Vibert et Excavation Bernard & Gene Cahill inc. |
2008 QCCLP 5159 |
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Dossier 318325-01B-0705
[1] Le 18 mai 2007, monsieur Clifford Vibert (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 mai 2007, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 mars 2007 et déclare que la réclamation du travailleur, qui a été déposée le 26 janvier 2007, à l’égard d’un événement du 5 mai 2003, a été produite hors délai et qu’il n’a pas démontré de motif raisonnable permettant de le relever de son défaut.
Dossier 333155-01B-0711
[3] Le 12 novembre 2007, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 31 octobre 2007, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 4 octobre 2007 et déclare que le travailleur n’a pas subi, le 10 avril 2007, une lésion professionnelle, considérant qu’il ne peut s’agir d’une récidive, rechute ou aggravation de l’événement survenu le 5 mai 2003, étant donné que la réclamation à l’égard de cet événement a été refusée.
Dossier 333180-01B-0711
[5] Le 12 novembre 2007, Excavation Bernard & Gene Cahill inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 31 octobre 2007, à la suite d’une révision administrative.
[6] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 4 octobre 2007 et déclare que le travailleur n’a pas subi, le 10 avril 2007, une lésion professionnelle, considérant qu’il ne peut s’agir d’une récidive, rechute ou aggravation de l’événement survenu le 5 mai 2003, étant donné que la réclamation à l’égard de cet événement a été refusée.
[7] Une audience est tenue le 23 mai 2008 à Gaspé, en présence du travailleur, qui est représenté, de la représentante de la CSST et du représentant de la Mutuelle de prévention de l’Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec (l’APCHQ).
[8] Le dossier a été mis en délibéré le 2 juillet 2008 à l’expiration du délai accordé au travailleur pour produire un document et à la réception des commentaires des parties à ce sujet.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 318325-01B-0705
[9] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a produit sa réclamation dans le délai et qu’il a subi une lésion professionnelle le 5 mai 2003.
Dossiers 333155-01B-0711 et 333180-01B-0711
[10] Le travailleur et l’employeur demandent à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur a subi, le 10 avril 2007, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 5 mai 2003.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[11] Le 20 mai 2008, Me Jean-François Beaumier, du contentieux de l’Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec (l’APCHQ) avise la Commission des lésions professionnelles qu’il ne représente plus l’employeur, mais qu’il intervient toutefois à titre de représentant de la Mutuelle de prévention de l’APCHQ (la Mutuelle) à titre de nouvelle partie intéressée et qu’il sera présent à l’audience.
[12] Le travailleur s’objecte à cette intervention et la Commission des lésions professionnelles informe le procureur de la Mutuelle qu’elle s’interroge sérieusement sur la possibilité que cette dernière puisse intervenir dans le dossier dont elle est saisie, considérant notamment l’intervention de la CSST.
[13] Après avoir entendu les représentations des parties, le tribunal a pris cette question préliminaire sous réserve.
L’AVIS DES MEMBRES SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[14] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis qu’il n’y a pas lieu de reconnaître à la Mutuelle de prévention de l’APCHQ, le statut de partie intéressée, considérant que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) a limité ce statut à l’employeur, au travailleur et à la CSST.
LES FAITS SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[15] Le 26 janvier 2007, le travailleur dépose à la CSST une réclamation pour un événement survenu le 5 mai 2003 dans laquelle il mentionne être tombé du haut d’une boîte de camion.
[16] Le 16 février 2007, l’APCHQ transmet une lettre à la CSST l’avisant être la représentante de l’employeur et qu’elle s’oppose à la réclamation du travailleur.
[17] Le 12 mars 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la réclamation du travailleur au motif que la réclamation n’a pas été produite dans le délai prévu à la loi et qu’il n’y a pas de lien entre le diagnostic de lombosciatalgie gauche et l’événement du 5 mai 2003.
[18] Le travailleur conteste cette décision le 10 avril 2007 et, tel que mentionné précédemment, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme la décision du 12 mars 2007 pour le motif que la réclamation du travailleur est irrecevable.
[19] Après que le travailleur ait déposé une contestation de la décision de la CSST, Me Jean-François Beaumier produit une comparution à la Commission des lésions professionnelles le 30 mai 2007, à titre de représentant de la Mutuelle et de l’employeur.
[20] Le 7 juin 2007, la CSST intervient au dossier, conformément à l’article 429.16 de la loi et avise le travailleur et l’employeur de cette intervention.
[21] Le 4 septembre 2007, la représentante de la CSST avise le tribunal qu’elle sera absente lors de l’audience fixée au 6 septembre 2007 et mentionne ne pas avoir de représentations particulières à présenter dans le dossier.
[22] Le 5 septembre 2007, la représentante de la CSST produit à la Commission des lésions professionnelles une demande de remise conjointe de l’audience prévue le 6 septembre 2007, étant donné qu’une nouvelle réclamation est déposée par le travailleur et la nécessité qu’une décision soit rendue par la CSST à ce sujet. Une demande de remise est accordée.
[23] Le 24 septembre 2007, le travailleur dépose à la CSST une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation de l’accident subi le 5 mai 2003 dans laquelle il allègue qu’avant de reprendre le travail, en avril 2007, son médecin l’a déclaré inapte au travail pour des douleurs persistantes au dos.
[24] Le 4 octobre 2007, la CSST refuse cette réclamation et cette décision est contestée par le travailleur ainsi que par l’employeur dans une lettre transmise le 11 octobre 2007.
[25] La CSST, dans une décision rendue à la suite d’une révision administrative, confirme sa décision et, le 9 novembre 2007, le travailleur et l’employeur produisent chacun une requête à la Commission des lésions professionnelles contestant cette décision.
[26] La CSST produit de nouvelles interventions dans chacun des dossiers de la Commission des lésions professionnelles conformément, à l’article 429.16 de la loi, en avisant l’employeur et le travailleur.
[27] Le 15 mai 2008, le représentant de l’employeur transmet à la Commission des lésions professionnelles une lettre dans laquelle son président, monsieur Bernard Cahill, indique avoir été témoin de la chute du travailleur, le 5 mai 2003, que ce dernier a toujours eu des douleurs au dos depuis, et qu’il a exigé qu’il voie un médecin avant le début de la saison 2007.
[28] L’employeur indique aussi avoir toujours contesté le fait que la CSST refuse la réclamation et rappelle qu’il n’a jamais, à titre d’employeur, contesté l’accident ni donné à l’APCHQ le mandat de le faire en son nom, sans même l’en aviser.
[29] Monsieur Bernard Cahill est le beau-père du travailleur dont la conjointe est madame Carole Cahill. Cette dernière est à l’emploi de l’employeur à titre de secrétaire et agit aussi à titre de secrétaire de la compagnie.
[30] Le 20 septembre 2000, l’employeur adhère à un contrat et à une convention visant la formation et la gestion de la Mutuelle.
[31] Le 8 avril 2005, l’employeur adhère de nouveau au contrat et à la convention visant la formation et la gestion de la Mutuelle.
[32] Le document intitulé « Renouvellement de convention visant la formation et la gestion de la Mutuelle de l’APCHQ 2006 » intervenu entre l’employeur, représenté par Carole Cahill, secrétaire, et l’APCHQ, contient les dispositions suivantes :
« […]
ATTENDU QUE l’APCHQ agit à titre de gestionnaire de mutuelles de prévention, lesquelles ont pour objectif de favoriser la prévention des lésions professionnelles, la réalisation et le retour au travail;
ATTENDU QUE l’EMPLOYEUR désire maintenir sa participation à l’une des mutuelles de l’APCHQ, ci-après appelée la « Mutuelle », gérée par les professionnels de la santé et sécurité au travail de l’APCHQ
EN CONSÉQUENCE, LES PARTIES CONVIENNENT CE QUI SUIT :
ARTICLE 1 OBJET
Sujet au paiement des honoraires et aux modalités de la présente convention, l’APCHQ permettra à l’EMPLOYEUR d’adhérer à la Mutuelle. À cet effet, l’EMPLOYEUR accorde à l’APCHQ le pouvoir de former la Mutuelle.
[…]
2.4 Services juridiques
L’APCHQ, lorsqu’elle jugera qu’une intervention est financièrement valable pour la Mutuelle, assume l’ensemble des frais liés à la défense du dossier (opposition, demande et procédures en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) à l’exception des frais et honoraires d’un expert médical et des litiges liés à la classification et à la cotisation de l’employeur.
ARTICLE 3 OBLIGATIONS DE L’EMPLOYEUR
3.1 Contrat type
L’EMPLOYEUR autorise L’APCHQ à signer avec la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), l’Entente relative au regroupement d’employeurs aux fins de l’assujettissement à des taux personnalisés et au calcul de ces taux, ci-après appelée le «Contrat type»;
L’EMPLOYEUR comprend et accepte que la présente convention constitue, avec les autres conventions visant la Mutuelle, une même convention entre tous les employeurs signataires, ayant adhérés ou qui adhéreront à la Mutuelle, ci-après appelés « Employeurs signataires ». Ces conventions sont identiques pour tous les Employeurs signataires, sous réserve des ajustements quant aux dates d’entrée en vigueur de leur contrat ainsi que pour le taux des primes de rendement;
L’EMPLOYEUR s’engage à fournir à l’APCHQ, au plus tard dans les dix (10) jours de la signature de la présente, une résolution autorisant cette dernière à agir à titre de gestionnaire de ses dossiers et à signer le Contrat type avec la CSST.
3.2 L’employeur s’engage à :
[…]
c) Aviser l’APCHQ de toutes les réclamations de lésion professionnelle dès qu’il en a connaissance;
d) Respecter les politiques, directives et procédures de l’APCHQ en matière de prévention et de gestion de lésion professionnelle;
e) Élaborer et mettre en application des moyens de prévention;
f) Maintenir un ratio d’expérience inférieur à celui de l’unité de classification ou à la satisfaction de l’APCHQ;
g) Maintenir l’accès de l’APCHQ à ses dossiers financiers de réparation, par lien électronique ou tout autre moyen, et ce, à ses frais;
h) Collaborer avec l’APCHQ et ses gestionnaires afin que fournir, sur demande de l’APCHQ, tout renseignement et document qu’elle jugera nécessaire à l’exécution de ces obligations prévues à la présente convention;
i) Verser à l’APCHQ la prime de rendement et les honoraires décrits à l’article 2 de la présente convention;
k) Ne pas consentir, procéder ou s’engager dans une transaction, une entente ou une conciliation, relative au règlement d’une réclamation, et ce, sans l’accord de l’APCHQ vu les impacts financiers sur l’ensemble des employeurs de la Mutuelle.
[…]
3.4 Délégation
L’employeur autorise l’APCHQ à déléguer en tout ou en partie ses obligations prévues à la présente convention.
[…]
4.1 L’APCHQ s’engage à :
[…]
b) Agir auprès de la CSST à titre de personne désignée par la Mutuelle, notamment aux fins de la correspondance, de la gestion et de la transmission du bilan annuel;
c) Gérer les lésions professionnelles selon son expertise et les règles de l’art, et ce, dans l’intérêt de tous les Employeurs signataires. Toutefois, les représentations relatives aux constats d’infraction ne font pas partie de ladite gestion.
ARTICLE 5 DISPOSITIONS PARTICULIÈRES
5.1 Relations entre les parties
Les parties reconnaissent par la présente qu’elles agissent à titre d’entrepreneurs indépendants et que rien dans la présente convention, ne doit s’interpréter de façon à modifier leur statut ou à constituer une société, une corporation ou un mandat de quelque nature que ce soit entre les parties;
De plus, les parties comprennent que les obligations des Employeurs signataires ne sont pas solidaires.
[…]
ARTICLE 7 ARBITRAGE
Tout différend ou litige, à l’exception des différends relatifs au paiement des primes de rendement et des honoraires, sont soumis à l’arbitrage obligatoire devant un arbitre unique, à l’exclusion des tribunaux de droit commun. Lorsqu’un arbitrage est requis, les parties s’entendent sur la nomination d’un arbitre. À défaut d’une entente, l’Institut d’arbitrage du Québec désigne alors un arbitre chargé d’entendre les représentations des parties. Les honoraires de l’arbitre sont assumés à part égale entre les parties. La décision est finale et sans appel et lie les parties. [sic]
L’ARGUMENTATION DES PARTIES SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[33] Le procureur de la Mutuelle soumet qu’il doit être possible à sa cliente d’intervenir dans le dossier. Plus particulièrement, il invoque qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle où, en fonction du lien de parenté qui existe entre le travailleur et l’employeur, elle est justifiée d’intervenir pour protéger l’intérêt de l’ensemble de ses membres puisque son rôle est de non seulement gérer les lésions professionnelles en vertu de la convention, mais aussi protéger l’ensemble des membres de la Mutuelle.
[34] Au soutien de ses prétentions, le procureur de la Mutuelle réfère à la décision rendue dans Pietras et Laboratoire Ultrateck inc. et CSST[2].
[35] De plus, le procureur de la Mutuelle insiste sur les circonstances particulières de ce dossier, tout en précisant toutefois que la possibilité d’intervention de sa cliente n’est pas nécessairement limitée à des situations similaires.
[36] De son côté, la représentante de la CSST fait remarquer que l’intérêt de cette dernière dans un dossier peut ne pas être tout à fait le même que celui de la Mutuelle et que, dans ce contexte, dans le cadre de son intervention, elle est susceptible de ne pas couvrir nécessairement toutes les questions que voudrait soulever la Mutuelle.
[37] Le représentant du travailleur considère que le tribunal n’a pas à se demander s’il s’agit d’un cas d’espèce, puisque dans le présent dossier, l’employeur a retiré à la Mutuelle le mandat de le représenter.
LES MOTIFS SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[38] Le tribunal doit déterminer si la Mutuelle peut intervenir à titre de partie intéressée.
A - LE CONTEXTE LÉGISLATIF
[39] En vertu de l’article 370 de la loi, la Commission des lésions professionnelles siège en divisions :
1- la division du financement;
2- la division de la prévention et de l’indemnisation des lésions professionnelles.
[40] L’article 371 de la loi prévoit que les recours, ayant pour objet une décision rendue en vertu de l’application des chapitres IX ou X, sont décidés par la division du financement. Le chapitre IX a justement pour titre « financement » et traite notamment de la constitution d’un fonds d’accident auquel contribuent les employeurs.
[41] C’est dans ce chapitre que l’on retrouve la section VI traitant de l’imputation des coûts, plus particulièrement les articles 326, 327, 328 et 329 dont l’application est susceptible de donner lieu à des contestations qui sont entendues par un commissaire seul alors que, dans la division de la prévention et de l’indemnisation des lésions professionnelles, comme l’indique l’article 374, les membres, l’un issu des associations syndicales et l’autre issu des associations d’employeurs, siègent auprès du commissaire et ont pour fonction de le conseiller.
[42] Également, dans cette dernière division, des assesseurs médicaux siègent régulièrement auprès d’un commissaire pour le conseiller sur toute question de nature médicale.
[43] Les recours dont est présentement saisi le tribunal sont entendus par la division de la prévention et de l’indemnisation des lésions professionnelles.
[44] Lorsque la Commission des lésions professionnelles est saisie d’un recours contestant une décision de la CSST acceptant ou refusant une réclamation, elle peut, comme le prévoit l’article 377 de la loi, la confirmer, la modifier ou l’infirmer et, s’il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu.
[45] Pour ce faire, les commissaires possèdent les pouvoirs et l’immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête[3] (article 378) et sont assistés également des membres qui peuvent poser des questions lors de l’instruction d’une affaire et exprimer leur opinion au commissaire au moment où celle-ci est prise en délibéré (article 379).
[46] Ayant, tout comme la CSST, le mandat d’appliquer une loi d’ordre public (article 4), la Commission des lésions professionnelles rend aussi ses décisions suivant l’équité, d’après le mérite réel et la justice du cas (article 351).
[47] La Commission des lésions professionnelles n’est donc pas un tribunal qui a pour rôle de départager des intérêts privés afin de déterminer une partie « gagnante ». En vue de rendre une décision finale sur le sort d’une réclamation, la Commission des lésions professionnelles doit se placer en lieu et place de la CSST pour déterminer si le travailleur, qui a déposé une réclamation à la CSST, a droit à la prestation qu’il demande, tout en s’assurant qu’il reçoive ce que la loi a prévu dans sa situation, mais pas plus. En corollaire et du même coup, elle s’assure que l’employeur supporte les coûts qu’il doit supporter, ni plus ni moins.
[48] De l’avis du tribunal, c’est en ayant à l’esprit ce contexte, qu’il faut déterminer si la Mutuelle peut intervenir dans les dossiers dont elle est saisie.
[49] Or, ce contexte met en cause trois personnes, soit le travailleur, son employeur et la CSST dans les affaires traitées par la division de la prévention et de l’indemnisation des lésions professionnelles :
« La dynamique principale prévue à cette loi concerne trois interlocuteurs distincts, soit la CSST en tant qu’administratrice du régime et organisme décisionnel de première ligne; les travailleurs en tant qu’individus subissant des lésions professionnelles; et les employeurs en tant que cotisants et pourvoyeurs financiers au fonds d’indemnisation ».[4]
[50] Par ailleurs, les affaires traitées par la division du financement mettent en cause l’employeur et la CSST.
[51] Selon l’article 2 de la loi, le travailleur est « une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de travail ou d'apprentissage. »
[52] De son côté, la même disposition énonce que l’employeur est une personne (physique ou morale) qui, en vertu d’un contrat de travail ou d’apprentissage, utilise les services d’un travailleur aux fins de son établissement.
[53] C’est donc généralement dans le cadre d’un contrat de travail qu’est susceptible de survenir une lésion professionnelle donnant droit au travailleur aux bénéfices prévus par la loi, à savoir, selon l’objet mentionné à l’article 1, « la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires. »
[54] Pour bénéficier des avantages prévus à la loi, le travailleur doit s’adresser à la CSST au moyen d’une réclamation. De nombreuses dispositions de la loi[5] font en sorte que l’employeur, au service duquel le travailleur travaillait, est impliqué tout au long du processus de réclamation jusqu’à ce que la CSST rende une décision qui lui est d’ailleurs notifiée (article 354 de la loi).
[55] L’employeur peut donc participer activement au traitement de la réclamation du travailleur et plus particulièrement, à la procédure d’évaluation médicale.
[56] Enfin, la CSST, créée par la Loi sur la santé et la sécurité du travail[6] (la LSST), est un organisme paritaire qui a, en vertu de l’article 349 de la loi, une compétence exclusive pour examiner et décider de toute question visée dans la loi.
B - LE STATUT JURIDIQUE DE LA MUTUELLE
[57] Il convient d’abord de s’interroger sur le statut juridique de la Mutuelle afin de déterminer si elle peut agir à titre de partie devant la Commission des lésions professionnelles dans une cause concernant l’indemnisation d’un travailleur.
[58] Le premier constat du tribunal à ce sujet est que la loi ne contient aucune mention directe du statut et du rôle des mutuelles de prévention.
[59] Toutefois, dans le chapitre IX concernant le financement, il est question, à l’article 284.2, de la possibilité de conclusion d’entente entre la CSST et un groupe d’employeurs qu’elle estime approprié dans le but de déterminer, notamment, les conditions particulières d’assujettissement de ces employeurs à des taux personnalisés ou l’assujettissement rétrospectif de la cotisation ainsi que les modalités de calculs de ces taux ou de cet ajustement :
284.2. La Commission peut conclure, avec un groupe d'employeurs qu'elle estime approprié, une entente déterminant notamment les conditions particulières d'assujettissement de ces employeurs à des taux personnalisés ou à l'ajustement rétrospectif de la cotisation ainsi que les modalités de calcul de ces taux ou de cet ajustement. Elle détermine, par règlement, le cadre à l'intérieur duquel peut être conclue une entente.
Une telle entente peut déroger aux conditions et modalités prévues dans les règlements utilisés pour fixer la cotisation d'un employeur et doit prévoir, à l'exclusion de tout autre recours prévu à la présente loi, l'arbitrage des différends qu'entraîne son application.
__________
1996, c. 70, a. 9.
[60] Conformément au paragraphe 4.2 de l’article 454 de la loi, la CSST a adopté un règlement dans le but de déterminer le cadre d’application de l’article 284.2. Sa disposition se lit ainsi :
454. La Commission peut faire des règlements pour (…)
4.2° déterminer le cadre d'application de l'article 284.2 aux fins de la conclusion des ententes qui y sont prévues;
__________
1985, c. 6, a. 454; 1989, c. 74, a. 11; 1992, c. 11, a. 44; 1993, c. 5, a. 21; 1996, c. 70, a. 44; 1999, c. 40, a. 4; 2006, c. 53, a. 27.
[61] Il s’agit du Règlement-cadre concernant les ententes relatives au regroupement d’employeurs aux fins de l’assujettissement à des taux personnalisés et aux modalités de calcul de ces taux[7] adopté en 1997.
[62] C’est le seul texte traitant des mutuelles de prévention dont il est question à son article 3. Il convient d’en reproduire les articles 1 à 6.
« […]
SECTION 1
DÉFINITION ET OBJET
Art. 1. Dans le présent règlement on entend par:
«entente»: une entente écrite conclue par la Commission et un groupe d'employeurs en vertu de l'article 284.2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).
(D. 1296-97, a. 1.)
Art. 2. Le présent règlement a pour objet de déterminer le cadre à l'intérieur duquel la Commission peut conclure une entente avec un groupe d'employeurs qu'elle estime approprié aux fins de déterminer notamment les conditions particulières d'assujettissement de ces employeurs à des taux personnalisés ainsi que les modalités de calcul de ces taux.
(D. 1296-97, a. 2.)
Art. 3. Un groupe d'employeurs partie à une entente est appelé «mutuelle de prévention». (Notre soulignement)
(D. 1296-97, a. 3.)
SECTION 2
LA PRÉVENTION, LA RÉADAPTATION ET LE RETOUR AU TRAVAIL
Art. 4. Toute entente doit avoir comme objectif de favoriser la prévention des lésions professionnelles et doit à cette fin prévoir des mesures concrètes de prévention des lésions professionnelles que les employeurs doivent s'engager à mettre en oeuvre pendant la durée de cette entente.
(D. 1296-97, a. 4.)
Art. 5. Toute entente doit également avoir comme objectif de favoriser la réadaptation et le retour au travail des travailleurs victimes de lésions professionnelles.
(D. 1296-97, a. 5.)
SECTION 3
ASSUJETTISSEMENT ET CALCUL DES TAUX
Art. 6. Toutes les ententes conclues pour une année donnée doivent, pour tous les employeurs partie à de telles ententes, prévoir les mêmes conditions particulières d'assujettissement à des taux personnalisés et les mêmes modalités de calcul de ces taux.
(D. 1296-97, a. 6.)
[63] La lecture de ces dispositions amène le tribunal à conclure que le législateur n’a pas attribué à la Mutuelle une personnalité juridique lui permettant d’agir en son propre nom dans le traitement des dossiers d’indemnisation des travailleurs à l’emploi des employeurs membres d’un groupe partie à une entente mentionnée à la loi et au règlement précité.
[64] En fait, selon les dispositions, une mutuelle de prévention désigne un groupe d’employeurs, sans plus.
[65] Par conséquent, pour décider du droit de la Mutuelle d’intervenir dans le présent dossier, qui, rappelons-le, vise une question d’indemnisation, il y a lieu de déterminer s’il est possible à un autre employeur, membre du groupe, identifié comme une mutuelle de prévention, lui-même ou avec d’autres, d’exercer ce droit.
C - DROIT D’INTERVENTION D’UN AUTRE EMPLOYEUR
[66] Le tribunal est d’avis que la loi a explicitement exclu qu’un employeur, autre que l’employeur du travailleur, mais qui fait partie du même regroupement, puisse se faire reconnaître le statut de partie à la contestation d’une décision en matière d’indemnisation.
[67] En effet, l’article 357.1 de la loi, que l’on retrouve dans le chapitre XI intitulé Compétence de la Commission, Révision et Recours devant la Commission des lésions professionnelles, prévoit qu’un employeur, qui fait partie d’un groupe d’employeurs ayant conclu une entente en vertu de l’article 284.2, ne peut demander la révision ni contester une décision concernant le travailleur d’un autre employeur du groupe :
357.1. Une opération visée à l'article 314.3 ne fait pas renaître des droits de révision ou de contestation autrement éteints.
Un employeur qui fait partie d'un groupe d'employeurs ayant conclu une entente en vertu de l'article 284.2 ne peut demander la révision ni contester une décision concernant le travailleur d'un autre employeur du groupe.
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1996, c. 70, a. 39.
[68] Cette disposition a été adoptée en 1996, en même temps que l’article 284.2 qui a été à l’origine des ententes ayant donné lieu à des regroupements d’employeurs.
[69] Il est pertinent de lire les propos du ministre du Travail de l’époque à l’occasion des débats[8] sur l’article 40 du Projet de loi 74 qui a amené l’adoption de l’article 357.1 :
M. Rioux: Le 9 étant réglé, nous passons à 40. Vous avez raison, M. le Président.
Alors, M. le Président, étant donné que l’article 40… étant donné qu’on va vivre dans un système de mutuelles, ce qu’on voudrait essayer d’éviter, et ce qu’on va éviter, c’est qu’un employeur - étant donné qu’ils sont ensemble - aille contester une décision qui a été prise - c’est ça? - chez un autre employeur. C’est pour protéger évidemment nos travailleurs que cet article-là est inscrit au projet de loi. Parce qu’on est dans un scénario qui est un peu nouveau, un peu spécial. Mais il faut faire attention, avec tout ça, qu’en bout de piste les travailleurs ne soient pas pénalisés.
Le président (M. Beaulne): M. le député de LaFontaine.
M. Gobé: Est-ce qu’on parle là de déjudiciarisation…
Une voix: On peut dire ça.
M. Gobé: …dans l’application de cet article-là? Bien, je ne sais pas…
Une voix: On peut le dire.
M. Rioux: Si vous voulez. Moi, vous le savez, ma propension pour la déjudiciarisation, elle est bien connue, c’est presque un trait culturel chez moi. Alors, oui, tout ce qui est déjudiciarisation m’intéresse.
M. Gobé: Quels vont être les effets concrets de ça?
M. Rioux: C’est pour protéger les travailleurs. On ne veut pas installer un système nouveau, puis que ça ait des effets pervers. Il faut éviter ça. C’est pour ça qu’on est prudent à toutes fins utiles et qu’on introduit cet article-là. Ça va?
M. Gobé: Ça va.
Le Président (M. Beaulne): L’article 40 est adopté. L’article 41.
[70] Par cette disposition, le législateur a voulu éviter qu’un travailleur à l’emploi d’un employeur faisant partie d’un regroupement visé à l’article 284.2 se voie confronté à plus d’un employeur à l’occasion d’un débat sur une réclamation qu’il a déposée.
[71] En effet, si un autre employeur, membre d’un regroupement, avait ce droit, il faudrait conclure que chaque employeur de ce regroupement aurait ce droit et par conséquent, que chaque employeur de ce regroupement pourrait éventuellement demander au tribunal de soumettre le travailleur à une expertise médicale et d’avoir accès à son dossier médical.
[72] Le tribunal est d’avis que le regroupement d’employeurs, prévu dans le cadre des ententes mentionnées à l’article 284.2 de la loi, ne pouvait avoir pour effet d’accorder aux autres employeurs de ce groupe le droit d’intervenir devant la Commission des lésions professionnelles.
[73] La Mutuelle invoque les dispositions de la convention à laquelle l’employeur a adhéré et dans laquelle celle-ci s’est engagée à « gérer les lésions professionnelles ».
[74] Ce contrat, non spécifiquement prévu à la loi ni au règlement-cadre n’est pas opposable à la Commission des lésions professionnelles et aux tiers comme le travailleur et la CSST et le tribunal n’a pas à s’immiscer dans la gestion des conflits possibles entre les employeurs membres du regroupement et, ou entre un de ces employeurs et le gestionnaire de la mutuelle de prévention. D’ailleurs, la convention contient à son article 7 une clause compromissoire prévoyant un arbitrage obligatoire en cas de conflits semblables.
[75] L’APCHQ, à titre de gestionnaire désigné par les employeurs du regroupement, ne peut avoir des droits que ces derniers n’ont pas.
[76] Toutefois, rien ne lui interdit d’effectuer des démarches auprès de la CSST avant que le processus de révision ou de contestation ne soit enclenché. De même, il lui est possible de communiquer en tout temps avec la CSST pour lui transmettre toute information pertinente aux fins de l’intervention de cette dernière devant la Commission des lésions professionnelles.
[77] Enfin, seul l’article 429.16 de la loi traite de la possibilité d’intervenir devant la Commission des lésions professionnelles :
429.16. La Commission peut intervenir devant la Commission des lésions professionnelles à tout moment jusqu'à la fin de l'enquête et de l'audition.
Lorsqu'elle désire intervenir, elle transmet un avis à cet effet à chacune des parties et à la Commission des lésions professionnelles; elle est alors considérée partie à la contestation.
Il en est de même du travailleur concerné par un recours relatif à l'application de l'article 329 .
__________
1997, c. 27, a. 24.
[78] Vu l’article 357.1 de la loi, il n’est pas utile de décider si les employeurs, membres du groupe de la Mutuelle, peuvent intervenir en prétendant qu’ils sont susceptibles d’être affectés par la décision de la Commission des lésions professionnelles. En effet, la loi leur nie explicitement cette possibilité.
[79] Au-delà des considérations strictement juridiques, le tribunal est aussi d’avis que des considérations pratiques liées à la saine administration de la justice appuient aussi sa décision.
[80] En effet, si le tribunal accordait le statut de partie intéressée à toute personne qui peut se croire lésée par une décision qu’elle n’a pas contestée, non seulement une association d’employeurs telle la Mutuelle pourrait intervenir, présenter des témoins et interroger ceux des autres parties, mais aussi les autres travailleurs de l’entreprise vivant des conditions de travail similaires à celles du travailleur, son syndicat et, pourquoi pas, les travailleurs d’un employeur exerçant des activités similaires à celles de l’employeur et un syndicat accrédité chez d’autres employeurs exerçant la même activité. Toutes ces personnes, qui n’ont pas un intérêt financier direct dans le débat, pourraient prétendre avoir un intérêt plus large, à savoir le respect d’une loi d’ordre public et la reconnaissance d’une lésion professionnelle, en invoquant même que le travailleur néglige sa représentation ou n’est pas représenté adéquatement.
[81] Le tribunal est d’avis que le législateur n’a pas voulu que l’instruction des recours devant la Commission des lésions professionnelles se transforme en un débat impliquant des personnes autres que le travailleur, son employeur et la CSST, soit les personnes directement impliquées dans le traitement de la réclamation, et ce, dans le but de permettre que les recours soient instruits rapidement et procèdent de façon efficace afin qu’une décision soit rendue dans les meilleurs délais.
[82] Ainsi, malgré que l’intervention de la Mutuelle, qui a été faite sous réserve dans le présent dossier, se soit déroulée de façon efficace et qu’elle n’ait pas retardé le déroulement de l’audience, il y a lieu de craindre que, si l’on multiplie le nombre d’acteurs, cela aura nécessairement pour effet d’allonger les débats. Pensons seulement à l’ajournement d’une audience où l’on doit fixer une date convenant de la disponibilité de l’ensemble des parties, de leurs représentants et de leurs experts.
D - LA JURISPRUDENCE
- L’affaire Pietras
[83] La Mutuelle s’appuie sur la décision de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Pietras et Laboratoire Ultrateck inc. et CSST[9] où elle a permis l’intervention d’une mutuelle dans une affaire d’indemnisation, en la limitant à ses situations exceptionnelles :
[13] La Commission des lésions professionnelles s’est penchée à quelques reprises sur cette question et a déterminé de façon unanime que les mutuelles peuvent agir à titre de partie intéressée dans des cas. Dans l’affaire La Mutuelle de prévention des produits de la forêt, aménagement et transformation et Scierie Gatineau inc.3, la commissaire Marie Langlois disposait de cette question comme suit :
[19] Rappelons que la loi prévoit que des employeurs peuvent se regrouper afin, notamment, de bénéficier de taux de cotisation personnalisée. L’article 284.2 prévoit ce qui suit :
[…]
[20] Aussi, lorsqu’un tel regroupement existe, la loi prévoit qu’un employeur ne peut contester une décision concernant un autre travailleur du groupe. L’article 357.1 est le suivant :
[…]
[21] Cependant, le législateur n’a pas prévu que le regroupement, tel qu’autorisé en vertu de l’article 284.2, ne pouvait pour sa part procéder aux contestations relatives à des lésions professionnelles survenues aux travailleurs des employeurs membres du regroupement. Le tribunal considère ainsi que s’il a l’intérêt, le regroupement peut agir en son propre nom.
[22] Rappelons que la loi énonce à l’article 359 qu’une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la CSST peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles.
[…]
[23] Il ressort de cette disposition que le droit de contestation n’est pas limité aux seuls employeurs et travailleurs, mais vise toute personne, y compris une personne morale, qui se croit lésée par la décision de la CSST. Soulignons d’ailleurs que la jurisprudence a établi à de nombreuses reprises l’intérêt d’un tiers à intervenir dans des litiges visés par une demande de partage d’imputation des coûts en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi dans les cas où l’accident du travail est attribuable à un tiers. Également, en matière de réparation, le législateur a par ailleurs prévu qu’une association d’employeurs peut exercer les droits d’un employeur disparu, en vertu de l’article 273 de la loi.
[24] En l’espèce, la convention liant l’employeur et la Mutuelle permet de conclure que la Mutuelle est le gestionnaire du regroupement visé à l’article 284.2 de la loi. Tel que mentionné précédemment, les employeurs de ce regroupement ne peuvent déposer des contestations relatives à des lésions professionnelles de travailleurs autres que les leurs, mais le législateur n’interdit pas à la Mutuelle de procéder en son propre nom.
[25] Reste à savoir, si par ailleurs, la Mutuelle en question possède l’intérêt juridique pour intervenir.
[26] Signalons que la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles et avant elle celle de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles a établi que l’intérêt juridique à agir comme partie intéressée n’est pas uniquement d’ordre pécuniaire4. Le tribunal considère qu’à fortiori, lorsque l’intérêt pécuniaire est en jeu, la personne en question possède l’intérêt nécessaire à l’intervention.
[27] Dans le dossier qui nous occupe, la lésion professionnelle pour laquelle la Mutuelle fait une demande de partage des coûts est survenue le 4 juillet 1999 alors que l’employeur exploitait son usine et était membre de la Mutuelle. En vertu du jeu des implications financières, la lésion professionnelle survenue en juillet 1999 aura un impact financier sur les cotisations des employeurs membres de la Mutuelle pour les années 2001, 2002, 2003 et 2004 en vertu des articles 2 et 9 du Règlement sur les taux personnalisés5 et ce, malgré que l’employeur chez qui est survenue la lésion a cessé ses activités. Ces dispositions sont les suivantes :
[28] Par conséquent, le tribunal détermine que la Mutuelle possède l’intérêt juridique nécessaire pour agir dans le présent dossier et demander le partage des coûts en regard d’un dossier de lésion professionnelle imputable à un employeur membre du regroupement et qui est en faillite. La Mutuelle constitue donc une partie intéressée aux présentes et en l’occurrence la requérante. Devant cette conclusion, la Commission des lésions professionnelles analysera maintenant la demande de partage des coûts faite par la Mutuelle en vertu de l’article 329 de la loi.
____________
3 Voir à ce sujet Société des Alcools du Québec et Placements Havrex Ltée, C.L.P. 184726-62B-0205, 184727-62B-0205, 184728-62B-0205, 184729-62B-0205, 184730-62B-0205, 184731-62B-0205, 184732-62B-0205, 184733-62B-0205, 184735-62B-0205, 184736-62B-0205, 184737-62B-0205, 184738-62B-0205, 184739-62B-0205, 14-12-02, A. Vaillancourt
4 Voir notamment Boudreau et Reynald Côté inc., [1994] C.A.L.P. 530 ; Camiré et Salaison Olympia ltée, C.L.P. 105347-62B-9809, 99-06-01, N. Blanchard; Société des Alcools du Québec et Placements Havrex Ltée, précité, note 3
5 Règlement sur le taux personnalisé, (1998) 130 G.O. II, 5389
[14] Par ailleurs, cette jurisprudence est suivie dans les affaires Mutuelle A.P.C.H.Q. et Bastien et Les Systèmes intérieurs4 ainsi que dans Micor Auto Location inc.5
[15] Le tribunal n’est pas persuadé que le raisonnement exprimé par la commissaire Langlois puisse trouver application sans distinction dans un cas de réparation étant donné l’article 357.1 de la loi. Par contre, le tribunal convient que face à des situations exceptionnelles, comme c’est le cas dans le présent dossier où l'employeur et le travailleur sont des personnes liées, ou encore lorsqu’on se trouve face à un employeur qui a cessé ses activités et qui se désintéresse de son dossier, il devrait être permis à la Mutuelle d’agir en son propre nom afin d’être en mesure de protéger les intérêts des autres membres de la Mutuelle. Ainsi, le présent tribunal accorde à la Mutuelle le statut de partie intéressée.
__________
3 C.L.P. 215666-07-0309, 10 mai 2004, M. Langlois
4 C.L.P. 220489-63-0310, 13 juin 2005, L. Boudreault
5 C.L.P. 229351-63-0403, 12 octobre 2005, J.P. Arsenault
[84] Tel que mentionné par le tribunal dans cette affaire, les décisions qu’il cite ont été rendues en matière de financement.
[85] Or, en matière de réparation, le législateur a tout de même prévu à l’article 273 de la loi, qu’une association d’employeurs, qui regroupe des employeurs exerçant des activités économiques semblables, peut exercer des droits que la loi confère à l’employeur du travailleur relativement à la réclamation qu’il a faite. Cette disposition est rédigée ainsi :
273. Lorsqu'un employeur dont le nom apparaît sur le formulaire visé dans l'article 272 a disparu, l'association des employeurs qui regroupe les employeurs exerçant des activités économiques semblables à celles de l'employeur disparu peut exercer les droits que la présente loi confère à l'employeur du travailleur relativement à la réclamation pour laquelle ce formulaire a été rempli.
__________
1985, c. 6, a. 273.
[86] De l’avis du présent tribunal, avec respect, en dehors de la situation exceptionnelle visée par cette disposition, il y a lieu d’appliquer la lettre et l’esprit de l’article 357.1 de la loi qui exclut les autres employeurs d’un groupe de tout débat concernant la réclamation d’un travailleur.
- L’affaire Auberge de Grand-Mère
[87] En plus de la jurisprudence invoquée par le représentant de la Mutuelle, le présent tribunal a aussi consulté la décision rendue dans Mutuelle de prévention ARC et Auberge Grand-Mère[10], où le tribunal a disposé d’une question préliminaire concernant l’intérêt juridique d’une mutuelle de prévention de déposer à la Commission des lésions professionnelles une contestation, la Commission des lésions professionnelles a reconnu, à la Mutuelle, le droit de contester une décision de la CSST accueillant la réclamation d’un travailleur.
[88] Dans cette affaire, la CSST avait décidé que le travailleur, qui était l’âme dirigeante de l’employeur, avait subi une lésion professionnelle et l’employeur avait précisé qu’il ne voulait pas contester la décision d’admissibilité et qu’il ne voulait pas que la Mutuelle le fasse à sa place. Or, l’employeur avait comme seul administrateur, président et actionnaire majoritaire l’intimé lui-même, ce qui fait écrire au tribunal que « en pareilles circonstances, il ne faut pas se surprendre de l’attitude de cet employeur qui n’est ni plus ni moins l’alter ego de l’intimé » (par. 23).
[89] Le tribunal a alors considéré que les intérêts de l’intimé et ceux de l’employeur étaient confondus, qu’il y avait confusion de rôle, qu’on ne pouvait prétendre sérieusement que l’intimé pouvait à la fois veiller aux intérêts de l’employeur et à ses intérêts propres et qu’on devait donc conclure qu’il s’agissait de circonstances spéciales où l’employeur et l’intimé « ont intérêt à épouser et à défendre le fait qu’il y a bel et bien eu lésion professionnelle [...]. Ni l’intimé ni l’employeur n’ont l’intention de prétendre le contraire » (par. 24).
[90] Le tribunal écrit que, dans la majorité des cas où le travailleur et l’employeur sont des personnes réellement distinctes, chacun mesure l’étendue de ses droits et prend les décisions en conséquence et que cet exercice n’a pas été fait étant donné la proximité, sinon l’adéquation, qui existe entre l’employeur et l’intimé. C’est ce qui amène le tribunal à estimer que la Mutuelle peut réellement se considérer lésée au sens des articles 358 et 359 de la loi.
[91] En effet, selon le tribunal, la Mutuelle a été mise sur pied pour protéger les intérêts financiers de ses membres par une prévention adéquate et un contrôle des réclamations, le tout en ayant pour effet ultimement de contrôler les cotisations versées à la CSST. Le tribunal considère que par son attitude dans le dossier, il est clair que l’employeur ne se préoccupe aucunement de ses intérêts ni de ceux des membres de la Mutuelle, ce qui fait que cette dernière a donc le droit d’intervenir pour pallier l’inaction de l’employeur, inaction aucunement basée sur des motifs objectifs, mais plutôt sur la simple adéquation entre les personnes d’un employeur et de l’intimé.
[92] Le tribunal considère donc que l’intérêt de la Mutuelle ne ressort pas nécessairement du contrat intervenu entre la Mutuelle et l’employeur, mais plutôt du fait que, dans la situation actuelle, où « l’employeur abdique complètement ses devoirs et obligations en ne démontrant aucun intérêt à défendre son patrimoine, et ce, au détriment des membres de la Mutuelle » (par. 30). Le tribunal estime donc que l’intérêt naît lorsque l’employeur en cause ne défend pas ses intérêts et, par le fait même, nuit aux membres de la Mutuelle dont il fait partie.
[93] Comme dans plusieurs décisions sur le sujet, le tribunal s’appuie sur la décision de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire La Mutuelle de prévention des produits de la forêt, aménagement et transformation et Scierie Gatineau inc.[11]. Il y a lieu de rappeler que cette décision a été rendue dans un contexte de financement, tout comme celle de A. Vaillancourt dans Société des Alcools du Québec et Placements Havrex Ltée[12]. Il s’agit de deux affaires où le tribunal avait à statuer sur une demande de partage de coût.
[94] Avec respect, le présent tribunal ne peut souscrire à cette opinion puisque la Commission des lésions professionnelles n’a pas à se demander si les employeurs, membres d’un groupe désigné comme une mutuelle, peuvent s’estimer lésés ou voir leurs droits affectés par une décision à être rendue.
[95] Vu le deuxième alinéa de l’article 357.1 de la loi, le tribunal n’a pas d’autre choix que d’exclure du débat portant sur une réclamation d’un travailleur, les employeurs membres du groupe, autres que l’employeur du travailleur.
[96] Ainsi, il n’est pas pertinent de s’interroger sur le caractère exceptionnel d’une situation dans la mesure où le législateur n’a pas permis aux autres employeurs de s’immiscer directement ou indirectement dans un recours concernant la contestation d’une décision portant sur une demande d’indemnisation.
[97] Comme la Commission des lésions professionnelles l’a déjà mentionné dans l’affaire de la Mutuelle A.P.C.H.Q. et Bastien et Les systèmes intérieurs et Écono-Porte inc.[13], ce n’est pas au niveau de la Commission des lésions professionnelles qu’une mutuelle doit faire des représentations pour obtenir un statut semblable à celui de la CSST.
E - CONCLUSION SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[98] Lors de l’adoption de l’article 284.2 de la loi, qui a amené la « création » des mutuelles de prévention, ni par la suite, le législateur n’a pas cru bon de permettre à ces dernières, qui n’ont pas d’ailleurs d’existence légale, ni à leurs membres, la possibilité d’intervenir en leur propre nom, au lieu et place de l’employeur, dans un débat concernant la réclamation d’un travailleur. Au contraire, le législateur leur a clairement nié ce droit dans le but de préserver le tripartisme qui existe en matière d’indemnisation.
[99] Dans un cas comme celui dont est saisi le tribunal, qui peut s’avérer une situation particulière, la CSST peut intervenir, comme elle l’a fait dans le but de faire des représentations afin de s’assurer que le travailleur n’obtienne pas plus que ce que la loi prévoit. Par ailleurs, rien n’interdit à un employeur, membre d’une mutuelle ou au gestionnaire de celle-ci, de contacter la CSST afin de lui demander d’intervenir afin que, le cas échéant, elle fasse les représentations qu’elle estime appropriées en tant qu’administratrice du régime d’indemnisation.
[100] Le fait que le tribunal doive appliquer une loi d’ordre public et s’assurer que le travailleur n’obtienne pas plus que ce qu’il a droit et le fait que la CSST puisse intervenir constituent des moyens suffisants pour éviter qu’un travailleur obtienne des prestations auxquelles il n’a pas droit, même si son employeur ne conteste pas la lésion et même si, comme dans le cas présent, il appuie la réclamation du travailleur.
[101] Enfin, le tribunal ne croit pas que le fait que la Mutuelle ne puisse intervenir aille à l’encontre de la règle audi alteram partem car, s’il y a lieu de préserver à chaque partie le droit d’être entendue et de faire valoir tous ces moyens, cette règle ne fait pas en sorte de donner le statut de partie à des personnes auxquelles le législateur a nié celui-ci.
L’AVIS DES MEMBRES
[102] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que les requêtes du travailleur doivent être rejetées. En effet, ils considèrent que la réclamation pour la lésion professionnelle survenue le 5 mai 2003 a été produite en dehors du délai prévu à la loi et que le travailleur n’a démontré aucun motif permettant au tribunal de le relever du défaut de ne pas l’avoir fait.
[103] Par conséquent, ils sont d’avis que la réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 10 avril 2007 doit être rejetée puisque la lésion initiale n’a pas été reconnue comme lésion professionnelle. De toute façon, ils sont d’avis que la preuve ne démontre pas que la lombosciatalgie diagnostiquée au cours de l’année 2006 est reliée à l’entorse de la cheville gauche survenue le 5 mai 2003 et qu’il s’agit plutôt d’une condition personnelle qui n’a pas non plus été aggravée par la chute qui a causé cette entorse.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[104] La Commission des lésions professionnelles doit décider, dans un premier temps, si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 5 mai 2003 et, pour ce faire, elle doit déterminer si la réclamation du travailleur a été déposée dans le délai prévu à la loi et, le cas échéant, si le travailleur doit être relevé du défaut de ne pas avoir respecté ce délai.
[105] Dans un deuxième temps, le tribunal doit déterminer si la lombosciatalgie diagnostiquée le 15 septembre 2006 constitue une récidive, rechute ou aggravation d’une lésion professionnelle qui serait survenue le 5 mai 2003.
[106] Le tribunal retient de la preuve que le travailleur, qui est opérateur de machinerie lourde pour l’employeur depuis 1995, est un employé saisonnier. Il travaille à temps complet pour une période débutant environ au début de juin pour se terminer en novembre et il reçoit par la suite des prestations d’assurance emploi.
[107] En 2003, il débute toutefois le travail en mai et il relate dans son témoignage qu’il est tombé d’une échelle appuyée sur le haut d’une boîte d’un camion, le 5 mai 2003. Cet accident survient au cours de l’avant-midi et il se rend immédiatement au Centre hospitalier de Chandler.
[108] Dans la feuille de triage complétée à son arrivée, l’infirmière écrit « Chute en bas de la boîte de son camion vers 11 h 15. Douleurs cheville et talon gauche ». On a posé sur cette feuille un tampon où il est écrit : CSST.
[109] Dans la consultation médicale effectuée le même jour par le docteur Donald Saint-Gelais, on retrouve le même tampon et, dans la case responsabilité de paiement, il est écrit : « C.S.S.T. AVEC ».
[110] Le docteur Saint-Gelais limite son examen à la cheville gauche du travailleur et après avoir reçu un rapport radiologique indiquant qu’il n’a pas d’évidence de fracture, il pose un diagnostic d’entorse grade II. La cheville est immobilisée, des béquilles sont prescrites ainsi que des anti-inflammatoires (Vioxx) et des anti-douleurs (Empracet).
[111] À la fin de la note rédigée à 18 h, le docteur Saint-Gelais écrit : « CSST remplie ». Questionné à ce sujet, le travailleur ne se souvient pas avoir reçu une attestation médicale.
[112] Le travailleur mentionne avoir été payé pour les heures de travail effectuées le 5 mai 2003, mais que l’employeur ne lui a rien versé pour les deux semaines suivantes au cours desquelles il a été incapable de travailler; il a reçu des prestations d’assurance emploi durant cette période.
[113] Toutefois, dans la note de cueillette d’information rédigée le 16 février 2007 par la CSST, il déclare que l’arrêt de travail a été d’environ sept jours et qu’il ne s’est pas adressé à la CSST puisque son employeur le payait.
[114] Le travailleur rencontre son médecin traitant, le docteur Luc Réhel, le 9 mai 2003. Dans les notes qu’il rédige cette journée-là, ce médecin indique que son patient est sous antibiotiques pour sinusite depuis six à sept jours et qu’il est en béquilles pour entorse sévère cheville gauche à la suite d’un accident. Il écrit également que les douleurs musculo-squelettiques diverses sont nettement diminuées depuis la prise de glucosamine, que son patient n’a pas de paresthésie.
[115] Le 10 mai 2003, le travailleur se rend au Centre hospitalier de Chandler pour un contrôle de son entorse à la cheville gauche. Sur la feuille de triage de même que dans les notes de consultation médicale à l’urgence, on retrouve encore un tampon où il est écrit CSST. Dans la case relative à la responsabilité de paiement, il est aussi écrit « C.S.S.T. AVEC ». Le docteur Saint-Gelais écrit : « chute de 7-8 pieds sur cheville D. (…) ? boite?; membre inf. D. : jambe normale; pied d. : léger (illisible) de mortaise (illisible) Plan : travail progressif X 1 sem.; papiers faits; je tél. si Rx anormal ».
[116] Dans son témoignage, le travailleur indique que lors de sa rencontre avec le docteur Réhel le 9 mai 2003, il lui a mentionné qu’il avait mal au dos. Toutefois, on ne retrouve aucune note à cet effet.
[117] Le travailleur dit avoir repris le travail à des « travaux légers » durant un mois et demi et affirme s’être limité alors à faire des « petites commissions ». La preuve révèle qu’il a travaillé sans interruption tout le reste de la saison 2005. Il en est de même pour la saison 2006.
[118] Il explique à l’agente de la CSST qu’il a déposé une réclamation en 2007, car il est susceptible de subir une intervention chirurgicale et il désire obtenir des indemnités de remplacement du revenu durant la période où il sera incapable de travailler. Toutefois, dans son témoignage, il mentionne que c’est un représentant de la CSST qui lui a dit de faire une réclamation.
[119] Le travailleur mentionne que depuis 2003, il s’est fait prescrire de nombreux médicaments pour des problèmes de dos et qu’il a assumé les coûts d’achat de ceux-ci, de même que les frais de transport pour un grand nombre de consultations médicales qu’il a effectuées au cours des années antérieures à sa réclamation.
[120] Ce sont les articles 270 et 271 de la loi qui traitent du délai dans lequel un travailleur doit produire une réclamation à la CSST pour une lésion professionnelle autre qu’une maladie professionnelle :
270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.
L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.
Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
__________
1985, c. 6, a. 270.
271. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion ou celui à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durée de son incapacité, produit sa réclamation à la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lésion.
__________
1985, c. 6, a. 271.
[121] En vertu de ces dispositions, le travailleur doit déposer sa réclamation dans les six mois de sa lésion. De plus, la jurisprudence est à l’effet que le délai de six mois prévu à ces dispositions court à compter du moment où se manifestent les conséquences de la lésion, soit à compter du début de l’incapacité résultant de la lésion professionnelle[14].
[122] De plus, la jurisprudence est à l’effet que le délai de six mois court à partir du moment où le travailleur a un intérêt réel et actuel à déposer une réclamation[15].
[123] En l’espèce, il est évident que le travailleur avait un intérêt réel et actuel à déposer une réclamation à la CSST dès le 5 mai 2003 puisque la lésion professionnelle l’a rendu incapable de travailler au-delà de la journée de l’accident, et que son employeur, selon son témoignage, ne lui a versé aucune rémunération ou indemnisation pour au moins sept jours de travail.
[124] De plus, la preuve révèle qu’il était à la connaissance du travailleur qu’il s’était blessé au travail puisque c’est ce qu’il a déclaré aux infirmières et aux médecins qu’il a rencontrés dès son arrivée au centre hospitalier le jour même de l’accident, où on lui aurait d’ailleurs remis une attestation médicale qu’il a, de toute évidence et pour des motifs inexplicables, omis ou négligé de remettre à son l’employeur.
[125] Dans ce contexte, le tribunal n’a aucune hésitation à conclure que la réclamation du travailleur a été déposée en dehors du délai prévu à la loi et qu’il n’a pas présenté aucune preuve démontrant un motif raisonnable expliquant son retard qui aurait permis que le délai soit prolongé ou qu’il soit relevé des conséquences de ne pas avoir respecté ce délai, tel que le permet l’article 352 de la loi :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
__________
1985, c. 6, a. 352.
[126] En conséquence, la réclamation du travailleur concernant un diagnostic de lombosciatalgie gauche en relation avec l’événement du 5 mai 2003 doit être rejetée.
[127] Le tribunal est aussi d’avis que la réclamation pour la récidive, rechute ou aggravation survenue le 10 avril 2007 doit être également rejetée. En effet, il est bien établi par la jurisprudence qu’une récidive, rechute ou aggravation ne peut être acceptée sans qu’une lésion initiale n’ait d’abord été reconnue comme lésion professionnelle[16]. Or, le tribunal vient de conclure que la réclamation pour l’accident survenu le 5 mai 2003 doit être rejetée.
[128] De toute façon, le tribunal est aussi convaincu que la lombosciatalgie bilatérale diagnostiquée par le docteur Luc Réhel dans les rapports médicaux rédigés à compter du 19 septembre 2006, n’est aucunement reliée à la chute subie le 5 mai 2003 qui a causé au travailleur une entorse de la cheville gauche et que, même si cet événement avait été reconnu à titre de lésion professionnelle, la lombosciatalgie diagnostiquée par la suite n’aurait pu être considérée comme une récidive, rechute ou aggravation de cette lésion professionnelle.
[129] L’article 2 de la loi définit ainsi la lésion professionnelle comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[130] Les notions de récidive, rechute ou aggravation ne sont pas définies à la loi, mais la Commission des lésions professionnelles a eu à les interpréter à plusieurs reprises.
[131] Pour qu’une récidive, rechute ou aggravation d’une lésion professionnelle soit reconnue, la preuve doit généralement démontrer qu’il existe une relation entre la lésion initiale et la récidive alléguée, de telle sorte que la première explique la seconde. Ainsi, la condition prévalant lors de la récidive doit découler plus probablement de la lésion première que de toutes autres causes.
[132] Pour déterminer l’existence d’une relation entre la lésion originale et celle faisant l’objet de la réclamation, la jurisprudence a établi des guides.[17] En application de ces guides, qui ne sont pas exhaustifs, l’instance chargée de se prononcer sur cette question tient compte de la gravité de la lésion initiale, de la continuité de la symptomatologie, de l’existence ou non d’un suivi médical, du retour au travail avec ou sans limitations fonctionnelles, de la présence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la présence d’une condition personnelle, de la compatibilité de la symptomatologie, du délai entre les lésions, de la similitude du site et du diagnostic. Il n’est évidemment pas nécessaire que tous ces critères se retrouvent dans chaque cas qui doit être examiné à la lumière de l’ensemble des circonstances qui lui sont propres. En effet, il y a lieu de se rappeler que ces critères ont été établis par la jurisprudence et non par la loi et que le tribunal n’est pas tenu de retrouver chacun de ceux-ci dans tous les dossiers.[18]
[133] En l’espèce, le tribunal considère que la preuve dont il dispose ne peut établir, de façon prépondérante, une relation entre la lombosciatalgie bilatérale et les suites de la chute survenue le 5 mai 2003.
[134] En effet, le tribunal est plutôt d’avis que la preuve révèle que les problèmes du travailleur découlent d’une condition personnelle qui a évolué au cours des années précédant même la chute survenue en 2003, et que cette condition est étrangère aux suites de celle-ci.
[135] À l’instance, le tribunal ne retrouve pas dans la preuve les critères ou guides énoncés précédemment. Au contraire, elle révèle que le travailleur, malgré ce qu’il a déclaré par la suite à certains médecins, ressentait des douleurs musculo-squelettiques diverses avant sa chute de 2003, douleurs pour lesquelles il a continué à consulter par la suite.
[136] Cela apparaît notamment dans les notes médicales rédigées par son médecin traitant, le docteur Réhel qui, dans une conversation téléphonique avec l’agent de la CSST, le 17 octobre 2007, explique qu’il suit le travailleur pour des douleurs musculo-squelettiques depuis 1998. Cela est confirmé par la note du 13 février 1998 dans laquelle le docteur Réhel mentionne une symptomatologie persistante consistant en des paresthésies se manifestant sous la forme de douleurs qui se présentent surtout la nuit, des difficultés à la marche, au lever ainsi que de la faiblesse musculaire. De plus, dans ses notes de consultations rédigées le 19 janvier 2000, le docteur Réhel mentionne des symptômes inflammatoires réapparus la semaine dernière après des efforts physiques intenses « jouer au hockey ++ ». Il note que le travailleur ressent la nuit des antalgies aux hanches, genoux et chevilles qui sont bilatérales et qui perturbent son sommeil et lui prescrit du Celebrex qui est un anti-inflammatoire. Dans la consultation du 18 octobre 2002, il est aussi question d’un même problème avec diminution de force musculaire aux membres supérieurs et inférieurs, le matin, qui peut durer une heure et parfois toute la journée et qu’il s’agit d’une situation plus ou moins stable depuis cinq ans.
[137] C’est ainsi que, lorsque le docteur Réhel rencontre le travailleur le 9 mai 2003, soit quatre jours après sa chute qui lui a causé une entorse à la cheville gauche, d’une part, il mentionne une diminution des douleurs musculo-squelettiques intenses depuis la prise de glucosamine et, que d’autre part, il ne traite d’aucun problème spécifique à ce qui a trait à la région lombaire.
[138] D’ailleurs, la revue du dossier médical révèle que les consultations postérieures à la chute du mois de mai 2003 ne concernent pas seulement le dos et il est donc inexact de prétendre, comme le fait le représentant du travailleur, que l’on retrouve au dossier un suivi médical relativement à la région lombaire. Ainsi, dans la consultation du 24 février 2004, même s’il est question de douleurs au bas du dos « On-Off et de longue date », le médecin écrit que la douleur actuelle est au niveau des clavicules et que le travailleur décrit son problème comme une faiblesse qui fait en sorte qu’il a de la difficulté à monter des escaliers et à faire un peu de pelletage, ce qui amène ce médecin à considérer que le tableau est très imprécis malgré la présence d’un pincement L4-L5, spondylolisthésis qui n’explique pas les symptômes ressentis par le travailleur.
[139] Par ailleurs, dans une consultation en physiatrie effectuée le 3 avril 2006, le docteur Yessad indique que le début des problèmes semble remonter à trois ans, tout en mentionnant que suite à une chute sur les jambes, le travailleur a développé progressivement des douleurs lombaires modérées et constantes. Il est pertinent aussi de noter que dans la consultation de la docteure Patricia Bonin, interniste, du 24 mars 2004, celle-ci indique que depuis trois-quatre mois, le patient présenterait des raideurs matinales d’environ 30 minutes, surtout au niveau des épaules et au bas du dos et au niveau des deux clavicules ainsi qu’une faiblesse au niveau des membres inférieurs.
[140] D’une part, le tribunal note qu’il s’agit de symptômes présents au dossier avant la chute de 2003 et, d’autre part, ces symptômes ne concernent pas exclusivement la région lombaire. D’ailleurs, le 14 avril 2004, le travailleur a subi un examen radiologique de la colonne cervicale pour douleurs aux épaules et faiblesses non objectivées, ce qui amène la docteure Bonin à écrire, dans un rapport du 15 avril 2004, que le diagnostic demeure imprécis, mais stable.
[141] En outre, à la suite d’examens d’imagerie médicale visant la colonne lombosacrée, il est ressorti que le travailleur présentait une légère scoliose lombaire, un pincement des espaces L4-L5 et L5-S1, de même qu’un spondylolisthésis du deuxième degré de L5 sur S1 ainsi qu’une spondylolyse probable[19]. D’ailleurs, dans une consultation effectuée auprès du docteur Pétri, le 15 juillet 2006, ce dernier écrit que le travailleur présente une lombosciatalgie irradiant aux membres inférieurs qui est progressive depuis 2001. De plus, à l’occasion d’une tomodensitométrie lombaire effectuée le 25 octobre 2006, le radiologiste Guy Robitaille écrit que le travailleur souffre d’une maladie dégénérative discale marquée à L5-S1 et qu’il présente une arthrose facettaire bilatérale L5-S1. Enfin, dans un rapport daté du 20 novembre 2006, le docteur Pétri, qui revoit le travailleur à la suite des résultats des examens par résonance magnétique, écrit que ceux-ci démontrent l’existence d’une sténose foraminale sévère bilatérale à cause du listhésis L5 sur S1 avec compression radiculaire.
[142] Malgré que certains médecins consultés, soit les docteurs Christian Leblond et Jean-François Roy, aient laissé entendre que les douleurs lombaires puissent être reliées à la chute en bas du camion, le tribunal considère que ces affirmations ne peuvent constituer une preuve prépondérante établissant que la condition lombaire découle plus probablement de cet accident que de toutes autres causes.
[143] Il apparaît surtout hautement improbable au tribunal que le travailleur ait pu subir en 2003, lors de la chute, une entorse lombaire, comme le docteur Roy l’indique dans une demande d’intervention chirurgicale datée du 27 avril 2008, alors que les trois médecins qui ont vu le travailleur le jour de la chute de même que les 9 et 10 mai 2007, soit à l’époque contemporaine, ne font aucune mention d’un diagnostic d’entorse lombaire.
[144] Finalement, pour les mêmes motifs, l’hypothèse avancée par le représentant du travailleur d’une aggravation de la condition personnelle du travailleur par la chute n’est pas supportée par la preuve qui, telle qu’indiquée précédemment, est plutôt à l’effet que l’intervention chirurgicale prévue en 2007 découle, selon toute probabilité, de l’évolution de la condition personnelle du travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE l’intervention de l’Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec;
Dossier 318325-01B-0705
REJETTE la requête de monsieur Clifford Vibert, le travailleur;
DÉCLARE que monsieur Clifford Vibert n’a pas subi une lésion professionnelle le 5 mai 2003.
Dossiers 333155-01B-0711 et 333180-01B-0711
REJETTE les requêtes de monsieur Clifford Vibert et de Excavation Bernard & Gene Cahill inc.;
DÉCLARE que monsieur Clifford Vibert n’a pas subi de lésion professionnelle le 10 avril 2007.
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Martin Racine |
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Commissaire et juge administratif |
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Monsieur Édouard Guillemette |
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Représentant du travailleur |
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Me Jean-François Beaumier |
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Représentant de l’APCHQ |
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Me Sonia Dumaresq |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] C.L.P. 252559-62C-0501, 31 mars 2006, N. Tremblay
[3] L.R.Q., c. C-37
[4] Gagné et Produits forestiers L.M.C. inc., C.L.P. 196748-01C-0212, 10 mai 2004, J.-F. Clément, par. 29. Dans cette affaire, le tribunal confirme l’intérêt de l’employeur d’intervenir vu le caractère paritaire de la loi et même si une décision n’a pas d’impact financier direct pour lui.
[5] Voir notamment les articles 38, 39, 209, 212, 265 et 266.
[6] L.R.Q., c. S-2.1
[7] Décret 1296-97, 1997 G.O. 2, 6561
[8] Commission permanente de l’économie et du travail, 5 décembre 1996, Projet de loi 74 : Loi modifiant la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et la Loi sur la santé et la sécurité du travail, pages 47-107.
[9] C.L.P. 252559-62C-0501, 31 mars 2006, N. Tremblay
[10] [2006] C.L.P. 161
[11] C.L.P. 215666-07-0309, 10 mai 2004, M. Langlois
[12] C.L.P. 184726-62B-0205, 4 décembre 2005, Alain Vaillancourt
[13] [2005] C.L.P. 314 , par. 47
[14] Ostaficzuc et La Presse, [1993], C.A.L.P. 11 ; Éthier et Roland inc., C.A.L.P. 20613-64-9007, 26 janvier 1994, G. Perreault; Savard et Subway, C.L.P. 184572-03B-0205, 11 juillet 2003, G. Marquis.
[15] Audet et Hydro Québec, C.L.P. 177852-32-0202, 13 janvier 2003, C. Lessard. Requête en révision rejetée, 18 novembre 2003, H. Thériault; Amireault et Construction Mario Maurais, Construction Michel Labbé, C.L.P. 197252-63-0301, 8 mars 2004, M. Gauthier; Hébert et Emballages Mitchell Lincoln Ltée, C.L.P. 160294-63-0105, 4 mai 2005, L. Boudreault.
[16] Durand et Constructions Randard inc., Le Groupe C.D.R. inc., C.L.P. 119349-05-9906, 20 avril 2000, L. Boudreault; Guérin et CSST, C.L.P. 142419-62C-0005, 27 novembre 2000, M. Sauvé; Couture et Motel Fraser inc., C.L.P. 288274-01C-0605, 20 novembre 2006, R. Arseneau; Caballero et Créations Jeaunatout inc., C.L.P. 333133-61-0711, 11 juillet 2008, L. Nadeau.
[17] Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 19
[18] Dubois et C.H.S.L.D. Biermans-Triest et CSST, C.L.P. 234432-62-0405, 19 mars 2007, B. Roy (décision sur requête en révision)
[19] Examen du 5 mai 2004