Dr. Tremblay testify in Petitioner’s behalf about his finding of fact and opinion existing at the time of the hearing;
8. This rule of natural justice, audi alterem partem was not followed;
9. Petitioner would suffer a great prejudice if not granted a new hearing date to fully present his case and expert witness;
10. It is in the interest of justice that a new hearing date be set, in consultation with Petitioner and Dr. Tremblay;
REASONS WHY PETITIONER WAS NOT PRESENT AT THE HEARING
ON JANUARY 15TH, 2009
11. Petitioner was represented by his union - Syndicat des Machinistes SL 712 in the present matter;
12. Petitioner, who has no experience nor knowledge in procedural matters, was assured that the Union representative Vito Mossa would represent him for the hearing;
13. In about August 2008, Petitioner planned a trip to his home country Spain from December 14, 2008 to January 15th, 2009;
14. Concerned that he may get a notice of a hearing to be held during that period, he consulted with Vito Mossa who assured him that in the event that a hearing was convened during the period of his absence, it would be possible to re-schedule;
15. Petitioner arranged his trip in August 2008;
16. In October, Petitioner did received notice that a hearing would be convened on January 15th, 2009;
17. Petitioner consulted with Vito Mossa who informed him that he, Vito Mossa, would take care of the matter and get a new date;
18. Petitioner left for Spain via London, UK on December 14, 2008;
19. Petitioner only returned to Montreal on January 15th, late at night;
20. Petitioner received notice of the Decision on about January 23, 2009;
21. Petitioner immediately consulted Vito Mossa who informed him that he, Vito Mossa, had forgotten to take care of the matter;
22. At all times Petitioner has acted in good faith and as a prudent bonne père de famille.
[…] »
[15] À l’audience de cette requête, le tribunal a entendu le témoignage du travailleur.
[16] Il explique que le ou vers le 27 août 2008, il planifie un voyage en Espagne. Il dépose différents documents démontrant l’achat de billets d’avion (Montréal - Philadelphie, Londres - Asturias). Il quitte le 14 décembre 2008 et revient le 15 janvier 2009. Il dépose des extraits de visas de séjour et son relevé bancaire démontrant sa présence en Europe au cours de cette période.
[17] Avant de recevoir l’avis de convocation pour une audience à la Commission des lésions professionnelles, il informe son représentant syndical, monsieur Vito Mossa, qu’il s’apprête à partir en vacances.
[18] En octobre 2008, il reçoit une copie de l’avis de convocation. Il communique avec monsieur Mossa au cours de la première semaine du mois de novembre 2008. Il lui explique que l’audience est prévue le 15 janvier 2009. Il s’agit de sa date de retour de vacances. Monsieur Mossa, ayant également reçu copie de l’avis de convocation, indique au travailleur qu’il va faire une demande de remise.
[19] Le travailleur croyait donc que son représentant allait s’en charger.
[20] Questionné par le tribunal sur le retrait de représentation envoyé à la Commission des lésions professionnelles le 12 janvier 2009, le travailleur ne peut l’expliquer.
[21] Le tribunal a entendu le témoignage de monsieur Mossa. Il agit comme représentant syndical. Il s’occupe de dossiers concernant la CSST.
[22] Il connaît le travailleur. Ce dernier l’a consulté pour son dossier avec la CSST.
[23] Monsieur Mossa a effectivement reçu un avis de convocation pour une audience le 15 janvier 2009. Il se souvient qu’environ un mois auparavant, le travailleur lui aurait mentionné qu’il pourrait y avoir un conflit d’horaire en raison d’un voyage qu’il s’apprêtait à faire. Monsieur Mossa lui avait alors mentionné qu’il était possible de demander une remise et qu’il s’en chargerait. Il n’a pas fait de demande de remise puisqu’il n’a pas eu de confirmation de l’absence du travailleur. Il ne connaissait pas la date exacte du voyage du travailleur.
[24] Questionné par le tribunal, monsieur Mossa se souvient d’avoir eu deux conversations avec le travailleur quelques mois avant la date d’audience.
[25] Monsieur Mossa a pris des vacances pour la période des fêtes 2008 - 2009. À son retour de vacances, il tente de joindre le travailleur en vue de l’audience du 15 janvier 2009. Il ne peut lui parler. Il ne fait aucune autre démarche. Il fait parvenir un retrait de représentation à la Commission des lésions professionnelles.
[26] Monsieur Mossa admet que le travailleur lui avait demandé de s’occuper de son dossier et qu’il l’avait également avisé de son voyage. Il ne connaissait pas la date du voyage.
[27] Tel que préalablement mentionné, le droit d’être entendu, soit le respect de la règle audi alteram partem, est la première règle de justice naturelle qui doit être observée. Cette règle n’est pas absolue. Une personne peut y renoncer soit expressément, soit implicitement ou par sa négligence.
[28] Or, tenant compte de la preuve soumise, le tribunal estime que le travailleur n’a pas renoncé à son droit d’être entendu expressément, implicitement ou par sa négligence.
[29] En effet, au mois d’août 2008, alors qu’il n’a pas reçu d’avis de convocation, le travailleur planifie un voyage en Europe d’une durée d’un mois. Dès le mois d’août 2008, les dates de son voyage sont arrêtées, soit du 14 décembre 2008 au 15 janvier 2009.
[30] Avant même de recevoir son avis de convocation, le travailleur rencontre son représentant syndical pour l’aviser de cette situation et prévoir les démarches dans l’éventualité où l’audience serait prévue pendant sa période de voyage.
[31] Le tribunal constate donc que le voyage est planifié avant même que le travailleur ne reçoive son avis de convocation. De plus, le travailleur entreprend une démarche envers son représentant syndical afin de le sensibiliser à la chose alors que l’avis de convocation n’est toujours pas reçu. Il y a donc un intérêt de la part du travailleur de se faire entendre lors d’une audience éventuelle.
[32] Au cours du mois d’octobre 2008, le travailleur reçoit l’avis de convocation. Une audience est prévue le 15 janvier 2009, soit à la date de son retour de vacances. Il communique à nouveau avec son représentant syndical au début du mois de novembre 2008 pour s’assurer de la démarche à suivre. Son représentant parle alors d’une demande de remise de l’audience.
[33] Le travailleur s’attend à ce que son représentant fasse les démarches nécessaires. D’ailleurs, dans le cadre de son témoignage, le représentant syndical admet que le travailleur lui avait demandé de s’occuper de son dossier et qu’il l’avait également avisé de son voyage.
[34] De toute évidence, il y a eu un oubli de la part du représentant syndical puisque la demande de remise n’a pas été faite. En fait, non seulement cette demande n’a pas été formulée, mais le représentant syndical a déposé un retrait de représentation du fait qu’il ne pouvait pas joindre le travailleur quelques jours avant la date d’audience prévue.
[35] Cette procédure est quelque peu surprenante si l’on considère d’une part l’ensemble des démarches entreprises par le travailleur envers son représentant syndical pour l’aviser de sa période de vacances du 14 décembre 2008 au 15 janvier 2009 et d’autre part, si l’on considère ce à quoi le représentant s’était engagé envers le travailleur.
[36] Il est vrai que le travailleur est absent le 15 janvier 2009. On ne peut toutefois conclure que le travailleur a renoncé à se faire entendre de façon expresse, implicite ou par sa négligence. Bien au contraire, la preuve soumise tend plutôt à démontrer un comportement diligent de la part du travailleur dans la conduite de son dossier. La situation découle plutôt d’un manquement ou d’un oubli qui ne peut lui être imputable dans les circonstances.
[37] Ce faisant, le tribunal conclut que le 15 janvier 2009, le travailleur n’a pu se faire entendre et ce, pour des raisons jugées suffisantes. Il y a lieu de révoquer la décision rendue le 19 janvier 2009 et de convoquer les parties à une audience pour débattre de la requête du travailleur soumise le 2 avril 2008.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révocation déposée le 29 janvier 2009 par monsieur Arturo Garcia-Cocina, le travailleur;
RÉVOQUE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 19 janvier 2009;
ET
CONVOQUERA les parties à une audience pour statuer sur la requête de monsieur Arturo Garcia-Cocina déposée le 2 avril 2008.
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SOPHIE SÉNÉCHAL |
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Me Éric Steinberg |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Francine Legault |
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HEENAN BLAIKIE |
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Représentante de la partie intéressée |
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