Macduff c. Vacances Sunwing inc. |
2017 QCCS 4540 |
|||||||
JG 2551 |
||||||||
(Actions collectives) |
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
|||||||
|
||||||||
N° : |
500-06-000845-178 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
11 octobre 2017 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE LUKASZ GRANOSIK, j.c.s. |
|
|
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
DANIEL MACDUFF Demandeur c.
|
||||||||
VACANCES SUNWING INC. -et- LIGNES AÉRIENNES SUNWING INC. Défenderesses |
||||||||
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT (demandes pré-autorisation) |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] En novembre 2016, le demandeur achète auprès des défenderesses (collectivement Sunwing) un forfait vacances d’une semaine à Cayo Coco. Il décrit les circonstances de l’achat dans sa Demande pour autorisation d’exercer une action collective :
11. Pour ce faire, le Requérant à cette date s’est rendu sur le site de www.voyagesbergeron.com, a choisi la destination ainsi que les dates de vols qu’il souhaitait, a vu les vols offerts, leur prix ainsi que la mention « service au champagne », une fois sa sélection effectuée, il a alors confirmé les vols qu’il désirait, a entré ses informations de carte de crédit, la transaction a été autorisée et le Requérant a reçu quelques jours plus tard ses documents électroniques de voyage;
[2] Aucun champagne n’ayant été servi dans l’avion, mais uniquement un vin mousseux et uniquement sur le vol aller, en février 2017 le demandeur entreprend une action collective contre Sunwing.
[3] Par sa Demande pour autorisation d’exercer une action collective, il recherche une condamnation à des dommages-intérêts compensatoires et punitifs au motif que Sunwing aurait commis des pratiques commerciales trompeuses et offert des fausses représentations en vendant des vols et forfaits vacances incluant un « service au champagne », sans toutefois servir un vin mousseux provenant de la région de Champagne, en France. Il sollicite l’autorisation d’intenter une action collective pour le compte du groupe suivant[1] :
Tous les consommateurs, au sens de la LPC, résidant dans la province de Québec qui, après le 10 février 2014 et jusqu’à la date d’autorisation de la présente action :
ont acheté et/ou obtenu des billets et/ou ont voyagé avec VACANCES SUNWING INC. et/ou LIGNES AÉRIENNES SUNWING INC. pour un vol et/ou un forfait présenté, publicisé ou décrit en utilisant le mot « champagne » (ci-après le « Service »); et [sic]
ou tout autre membre tel que déterminé par la Cour;
[4] Sunwing demande alors la permission de présenter
une preuve appropriée suivant l’article
[5] Plus particulièrement, la déclaration sous serment vise à compléter la preuve sur les sujets suivants :
- la description des défenderesses et la relation qui les unit;
- l’utilisation du terme « champagne » dans les marques déposées au Canada;
- la description du « service au champagne » et les détails du service.
[6] Quant à l’interrogatoire, limité à une durée de trois heures, il viserait à répondre aux questions suivantes :
- les circonstances entourant l’achat du forfait vacances, notamment :
le matériel promotionnel utilisé ou consulté préalablement à l’achat du forfait vacances;
les représentations spécifiques de Sunwing que le demandeur a vues et considérées, et sur lesquelles il s’est fié avant l’achat du forfait vacances;
les raisons pour lesquelles il a choisi d’acheter le forfait vacances de Sunwing;
- la connaissance du demandeur quant au groupe qu’il veut représenter, incluant les efforts déployés pour acquérir une connaissance suffisante des membres du groupe et s’assurer que ces derniers appuient la Demande et les conclusions recherchées;
- la participation du demandeur à l’élaboration de la procédure introductive; et
- les circonstances suivant lesquelles le demandeur a accepté d’agir à titre de représentant du groupe.
[7] Le demandeur ne conteste pas la première partie de la déclaration sous serment visant à établir les relations entre les deux défenderesses.
ANALYSE
Droit applicable
[8] L’article
574. Une personne ne peut exercer l'action collective qu'avec l'autorisation préalable du tribunal.
La demande d'autorisation indique les faits qui y donnent ouverture et la nature de l'action et décrit le groupe pour le compte duquel la personne entend agir. Elle est signifiée, avec un avis d'au moins 30 jours de la date de sa présentation, à celui contre qui elle entend exercer l'action collective.
La demande d'autorisation ne peut être contestée qu'oralement et le tribunal peut permettre la présentation d'une preuve appropriée.
[9] Selon la Ministre, cet article reprend essentiellement les règles du droit antérieur[2]. Sur la question spécifique de la preuve pouvant être présentée par la défense au niveau de l’autorisation, les commentaires de la Ministre indiquent :
La disposition maintient la règle du droit actuel adoptée par la Loi portant réforme du Code de procédure civile (L.Q. 2002, c. 7), qui impose la contestation orale de la demande et, à cette étape, ne permet la présentation d'une preuve appropriée que si le tribunal l'autorise. Cette modification visait essentiellement à limiter les débats sur l'autorisation de l'action collective, qui, au fil des années, avaient pris «des proportions démesurées», de telle sorte que l'on pouvait considérer que le procès avait lieu à l'étape de la demande d'autorisation plutôt que sur l'action elle-même.
[10] Les principes applicables en cette matière ont été synthétisés déjà en 2006 par le juge Gascon, alors de cette cour, dans Option Consommateurs c. Banque Amex du Canada[3]:
[20] Cela dit, au chapitre du mérite maintenant, le Tribunal retient de la jurisprudence pertinente les sept (7) propositions suivantes comme devant servir de guide dans l'analyse des requêtes formulées par les Banques:
1) puisque, dans le cadre du mécanisme de filtrage et de vérification qui caractérise la requête en autorisation, le juge doit, si les allégations de faits paraissent donner ouverture au droit réclamé, accueillir la requête et autoriser le recours, il n'y aura pas, dans tous les cas, la nécessité d'une preuve;
2) en
vertu du nouvel article
3) c'est en utilisant sa discrétion, qu'il doit bien sûr exercer judiciairement, que le juge doit apprécier s'il est approprié ou utile d'accorder, dans les circonstances, le droit de présenter une preuve ou de tenir un interrogatoire. Idéalement et en principe, cette preuve et ces interrogatoires se font à l’audience sur la requête en autorisation et non hors cour;
4) pour
apprécier s'il est approprié ou utile d'accorder la demande faite, le juge doit
s'assurer que la preuve recherchée ou l'interrogatoire demandé permettent de
vérifier si les critères de l'article
5) dans
l'évaluation du caractère approprié de cette preuve, le juge doit agir en
accord avec les règles de la conduite raisonnable et de la proportionnalité
posées aux articles
6) le juge doit faire preuve de prudence et ne pas autoriser des moyens de preuve pertinents au mérite puisque, à l'étape de l'autorisation du recours, il doit tenir les allégations de la requête pour avérées sans en vérifier la véracité, ce qui relève du fond. À cette étape de l'autorisation, le fardeau en est un de démonstration et non de preuve;
7) Le fardeau de démontrer le caractère approprié ou utile de la preuve recherchée repose sur les intimés. Aussi, il leur appartient de préciser exactement la teneur et l'objet recherchés par la preuve qu'ils revendiquent et les interrogatoires qu'ils désirent, en reliant leurs demandes aux objectifs de caractère approprié, de pertinence et de prudence déjà décrits.
L'objectif recherché n'est pas de permettre des interrogatoires ou une preuve tous azimuts et sans encadrement, mais plutôt d’autoriser uniquement une preuve et/ou des interrogatoires limités sur des sujets précis bien circonscrits.
[11] Ces principes sont rapportés par la Cour d’appel dans Allstate du Canada, compagnie d'assurances c. Agostino[4]. Dans ce même arrêt, la Cour d’appel réfère aussi au propos du juge Crête émis dans Option Consommateurs c. Brick Warehouse, l.p.[5]:
[32]
La « preuve
appropriée » est donc celle
qui permettra au tribunal non pas d'évaluer le bien-fondé de l'action au fond,
mais plutôt de « vérifier
sommairement si les conditions de l'article
Cela dit, une preuve est appropriée si elle se destine à contredire des éléments que la partie défenderesse estime invraisemblables, faux ou inexacts, et donc à établir le défaut d'apparence de droit.
(Références omises)
[12]
Quant à la portée de l’article
[42] La norme juridique entourant la deuxième condition de
l’article
(Références omises)
[13] Plus particulièrement au sujet du représentant, la Cour d’appel énonce[7] :
[46] Finalement, en ce qui a trait au statut de représentant, il me suffit de réitérer que la jurisprudence a fait de cette condition une exigence « minimale ». La Cour suprême dans Infineon résume ainsi la norme juridique rattachée à la compétence du représentant :
[149] […] Aucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement.»
(…)
[104] Il convient de rappeler que la norme juridique rattachée à la condition relative à la qualité du représentant est peu exigeante et repose sur trois facteurs : l’intérêt à poursuivre, la compétence et l’absence de conflit avec les membres du groupe. (…)
(Références omises)
[14] Enfin, dans le même arrêt, la Cour d’appel indique les principes applicables à l’étape de l’autorisation[8] :
[39] Au départ, il me semble important de signaler que la
jurisprudence antérieure aux arrêts Vivendi et Infineon doit être
lue avec une attention prudente et respectueuse du seuil d’application peu
élevé des conditions de l’article
[15]
Ce commentaire veut-il dire que les autorités antérieures à 2013-2014
(années de reddition des arrêts de la Cour suprême du Canada dans les affaires Vivendi et Infineon) perdent de leur importance?[9]
Le Tribunal ne le croit pas, du moins pas en ce qui concerne l’article
[37]
La production de déclarations sous serment, autorisée en vertu de l’article
[38] Dans tous les cas, la preuve autorisée doit permettre d’évaluer les quatre critères que le juge de l’autorisation doit examiner et non le bien-fondé du dossier. Et si, par malheur, le juge de l’autorisation se retrouve devant des faits contradictoires, il doit faire prévaloir le principe général qui est de tenir pour avérés ceux de la requête pour autorisation, sauf s’ils apparaissent invraisemblables ou manifestement inexacts.
Application
Déclaration sous serment
[16] Le demandeur ne conteste pas la preuve portant sur les liens entre les deux défenderesses, et le Tribunal trouve cette preuve utile car elle permet de spécifier le rôle de chacune d’elles. Elle sera admise.
[17]
Quant à la preuve portant sur l’utilisation
du terme « champagne » dans les marques déposées au Canada, elle
relève de toute évidence du débat éventuel sur le fond et son utilité est nulle
à cette étape-ci. Si le Tribunal ne doit vérifier que le caractère
défendable du syllogisme juridique proposé par le demandeur, l’information sur
ce sujet ne sera d’aucun secours pour déterminer la satisfaction de l’une ou
l’autre des conditions de l’article
[18] En revanche, le débat engagé par le demandeur s’articule autour des pratiques de commerce de Sunwing, lesquelles seraient contraires aux articles 219, 220, 221 et 228 de la Loi sur la protection du consommateur[12] en décrivant, en promouvant et en offrant leur service en utilisant le mot “champagne” sans toutefois servir de champagne. Le demandeur reproche ainsi à Sunwing la description du forfait acheté en opposition avec le service réellement reçu.
[19] Afin de vérifier si ces prétentions pourraient s’avérer invraisemblables, fausses ou inexactes, et d’autant plus que les dommages punitifs sont réclamés par le demandeur, il y a lieu de permettre que la preuve portant sur la description du « service au champagne » et sur les détails du service soit admise. Cet aspect est le nœud du litige en l’instance et les informations avancées par Sunwing permettront d’avoir une meilleure compréhension du contexte factuel de la demande[13].
Interrogatoire du représentant
[20]
Pour les mêmes raisons, il est
utile (c’est le synonyme souvent retrouvé dans les autorités pour décrire la
preuve appropriée suivant l’art.
[21] Ces circonstances n’incluent pas en revanche le matériel promotionnel utilisé ou consulté préalablement à l’achat du forfait vacances par le demandeur. Le syllogisme proposé n’est pas fondé sur ce type d’information ou de documentation mais uniquement sur l’utilisation du terme « champagne » que le demandeur indique avoir constaté sur le site web de l’agence des voyages à l’occasion de la transaction[14].
[22]
À l’étape actuelle du dossier, la question portant sur le
matériel promotionnel, hypothétiquement et préalablement vu ou consulté, n’est
pas pertinente alors qu’il n’existe aucune d’allégation à cet effet dans la
procédure. Cette preuve n’apporterait aucun éclairage utile à l’analyse des
conditions de l’article
[23] Ces circonstances n’incluent pas non plus la motivation du demandeur, soit « les raisons pour lesquelles il a choisi d’acheter le forfait vacances de Sunwing ». En effet, le Tribunal estime que quelle que soit la réponse à une telle question, elle ne sera d’aucune utilité pour vérifier si le demandeur présente une cause défendable ni si les actions ou omissions ou encore des pratiques commerciales de Sunwing iraient à l’encontre de la Loi sur la protection du consommateur.
[24] Enfin, en ce qui concerne le statut du représentant, même s’il s’agit d’une exigence minimale[15], encore faut-il la satisfaire. Le Tribunal doit confirmer que le demandeur présente ou possède les trois facteurs applicables, afin de pouvoir conclure qu’il s’agit d’un représentant valable. Bien entendu, ayant acheté le forfait dont l’appellation et le contenu sont en litige, l’interrogatoire du demandeur sur son intérêt à poursuivre est superflu. En revanche, la procédure qu’il entreprend est totalement muette sur sa compétence et sa position vis-à-vis les membres du groupe. Une preuve portant sur ces éléments est donc utile et l’interrogatoire pourra aborder sur ces deux matières.
[25] Le demandeur propose un interrogatoire à l’instruction. Cette solution pourrait être opportune en ce qui concerne ses qualités de représentant mais non pas au sujet des circonstances de l’achat du forfait vacances. Le Tribunal estime qu’il y a lieu d’éviter les surprises sur ce dernier point et voilà pourquoi un interrogatoire hors cour, préalable à l’instruction sur l’autorisation, s’impose.
[26] Compte tenu de l’ampleur de cet interrogatoire, restreint aux circonstances de l’achat du forfait et à la compétence du représentant et le conflit d’intérêt éventuel, le Tribunal estime qu’une période d’une heure est suffisante, alors que Sunwing proposait une période de trois heures mais avec des sujets d’interrogatoire plus nombreux et ambitieux.
[27]
Par ailleurs, le demandeur et ses procureurs étant domiciliés à
l’extérieur du district où le recours est entrepris, le Tribunal suggère aux
parties de se prévaloir des articles
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[28] ACCUEILLE PARTIELLEMENT la Demande pour permission de présenter une preuve appropriée;
[29] ADMET en preuve à l’étape de l’autorisation les paragraphes 1 à 10 de la déclaration sous serment d’Eva Janine Massey et les pièces sous-jacentes;
[30] AUTORISE la tenue d’un interrogatoire préalable hors cour de Daniel MacDuff pour une durée d’au plus d’une heure portant sur les sujet suivants :
- Les circonstances entourant l’achat du forfait vacances, notamment :
Les représentations spécifiques de Sunwing que Daniel MacDuff a vues et considérées, et sur lesquelles il s’est fié à l’occasion de l’achat;
- La connaissance de Daniel MacDuff quant au groupe qu’il veut représenter, incluant les efforts déployés pour acquérir une connaissance suffisante des membres du groupe et s’assurer qu’il n’est pas en conflit avec eux;
[31] FRAIS de justice à suivre.
|
|
|
__________________________________ LUKASZ GRANOSIK, j.c.s. |
|
|
Me Sébastien A. Paquette -et- Me Jérémie Martin CHAMPLAIN AVOCATS Procureurs du demandeur |
|
|
|
Me Éric Préfontaine -et- Me Jessica Harding OSLER, HOSKIN & HARCOURT Procureurs des défenderesses |
|
|
|
Date d’audition: 29 septembre 2017 |
[1] Paragraphe 4 de la Demande pour autorisation d’exercer une action collective.
[2] MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, Commentaires de la ministre de la Justice. Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, art.574, p.419.
[3]
[4] 2012 QCCA 678, par. 35.
[5] 2011 QCCS 569.
[6]
[7] Idem.
[8] Idem.
[9] Et ce, d’autant que le juge Gascon ne fait pas encore partie de la Cour suprême du Canada ni à l’époque de l’arrêt Vivendi ni de l’arrêt Infineon.
[10]
[11] Précité, note 3.
[12] RLRQ, c. P-40.1.
[13]
Benizri c. Canada Post Corporation,
[14] Par. 11 de la Demande pour autorisation d’exercer une action collective.
[15] Cf. par. 13 de ce jugement.
[16] RLRQ, C-25.01, r. 0.2.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.