DÉCISION
[1]
Le 23 janvier 2001, Fertek inc. (l’employeur) dépose une
requête à l’encontre d’une décision de la révision administrative de la
Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) datée du 18 décembre
2000. Cette décision confirme une
décision de la CSST du 2 décembre 1999 qui refuse la demande de
l’employeur d’appliquer l’article
[2] L’employeur est représenté à l’audience.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[3]
L’employeur demande à la Commission des lésions
professionnelles, en application de l’article
LA PREUVE
[4] Claude Jacques, né le 12 juillet 1944, occupe un poste de cadre à titre de directeur de l’entretien des équipements (directeur de maintenance) chez l’employeur.
[5] Le 14 mars 1999, il fait une chute au travail et se blesse aux épaules. Sa réclamation est d’abord refusée par la CSST puis acceptée après reconsidération le 14 juin 1999.
[6] Entre l’événement du 14 mars 1999 et du 8 octobre 1999, date où il subit une chirurgie pour une déchirure de la coiffe de l’épaule droite, il occupe son travail habituel.
[7] André Simoneau, directeur de la production chez l’employeur, témoigne à l’audience. Claude Jacques travaille sous sa supervision pendant toute la période pertinente à l’analyse du dossier. Monsieur Simoneau décrit le travail de Claude Jacques chez l’employeur. À titre de directeur de la maintenance, Claude Jacques fait les achats des pièces par téléphone pour l’entretien des équipements de l’employeur (50 % du temps). Il fait le travail clérical qui en découle : il rédige des rapports, s’occupe de la comptabilité et prépare des bons de commande (25 % du temps). Il fait du dessin assisté par ordinateur. Il répartit le travail aux cinq mécaniciens sous sa supervision (25 % du temps).
[8] Michel Roy, qui s’occupe de la gestion des dossiers santé et sécurité au travail chez l’employeur depuis 1987, témoigne à l’audience. C’est lui qui a géré le dossier de Claude Jacques depuis l’accident du 14 mars 1999.
[9] Lorsque l’employeur a su que le travailleur allait subir une chirurgie à l’épaule, il a déménagé l’ordinateur du bureau du travailleur à sa résidence personnelle et lui a fourni un téléphone cellulaire, pour qu’il puisse continuer à faire son travail de chez lui.
[10] Le 8 octobre 1999, le jour de la chirurgie subie, est un vendredi. Le 11 octobre 1999, le lundi suivant, selon les relevés du téléphone cellulaire fournis à Claude Jacques, il a travaillé ce jour-là.
[11] Suite à cette chirurgie, le travailleur n’a jamais cessé son travail régulier. À l’occasion, c’est monsieur Simoneau qui s’est chargé de répartir le travail aux mécaniciens qui relèvent de Claude Jacques, lors de situations urgentes, comme il le faisait d’ailleurs déjà avant la lésion professionnelle.
[12] Avec l’aménagement de son poste de travail (l’ordinateur chez lui et son téléphone cellulaire), Claude Jacques a poursuivi toutes ses tâches. Aucune indemnité de remplacement du revenu de la CSST ne lui a été versée puisque l’employeur a toujours continué à lui verser son salaire régulier, puisque Claude Jacques n’a jamais cessé de travailler.
[13] Suite à la chirurgie du 8 octobre 1999, Claude Jacques venait régulièrement au bureau. Les premières semaines post-chirurgie, c’est son épouse qui conduisait la voiture. La chirurgie ne l’empêchait pas de faire son travail mais l’empêchait de conduire sa voiture. Il s’absentait pour suivre des traitements de physiothérapie.
[14] Le 29 juin 2000, Claude Jacques subit une deuxième chirurgie à l’épaule. À cette époque, l’employeur a remplacé l’ordinateur de monsieur Jacques par un plus puissant et l’a livré à son domicile. Le 30 juin 2000, un vendredi, est un jour férié (Fête du Canada). Claude Jacques est en congé comme les autres travailleurs de l’entreprise.
[15] Le lundi 3 juillet 2000, Claude Jacques a repris son travail régulier, mais de chez lui, comme lors de la première chirurgie. Son épouse le conduisait régulièrement chez l’employeur les premières semaines car la chirurgie l’empêchait de conduire sa voiture mais pas d’effectuer son travail régulier.
[16] Suite à cette deuxième chirurgie, le travailleur n’a reçu aucune indemnité de remplacement du revenu de la CSST, puisqu’il n’a jamais cessé de travailler. Il n’a jamais été remplacé chez l’employeur et a toujours exécuté l’essentiel de ses tâches.
[17] La lésion professionnelle de Claude Jacques est consolidée le 22 décembre 2000 et le 10 mai 2001, la CSST décide que malgré les limitations fonctionnelles résultant des chirurgies, Claude Jacques est capable d’exercer son emploi prélésionnel.
[18]
Entre-temps, le 29 novembre 1999, l’employeur demande à la
CSST d’appliquer l’article
[19]
Le 2 décembre 1999, la CSST refuse la demande de l’employeur
en précisant que, dans les cas d’assignation temporaire au même poste de
travail avec tâches modifiées, l’article
[20]
Le 13 décembre 1999, l’employeur demande la révision de cette
décision en précisant qu’il ne s’agit pas d’une assignation temporaire, que
monsieur Jacques effectue son travail régulier. La seule différence est qu’il travaille 80 % de son temps à la
maison plutôt que de se présenter au bureau.
Il est disponible en tout temps pour se présenter au bureau au
besoin. L’employeur l’a muni de tous
les équipements nécessaires pour un télétravail efficace et productif à partir
de son domicile. L’employeur demande
l’application de l’article
[21] Le 18 décembre 2000, la révision administrative de la CSST confirme la décision du 2 décembre 1999 pour les mêmes motifs. Cette décision précise que le médecin traitant, dans un rapport médical du 12 octobre 1999, autorise le travailleur à faire un travail léger à domicile. La révision administrative en conclut que le travailleur est assigné à des travaux légers depuis.
L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[22]
Le procureur de l’employeur rappelle qu’en aucun temps le
travailleur n’a été assigné temporairement à un autre emploi, conformément aux
dispositions de l’article
[23] La preuve révèle que le travailleur a exécuté pour l’essentiel l’ensemble de ses tâches pendant toute la période pertinente, soit du 14 mars 1999 jusqu’à la décision portant sur sa capacité d’exercer son emploi prélésionnel.
[24] Les deux chirurgies ont eu lieu avant une fin de semaine. Ces circonstances ont permis au travailleur de poursuivre son travail régulier
[25] Il soumet que le travailleur n’a jamais été incapable de faire son travail même s’il a été incapable, pendant une certaine période, de conduire un véhicule automobile.
[26]
Il réfère la Commission des lésions professionnelles à des
décisions qui concluent que dans la mesure où un travailleur ou une
travailleuse est capable d’exercer l’ensemble ou la majorité de ses fonctions
suite à une lésion professionnelle, il ou elle est considéré(e) capable
d’exercer son emploi. L’article
[27] Il demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure que les coûts d’assistance médicale, y compris les frais accessoires telle l’indemnité de déplacement pour recevoir les traitements, ne doivent pas être imputés au dossier de l’employeur mais plutôt à toutes les unités d’employeurs.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[28]
La Commission des lésions professionnelles doit décider si
l’article
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
[…]
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
________
1985, c. 6, a. 327.
[29]
La simple lecture de l’article
- la lésion professionnelle ne rend pas le travailleur incapable d’exercer son emploi au delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée sa lésion;
- le travailleur, malgré sa lésion professionnelle, occupe son emploi régulier.
[30] En vertu de cette disposition, la durée de la période de consolidation de la lésion professionnelle n’a aucune incidence quant à son application. Retenir la durée de la consolidation pour décider d’appliquer l’article 327, paragraphe 2, comme semble l’avoir fait la CSST, a pour effet d’ajouter au texte de la Loi un critère qui ne s’y retrouve pas.
[31] La Commission des lésions professionnelles doit donc examiner si le travailleur a été en mesure d’exercer son emploi régulier malgré la lésion professionnelle subie le 14 mars 1999.
[32] Jusqu’à la première chirurgie du 8 octobre 1999, il ne fait aucun doute que le travailleur effectue son emploi régulier, au bureau de l’employeur, malgré sa lésion professionnelle.
[33]
La question que soulève le présent dossier est de déterminer
si le fait pour l’employeur, de fournir un équipement et des outils de travail
à un travailleur, lui permettant d’exercer son emploi régulier de son domicile,
pendant une certaine période de temps, empêche l’application de l’article
[34] La preuve établit que le travailleur accomplit pendant toute la période pertinente, l’ensemble de ses tâches liées à ses fonctions, et pendant une période, de son domicile, grâce aux équipements fournis par l'employeur. Seules certaines situations qui nécessitent l’assignation d’un mécanicien pour réparer un bris, sont moins sous le contrôle du travailleur. Cependant, même avant la lésion professionnelle, monsieur Simoneau se charge à l’occasion de ces situations.
[35]
La Commission des lésions professionnelles s’est déjà penchée
sur des situations de faits semblables, aux fins d’établir les principes qui
doivent guider l’application de l’article
[36] Dans l’affaire Institut de réadaptation en déficience physique du Québec[2], la Commission des lésions professionnelles conclut qu’une physiothérapeute qui a subi une tendinite à l’épaule gauche et qui doit suivre des traitements de physiothérapie permet l’application de l’article 327, paragraphe 2, puisque la preuve révèle que l’employeur a réaménagé ses tâches de façon à respecter les restrictions imposées par son médecin traitant quant à l’utilisation du membre affecté. Le respect de cette prescription du médecin traitant n’a pas pour effet de dénaturer l’essentiel du travail habituellement exercé par la travailleuse.
[37] Dans l’affaire Hôtel-Dieu de Lévis et CSST[3], il s’agit d’une technologue en radiologie, victime d’une entorse au poignet droit, qui doit suivre des traitements de physiothérapie, et qui continue à effectuer ses tâches en évitant de faire certains gestes. La Commission des lésions professionnelles conclut :
« 17. L’article 327 , paragraphe 2, de la LATMP s’applique au présent dossier. En effet, la travailleuse a subi une lésion professionnelle qui a nécessité une assistance médicale tout en ne rendant pas la travailleuse incapable d’exercer son emploi. Ce qu’il importe de retenir, dans l’"idée de capacité d’exercer son emploi", c’est que cette travailleuse a pu continuer de faire son travail normal, qu’elle a été payée sur une base normale et qu’elle n’a pas été remplacée dans son travail ni affectée à d’autres tâches. De plus, elle n’a pas reçu d’indemnité de remplacement du revenu. »
[38] Ce principe avait déjà été retenu par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles dans l’affaire Cité de la santé de Laval et CSST[4].
[39] Dans le présent cas, la preuve permet de conclure que le travailleur, malgré la lésion professionnelle, a été en mesure de poursuivre son emploi régulier.
[40]
L’employeur n’a jamais procédé à une assignation temporaire
prévue à l’article
[41]
Le fait que l’employeur ait fourni de l’équipement pour
permettre un télétravail et la poursuite du travail à partir du domicile du
travailleur, ne constitue pas une fin de non-recevoir à l’application de
l’article
[42]
La finalité de l’article
[43] La CSST doit imputer aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations d’assistance médicale, y compris les frais accessoires, relié à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 14 mars 1999.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Fertek inc.;
INFIRME la décision de la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail datée du 18 décembre 2000;
DÉCLARE que tous les coûts d’assistance médicale reliés à la réclamation de Claude Jacques pour la lésion professionnelle subie le 14 mars 1999 doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités.
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Me
Line Vallières |
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Commissaire |
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Lavery, De Billy (Me
Carl Lessard) |
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Représentant de la partie requérante |
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