Décision

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COUR SUPÉRIEURE

 

 

JJ0304

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-06-000272-050

 

 500-06-000261-046 (dossier connexe)

 

DATE :

2 novembre 2005

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CAROLE JULIEN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

DENIS GAUTHIER

Requérant

c.

GENERAL MOTORS DU CANADA LIMITÉE

Intimée

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Le Tribunal doit décider d’un moyen d’irrecevabilité pour motif de litispendance présenté par la défenderesse Général Motors du Canada limitée (Général Motors) à l’encontre d’une requête pour autorisation d’un recours collectif.

[2]                Le 20 septembre 2005, notre collègue, l’honorable Paul Chaput, fixait l’audition sur ce moyen d’irrecevabilité et prenait acte du dépôt d’une requête amendée en autorisation d’un recours collectif dans le dossier numéro 500-06-000261-046.

[3]                Il est admis par les parties, et avec raison, que la présente requête en autorisation et la requête amendée dans cet autre dossier crée une situation de litispendance.  Pour cette raison, le Tribunal devrait accueillir le moyen d’irrecevabilité à cet égard.

[4]                Cependant, tel ne serait pas le cas avec la requête originale déposée dans le dossier numéro 500-06-000261-046.

[5]                Général Motors plaide que la requête amendée doit être considérée, mais que, de toute façon, il y a litispendance entre les deux requêtes originales dans les dossiers 500-06-000261-046 et 500-06-000272-050.  Général Motors n’a pas contesté l’amendement déposé dans le dossier 500-06-000261-046.

[6]                Les procureurs en demande dans le présent dossier plaident l’illégalité de l’amendement survenu dans le dossier 500-06-000261-046, et ce, en vertu des articles 1010.1 et 1016 du Code de procédure civile (cpc).  Selon eux, pour être admissible, l’amendement aurait dû être autorisé préalablement par le Tribunal.  En l’absence d’une telle autorisation, la procédure amendée serait inexistante.

[7]                Les procureurs en demande dans le dossier 500-06-000261-046 étaient présents lors de l’audition.  Ils plaident la validité de l’amendement et l’antériorité du recours institué par eux.  Ils soutiennent la position adoptée par Général Motors sur le moyen d’irrecevabilité.

LES FAITS

[8]                Le 12 novembre 2004, Stéphane Vermette (Vermette) signifie une requête en autorisation d’un recours collectif dans le dossier 500-06-000261-046.  La requête vise le groupe suivant :

« toutes les personnes physiques du Québec et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations du Québec qui, en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède la présente requête pour autorisation comptaient sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elles par contrat de travail et qui ont acheté ou loué un véhicule de marque Chevrolet, modèle Venture des années 1998 à 2004, ou d’un véhicule de marque Pontiac, modèles Transport/Montana des années 1998 à 2004 ou tout autre groupe qui sera identifié par le tribunal. »

[9]                Les faits de cette requête renvoient à la garantie légale du fabricant contre un vice caché dont la conséquence est l’apparition prématurée de la corrosion sur la carrosserie.  En l’espèce, Vermette se plaint de corrosion au toit du véhicule et au hayon.

[10]            Le 10 décembre 2004, un expert examine le véhicule.  Il signe son rapport le 21 décembre 2004.  Ce rapport est signifié en janvier 2005 par avis de production d’une pièce supplémentaire (R-5).

[11]            Ce rapport décrit le vice caché et ses conséquences :

« À la demande du client nous avons inspecté la carrosserie du véhicule mentionné en rubrique.  L’inspection visait à répondre à l’inquiétude du client à propos des bulles dans la finition de la peinture sur le pavillon.  Le véhicule est un modèle de l’année 1998 affichant 120,988 km au compteur.  L’état général de la carrosserie ne démontre pas de signes évidents de négligence ou d’abus.

 

PROCÉDURE

 

Nous avons démantelé la garniture intérieure du pavillon pour l’examiner de l’intérieur.  Nous avons fait un examen visuel des endroits atteints par la corrosion sur le pavillon et le capot.

 

CONSTATATION

 

Le pavillon :  Le métal est rongé par de la rouille en provenance de l’intérieur, cela entraîne la création des bulles et la perforation éventuelle du pavillon.  Les causes probables de cette rouille sont la présence d’humidité associée à un manque d’aération et possiblement une protection insuffisante du métal contre la corrosion.

 

La réparation exige le remplacement du pavillon, car celui-ci est fait de caissons doublés.  Une réparation simple effectuée sur le panneau extérieur, ne serait que temporaire.

 

Le capot :  Lors de l’inspection du véhicule nous avons remarqué une oxydation du capot en aluminium.  La peinture décolle en lamelles à certains endroits.  La cause principale est une défaillance du produit de scellement qui est censé protéger la tôle.  Parmi les facteurs d’aggravation nous notons le sel dans l’environnement ; un autre facteur possible est la corrosion galvanique entre le capot et l’aluminium et les charnières en acier. La réparation exige le démontage du capot du véhicule ainsi que l’application d’un scellant plus efficace.  Notre atelier a déjà entrepris cette réparation à quelques reprises avec succès. »

 

(nos soulignements)

[12]            Le 29 septembre 2005, Vermette signifie une requête en autorisation amendée.  Le groupe visé est décrit comme suit :

« toutes les personnes physiques […] résidant au Québec et toutes les personnes de droit privé, sociétés ou association […] résidant au Québec […] et comptant, en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède la présente requête pour autorisation […] sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elle par contrat de travail, […] qui ont acheté ou loué un véhicule de marque Chevrolet, modèle Venture des années 1997 à 2004, ou […] un véhicule de marque Pontiac, modèles Transport/Montana des années 1997 à 2004, ou un véhicule de marque Oldsmobile, modèle Silhouette des années 1998 à 2004, faisant l’objet et/ou ayant fait l’objet de problèmes de corrosion et/ou d’écaillement de la peinture ou tout autre groupe qui sera identifié par le tribunal. »

 

(texte déjà souligné)

[13]            Les amendements précisent la généralité des faits allégués à la requête originale.  Il n’est plus question seulement des cas de corrosion et de perforation, mais d’un vice lié à la peinture qui s’écaille.  La perforation ne serait que l’étape ultime d’un processus de dégradation.  Ce processus affecte ou inclut, entre autres, la peinture qui s’écaille.

[14]            Le 12 janvier 2005, Denis Gauthier (Gauthier) signifie sa requête en autorisation dans le présent dossier.  Le groupe visé est décrit comme suit :

« Toutes les personnes physiques et morales (admissibles selon les critères de l’art. 999 par. 3 C.p.c.) du Québec qui ont déjà possédé et/ou loué, ou qui possèdent encore un véhicule automobile de marque Chevrolet modèle Venture des années 1997 à 2004 dont la peinture s’écaille prématurément et qui ont eu connaissance de ce vice entre le 12 janvier 2002 et le 12 janvier 2005. »

[15]            Les faits relatés ne réfèrent pas à la corrosion ou à la perforation.  Ils sont limités à la peinture qui s’écaille et qui serait de mauvaise qualité.  Toutefois, la facture (R-4), émanant du concessionnaire automobile consulté par Gauthier, relate ses plaintes et comporte diverses références à de la rouille et une perforation.

LE DROIT

A.        Généralités

[16]            Le recours collectif est géré par des règles qui lui sont propres.  Au stade de l’autorisation, le recours est régi par le Titre II du Livre IX.  L’article 1010.1 cpc stipule que les dispositions du Titre III, applicables après l’autorisation, s’appliquent au stade de l’autorisation avec les adaptations nécessaires et à moins que le contexte n’indique un sens différent.

[17]            L’article 1012 cpc inséré au Titre III limite la présentation des moyens préliminaires.  Toutefois, la question de litispendance peut être décidée préliminairement.  C’est le cas lorsque plus d’une requête en autorisation sont présentées successivement contre les mêmes parties[1].

B.         La litispendance

[18]            En l’espèce, le juge Chaput a fixé l’audition sur ce moyen préliminaire.  L’article 165 (1) cpc prévoit :

« 165.  Le défendeur peut opposer l'irrecevabilité de la demande et conclure à son rejet:

 

1.      S'il y a litispendance ou chose jugée;

 

(…) »

[19]            L’enjeu de ce moyen d’irrecevabilité est d’éviter la multiplicité des procès et la possibilité de jugements contradictoires.  Il s’agit d’assurer la stabilité des rapports sociaux et juridiques[2].

[20]            Afin de décider ce moyen, il convient d’appliquer ce qu’il est convenu d’appeler la règle des trois identités.  Cette règle a été définie à l’arrêt bien connu Rocois Construction Inc.  c.  Québec Ready Mix Inc.[3].

1.      Identité d’objet:

[21]            L’objet véritable des requêtes visées par le moyen d’irrecevabilité est l’obtention d’un recours collectif[4].  Au surplus, les deux requêtes recherchent une indemnisation en raison de prétendus vices cachés affectant les mêmes véhicules et pour une période semblable.

[22]            Il existe une proximité factuelle évidente entre la corrosion qui affecte des segments de la carrosserie et la peinture qui s’écaille.  Cette proximité résulte du processus de dégradation du métal qui affecte inévitablement l’apparence de la peinture.  L’origine de cette dégradation peut avoir plusieurs causes dont, entre autres, un vice affectant le revêtement.  Il faut voir que la pièce (R-4) dans le présent dossier mentionne des plaintes concernant la rouille et que la pièce (R-5) dans le dossier 500-06-000261-046 mentionne que la peinture s’écaille.

2.      Identité de cause :

[23]            La cause est le fait juridique constituant l’assise légale à l’objet de la demande.  C’est le fondement du droit réclamé.

[24]            Il s’agit dans les deux dossiers d’évaluer la dégradation constatée au regard de la garantie légale prévue à la loi.

[25]            Les deux requêtes soulèvent l’existence d’un problème analogue.  Le remède réclamé est le même dans les deux dossiers :  remboursement du coût des réparations et indemnisation des tracas subis en conséquence de ces faits.

[26]            Dans un cas seulement, des dommages exemplaires sont réclamés.  Cet aspect ne suffit pas à écarter la similarité évidente de cause et d’objet.

3.      Identité des parties :

[27]            Ici, les requérants ne sont pas les mêmes dans les deux dossiers.  Cette constatation ne suffit pas à décider de ce troisième critère.

[28]            En matière de recours collectif, il faut tenir compte du groupe visé par chacun des recours[5].

[29]            Ici, le groupe visé par la présente requête est inclus au groupe décrit à la requête originale.  La différence dans la description des deux groupes réside dans celle des dommages l’une à la peinture qui s’écaille et l’autre la rouille.

[30]            Le juge de l’autorisation pourra décider de la constitution des groupes et sous-groupes et de tous les aspects reliés à cette question dans l’intérêt des membres.

[31]            La première requête ne visait pas une période de temps identique, mais il ne faut pas confondre la requête en autorisation et le fonds.  Le juge en autorisation, en définissant les questions communes et individuelles et en délimitant les groupes, a toute latitude pour décider la période visée, le cas échéant.

[32]            De toute façon, l’amendement a permis d’ajuster la période couverte et la description des problèmes constatés.

4.         Conclusion sur la litispendance :

[33]            Il existe, à tout le moins, une forme de litispendance entre les deux recours.

C.        L’amendement

[34]            Le Tribunal n’est pas saisi d’une contestation de l’amendement introduit par la requête en autorisation amendée dans le dossier numéro 500-06-000261-046.

[35]            Le requérant dans le présent dossier soulève le vice dont serait entaché l’amendement pour écarter le moyen de litispendance.  La question de l’amendement relèvera de l’adjudication sur l’autorisation et des moyens soumis par les parties, le cas échéant.  Le Tribunal n’en décidera pas indirectement.

[36]            Le Tribunal doit évaluer l’issue de la requête en respectant un principe de protection de l’intérêt général des membres.

[37]            Ici, même en limitant le débat à l’examen de la requête originale et des pièces, il existe une forme de litispendance suffisante pour intervenir sur le moyen soulevé par Général Motors.  La situation est encore plus évidente avec la procédure amendée.

[38]            Toutefois, afin de préserver l’intérêt des membres et dans le respect des enseignements de la Cour d’appel dans l’affaire Hotte  c.  Servier Canada Inc.[6], le Tribunal ne rejettera pas la présente requête en autorisation, mais en ordonnera la suspension jusqu’à ce que la requête en autorisation dans le dossier numéro 500-06-000261-046 ait été décidée.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[39]            ACCUEILLE le moyen d’irrecevabilité pour le motif de litispendance avec le dossier numéro 500-06-000261-046.

[40]            ORDONNE la suspension des procédures et de l’audition dans le présent dossier jusqu’à jugement sur la requête en autorisation dans le dossier 500-06-000261-046.

[41]            LE TOUT SANS FRAIS.

 

 

CAROLE JULIEN, J.C.S.

 

DOSSIER : 500-06-000272-050

 

Me Freddy Adams

Me Gilles Gareau

Adams Gareau

Avocats du requérant - intimé

 

Me Laurent Nahmiash

Fraser, Milner, Casgrain

Avocat de l’intimée - requérante

 

DOSSIER : 500-06-000261-046

 

Me Chantal Perreault

Me Guy Paquette

Paquette, Gadler

Avocats des co-requérants

 

Me Laurent Nahmiash

Fraser, Milner, Casgrain

Avocat des intimées

 

Date d’audience :

7 octobre 2005

 



[1] Y. LAUZON, Le recours collectif, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2001, p. 24, 25. ;  Dumas  c.  Mutuelle des fonctionnaires du Québec, J.E. 2002-543 (C.A.) p. 6 ; Hotte  c.  Servier Canada Inc., R.E.J.B. 1999-14507 (C.A.).

[2] Rocois Construction Inc.  c.  Québec Ready Mix Inc., [1990] 2 R.C.S. 440 , 448 ;  Contrôle Technique Appliqué Ltée  c.  Québec (Procureur général), [1994] R.J.Q. 939 , 943 (C.A.), p. 5.

[3] Précité note 2.

[4] Hotte  c.  Servier Canada Inc., précité note 1, p. 4 - 5.

[5] Hotte  c.  Servier Canada Inc., précité note 1, p. 4 ;  Marandola  c.  General Motors of Canada Ltée, [2004], 500-06-000206-033, juge Roger E. Baker, p.7.

[6] Précité note 1.

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