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[1] Le 14 février 2003, monsieur Benoît St-Denis, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste la décision rendue le 14 janvier 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 20 juin 2002 et déclare que le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle le 29 janvier 2002 sur la base d'un diagnostic de trouble d'adaptation.
[3] Le 4 décembre 2004 et le 7 décembre 2005 la Commission des lésions professionnelles a tenu une audience en présence du travailleur, qui était représenté, et de la représentante de la CSST, partie intervenante. Deux employeurs, l'Association de développement des Algonquins inc. (fermée) et CLD Matawinie ont été convoqués à l’audience, mais il étaient absents et non représentés.
[4] À l'audience, un délai a été accordé aux représentantes des parties pour soumettre leur argumentation écrite.
[5] Le dossier a été mis en délibéré le 2 février 2006, date à laquelle le tribunal a été avisé par la représentante de la CSST qu'elle n'avait pas de commentaires additionnels à formuler suite à la réplique de la représentante du travailleur.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[6] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu'il a subi une lésion professionnelle le 29 janvier 2002.
[7] Plus précisément, il demande au tribunal de conclure que les diagnostics d'intoxication au cadmium et de syndrome de fatigue chronique sont en relation avec les risques particuliers de son travail à l'Association de développement des Algonquins inc.
[8] À l'audience du 4 décembre 2004, suite à un moyen préliminaire soulevé par la représentante de la CSST, le tribunal a conclu que bien que la décision rendue par la révision administrative ne traitait que du diagnostic de trouble d'adaptation dans son dispositif, la réviseure faisait référence dans sa décision à la manifestation de symptômes de fatigue chronique et à une possible intoxication au cadmium.
[9] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles considérait qu'elle était valablement saisie de ces questions et accordait un ajournement afin de permettre à la représentante de la CSST de revoir le dossier avec le médecin régional en tenant compte des diagnostics d'intoxication au cadmium et de syndrome de fatigue chronique.
LES FAITS
[10] Pour rendre sa décision, la Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier, des documents additionnels déposés dans le cadre de l'audience et entendu les témoignages du travailleur et du docteur Serge Lecours, médecin à la Clinique de toxicologie de Montréal et à la Clinique de médecine industrielle et environnementale.
[11] Le tribunal retient les éléments suivants.
[12] À compter de 1991, le travailleur occupe un emploi de conseiller à l'Association de développement des Algonquins inc. qui regroupe neuf réserves indiennes dans le Témiscamingue. Pendant les deux premières années, il conserve sa résidence à Rouyn-Noranda, à 120 km de son lieu de travail, et il affirme qu'il n'avait aucun problème de santé.
[13] Dès son arrivée sur la réserve, son bureau est installé dans un immeuble désaffecté dans lequel il y avait des infiltrations d'eau et dont les murs et les tapis présentaient des traces visibles de moisissures.
[14] En 1993, après avoir obtenu l'autorisation des responsables, il décide de déménager dans une maison sur la réserve pour diminuer ses déplacements et mieux s'intégrer aux communautés qu'il desservait. Il n'était pas obligé de déménager mais c’était nécessaire s’il voulait être en mesure de participer à l'ensemble des réunions auxquelles il était convié, ce qui faisait partie de son mandat. Il ajoute qu'un employé sous son autorité résidait à Rouyn-Noranda mais il n'avait pas de contact avec les fonctionnaires impliqués dans les activités de la réserve et surtout, il n'avait pas à rencontrer les autochtones avant et après les réunions avec ces fonctionnaires.
[15] À compter de 1991, il travaille au moins soixante heures par semaine au bureau. À ces heures, s’ajoutent les périodes de déplacement, environ trois rencontres informelles par semaine et les consultations téléphoniques, même tard le soir. Son mandat était d'établir des relations de confiance avec les deux conseils tribaux et les représentants de communautés très disparates et souvent traditionnelles, certaines vivant dans les bois alors que d'autres étaient plus près des grands centres.
[16] Le travailleur explique qu'il vivait comme les membres de la réserve, mangeait la même nourriture qu'eux et souvent celle qu'on lui offrait. Il mangeait essentiellement chez lui où la cuisinière, qui chassait et pêchait, préparait ses repas. Il se rendait également à la cafétéria communautaire. Lorsqu'il participait à des rencontres, environ deux fois par semaine, les repas étaient fournis et se composaient de poissons, de viandes ou d'abats d'animaux sauvages comme l'orignal, le castor, le lièvre, la perdrix et le porc-épic. Il buvait l'eau disponible dans la communauté.
[17] Il se déplaçait aussi dans les communautés traditionnelles éloignées où il n'y avait pas d'électricité ni d'eau courante et encore moins d'hôtel ou de restaurant. Il logeait alors pendant quelques jours chez des membres de la communauté et mangeait des repas préparés à base de viandes sauvages.
[18] Il affirme qu'à compter de 1993, il sortait rarement de la réserve, si ce n'est pour se rendre à des réunions à Québec ou à Ottawa.
[19] Vers 1996-1997, après avoir vécu un épisode de gastro-entérite et une grippe accompagnée d'une bronchite, le travailleur commence à ressentir une sensation de fatigue progressive. Par la suite, il a eu de nombreuses grippes. Il a essayé de diminuer l'intensité de son implication au travail mais l'impression de fatigue a persisté.
[20] Vers 1998, il a commencé à se questionner sur l'impact de son environnement sur sa santé entre autres parce qu'à cette époque il entendait de plus en plus parler des problèmes de contamination de l'eau dans les réserves
[21] En l'an 2000, il profite de rencontres à Montréal dans le cadre de son travail pour consulter des médecins.
[22] Le 23 novembre 2001, il quitte la réserve, ayant obtenu un poste de commissaire industriel au Centre local de développement de Matawinie où il rencontre divers problèmes dès son arrivée.
[23] En ce qui a trait aux aspects médicaux du dossier, la Commission des lésions professionnelles retient ce qui suit.
[24] Le 14 février 2001, le travailleur consulte le docteur Jocelyn Barriault qui indique que le patient arrive du Témiscamingue et veut un bilan de santé complet. Il rapporte que depuis cet été il ressent une fatigue chronique. Il est séparé depuis plus de deux ans et a un rythme de travail effréné. Le médecin pose le diagnostic d'asthénie et dépression, demande un bilan complet et prescrit de la médication. Le 23 mars 2001, le docteur Barriault demande une recherche de plomb dans le sang.
[25] Le travailleur allègue la survenance d'une lésion professionnelle le 29 janvier 2002 et soumet au soutien de sa réclamation une attestation médicale émise par le docteur Serge Lecours faisant état de trouble d'adaptation et dysthymie.
[26] Dans une note adressée à l'assureur le 19 juin 2002, le docteur Lecours indique que le travailleur est suivi en médecine interne, en hématologie, en psychiatrie et en toxicologie.
[27] Le docteur Lecours précise que l'hématologue a prescrit des saignées pour une polycythémie, soit une augmentation des globules rouges. Le docteur Guy Forget, oto-rhino-laryngologiste, a conclu à des acouphènes secondaires à une surdité dans les hautes fréquences et le docteur Joël J. Kreps, psychiatre, a retenu les diagnostics de trouble d'adaptation avec humeur dépressive, d’anxiété et de syndrome de fatigue chronique à confirmer. Le docteur Lecours est d'opinion qu'il y a lieu de compléter le bilan en cours en hématologie, en psychiatrie et en toxicologie pour l'évolution de son cadmium sanguin et urinaire. Il conclut que le patient est invalide pour tout travail en raison tant de ses problèmes physiques que psychologiques.
[28] Le 15 août 2002, le docteur Lecours signe un certificat médical indiquant qu'un arrêt de travail a été prescrit du 30 janvier au 30 septembre 2002 en raison d'une surexposition au cadmium, fatigue, polyglobulie et trouble d'adaptation.
[29] Dans une note adressée à l'assureur le 9 octobre 2002, le docteur Lecours indique que sur le plan toxicologique, le cadmium urinaire a tendance à se normaliser. Il n'a pas d'information sur les conditions hématologiques et de médecine interne et le patient a été retourné à la docteure Pascale Dubois pour préciser le diagnostic. Sur le plan laboratoire, il n'y a plus de polycythémie en date du 26 septembre 2002. Sur le plan neuropsychiatrique, les problèmes demeurent majeurs et le patient est suivi par le docteur Kreps pour un diagnostic de trouble d'adaptation avec humeur dépressive et anxiété. Le docteur Lecours rappelle que le docteur Kreps parlait aussi d'un syndrome de fatigue chronique, diagnostic qui lui apparaît plus vraisemblable avec le recul.
[30] Dans une note transmise au docteur Lecours le 20 février 2003, le docteur Ronald Schondorf, neurologue, indique que le travailleur lui a été référé pour une condition de fatigue inexpliquée. Il fait était d'un examen neurologique dans les limites de la normale. Il dit avoir revu le dossier psychiatrique et être enclin à conclure dans le même sens que ce médecin.
[31] Dans une note adressée à l'assureur le 1er avril 2003, le docteur Lecours indique que l'évaluation neuropsychologique confirme les problèmes cognitifs qui se situent principalement au niveau de l'attention et de la mémoire de travail. Il réitère que le patient est inapte au travail et dit attendre une note de l'hématologue concernant les résultats de la dernière saignée.
[32] Dans une courte note manuscrite datée du 7 août 2003 adressée au docteur Georges Arjane, hématologue, le docteur Lecours demande si la polycythémie explique la fatigue. Le docteur Arjane répond par la négative, sans élaborer. À l’audience, le docteur Lecours explique qu’il a demandé à ce médecin, que le travailleur avait consulté, de mettre son opinion par écrit mais il lui a répondu qu’il n’avait pas le temps.
[33] Le 10 novembre 2004, le travailleur est examiné à la demande de sa représentante par le docteur Denis Phaneuf du département de microbiologie et d'infectiologie de L'Hôtel-Dieu de Montréal. Son mandat est d'évaluer la fatigue du travailleur, ses origines et ses conséquences. Les extraits suivants de cette expertise sont pertinents à la compréhension du dossier:
Opinion d'expertise sur les dossiers antérieurs:
Les dossiers antérieurs sont bien documentés et de multiples sources valident les dires généraux du patient mais comme tout dossier semblable, il reste deux questions.
1- Les autres symptômes sont-ils d'origine physique ou psychologique ou tout simplement une véritable association physique et psychique.
2- Quelles sont les causes directes ou indirectes des problèmes.
Il faut noter d'abord que ce patient à des problèmes de polycythémie et d'hypercholestérolémie moyenne probablement associés à son ischémie cérébrale ou aux lésions visibles sur la résonance magnétique du cerveau.
De même, ce patient a nettement été intoxiqué au cadmium mais nous ne sommes pas spécialiste pour interpréter la symptomatologie associée avec cette intoxication.
On trouvera dans ce dossier aussi de multiples références à la fatigue ou à la fatigue chronique. Pour bien se référer à ce diagnostic, il faut faire référence à la plaquette du Collège des médecins du Québec. Qu'est-ce qu'un Syndrome de Fatigue Chronique. Une photocopie est jointe à cette expertise. En résumé, quand une fatigue est débilitante depuis plus de 6 mois et n'est pas expliquée entièrement par les investigations de base et s'accompagne d'au moins 4 critères dont les troubles de la mémoire à court terme, les troubles de la concentration suffisamment importants pour provoquer une réduction marquée les activités habituelles du patient. Une pharyngite non exudative. Les ganglions cervicaux ou axillaires douloureux. Une myalgie ou arthralgie multiple sans évidence de gonflement ni de rougeurs aux articulations. Une céphalée d'apparition nouvelle. Un sommeil non réparateur. Une sensation de malaises souvent plus de 24 heures après un exercice léger.
Monsieur Benoît St-Denis entre dans le diagnostic de fatigue chronique en plus des autres diagnostics mais nous aimerions souligner que la dépression et la personnalité peuvent modifier le comportement d'un patient avec ce type de syndrome.
Le déclenchement du Syndrome de Fatigue Chronique est généralement d'origine virale ou bactérienne. Généralement, il commence à un moment très précis, à une journée précise dont le patient se rappelle. Exceptionnellement, ce syndrome peut aussi commencer post-traumatique. Dans le cas de monsieur Benoît St-Denis, la première vague de ce syndrome en 1996-1997 correspond bien à une maladie virale de type aigu. À noter que pour une bonne proportion des patients avec un Syndrome de Fatigue Chronique, celui-ci n'est pas entièrement constant mais a des périodes de récurrence importantes, ce qui est le cas de monsieur Benoît St-Denis. Même scénario avec la grippe de 1998.
Opinion administrative
Monsieur Benoît St-Denis présente une polycythémie et une hypercholestérolémie mineure mais pouvant expliquer à la résonance magnétique les déficits vasculaires. Par contre, il présente aussi une fatigue importante qui a été classée Syndrome de Fatigue Chronique fort justement et qui semble avoir eu une première attaque en 1996-1997 alors qu'il a travaillé accompagné d'un autre malade. À cette même période, d'ailleurs, ont commencé les acouphènes. En 1998, suite à un état grippal, il y a eu une augmentation de la fatigue. Une détérioration de l'état général suit une gastro-entérite attrapée à la réserve probablement pendant une épidémie et qui l'a laissé encore plus fatigué. L'association temporelle entre la présence sur la réserve et le début du Syndrome de Fatigue Chronique est évidente. Il nous semble qu'il en est de même pour l'intoxication au cadmium. Il est possible, mais moins évident, que cette intoxication au cadmium ait collaboré pour modifier temporairement le système immunitaire du patient et le rendre plus sensible à certains virus épidémiques dans la réserve. Vous pourrez juger dans la littérature médicale ci-jointe: nous rapportons souvent un rapport temporel entre une infection aiguë et un début de Syndrome de Fatigue Chronique mais il n'y a jamais de certitude absolue pour l'étiologie et le mécanisme exact d'une fatigue chronique. […][sic]
[34] Le 1er décembre 2004, le docteur Lecours répond à une demande de la représentante du travailleur relativement à la symptomatologie associée à une intoxication au cadmium. Les extraits suivants de ce document sont pertinents à la solution du présent litige :
Ce patient m’a été référé par Dr. Dubois, spécialiste en médecine interne, le 30 avril 2001 pour « fatigue en investigation, dosage des métaux … ». L’investigation initiale avait démontré un niveau de cadmium dans les cheveux qui était anormalement élevé à 1,72 ug/g ( normale de 0 à 0,5). Le cadmium urinaire en janvier 2001 était élevé à 43,0 nmol/L (normale 0 à 10). Un contrôle en mars 2002 démontrait un cadmium sanguin à 87 nmol/L (normale 0 à 5) et un cadmium urinaire à 31 mnol/L. Le patient a eu des cadmium sériés, les derniers résultats étant pour le cadmium sanguin de 66 et pour le cadmium urinaire de 15. La demie-vie biologique du cadmium dans le rein est de 20 à 30 ans, ce qui explique encore la présence de ce métal chez monsieur St-Denis. Nous avons recommandé au patient de ne plus manger de foie ni de rein d’animaux tels que les cerfs, orignaux ou cariboux. Il est en effet connu que ces organes accumulent le cadmium et qu’on en retrouve chez les animaux où il travaillait. Cela est bien connu depuis au moins 20 ans. (cf. p. 385 : Contamination alimentaire in « Environnement et santé publique », 2003). Notons que le tabagisme aurait pu être une source complémentaire de cette exposition. Cependant, les fumeurs ne présentent pas ce type de profil. Par ailleurs, il faut tenir compte que le patient mentionne ne fumer que 2-3 cigarettes par jour, ce qui ne peut expliquer ce profil.
Le patient présente certaines anomalies telles que douleurs ostéo-musculaires. Il est difficile de dire si ce type de problème est relié au syndrome de fatigue chronique ou au cadmium étant donné qu’il peut être la manifestation de l’un ou l’autre.
Dr. Phaneuf a bien raison de soulever l’effet du cadmium dans la genèse du Syndrome de fatigue chronique associé à une infection virale. En effet, comme on le lit dans ‘Casarett & Doull’s Toxicology (2001) » : (ma traduction) « l’exposition au cadmium augmente la susceptibilité aux pathogènes bactériens et viraux … ». Sur le site de Santé Canada, nous retrouvons d’ailleurs dans le chapitre de « l’Immuno-toxicity of metals », par Michael Fourniel, que « (ma traduction) brièvement, nos résultats démontrent que les métaux lourds individuels ou un mélange de métaux peuvent tous les deux avoir un effet sur les fonctions immunitaires lorsqu’administré à des doses non-toxiques ». Les concentrations urinaires et sanguines de M. St-Denis démontrent clairement qu’il s’agit de niveau où nous retrouvons des effets immuno-toxiques.
En conclusion, il est difficile de différencier certains symptômes associés à une intoxication au cadmium de celle d’un Syndrome de fatigue chronique. Par ailleurs, il est raisonnable de penser que le cadmium a joué un rôle dans le Syndrome de fatigue chronique puisqu’il est immuno-toxique et diminue la résistance microbienne (bactéries et virus), tel que soulevé par le docteur Phaneuf. […]
[35] Dans une note adressée à la représentante du travailleur le 6 décembre 2004, madame Barbara Polsen, qui occupait les fonctions d’agente administrative chez l’Association de développement des Algonquins inc., confirme qu’un collège de monsieur St-Denis s’est absenté du mois de février 1996 au mois de septembre 1997 en raison d’un problème de stress.
[36] Dans une note signée le 21 février 2005, le docteur Zotique Bergeron, médecin régional de la CSST, fait l’analyse suivante de la réclamation du travailleur :
Patient de 52 ans qui présente une réclamation pour syndrome de fatigue chronique et possiblement une intoxication au cadmium.
D’après le Collège des médecins, dans un document intitulé « Syndrome de Fatigue Chronique », concernant le syndrome de fatigue chronique, connu aussi sous le nom de « neurasthénie », plusieurs hypothèses ont été émises pour l’étiologie soit infectieuse, immunologique ou neurohormonale, mais suite à plusieurs études, aucune n’a été retenue. Donc le syndrome de fatigue chronique est un diagnostic d’exclusion. Le Collège note aussi que plusieurs patients préfèrent l’explication physique que psychologique pour ce syndrome.
Le patient présente des antécédents familiaux psychiatriques importants tels qu’énumérés dans le dossier.
Le patient a été examiné en psychiatrie et en d’autres spécialités. Plusieurs diagnostics de conditions personnelles peuvent expliquer la condition du patient i.e. la fatigue chronique :
§ Anxiété
§ Dépression
§ Signes de lésions cérébro-vasculaires
§ Hypercholestérolémie
§ Polyglobulie
§ Polycythémie
§ Ischémie cérébrale
Les acouphènes sont expliqués par des problèmes acoustiques selon de Dr Guy Forget, ORL.
Comme le mentionne le Dr Phaneuf, microbiologiste, ce patient a des problèmes de polycythémie et d’hypercholestérolémie associés à son ischémie cérébrale et aux lésions visibles au cerveau sur le RMN cérébral.
Il s’agit d’une polycythémie absolue qui exige des saignées rouges comme traitement. Toujours selon le Dr Phaneuf, le patient a présenté un état grippal, qui est une condition personnelle, et qui a augmenté la fatigue.
Le patient aurait eu une détérioration de sa condition personnelle suite à une gastro-entérite. La gastro-entérite est une condition personnelle car aucune épidémie n’a été confirmée sur la réserve.
Le Dr Phaneuf mentionne aussi que le cadmium n’a pas pu modifier le système immunitaire chez ce patient et le rendre plus sensible.
Selon les notes médicales au dossier, en date du 27 mars 2002, il est mentionné : « Polycythémie qui explique la fatigue » et a nécessité une saignée qui a amélioré la condition générale du patient.
Une autre condition personnelle, selon les notes médicales, a contribué à la fatigue du patient, l’andropause.
N.B. : Le compagnon de travail qui a quitté pour raison médicale pour une période de 17 mois est parti dû au stress.
Le Dr Serge Lecours mentionne que le 26 septembre 2002 le patient n’a plus de polycythémie. Ceci s’explique par le fait que le patient a eu une saignée rouge.
La polycythémie absolue, ou polycythémie primitive, ou polycythémie vraie est toujours présente. Il s’agit d’une maladie chronique.
La polycythémie absolue explique à elle seule tous les symptômes allégués par le patient.
Elle est la cause prépondérante de la fatigue chronique.
Pour ce qui est du cadmium, le patient ne présente pas la symptomatologie reconnue selon la fiche signalétique. Le patient n’a pas présenté les effets aigus; ni il ne présente les effets chroniques.
[37] Les extraits suivants du Rapport de la commissaire à l’environnement et au développement durable[1] de 2005 sont pertinents en ce qui a trait à la qualité de l’eau dans les réserves :
5.26 Même si la plupart des provinces disposent de lois et de règlements concernant l’eau potable, tant AINC que Santé Canada affirment que la compétence provinciale en matière d’eau potable ne s’étend pas aux réserves.
5.27 Tous les employeurs assujettis au Code canadien du travail, y compris le gouvernement fédéral, doivent fournir de l’eau potable à leurs employés, (voir le chapitre 4, intitulé « La salubrité de l’eau potable : responsabilités fédérales »). Cependant, parce que le Code canadien du travail ne s’applique qu’aux employés et que les lois et règlements provinciaux ne s’appliquent pas dans les réserves, les résidants des collectivités des Premières nations ne profitent pas de la protection réglementaire touchant l’eau potable dont bénéficient les résidants des provinces et les employés fédéraux. […]
[38] Le docteur Lecours a témoigné à l’audience. Le travailleur lui a été référé le 1er mai 2001 pour un problème de fatigue. Il a demandé, entre autres, des tests de métaux, dont le cadmium, sachant qu’il travaillait chez les autochtones. Il a revu le patient le 31 mai suivant mais les résultats des tests n’étaient pas disponibles. Lors de la consultation du 9 janvier 2002, le patient avait changé d’emploi mais il était toujours fatigué. Le 29 janvier 2002, il n’allait pas bien, transpirait, n’avait plus d’appétit et il prenait de la médication pour des douleurs lombaires. Lorsqu’il l’a revu le 31 janvier 2002, il était en crise et il voulait savoir ce qu’il avait. Le docteur Lecours constatait des troubles biochimiques non spécifiques, un trouble d’adaptation et une dépression. Il a alors prescrit un arrêt de travail, qu’il croyait être pour quelques semaines, mais qui se prolonge encore à la date de l’audience.
[39] Il explique qu’au début des consultations, le diagnostic de syndrome de fatigue chronique n’était pas évident. Le patient avait un problème de santé qui n’était pas précisé, il vivait une période de stress avec son nouveau travail et il était relativement dépressif. Certes le stress est un élément déclencheur identifié par le Collège des médecins pour le syndrome de fatigue chronique mais la condition physique sous investigation était aussi importante.
[40] Le docteur Lecours retient les diagnostics suivants :
Syndrome de fatigue chronique
Surexposition et intoxication au cadmium
Trouble d’adaptation
Polycythémie toujours présente
Acouphènes
Hyperlipidémie
[41] Il explique que c’est une analyse rétrospective du dossier qui permet de retenir le diagnostic de syndrome de fatigue chronique. Il précise qu’il traite des patients qui sont aussi rencontrés par le docteur Phaneuf et il affirme avoir vu des cas où le syndrome de fatigue chronique avait été déclenché par une intoxication ou des infections, ce qui est documenté dans le dossier de monsieur St-Denis où l’on retient une gastro-entérite et des grippes. Ce sont certes des maladies banales mais qui peuvent, dans certains cas, avoir des conséquences importantes.
[42] Le docteur Lecours réfère, de plus, au problème connu de la piètre qualité de l’eau dans les réserves, comme c’était le cas dans le milieu où travaillait et vivait monsieur St-Denis. Il est d’opinion, tout comme le docteur Phaneuf, que ce qui apparaît comme l’élément déclencheur le plus probable du syndrome de fatigue chronique est la gastro-entérite suivie d’épisodes d’état grippal.
[43] Le docteur Lecours a, le 22 novembre 2005, communiqué avec le Ministère des ressources indiennes pour recevoir les résultats d’analyses microbiennes spécifiques ou le niveau de contamination microbienne globale de l’eau de consommation pour la période de 1991 à 2001 aux endroits où monsieur St-Denis a travaillé.
[44] Les informations suivantes lui ont été transmises par le Ministère de la santé :
Les résultats suivant sont les hors normes sur le nombre d’analyses total entre 1991 et 2001 :
33/153, 9/419, 2/849, 9/977, 51/2468, 20/541, 0/422, 16/770
[45] Après avoir discuté avec la personne qui lui a transmis ces résultats, le docteur Lecours apporte les précisions suivantes :
Les résultats correspondent aux Réserves ou établissements demandés sauf Wolf Lake pour lequel il n’y a pas de données. Les résultats ne correspondent pas à l’ordre dans lequel nous avons fait les demande [sic] afin de garder la confidentialité des résultats.
Les résultats hors-norme sont ceux qui sont supérieurs à plus de 10 colonies de Coli. totaux et/ou présence de E.Coli.. Lorsqu’il y a présence plus grande que 10 Coli. totaux, il y a nettoyage des conduites d’eau. Cela est un indice de salubrité. Lorsqu’il y a présence de E.Coli., il y a correction et demande de faire bouillir de l’eau puisqu’elle est impropre à la consommation.
Dans le cas de la communauté 33/153, il y avait 15 avis de faire bouillir l’eau sur 33 hors-norme donc présence d’E.Coli.. Il s’agit d’une communauté qui n’a pas d’eau courante et les gens vont au bloc sanitaire.
Dans la communauté 9/419, il y a eu 1 avis de faire bouillir l’eau donc présence d’E. Coli..
Dans la communauté 2/849, il y a eu 2 avis de faire bouillir l’eau donc présence d’E. Coli..
Dans la communauté 9/977, il y a eu 3 avis de faire bouillir l’eau sur les 9 hors-norme donc présence d’E. Coli..
Dans la communauté 51/2468, il y a eu 15 avis de faire bouillir l’eau sur les 51 hors-norme donc présence d’E. Coli.. Le nombre important d’analyses faites est relié à la présence de nombreux puits sur le territoire (Kitikanzibi?).
Dans la communauté 20/541, il y a eu 3 avis de faire bouillir sur les 20 hors-norme donc présence d’E. Coli.. Il y a usage d’une eau de source qui est généralement contaminée (Notre-Dame?).
Dans la communauté 0/422, il n’y a évidemment pas d’avis de faire bouillir.
Dans la communauté 16/770, il y a eu 5 avis de faire bouillir sur les 16 hors-norme donc présence d’E. Coli..
[46] À l’audience, le docteur Lecours précise que d’autres agents infectieux peuvent se retrouver dans l’eau de consommation, comme celui de l’entérite, mais on ne dispose pas d’analyses spécifiques. Toutefois, normalement, lorsqu’on trouve de l’E. Coli., on s’attend à trouver d’autres agents infectieux, viraux ou microbiens.
[47] Comme on soupçonnait un syndrome de fatigue chronique chez monsieur St-Denis, des tests ont été effectués les 2 mai et 1er juin 2002 et le docteur Phaneuf rapporte que l’électrophorèse des protéines montre une élévation des alpha-2-globulines et une augmentation des bêta protéines. D’autres tests effectués le 26 septembre 2002 montrent la présence d’anticorps, ce qui confirme l’exposition à des agents infectieux.
[48] Le docteur Lecours explique que ce qui est curieux avec le syndrome de fatigue chronique, c’est que même en l’absence d’infection, les niveaux d’anticorps fluctuent, comme si le système immunitaire était déréglé.
[49] Relativement à la mention faite par le docteur Bergeron de l’absence de confirmation qu’il y ait eu une épidémie de gastro-entérite sur la réserve, le docteur Lecours explique qu’à moins qu’il y ait eu des morts, une telle situation n’est habituellement pas documentée.
[50] En ce qui a trait à l’intoxication au cadmium, il explique que les résultats des tests montrent des lectures nettement supérieures à la normale. Le cadmium sanguin démontrait une exposition récente et le cadmium urinaire, une exposition accumulée. En janvier 2001, le travailleur présentait un cadmium urinaire de 43 alors que la normale se situe entre 0-10. C’est pour cette raison que la docteure Dubois lui a référé ce patient.
[51] Le docteur Lecours explique que les personnes qui consomment le foie et les reins des animaux sauvages s’exposent à une intoxication au cadmium et il croit que c’est le fait d’avoir mangé la nourriture sur la réserve qui explique les taux décrits chez le travailleur puisque le cadmium augmente chez les personnes qui mangent des abats régulièrement. On ne peut mesurer ce risque avec précision mais il suffit de constater que monsieur St-Denis en a mangé souvent pendant plusieurs années.
[52] Le docteur Lecours explique que l’exposition au cadmium peut donner des effets aigus, ce qui n’est pas le cas chez monsieur St-Denis qui présente plutôt les symptômes chroniques soit les douleurs musculo-squelettiques et la fatigue.
[53] Selon la littérature médicale, le cadmium peut avoir un effet sur le système immunitaire. Si on croit que les symptômes décrits sont reliés à ce métal, on parle alors d’une intoxication et non d’une simple exposition au cadmium. Il n’y a pas de traitement spécifique, il suffit de contrôler la disparition progressive au fil du temps.
[54] Par ailleurs, le travailleur présente des anomalies du sang qui ne sont pas spécifiques mais qui peuvent être reliées à l’exposition au cadmium. Il confirme qu’il n’y a pas de lésion rénale par le cadmium.
[55] Le docteur Lecours rappelle que l’hématologue a confirmé que la polycythémie n’explique pas le syndrome de fatigue chronique. Chez monsieur St-Denis, on ne retrouve pas de symptômes neurologiques attribuables à cette maladie comme des vertiges, des maux de tête ou des problèmes visuels. De plus, contrairement à ce qui est souvent le cas chez les gens aux prises avec cette maladie, on ne retrouve pas chez lui de problème d’hypertension, de prurit ou d’augmentation de la rate. Il ne reste que le problème de tinnitus, qui n’est pas typique d’une telle pathologie, et qui est ici attribuable à un problème de surdité.
[56] À la lumière de ces informations, le docteur Lecours est d’opinion que les problèmes de santé de monsieur St-Denis ne sont pas expliqués par sa polycythémie contrairement à ce qu’affirme le docteur Bergeron.
[57] Le docteur Lecours est d’opinion que le type de fatigabilité que présente le travailleur n’est pas caractéristique d’un syndrome dépressif qui est en partie résolu. Il en est de même pour les conditions de d’hypercholestérolémie, de polyglobulie ou polycythémie. Quant au diagnostic d’andropause, il ne peut être retenu puisque les tests ont été effectués et se sont avérés négatifs. Par ailleurs, les résultats de la résonance magnétique cérébrale n’expliquent pas les symptômes décrits par les médecins.
[58] Pour le docteur Lecours, le tableau clinique le plus important chez le travailleur est celui du syndrome de fatigue chronique et il est donc traité médicalement pour en atténuer les symptômes. On lui prescrit de la médication pour diminuer les problèmes cognitifs et les douleurs musculaires.
[59] Il reconnaît qu’on retrouve fréquemment un problème dépressif dans les cas de syndrome de fatigue chronique, comme c’est le cas chez le travailleur, à qui on a prescrit Paxil, un antidépresseur.
[60] Certes, le syndrome de fatigue chronique est une maladie qui n’a été reconnue que récemment et qu’on ne connaît pas encore suffisamment. L’étiologie n’est pas encore précisée mais les facteurs déclenchants ont été identifiés, dont les agents infectieux, situation qui semble la plus probable dans le cas de monsieur St-Denis. De plus, il faut retenir que la surexposition et/ou l’intoxication au cadmium est susceptible d’entraîner un affaiblissement du système immunitaire expliquant la symptomatologie du travailleur.
[61] Il termine en expliquant qu'il est important pour les patients aux prises avec un syndrome de fatigue chronique de ne pas dépasser leurs limites et il leur faut éviter dans la mesure du possible les rhumes ou les grippes qui peuvent avoir des conséquences importantes pour eux.
L’AVIS DES MEMBRES
[62] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie. Il retient que la preuve démontre sans équivoque que le travailleur a été surexposé au cadmium dans le cadre de l’exécution de son travail. Comme il vivait sur la réserve, il mangeait de la viande sauvage, dont les abats, ce qui est une cause reconnue d’intoxication au cadmium. Or les tests révèlent qu’à la période contemporaine de sa résidence sur la réserve, son taux de cadmium était anormalement élevé et qu’il tend à se résorber depuis qu’il a quitté ce milieu.
[63] En ce qui a trait au diagnostic de syndrome de fatigue chronique, ce membre est d’avis que la preuve prépondérante démontre que cette condition est en relation avec les conditions de vie auxquelles le travailleur a été exposé pendant son séjour prolongé dans des réserves autochtones où il a participé à diverses activités dans le cadre de son travail ou de ses fonctions. La preuve, tant médicale que documentaire, permet de relier ce diagnostic aux conditions d’exercice des fonctions occupées par le travailleur. Il s'agit ici visiblement d'activités effectuées "à l'occasion du travail". En effet, la consommation de viandes ou d’abats d'animaux sauvages est intimement liée au fait de vivre dans des réserves autochtones, ce qui s’avérait nécessaire pour permettre au travailleur de bien effectuer ses fonctions.
[64] Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que la requête du travailleur devrait être accueillie en partie. Ce membre considère que le travailleur n'a pas démontré, par une preuve prépondérante, avoir été intoxiqué par le cadmium au travail. Il retient que bien que le travailleur ait pu, dans le contexte de son travail, consommer des abats d'animaux sauvages, l'importance de cette consommation n'a pas été établie.
[65] Ce membre est d'avis que la preuve prépondérante démontre l'existence d'une relation entre le diagnostic de syndrome de fatigue chronique et les conditions d'exercice du travail. Il retient que le travailleur a dans le cadre de ses fonctions été exposé pendant de nombreuses années à une piètre qualité de l'eau et à des moisissures et champignons sur son lieu de travail, ce qui est compatible avec la manifestation de symptômes qui ont conduit les docteurs Lecours et Phaneuf à conclure à un diagnostic de syndrome de fatigue chronique.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[66] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a, le 29 janvier 2002, subi une lésion professionnelle telle que définie à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[67] Cet article donne, de plus, les définitions suivantes d’un accident du travail et d’une maladie professionnelle :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[68] Dans le présent dossier, il n’est pas allégué que le travailleur ait été victime d’un accident du travail puisque aucun événement imprévu et soudain n’est survenu par le fait ou à l’occasion du travail à l’époque contemporaine de l’apparition des symptômes.
[69] Le travailleur demande plutôt au tribunal de reconnaître qu’il a contracté une maladie professionnelle à l’occasion de son travail à savoir une intoxication au cadmium et un syndrome de fatigue chronique.
[70] Le législateur a édicté, à l’article 29 de la loi, une présomption de maladie professionnelle qui se lit comme suit :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
[71] Les diagnostics d’intoxication au cadmium et de syndrome de fatigue chronique posés par le médecin qui a charge du travailleur n’ayant pas été soumis à la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi, l’analyse de la réclamation doit se faire en tenant compte de ceux-ci. Ces diagnostics n’étant pas énumérés à l’annexe I de la loi, le travailleur ne peut bénéficier de l’application de cette présomption. Il doit donc démontrer, par une preuve prépondérante, qu’il a contracté une maladie professionnelle au sens de l’article 30 de la loi qui se lit comme suit :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 30.
[72] Aucune preuve n’a été soumise en vue de démontrer que l’intoxication au cadmium ou le syndrome de fatigue chronique sont des maladies caractéristiques du travail de conseiller en développement que monsieur St-Denis occupait chez l’employeur depuis 1991. Le travailleur doit donc démontrer que ces diagnostics sont en relation avec les risques particuliers de son travail.
[73] La preuve non contredite révèle que de 1993 à 2001, le travailleur a vécu dans une réserve indienne. Il y avait sa résidence et il se déplaçait sur le territoire de neuf réserves du Témiscamingue pour se rendre à des réunions et rencontrer les habitants. Il explique qu'à cause des distances importantes à parcourir, il n’aurait pas pu participer à l’ensemble des activités prévues à son mandat et obtenir la confiance des membres des communautés autochtones s’il n’avait pas résidé sur place.
[74] Il sortait peu de la réserve, était intégré à la communauté dans laquelle il vivait et participait aux activités, comme la chasse. Il mangeait de la viande sauvage, dont des abats, et buvait l’eau disponible sur la réserve, comme l’ensemble de la population. Il effectuait de nombreux déplacements dans les réserves éloignées et il était régulièrement hébergé par les membres de la communauté.
[75] En 1996 ou 1997, il vit un épisode de gastro-entérite qui sera suivi de grippes. Un état de fatigue s’installe peu à peu et progresse. Le 14 février 2001, il consulte le docteur Barriault à qui il demande un bilan de santé complet parce qu’il se sent toujours fatigué. Il continue à demeurer et à travailler sur la réserve et son impression de fatigue augmente. Il quitte la réserve le 23 novembre 2001 pour aller occuper un nouvel emploi où il vivra des difficultés dès son arrivée en poste.
[76] Le 29 janvier 2002, il allègue la survenance d’une lésion professionnelle et soumet une attestation médicale du docteur Lecours, qu'il consultait déjà dans le contexte d’une investigation pour fatigue et un dosage de métaux. Le docteur Lecours pose alors le diagnostic de trouble d’adaptation et dysthymie et prescrit un arrêt de travail. Il retiendra, par la suite, les diagnostics d’intoxication au cadmium et de syndrome de fatigue chronique.
[77] Les tests de laboratoire démontrent sans équivoque que le travailleur présente un taux anormalement élevé de cadmium témoignant à tout le moins d’une exposition importante à ce produit. Le docteur Lecours a expliqué, documents à l’appui, que le cadmium se retrouve dans les abats des animaux sauvages.
[78] Les premiers tests effectués en janvier 2001, alors que le travailleur vivait toujours sur la réserve, présentaient les lectures les plus élevées. Le docteur Lecours a expliqué qu’il n’y a pas vraiment de traitement à prodiguer, si ce n’est de recommander aux personnes de ne plus consommer d’abats d’animaux sauvages et de cesser de fumer. Si ces consignes sont respectées, le taux de cadmium devrait diminuer.
[79] Dans le cas de monsieur St-Denis, qui a quitté la réserve en novembre 2001 mais qui n’a pas arrêté de fumer, c’est effectivement ce qui s’est produit comme le montre le contrôle de mars 2002. Par ailleurs, le docteur Lecours a expliqué que la demie-vie biologique du cadmium dans le rein est de 20 à 30 ans, ce qui explique que l’on retrouve encore la présence de ce métal dans des tests récents.
[80] Le docteur Lecours a expliqué que l’exposition au cadmium est susceptible d’affecter le système immunitaire. En effet, la littérature médicale soumise, à laquelle il réfère, nous apprend que l’exposition au cadmium augmente la susceptibilité aux pathogènes bactériens et viraux et que les études montrent que les métaux lourds individuels ou un mélange de métaux peuvent avoir un effet sur les fonctions immunitaires lorsqu’ils sont administrés à des doses non toxiques.
[81] Il ajoute qu’on peut parler d’intoxication au cadmium lorsqu’on croit que le patient présente des symptômes attribuables à l’exposition à ce produit, comme par exemple une déficience du système immunitaire, ce qu’il considère être le cas chez monsieur St-Denis.
[82] La Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur a consommé régulièrement de la viande sauvage et les abats de ces animaux entre 1993 et 2001, alors qu’il résidait et travaillait sur la réserve.
[83] Le travailleur a expliqué que le choix de résider sur la réserve et de s’intégrer au quotidien des communautés qu’il côtoyait s’imposait s’il voulait atteindre les objectifs de son mandat. C’est dans ce contexte qu’il a consommé, sur une base régulière pendant 10 ans, de la nourriture susceptible de causer une intoxication au cadmium.
[84] La représentante de la CSST soumet qu’il ne s’agit pas d’un risque du travail mais plutôt des conditions de vie, ce qui ne devrait pas être reconnu comme une lésion professionnelle.
[85] Dans les circonstances du présent dossier, la Commission des lésions professionnelles conclut plutôt que le poste de conseiller en développement tel qu’il était exercé par le travailleur exigeait qu’il soit sur la réserve et disponible pour les membres de la communauté au-delà de ce qui est la norme dans un milieu de travail habituel.
[86] Le tribunal considère que les faits dans le présent dossier ne sont pas assimilables à ceux rapportés dans les décisions auxquelles réfère la représentante de la CSST dans son argumentation[3] . Dans ces décisions, on a conclu que les circonstances suivantes n’étaient pas acceptables à titre de lésion professionnelle survenue à l’occasion du travail pour des personnes qui travaillaient soit sur un bateau ou en région éloignée et dont le gîte et le couvert étaient pris en charge par l’employeur : une blessure survenue lors d’une joute d’improvisation sur un bateau lors d’un voyage de longue durée, une blessure infligée en se dirigeant vers le lieu d’habitation et une blessure qui survient en utilisant l’équipement de l’employeur.
[87] Dans le présent dossier, le travailleur allègue que l’intoxication au cadmium est attribuable à la viande sauvage mangée pendant son séjour dans la réserve. Certes l’activité de se nourrir est purement personnelle mais dans le contexte de travail de monsieur St-Denis, l’approvisionnement en nourriture se faisait localement et le travailleur se trouvait exposé à un risque particulier, à savoir le contact avec le cadmium dans les abats des animaux sauvages. Monsieur St-Denis a expliqué qu’il vivait comme les habitants de la réserve et il avait donc adopté leur type de consommation tant lorsqu’il mangeait chez lui que lorsqu’il se rendait dans les cafétérias communautaires. Au surplus, lorsqu’il se déplaçait dans les réserves éloignées, il n’avait pas le choix et mangeait ce que les membres de la communauté lui servaient, soit de la viande ou des abats d’animaux sauvages.
[88] Compte tenu de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a été exposé à un risque particulier dans l’exécution de son travail, soit au cadmium présent dans les abats des animaux sauvages.
[89] Le tribunal retient, de plus, l’opinion exprimée par le docteur Lecours relativement à l’impact de l’exposition à ce produit sur le système immunitaire. Ce médecin reconnaît que l’intoxication à ce produit n’est pas démontrée scientifiquement dans le dossier sous étude mais il est d’opinion que les problèmes de santé vécus par le travailleur à compter du moment où il a présenté une gastro-entérite suivie d’épisodes d’état grippal démontre que son système immunitaire était affecté et que dans ce contexte, on peut parler d’intoxication au cadmium.
[90] Compte tenu de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que la preuve prépondérante, tant factuelle que médicale, démontre que le travailleur a été victime d’une intoxication au cadmium attribuable à un risque particulier de son travail.
[91] Le tribunal doit maintenant se prononcer sur l’existence ou non d’une relation entre le diagnostic de syndrome de fatigue chronique et le travail.
[92] Le tribunal retient qu’avant 1996-1997, le travailleur fonctionnait normalement et effectuait de longues heures de travail de même que de nombreux déplacements sans aucune difficulté.
[93] Comme le mentionnent tous les médecins qui l’ont examiné, ses problèmes de santé débutent avec un épisode de gastro-entérite.
[94] Le médecin régional de la CSST retient l’absence d’épidémie de gastro-entérite dans la réserve et conclut qu’il s’agit d’une condition personnelle qui n’est pas reliée au travail. Quant au docteur Lecours, il explique que sauf en présence de cas de décès, la présence du virus de l’entérite ne sera pas documentée.
[95] Par ailleurs, la preuve documentaire déposée démontre la piètre qualité de l’eau dans les réserves. Mais ce qui est plus important, c’est la demande faite par le docteur Lecours auprès du Ministère des ressources indiennes relativement à la qualité de l’eau dans les réserves où s’est retrouvé monsieur St-Denis entre 1991 et 2001 et la réponse du Ministère de la Santé à l’effet que des cas de E-Coli. ont été rapportés et ont donné lieu à des consignes de faire bouillir l’eau qui était impropre à la consommation. Le docteur Lecours a ajouté qu’il est reconnu que si les résultats de tests montrent la présence de E. Colli., d’autres agents infectieux, bactériens ou autres, sont susceptibles de s’y retrouver. Cette preuve n’a pas été contredite.
[96] Les docteurs Lecours et Phaneuf expliquent que l’étiologie du syndrome de fatigue chronique est inconnue mais que le Collège des médecins reconnaît que son déclenchement peut être d’origine virale ou bactérienne. Ils sont d’avis que c’est le cas pour monsieur St-Denis qui a vu sa condition physique se détériorer et la sensation de fatigue s’installer à compter du moment où il a vécu un épisode de gastro-entérite, suivi d’épisodes fréquents de grippe qui l’affaiblissaient de plus en plus, situation qu'il n'avait jamais vécue auparavant.
[97] Dans les circonstances décrites plus haut, la Commission des lésions professionnelles conclut que la preuve prépondérante, tant factuelle que médicale, démontre que le travailleur a été exposé à un risque particulier au travail, soit au virus de l’entérite en raison de la piètre qualité de l’eau sur le territoire où il travaillait et résidait. Cette gastro-entérite, chez un travailleur dont le système immunitaire est perturbé suite à une intoxication au cadmium, constitue le point de départ de la manifestation des symptômes qui mèneront les médecins à conclure à un syndrome de fatigue chronique et à le traiter pour cette condition.
[98] Le tribunal constate que le travailleur est porteur de conditions personnelles importantes : polycythémie ou polyglobulie, hypercholestérolémie, dépression et qu’il présente des signes de lésions cérébrales à la résonance magnétique. Or, le docteur Lecours a précisé pour quelles raisons on ne pouvait conclure que l’une ou l’autre de ces lésions sont responsable des symptômes du travailleur. Le tribunal retient ces explications parce qu’elles sont motivées.
[99] Il est toutefois vraisemblable que ces conditions aient eu, à un moment ou à un autre, un certain impact sur l’intensité des symptômes mais cela n’est pas suffisant pour conclure à l’absence de lésion professionnelle.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLEla requête de monsieur Benoît St-Denis, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la CSST le 14 janvier 2003 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a, le 29 janvier 2002, subi une lésion professionnelle;
DÉCLARE que les diagnostics d’intoxication au cadmium et de syndrome de fatigue chronique sont en relation avec les risques particuliers de son travail et
DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations et indemnités prévues par la loi.
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Diane Besse |
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Commissaire |
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Me Annie Gagnon |
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Ouellet, Nadon & Associés |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Carole Bergeron |
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Panneton Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
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[1] CANADA, BUREAU DU VÉRIFICATEUR
GÉNÉRAL, Rapport de la commissaire à l'environnement et au développement
durable à
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Garde Côtière
canadienne et
Tremblay, CALP 16037-03-8912, 30
septembre
Sylvain Bibeau et Pomerleau,
37770-61-9203, 27 mai
AVIS :
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