Richard et Fils Spécialisés Cavalier inc. |
2007 QCCLP 2614 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Sherbrooke |
Le 27 avril 2007 |
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Régions : |
Estrie Lanaudière |
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Dossiers CSST : |
116126152 006190326 |
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Commissaires : |
Me Luce Boudreault Me Francine Mercure Me Bernard Lemay |
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Membres : |
Lorraine Patenaude, associations d’employeurs |
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Régis Gagnon, associations syndicales |
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277688-63-0512 |
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Nancy Richard |
Cynthia Phillips |
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Partie requérante |
Partie requérante |
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et |
et |
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Fils Spécialisés Cavalier inc. |
C.H. reg. Lanaudière, Service santé 5C |
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Partie intéressée |
Partie intéressée |
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et |
et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
Partie intervenante |
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Dossier 262882-05-0505
[1] Le 26 mai 2005, madame Nancy Richard (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 20 mai 2005 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision de la travailleuse à l’encontre d’un avis de paiement émis le 31 mars 2005, au motif que celui-ci ne constitue pas une décision.
[3] Le 6 octobre 2005, la Commission des lésions professionnelles rend une décision par laquelle elle déclare recevable la demande de révision de la travailleuse et convoque les parties à une audience sur le fond de la contestation, d’où le présent litige.
Dossier 277688-63-0512
[4] Le 9 décembre 2005, madame Cynthia Phillips (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 30 novembre 2005 par la CSST à la suite d’une révision administrative.
[5] Cette décision confirme un avis de paiement émis le 13 octobre 2005 et conclut qu’il est justifié de ne pas tenir compte des enfants mineurs à charge de la travailleuse dans le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu réduite faisant suite à la revalorisation annuelle de 2005. Elle déclare également que le montant de l’indemnité journalière de la travailleuse passe de 48,35 $ à 41,81 $ par jour, à compter du 6 octobre 2005.
[6] À l’audience tenue le 5 décembre 2006 à Joliette, madame Phillips est présente et représentée par Me André Laporte. Madame Richard est représentée par Me François Fisette et la CSST est représentée par Me François Bilodeau.
[7] En vertu de l’article 429.29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), la présidente de la Commission des lésions professionnelles a rendu une ordonnance, le 14 novembre 2006, permettant la jonction des dossiers. En vertu de l’article 422 de la loi, elle a également désigné les trois soussignés pour instruire et décider des recours.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
[8] Les travailleuses demandent à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST ne pouvait modifier à la baisse le montant de l’indemnité de remplacement du revenu qui leur était versée, sans contrevenir aux termes de l’article 64 de la loi.
LES FAITS
[9] Les faits ne sont pas contestés et peuvent être résumés ainsi dans le cas de chacune des travailleuses :
Madame Nancy Richard
- Lésion professionnelle reconnue du 24 mars 1999. Situation familiale : une personne à charge (enfant mineur);
- Décision de la CSST sur la capacité d’exercer l’emploi convenable de réceptionniste téléphoniste en date du 10 janvier 2003, à un salaire annuel estimé à 18 720 $, donnant droit à une indemnité journalière de 7,08 $ ;
- Révision de l’indemnité le 17 février 2005, considérant le fait que la travailleuse exerçait l’emploi convenable retenu. Indemnité journalière recalculée à 2,30 $ ;
- Avis de paiement du 31 mars 2005, suite à la revalorisation annuelle à la date anniversaire de la lésion professionnelle, calculée selon la situation familiale d’un conjoint non à charge. L’indemnité journalière passe à 0,19 $ à compter du 24 mars 2005.
Madame Cynthia Phillips
- Lésion professionnelle initiale reconnue du 27 septembre 1990. Situation familiale : une personne à charge (enfant mineur);
- Une première récidive, rechute ou aggravation reconnue le 15 avril 1992. Situation familiale : une personne à charge (enfant mineur);
- Une deuxième récidive, rechute ou aggravation reconnue le 29 juillet 1993. Situation familiale : une personne à charge (enfant mineur);
- Une troisième récidive, rechute ou aggravation reconnue le 4 mars 1993. Situation familiale : une personne à charge (enfant mineur);
- Une quatrième récidive, rechute ou aggravation reconnue le 6 octobre 1993. Situation familiale : une personne à charge (enfant mineur). Il s’agit de la date anniversaire de la lésion professionnelle retenue par la CSST lorsqu’elle procède à la revalorisation de l’indemnité de remplacement du revenu;
- Une cinquième récidive, rechute ou aggravation (qui a mené à une sympathectomie) le 29 octobre 1996. Situation familiale : une personne à charge (enfant mineur);
- Décision de la CSST sur la capacité d’exercer l’emploi convenable de dame de compagnie en date du 5 octobre 2001 à un salaire annuel estimé à 5 000 $ ;
- Avis de paiement du 13 octobre 2005 suite à la revalorisation annuelle à la date anniversaire de la lésion professionnelle, calculée selon la situation familiale d’aucune personne majeure à charge. L’indemnité journalière passe de 48,35 $ à 41,81 $ à compter du 6 octobre 2005.
L’AVIS DES MEMBRES
[10] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter les requêtes des travailleuses. À cet égard, il estime que le texte de l’article 64 est clair et ne porte pas à interprétation. Il considère que la CSST a appliqué correctement les dispositions de la loi et que la diminution du montant de l’indemnité de remplacement du revenu, à la suite de la revalorisation de 2005, est secondaire non pas à une mauvaise application ou interprétation de la loi, mais résulte plutôt de l’application des mesures fiscales pour l’année 2005 qui ne prévoient plus de déduction fiscale pour les enfants mineurs à charge. Il ajoute que depuis le 1er janvier 2005, une aide financière est versée aux contribuables qui remplace les prestations familiales, le crédit d’impôt non remboursable pour enfant à charge et la réduction d’impôt à l’égard de la famille.
[11] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir les requêtes des travailleuses. À cet égard, il est d’opinion que l’application et l’interprétation de la CSST des dispositions de la loi sont contraires à celle-ci et ont pour effet de changer le statut familial dont bénéficient les travailleuses aux fins de déterminer le montant de l’indemnité de remplacement du revenu auquel elles ont droit.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[12] Il convient tout d’abord de décider de l’argument soulevé par la CSST en début d’audience voulant que madame Phillips n’aurait plus intérêt à maintenir sa contestation puisqu’une correction a été effectuée plus tard en 2005 par laquelle elle est désormais indemnisée comme si elle avait une personne majeure à charge, ce qui aurait « rétabli » le montant de son indemnité.
[13] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve présentée sur cette question n’est pas suffisamment probante.
[14] En effet, la copie du panorama informatique qui a été produite à l’audience par la CSST peut difficilement tenir lieu de décision et aucune copie d’un avis de paiement qui établirait cette modification n’a été déposée. Dans ces circonstances, cet allégué n’étant pas prouvé de façon prépondérante, le tribunal est d’avis de rejeter ce moyen.
[15] Cela étant dit, la Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si les revalorisations annuelles de l’indemnité de remplacement du revenu des travailleuses effectuées par la CSST sont conformes ou non aux dispositions de la loi.
Les dispositions de la loi applicables en l’espèce
[16] Le travailleur incapable d’exercer son emploi a droit à une indemnité de remplacement du revenu :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
__________
1985, c. 6, a. 44.
[17] Le montant de cette indemnité est prévu à l’article 45 :
45. L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90% du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 45.
[18] Pour transposer le revenu brut annuel d’emploi en revenu net retenu et ainsi calculer l’indemnité de remplacement du revenu, la CSST doit appliquer les dispositions de l’article 63, lequel se lisait ainsi en 2005 :
63. Le revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi est égal à son revenu brut annuel d'emploi moins le montant des déductions pondérées par tranches de revenus que la Commission détermine en fonction de la situation familiale du travailleur pour tenir compte de:
1° l'impôt sur le revenu payable en vertu de la Loi sur les impôts (chapitre I-3) et de la Loi de l'impôt sur le revenu (Lois révisées du Canada (1985), chapitre 1, 5e supplément);
2° la cotisation ouvrière payable en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23); et
3° la cotisation payable par le travailleur en vertu de la Loi sur le régime de rentes du Québec (chapitre R-9).
La Commission publie chaque année à la Gazette officielle du Québec la table des indemnités de remplacement du revenu, qui prend effet le 1er janvier de l'année pour laquelle elle est faite.
Cette table indique des revenus bruts par tranches de 100 $, des situations familiales et les indemnités de remplacement du revenu correspondantes.
Lorsque le revenu brut d'un travailleur se situe entre deux tranches de revenus, son indemnité de remplacement du revenu est déterminée en fonction de la tranche supérieure.
___________
1985, c. 6, a. 63; 1993, c. 15, a. 88; 1997, c. 85, a. 3; 2001, c. 9, a. 124.
[19] Si, après la consolidation de la lésion, le travailleur demeure incapable d’exercer son emploi, mais devient capable d’exercer un emploi convenable, comme c’est le cas des travailleuses en l’espèce, le travailleur aura droit à une indemnité réduite :
49. Lorsqu'un travailleur incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle devient capable d'exercer à plein temps un emploi convenable, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il pourrait tirer de cet emploi convenable.
Cependant, si cet emploi convenable n'est pas disponible, ce travailleur a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 jusqu'à ce qu'il occupe cet emploi ou jusqu'à ce qu'il le refuse sans raison valable, mais pendant au plus un an à compter de la date où il devient capable de l'exercer.
L'indemnité prévue par le deuxième alinéa est réduite de tout montant versé au travailleur, en raison de sa cessation d'emploi, en vertu d'une loi du Québec ou d'ailleurs, autre que la présente loi.
__________
1985, c. 6, a. 49.
[20] La façon de calculer le revenu que pourrait générer l’emploi convenable est prévue à l’article 50 :
50. Aux fins de déterminer le revenu net retenu que le travailleur pourrait tirer de l'emploi convenable qu'il devient capable d'exercer à plein temps, la Commission évalue le revenu brut annuel que le travailleur pourrait tirer de cet emploi en le situant dans une tranche de revenus et en considérant le revenu inférieur de cette tranche comme étant celui que le travailleur pourrait tirer de cet emploi convenable.
Cependant, si la Commission croit que le revenu brut annuel que le travailleur pourrait tirer de l'emploi convenable qu'il devient capable d'exercer à plein temps est supérieur au maximum annuel assurable établi en vertu de l'article 66, elle considère que ce revenu brut annuel est égal au maximum annuel assurable.
La Commission publie chaque année à la Gazette officielle du Québec la table des revenus bruts annuels d'emplois convenables, qui prend effet le 1er janvier de l'année pour laquelle elle est faite.
Cette table est faite par tranches de revenus dont la première est d'au plus 1 000 $ à partir du revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur le 1er janvier de l'année pour laquelle la table est faite, la deuxième de 2 000 $ et les suivantes de 3 000 $ chacune jusqu'au maximum annuel assurable établi en vertu de l'article 66 pour cette année.
Le revenu supérieur de la première tranche de revenus est arrondi au plus bas 500 $.
__________
1985, c. 6, a. 50.
[21] Cette indemnité réduite peut être révisée par la CSST dans les circonstances prévues aux articles 54 et 55.
[22] Dans tous les cas, lorsque le travailleur a droit à une indemnité de remplacement du revenu (complète ou réduite) pour plus d’un an, cette indemnité est revalorisée à chaque année, à la date anniversaire de la lésion professionnelle :
117. Le montant du revenu brut annuel qui sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu, y compris aux fins de l'article 101, et le montant du revenu brut annuel que la Commission évalue en vertu du premier alinéa de l'article 50 sont revalorisés chaque année à la date anniversaire du début de l'incapacité du travailleur d'exercer son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 117.
[23] Cette revalorisation s’effectue en multipliant le montant revalorisé par le rapport entre l’indice des prix à la consommation de l’année courante et celui de l’année précédente (article 119). Ce calcul est prévu aux articles 120 à 123.
[24] Que ce soit lors de la révision de l’indemnité ou de la revalorisation de celle-ci, la CSST doit appliquer et retenir les tables des indemnités de remplacement du revenu et la situation familiale prévues par l’article 64 :
64. Lorsque la Commission révise une indemnité de remplacement du revenu, détermine un nouveau revenu brut en vertu de l'article 76 ou revalorise le revenu brut qui sert de base au calcul de cette indemnité, elle applique la table des indemnités de remplacement du revenu qui est alors en vigueur, mais en considérant la situation familiale du travailleur telle qu'elle existait lorsque s'est manifestée la lésion professionnelle dont il a été victime.
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1985, c. 6, a. 64.
Revalorisation annuelle : les éléments dont doit tenir compte la CSST
[25] Selon les dispositions de la loi précitées, la CSST doit, pour effectuer son calcul, tenir compte :
1) du revenu brut annuel retenu lors de la lésion professionnelle ;
2) du revenu brut annuel retenu que pourrait rapporter l’emploi convenable, dans le cas de l’indemnité de remplacement du revenu réduite (art. 50) ;
3) de l’indice des prix à la consommation (art. 119) ;
4) de la situation familiale du travailleur au moment de la lésion professionnelle (art. 64).
[26] Comme toute forme d’indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu (art. 45), la CSST doit nécessairement calculer celle-ci selon l’article 63 de la loi. En effet, c’est le seul article de la loi qui prescrit comment ce calcul doit se faire et la CSST est tenue de respecter la méthode prévue.
[27] Les alinéas 2, 3 et 4 de cet article stipulent que la CSST publie chaque année une table des indemnités de remplacement du revenu, laquelle indique les revenus bruts par tranche de 100 $, les situations familiales et les indemnités de remplacement du revenu correspondantes (soit 90 % du revenu net retenu).
[28] Cette table, modifiée à chaque année, aura donc divers impacts selon les modifications législatives adoptées par les deux paliers de gouvernement : fédéral (Loi de l’impôt sur le revenu, Loi sur l’assurance-emploi) et provincial (Loi sur les impôts, Loi sur le régime de rentes et depuis janvier 2006, Loi sur l’assurance parentale).
[29] Comme le souligne le procureur de la CSST, il y aura nécessairement un effet direct sur les indemnités des travailleurs puisque, si le revenu imposable diminue à cause des taux d’imposition, l’indemnité de remplacement du revenu augmente. À l’opposé, si le revenu imposable augmente, les indemnités diminueront avec plus ou moins d’effet selon le revenu brut annuel d’emploi retenu au départ.
[30] Il faut souligner d’autre part que ce revenu brut annuel d’emploi, qui est celui que le travailleur gagnait au moment de la lésion professionnelle, demeurera toujours le même, sous réserve de la revalorisation, peu importe les changements aux conditions de travail qui auraient pu le modifier si le travailleur avait continué d’occuper cet emploi.[2]
[31] Devant donc prendre en considération ces quatre éléments lors de la revalorisation, la CSST doit utiliser la méthode prévue à l’article 64 de la loi pour procéder au calcul. Cet article indique que la CSST doit appliquer la table des indemnités en vigueur au moment de la revalorisation, laquelle est adoptée par règlement et tient compte des modifications législatives effectuées par les gouvernements fédéral et provincial, et retenir la situation familiale du travailleur comme elle existait lorsque s’est manifestée la lésion professionnelle.
[32] Les travailleuses contestent l’interprétation et l’application que fait la CSST de l’article 64 lors de la revalorisation de leur revenu en 2005, au motif que le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu effectué par la CSST est contraire à la lettre et à l’objet de la loi parce qu’il ne tient plus compte de leur situation familiale de « travailleur avec enfant mineur à charge », ce qui a pour effet de réduire l’indemnité à laquelle elles ont droit.
[33] Est-ce que la revalorisation du revenu brut qu’effectue chaque année la CSST en vertu des articles 117 et 119 de la loi, qui a amené la CSST à calculer à nouveau l’indemnité de remplacement du revenu en appliquant le Règlement sur la table des indemnités de remplacement du revenu pour l’année 2005[3] qui ne prévoit plus la situation familiale de « travailleur avec enfant mineur à charge », est contraire à l’article 64 qui exige que la CSST tienne compte d’une telle situation familiale?
[34] Pour répondre à cette question, il faut prendre en considération qu’en décembre 2004, le gouvernement provincial adoptait une nouvelle mesure fiscale de « Soutien aux enfants », laquelle remplace l’allocation familiale, la réduction d’impôt à l’égard des familles et le crédit d’impôt pour enfant à charge à compter du 1er janvier 2005[4]. Cette loi ne modifiant pas la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la méthode de calcul du revenu net retenu demeure donc la même.
[35] Comme la CSST adopte par règlement chaque année une table des indemnités de remplacement du revenu, c’est donc en tenant compte de ces modifications fiscales de 2005 que le règlement fut adopté. Cette table indique, selon le statut familial des travailleurs et le nombre de personnes à charge, le montant de l’indemnité de remplacement du revenu[5] qui leur est payable selon leur revenu brut annuel. L’indemnité de remplacement du revenu tient donc compte des différentes lois fiscales et des différentes situations familiales énumérées.
[36] La nouveauté de cette table est que l’on n’y parle plus de personne à charge, comme c’était le cas depuis 1985, mais de personne majeure à charge. C’est donc dire que le revenu net obtenu pour établir le montant de l’indemnité de remplacement du revenu ne tient plus compte des enfants mineurs à charge déclarés par les travailleurs au moment où s’est manifestée la lésion professionnelle.
[37] Dans une décision rendue le 4 décembre 1987[6], la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles estime que l’expression « situation familiale du travailleur » que l’on retrouve à l’article 63 de la loi est indissociable des mots « pour tenir compte de l’impôt sur le revenu payable en vertu de la Loi sur les impôts et de la Loi concernant les impôts sur le revenu ».
[38] Ainsi, selon cette décision, les situations familiales énoncées au Règlement sur la table des indemnités de remplacement du revenu sont celles établies en fonction des personnes à la charge du travailleur au sens des lois fiscales.
[39] Si l’on applique ce raisonnement aux cas sous étude, à partir du moment où une personne ne peut plus être considérée comme étant une personne à charge au sens de ces lois, elle ne fait plus partie des situations familiales à prendre en considération dans le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu. Formulé autrement, il faut comprendre que si la situation familiale de contribuable avec enfant mineur à charge n’existe plus en vertu des lois sur l’impôt, elle n’existe pas plus en vertu de la présente loi. Si la situation familiale ne donne plus aucun droit en vertu de la Loi sur l’impôt, elle n’en donne plus en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[40] Cependant, cette situation familiale existe (contribuable avec enfant(s) mineur(s) à charge) et donne des droits en vertu d’une nouvelle loi, soit la loi qui introduit des mesures de soutien aux familles, en l’occurrence, une aide financière (le « paiement de Soutien aux enfants » - non imposable) à toutes les familles qui ont un enfant de moins de 18 ans à leur charge.
[41] Toutefois, dans les cas sous étude, on l’a vu, ces modifications législatives entraînent, vu les tables adoptées qui ne tiennent plus compte des enfants mineurs à charge, une baisse de l’indemnité de remplacement du revenu.
[42] Vu la définition du concept de revalorisation, cela peut surprendre puisqu’il semble qu’il ne peut être question que d’une augmentation de l’indemnité de remplacement du revenu et jamais d’une baisse[7]. En fait, ce principe est exact dans la mesure où c’est le revenu brut qui va être indexé, comme l’indique clairement l’article 117, donc augmenté. Ce n’est pas l’indemnité de remplacement du revenu qui doit être indexée. Mais comme ce revenu brut doit être traduit en revenu net pour établir l’indemnité de remplacement du revenu qui correspond à 90 % de ce revenu net (art. 45), il y a donc le nécessaire passage par les tables d’indemnités alors en vigueur et adoptées en conformité avec les déductions prévues par l’article 63.
[43] Il en est de même pour le revenu brut annuel estimé de l’emploi convenable, ce qui, par soustraction, donnera le montant de l’indemnité de remplacement du revenu réduite (art. 49). Cela explique pourquoi, comme en l’espèce, malgré l’indexation, l’indemnité diminue.
[44] Cela n’implique pas, de l’avis du tribunal, que ces nouvelles dispositions fiscales aient un effet rétroactif sur la situation familiale des travailleuses même si, en 1993 (ou 1996) et en 2005, dans le cas de madame Phillips, elle avait un enfant mineur à charge et que ses prestations ont été calculées, de 1990 à 2004, comme « célibataire avec une personne à charge » et en 2005, comme « célibataire sans personne majeure à charge ».
[45] En effet, la situation familiale est cristallisée dans le temps, peu importe ce qui arrive ensuite (ex : l’enfant devient majeur, le travailleur a d’autres enfants, en adopte, divorce, a un conjoint, etc.). En effectuant la revalorisation en 2005, il ne s’agissait pas de modifier la situation familiale de madame Philips ou de madame Richard, mais de l’actualiser en fonction des modifications apportées à d’autres lois, comme ce fut le cas d’ailleurs en 1994, lorsque furent introduites les situations de « conjoint à charge » et de « conjoint non à charge » que l’on ne retrouvait pas auparavant.
[46] Certes, à première vue, on peut penser que les situations familiales énumérées aux nouvelles tables depuis 2005 ne respectent pas la lettre de l’article 64, mais elles en respectent certainement l’esprit, puisque l’article 64 ne peut se lire seul, il faut inévitablement retourner à l’article 63.
[47] Les procureurs des travailleuses prétendent que la CSST aurait dû adopter une table, en 2005, avec la situation « travailleur avec un enfant mineur à charge » et demandent à la Commission des lésions professionnelles de lui ordonner de le faire.
[48] Le tribunal souligne que le pouvoir d’adopter des règlements sur cette question précise est expressément dévolu à la CSST par le législateur. La Commission des lésions professionnelles ne peut, en tant que tribunal administratif, ordonner à la CSST d’adopter ou de modifier un règlement.
[49] De toute façon, cela n’aurait été qu’un exercice théorique puisque les montants inscrits à la table des indemnités de remplacement du revenu pour la catégorie « travailleur avec un enfant mineur à charge » auraient été les mêmes que ceux de la colonne « travailleur sans personne majeure à charge », vu les déductions fiscales maintenant disparues.
[50] La Commission des lésions professionnelles estime donc que ce ne sont pas les situations familiales des travailleuses qui ont été modifiées en 2005, mais les lois fiscales qui ne leur donnent plus droit à certaines déductions et qui ont un effet sur le calcul de leur indemnité de remplacement du revenu. Elles sont toujours indemnisées sur la base d’un enfant mineur à charge ou, en d’autres termes, sans enfant majeur à charge, ce qui correspond à leur réalité respective au moment de la survenance de la lésion professionnelle.
[51] Les calculs effectués lors de la revalorisation annuelle sont donc conformes à la loi.
[52] Concernant certaines questions plus particulières aux présents cas, notamment quant au fait que madame Richard aurait vu son indemnité de remplacement du revenu réduite modifiée à la baisse à deux reprises en 2005, il y a lieu d’examiner sa situation en regard des dispositions précitées.
[53] En effet, la première modification qui a eu lieu en février 2005 a été faite parce que madame Richard occupait un emploi rémunérateur et qu’était arrivée la « date anniversaire » de sa capacité à exercer l’emploi convenable déterminé deux ans auparavant. Les conditions d’ouverture de cette révision étaient donc remplies, puisque l’article 54 prévoit cette échéance de deux ans.
[54] La deuxième modification à l’indemnité effectuée le 24 mars 2005 correspond à la revalorisation annuelle de l’indemnité comme le prescrit l’article 117 qui, comme on l’a vu, retient comme date anniversaire celle du début de l'incapacité à exercer l’emploi occupé lors de la lésion professionnelle. La lésion professionnelle de madame Richard étant survenue le 24 mars 1999, il s’agissait alors pour la CSST de respecter les prescriptions de l’article 117.
[55] Toujours à cette même date anniversaire, la CSST doit également revaloriser le revenu brut retenu estimé de l’emploi convenable (article 50), ce qui peut entraîner des modifications au montant de l’indemnité de remplacement du revenu réduite, parfois à la hausse, parfois, comme en l’espèce, à la baisse, selon le pourcentage retenu en fonction de l’indice des prix à la consommation ou selon les tables adoptées annuellement.
[56] Ce ne sera pas à chaque année qu’il y aura un recalcul de l’indemnité à deux reprises puisque la prochaine révision doit se faire, comme le prévoit l’article 55, trois ans après cette première révision et à tous les cinq ans par la suite.
[57] La CSST était donc bien fondée, dans le cas de madame Richard, de revoir le montant de l’indemnité de remplacement du revenu en février et mars 2005.
[58] Concernant madame Phillips, son procureur souligne que la date retenue par la CSST pour la revalorisation annuelle n’est pas la bonne, puisqu’une récidive, rechute ou aggravation a été reconnue postérieurement à celle du 6 octobre 1993, soit le 29 octobre 1996, lorsque la travailleuse a dû subir une sympathectomie.
[59] Sur ce point, le tribunal doit lui donner raison, puisque le texte de la loi indique bien que c’est à la date anniversaire de la lésion professionnelle entraînant une incapacité que la revalorisation doit se faire. Comme la récidive, rechute ou aggravation est une lésion professionnelle, c’est effectivement à la date de celle-ci que le calcul aurait dû se faire. Il y a donc lieu de retenir la date du 29 octobre dans le cas de madame Phillips lors de l’application de l’article 117 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 262882-05-0505
REJETTE la requête de madame Nancy Richard;
DÉCLARE que le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu fait dans l’avis de paiement du 31 mars 2005 est conforme à la loi.
Dossier 277688-63-0512
ACCUEILLE en partie la requête de madame Cynthia Phillips;
MODIFIE la décision rendue le 30 novembre 2005 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu fait dans l’avis de paiement du 13 octobre 2005 doit être effectif en date du 29 octobre 2005;
DÉCLARE par ailleurs que ce calcul est conforme à la loi.
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Luce Boudreault |
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Commissaire |
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Francine Mercure |
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Commissaire |
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Bernard Lemay |
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Commissaire |
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Me François Fisette |
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GÉRIN, LEBLANC ET ASS. |
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Représentant de madame Nancy Richard |
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Me André Laporte |
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LAPORTE & LAVALLÉE |
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Représentant madame Cynthia Phillips |
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Me François Bilodeau |
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PANNETON LESSARD |
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Représentant de la partie intervenante |
[2] Fortier et Hôpital St-Julien, [1991] C.A.L.P. 01; Cyr et Bombardier inc., [1993] C.A.L.P. 1545 ; Labrie et Multisodas inc., C.L.P. 88635-01-0705, 19 juin 1998, J.-G. Roy; Auclair et Déco signalisation inc., C.L.P. 205331-63-0304, 8 septembre 2003, J.-M. Charrette; Thériault et Provigo (Div. Maxi & Cie), C.L.P. 115392-63-9904, 28 novembre 2000, R.-M. Pelletier.
[3] Règlement sur la table des indemnités de remplacement du revenu pour l’année 2005, (2004) 136, G.O. II, 5544.
[4] Loi donnant suite au discours sur le budget du 30 mars 2004 afin d’introduire des mesures de soutien aux familles ainsi qu’à certains autres énoncés budgétaires (projet de loi 70) L.Q. 2005, c. 1 et Loi sur les impôts, L.R.Q., c. I-3.
[5] 90 % du revenu net retenu pour 2005.
[6] Hôtel-Dieu de Rivière-du-Loup et Lafresnaye, [1987] C.A.L.P. 660 .
[7] Leblanc et Comptoir Emmaus Inc., 250361-31-0411, 28 février 2005, P. Simard.
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