Restauration après sinistre Deux Rives |
2009 QCCLP 585 |
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[1] Le 24 avril 2008, Restauration après sinistre Deux Rives (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une contestation à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 19 mars 2008, suite à une révision administrative du dossier.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 20 août 2007 et déclare que l’employeur ne peut bénéficier des dispositions de l’article 326 , alinéa 2, de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) dans le cadre d’un accident dû à un tiers.
[3] La Commission des lésions professionnelles rend la présente décision en application de l’article 429.14 de la loi, l’employeur ayant transmis une argumentation écrite.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision contestée et de déclarer qu’il a le droit de bénéficier d’un transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par sa travailleuse, madame Louiselle Faucher, le 4 août 2006, le tout en application de l’article 326, alinéa 2, de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[5] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a le droit d’obtenir, en application de l’article 326 de la loi, un transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par sa travailleuse, le tout en application de l’exception contenue à l’article 326, alinéa 2.
[6] À l’article 326, on retrouve le principe général d’imputation, le tout comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[7] Dès lors, conformément au premier alinéa de l’article 326, la CSST impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi.
[8] D’autre part, au second alinéa de l’article 326, le législateur ajoute que la CSST ou l’employeur peut demander un transfert de l’imputation du coût des prestations lorsque l’accident du travail dont a été victime son travailleur a pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers.
[9] Sur ce sujet, la Commission des lésions professionnelles rappelle que les commissaires Jean-François Clément, Diane Lajoie et Jean-François Martel, réunis en banc de trois, ont rendu une décision conséquente dans l’affaire Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail[2], le 28 mars 2008.
[10] Cette longue décision procède à une revue complète de la jurisprudence sur le sujet et énonce, finalement, les conditions d’application de l’exception prévue au second alinéa de l’article 326 de la loi.
[11] Quant à ces conditions, elles se résument comme suit :
a) qu’il y ait eu un accident du travail;
b) que l’accident du travail est attribuable à un tiers;
c) l’effet injuste de l’imputation
[12] Plus spécifiquement, la revue de ces critères, particulièrement quant aux second et au troisième, nécessite les précisions suivantes.
[13] À cette décision, on définit le tiers comme suit :
« […]
[276] Les soussignés estiment qu’est donc un « tiers » au sens de l’article 326 de la loi, toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier201. Ainsi, par exemple, un élève, un client ou un bénéficiaire est un tiers.
[…] »
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201 Cette description des « collègues de travail » s’inspire des termes utilisés au paragraphe introductif de la définition de travailleur énoncée à l’article 2 de la loi ainsi que des termes utilisés aux articles 439 et 441.
[14] Quant à l’effet injuste de l’imputation, les commissaires retiennent, dans un premier temps, la position fortement majoritaire de la Commission des lésions professionnelles à l’effet de retenir la notion de risque inhérent.
[15] Sur ce sujet, ils indiquent :
« […]
[322] La notion de risque inhérent doit cependant être comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient essentiellement à pareilles activités, en étant inséparable (essentiel, intrinsèque…)215. On ne doit donc pas comprendre cette notion comme englobant tous les risques susceptibles de se matérialiser au travail, ce qui reviendrait en pratique à stériliser le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[…] »
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215 À ce sujet, voir Petit Larousse illustré, éditions Larousse, Paris, 207, p. 582; le nouveau Petit Robert, éditions Le Robert, Paris, 2008, p. 1332
[16] Plus loin, les commissaires ajoutent :
« […]
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, réglementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.
[…] »
[17] La Commission des lésions professionnelles ajoute qu’elle partage totalement la position retenue dans cette décision par le tribunal.
[18] La Commission des lésions professionnelles résumera les éléments pertinents de la preuve à la solution du présent litige.
[19] La travailleuse occupe un emploi de chef d’équipe de nettoyage après sinistre chez l’employeur.
[20] Le 4 août 2006, elle est victime d’un accident de la route.
[21] Selon la preuve non contredite, la travailleuse circule sur la route Grand Bernier Sud au volant de son véhicule, le tout pour se rendre chez un client. Elle freine et met son clignotant afin de tourner dans une rue. Le camion qui suit percute l’arrière du véhicule de la travailleuse et le projette dans le fossé.
[22] Un rapport de police est produit au dossier et confirme les faits.
[23] Ajoutons que l’employeur est classé dans l’unité 77020, soit « service d’entretien d’immeubles ».
[24] À la décision contestée, la CSST reconnaît d’emblée que l’accident dont fut victime la travailleuse est attribuable à la faute d’un tiers, ce premier élément décisionnel n’étant pas en litige.
[25] En second lieu, la CSST conclut que l’accident est arrivé dans le contexte des risques particuliers ou inhérents se rattachant à l’ensemble des activités exercées par l’employeur.
[26] Sur ce sujet, on souligne que les travailleurs doivent nécessairement se déplacer sur la voie publique pour avoir accès aux clients de l’employeur, le tout dans l’exécution de leurs tâches.
[27] Dès lors, ces déplacements impliquent des risques reliés à la circulation automobile, risques qui sont nécessairement accessoires à l’activité économique de l’employeur.
[28] Ajoutons que l’analyse de l’agent décideur, une fois cette deuxième question tranchée, s’arrête sans analyse réelle de toutes les circonstances accidentelles.
[29] Au soutien de son argumentation, l’employeur produit une décision rendue par le juge administratif Pierre Prégent, le 6 octobre 2008, dans l’affaire Fournier Béton et Location ABDM[3].
[30] Dans cette décision, la Commission des lésions professionnelles constate que les faits pris en considération par le juge administratif Pierre Prégent sont tout à fait similaires à ceux qui nous sont actuellement soumis.
[31] Dans cette cause, par ailleurs, le travailleur victime de l’accident de la circulation, était un camionneur qui effectuait de la livraison de béton.
[32] Ainsi donc, le juge administratif concluait, dans un premier temps, que le risque qui s’était réalisé sous la forme d’un accident était lié de manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur, conformément au premier critère énoncé par le banc de trois dans l’affaire Ministère des transports et CSST précitée.
[33] Mais, en second lieu, le juge administratif concluait que l’accident s’était produit dans des circonstances exceptionnelles, extraordinaires et inusitées puisqu’il était dû à l’entière négligence et incurie du conducteur de l’autre véhicule, les conditions routières étant idéales.
[34] Dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles conclut que les déplacements sur la voie publique que doivent effectuer les travailleurs de l’employeur constituent un risque accessoire à l’exécution de son activité principale.
[35] En effet, ces travailleurs doivent nécessairement se déplacer vers le domicile ou résidence de ces clients pour effectuer les travaux requis.
[36] Sans ces déplacements, l’employeur ne pourrait exécuter les contrats qu’il a avec ses clients. Il s’agit donc d’un risque qui est inhérent aux activités économiques de l’employeur.
[37] En second lieu, selon la preuve offerte, l’accident est survenu strictement suite à la négligence grossière, à l’incurie du conducteur du second véhicule qui a heurté, par l’arrière, le véhicule de la travailleuse.
[38] En effet, selon la preuve non contredite, il est clairement établi que la travailleuse a ralenti, freiné, mis son clignotant et se préparait à effectuer son virage.
[39] Rien dans la preuve ne permet d’impliquer les conditions routières, l’état de la chaussée ou tout autre facteur environnemental.
[40] Il en résulte que cet accident est survenu strictement eu égard à l’inattention du conducteur du second véhicule.
[41] Comme on l’a vu dans des circonstances analogues, le juge administratif Prégent a conclu que le conducteur du second véhicule n’avait qu’à conduire de façon sécuritaire et que l’accident est survenu strictement quant à un manquement, une contravention aux règles de l’art, de la sécurité et de la plus élémentaire des prudences.
[42] Cette même conclusion s’impose aux présentes, l’employeur devant bénéficier de l’application des dispositions de l’article 326, alinéa 2, de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation déposée par Restauration après sinistre Deux Rives, le 24 avril 2008;
INFIRME la décision émise par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 19 mars 2008;
DÉCLARE que le coût des prestations dues en raison de l’accident de travail subit par madame Louiselle Faucher, le 4 août 2006, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
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PIERRE SIMARD |
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Me Marie-Ève Vanden Abeele |
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A.P.C.H.Q. - SAVOIE, FOURNIER |
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Représentante de la partie requérante |
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