Décision

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Décision

Ngo c. Arakaki inc.

2016 QCRDL 21172

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

Nos dossiers :

274353 31 20160427 G

274360 31 20160427 G

Nos demandes :

1987405

1987432

 

 

Date :

16 juin 2016

Régisseure :

Linda Boucher, juge administrative

 

Vinh Ho Ngo

 

Locateur - Partie demanderesse

(274353 31 20160427 G)

(274360 31 20160427 G)

c.

Arakaki Inc.

 

Locataire - Partie défenderesse

(274353 31 20160427 G)

et

 

Christian Levasseur

Locataire - Partie défenderesse

(274360 31 20160427 G)

 

 

 

 

 

D É C I S I O N

 

 

Logement portant le numéro civique 5104, Lacombe, Montréal.

[1]      Le 27 avril 2016, le locateur dépose une demande de résiliation de bail et éviction de la locataire ainsi que de tous les autres occupants des lieux loués, exécution provisoire de la décision nonobstant l’appel.  Aussi, la condamnation de la défenderesse à des dommages matériels (2 610,69 $) plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., ainsi que sa condamnation aux frais judiciaires.

[2]      Le 24 mai suivant, le locateur amendait sa requête introductive d’instance afin de réclamer, alternativement, l’annulation du bail mais aussi des dommages moraux (5 000 $), plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. (dossier 274353)

Logement portant le numéro civique 5106, Lacombe, Montréal.

[3]      Le 27 avril 2016, le locateur dépose une demande de résiliation de bail et éviction du locataire ainsi que de tous les autres occupants des lieux loués, exécution provisoire de la décision nonobstant l’appel, ainsi que sa condamnation aux frais judiciaires. (dossier 274360)

[4]      Ces deux dossiers ont été réunis afin d'être entendus en même temps et jugés sur la même preuve conformément à l'article 57 de la Loi sur la Régie du logement.


Les baux

[5]      Le mandataire du locateur fait valoir que M. Christian Levasseur s’est présenté au locateur pour louer deux logements soit le 5104 et le 5106 de la rue Lacombe.

[6]      2 baux ont été signés.

[7]      Le premier visant le 5104 devait servir à loger l’amie de M. Levasseur, une certaine Arakaki.

[8]      M. Levasseur agissant par le biais de la société Arakaki Inc. dont il appert qu’il est le premier actionnaire et l’administrateur selon le relevé de CIDREC exhibé à l’audience.

[9]      C’est ainsi que Arakaki inc. agissant par son représentant Christian Levasseur et le locateur se sont lié par un bail du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015 au loyer mensuel de 1 160 $.  Ce bail a été reconduit jusqu’au 30 juin 2016 au loyer mensuel de 1 185 $.

[10]   Le second bail visant le 5106 devait servir de domicile personnel à M. Levasseur, selon les représentations de celui-ci.

[11]   Ainsi, Christian Levasseur et le locateur se sont liés par un bail du 1er août 2014 au 30 juin 2015 au loyer mensuel de 1 160 $ reconduit jusqu’au 30 juin 2016 au loyer mensuel de 1 185 $.

[12]   Dans les 2 cas, le loyer est quérable.

[13]   Les 2 logements sont respectivement situés au premier étage et au rez-de-chaussée de l’immeuble du locateur.  Un troisième locataire occupe la garçonnière du sous-sol.

Les faits

[14]   Le fils du locateur, son mandataire, déclare que durant les premiers mois du bail tout semblait normal.

[15]   Les 2 logements en question étaient occupés à des fins résidentielles et conformément à la représentation faite au bail. Le locateur allait quérir le loyer à tous les mois.

[16]   Puis, M. Levasseur a demandé la permission de plutôt aller porter le loyer, ce qui est apparu pratique pour le locateur qui a accepté.

[17]   Toutefois, au fil des mois, celui-là s’est aperçu d’un va-et-vient dans les logements.

[18]   Après enquête, il découvre que M. Christian Levasseur personnellement ou par un tiers ou sa société Roominex, loue les logements à des gens de passage selon la formule Airbnb.

[19]   Une abondante preuve matérielle démontre les efforts de M. Levasseur sur de multiples plates-formes pour louer les chambres des logements à des touristes en quête de ce genre d’accommodation.

[20]   À la suite d’un dégât d’eau que lui a rapporté le locataire de la garçonnière, il se rend inspecter les dommages, puis chacun des logements du dessus afin de découvrir la source de l’infiltration.

[21]   Il finira par découvrir qu’il s’agit d’un mauvais usage d’une laveuse à linge.

[22]   Il découvre alors qu’aucun des locataires mentionnés aux baux des 5104 et 5106 n’occupent les lieux, mais que les logements servent bel et bien à des voyageurs de passage.

[23]   Des indications aux touristes sont affichées dans les logements et des serrures ont été ajoutées aux portes des chambres à coucher.

[24]   Constatant ce fait, l’assureur du locateur met fin à sa police et celui-ci est forcé de chercher couverture auprès d’un autre assureur, mais à un prix beaucoup plus élevé, les logements étant considérés comme des lieux commerciaux.

[25]   Le 4 juin 2015, le locateur met le locataire Levasseur en demeure de cesser de louer les logements, mais sans résultats.

[26]   Le locateur demande au tribunal de résilier les baux pour changement de destination des lieux loués non prévu au bail et négocié entre les parties.


[27]   Le mandataire fait valoir que le locateur subi un préjudice sérieux en raison du changement d’usage des lieux loués.  Les touristes de passage sont peu soucieux de l’entretien des lieux et sont déjà responsables de dégâts d’eau pour lesquels des réclamations ont été faites aux assureurs et dont M. Levasseur se désintéresse complètement.  De plus, le coût de l’assurance a plus que doublé lui causant un préjudice économique sérieux.

[28]   Plus avant, au sujet de l’augmentation des frais d’assurance, le mandataire démontre que la police habitation de 2 026,31 $ est passée à 4 637,12 $ en raison des activités commerciales que mène M. Levasseur dans les logements.

[29]   Une différence de 2 610,81 $ que le locateur réclame au locataire.

[30]   Au chapitre des dommages moraux, le mandataire du locateur déclare que ce dernier vit du stress en raison de la situation.

[31]   Ainsi peut-on résumer la preuve, laquelle n’est pas contestée.

Le droit

[32]   Le locateur fonde essentiellement ses demandes sur l’article 1856 du Code civil du Québec, lequel stipule ce qui suit :

« 1856.      Ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destina­tion du bien loué.»

[33]   Le phénomène de la transformation de logements résidentiels en site de location de type Airbnb est relativement récent, mais a toutefois fait l’objet de décisions du tribunal, dont une impliquant M. Levasseur.

[34]   Ainsi, dans l’affaire Mathieu St-Germain c. Christian Levasseur, la juge administrative Claudine Novello conclut de la preuve prépondérante que M. Levasseur a détourné l’usage résidentiel d’un logement pour en faire un établissement commercial géré par son entreprise Roominex.

[35]   Encore là c’est un dégât d’eau qui a mis la puce à l’oreille du locateur.

[36]   Le tribunal conclut :

« De plus et nonobstant ce qui précède, la preuve prépondérante démontre que le locataire a fait défaut à ses obligations en changeant la destination du bien loué, en modifiant sa vocation résidentielle en un usage commercial. Il fait aussi défaut d'entretenir et d'user du bien loué de manière raisonnable et diligente. La preuve justifie également la résiliation du bail pour ces motifs. »([1])

[37]   Cependant, contrairement au cas cité, la preuve démontre ici que durant les premiers mois du bail, les logements ont été occupés conformément à l’entente contractuelle entre les parties.  Il ne sera donc pas question ici de consentement vicié, mais bel et bien d’un changement de destination des lieux loués.

[38]   Dans l’affaire Brigitte Coté c. Benoit Pilon ([2]), le tribunal conclut au changement de destination des lieux loués dans des circonstances similaires à celle en l’instance.

[39]   Après analyse et délibéré, le tribunal conclut aussi que le locataire a changé la destination des lieux loués en cours de bail.

[40]   Ce changement cause au locateur un préjudice sérieux tant au point de vue de ses assurances dont la prime a plus que doublé que par le va-et-vient des touristes et leur négligence dans la tenue des lieux loués en plus du dérangement pour le locataire légitime qui occupe encore l’immeuble.

[41]   Partant, le locateur est bien fondé de se prévaloir de l’article 1863 C.c.Q. ([3]) afin de réclamer la résiliation des baux.


[42]   Au chapitre des dommages moraux, si le stress du locateur n’est pas démontré, il est certain que les agissements du locataire Levasseur et ses répercussions sur l’état des lieux et des inconvénients que doit subir le locateur pour faire respecter le caractère résidentiel de son immeuble sont avérés.

[43]   Pour ces motifs, le tribunal accorde au locateur une somme de 2 000 $ pour dommages moraux.

[44]   Par contre, le tribunal juge la demande du locateur prématurée quant aux dommages matériels qu’il juge insuffisamment déterminés.

[45]   En effet, bien que la preuve démontre que le locateur a été contraint de payer une somme additionnelle de 2 610,81 $ afin de maintenir une assurance sur sa propriété qualifiée de commerciale en raison de l’usage qu’en a fait le locataire Levasseur, il est évident qu’à la suite de l’éviction des locataires, le locateur sollicitera une nouvelle assurance, résidentielle cette fois.

[46]   Sa prime devrait alors être diminuée.

[47]   Nous saurons alors quel fut l’effet réel du changement de destination des lieux loués sur le coût de l’assurance durant la période visée et le locateur pourra alors s’adresser à nouveau devant le tribunal pour réclamer des locataires la différence de prime réellement encourue.

[48]   Ses droits lui seront réservés à cet effet.

[49]   Le préjudice causé au locateur justifie l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Demande 274353

[50]   ACCUEILLE en partie la demande du locateur;

[51]   RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement;

[52]   ORDONNE l'exécution provisoire immédiate de l'ordonnance d'expulsion;

[53]   CONDAMNE la locataire à payer au locateur la somme de 2 000 $ avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 24 mai 2016, plus les frais judiciaires de 100 $;

[54]   RÉSERVE les recours au locateur pour ce qui est de l’augmentation de sa prime d’assurance;

[55]   REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

Demande 274360

[56]   ACCUEILLE la demande du locateur;

[57]   RÉSILE le bail et ORDONNE l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;

[58]   ORDONNE l'exécution provisoire immédiate de l'ordonnance d'expulsion;

[59]   CONDAMNE le locataire à payer au locateur les frais judiciaires de 82 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Linda Boucher

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

Me Josée M. Gagnon, avocate du locateur

Date de l’audience :  

9 juin 2016

 

 

 


 



[1] RL 232775, le 26 janvier 2016 (2016 QCRDL 2804).

[2] RL 176395, le 27 mai 2016, j.a. François Leblanc.

[3] «1863.  L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de deman­der, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent.  Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agis­sant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résilia­tion du bail.

            L'inexécution confère, en outre, au loca­taire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablis­sement du loyer pour l'avenir.»

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