Décision

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Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles

2011 QCCA 858

 

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

No:

500-09-020436-101

 

(450-05-005709-098)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE:

2 mai 2011

 

CORAM:  LES HONORABLES

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

APPELANTE

AVOCAT(S)

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

Me Marie-Anne Lecavalier

Vigneault Thibodeau Giard

 

 

 

INTIMÉE

AVOCAT(S)

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

Me Marie-France Bernier

VERGE, BERNIER

 

 

 

MISES EN CAUSE

AVOCAT(S)

ANNIE GENDRON

 

ECO-PAK ENR. (2948-4292 Québec inc.)

 

 

 

En appel d'un jugement rendu le 27 janvier 2010 par l'honorable Pierre Boily de la Cour supérieure, district de Saint-François.

 

NATURE DE L'APPEL:

Révision judiciaire

 

Greffière : Marcelle Desmarais

Salle: Antonio-Lamer

 


 

 

AUDITION

 

 

9 h 32 Argumentation par Me Marie-Anne Lecavalier.

10 h 03 Argumentation par Me Marie-France Bernier.

10 h 04 Fin de l'argumentation de part et d'autre.

10 h 04 Suspension de la séance.

10 h 15 Reprise de la séance.

PAR LA COUR:

Arrêt - voir page 3.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marcelle Desmarais

Greffière d'audience

 


PAR LA COUR

 

 

ARRÊT

 

 

[1]       L’appelante, la Commission de la santé et sécurité au travail (CSST) se pourvoit contre un jugement prononcé le 27 janvier 2010 par la Cour supérieure, district de St-François (l’honorable Pierre Boily), qui a rejeté sa requête en révision judiciaire de deux décisions rendues par l’intimée, la Commission des lésions professionnelles (CLP), datées du 18 septembre 2007 et du 21 avril 2009.

[2]       Il n’est pas contesté que la norme de révision, en l’espèce, est celle de la décision raisonnable. La Cour suprême, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, mentionne ceci sur le caractère raisonnable[1] :

[47]  […] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[3]       La solution retenue par la CLP fait en sorte que l’employeur, Eco-Pak enr. (Eco Pak), malgré le congédiement illégal de Mme Gendron, se retrouve à ne pas lui verser de salaire alors que c’est l’ensemble des employeurs qui devront supporter les indemnités de remplacement de revenu qui lui ont été versées. La CSST soutient que les décisions de la CLP ont été rendues en contravention avec les principes de la Loi sur la santé et sécurité du travail[2] (LSST) régissant le retrait préventif de la travailleuse enceinte. Pour avoir droit à ce retrait, il faut qu’il y ait un lien d’emploi  entre la travailleuse et l’employeur. En outre,  ce lien d’emploi doit exister de façon réelle pendant toute la durée du retrait, car il n’y a pas de danger au travail sans emploi. Le CSST est d’avis qu’on ne peut permettre à une personne d’être éligible rétroactivement au retrait préventif, comme l’a décidé la CLP.

[4]       Pour qu'il soit possible de réviser les décisions CLP-1 et CLP-2, il faut conclure qu'elles ne sont pas raisonnables. Or, l’examen de la jurisprudence de la CLP révèle que, dans des cas semblables à celui à l’étude, trois solutions différentes ont été retenues au cours des dernières années :

1.   La solution rétroactive : la travailleuse est réintégrée rétroactivement selon l’article 257 LATMP et reçoit 90 % de son salaire en indemnité de retrait versée par la CSST en vertu des articles 36 et 40 LSST (c’est la solution qui a été appliquée en l’espèce).

- Nancy Karchesky et Énergie Cardio, [2004] C.L.P. 878 , Nathalie Côté et Établissement de détention du Québec, AZ-01303894 (CLP).

2.   La solution punitive : la travailleuse est réintégrée et reçoit 100 % de son salaire versé par l’employeur en vertu de l’article 257 LATMP (c’est la solution que demande la CSST).

- Gilbert et Provigo Distribution, division Loblaw's, 2007 QCCLP 5382 , Dufour et Ferblanterie Yvon Lepire inc., C.L.P. no 281245-32-0601, 19 mai 2006, commissaire Carole Lessard.

3.   La solution avec remboursement : la travailleuse est réintégrée rétroactivement (art. 257 LATMP) et reçoit 90 % de son salaire en indemnité de retrait préventif versée par la CSST en vertu des articles 36 et 40 LSST. Conformément au troisième alinéa de l’article 260  LATMP, l’employeur verse alors le 10 % restant à la travailleuse et rembourse l’autre 90 % à la CSST (c’est la solution que suggère la CLP).

- Bossé et Mirinox, 2009 QCCLP 870 (maintenue en révision à la CLP, Bossé et Mirinox, 2009 QCCLP 7512 ).

[5]       On peut donc constater que chaque solution a déjà trouvé application au moins une fois.

[6]       La solution retenue par CLP-1, dans la présente affaire, ne peut pas être qualifiée de déraisonnable. Elle découle du fait que Mme Gendron a été considérée au travail à la date du dépôt du certificat de retrait préventif, le 23 mars 2007, parce que le conciliateur décideur a annulé le congédiement et l'a réintégrée rétroactivement au 9 mars 2007.

[7]       Les décisions CLP-1 et CLP-2 ont comme résultat qu'Eco-Pak ne verse que cinq jours de salaire et que l'indemnité de retrait préventif est supportée par l'ensemble des employeurs. Il faut toutefois souligner que si Mme Gendron n'avait pas été congédiée, elle aurait également eu droit à l'indemnité de retrait préventif.  En effet, on peut retenir de la preuve qu’aucun poste n’était disponible pour une réaffectation. L'ensemble des employeurs ne subit donc pas de préjudice.

[8]       Il serait sans doute préférable, comme le reconnaît la CLP, que ce soit à l'employeur ayant congédié illégalement une salariée d'indemniser cette dernière, mais là n'est pas la question. La CLP a d'ailleurs, tel que mentionné, déjà appliqué l'interprétation préconisée par la CSST.

[9]        Le conflit jurisprudentiel qui semble exister à la CLP ne peut pas justifier, non plus, la révision judiciaire des décisions CLP-1 et CLP-2.

[10]       La Cour suprême reconnaît le principe selon lequel un conflit d’interprétation n’entraîne pas automatiquement le droit d’obtenir la révision judiciaire d’une décision[3] :

[…] Normalement, l'élaboration d'un courant jurisprudentiel se fait par les décideurs effectifs suite à un ensemble de décisions. Le tribunal saisi d'une question nouvelle peut ainsi rendre un certain nombre de jugements contradictoires avant qu'un consensus ne se dégage naturellement. Il s'agit évidemment d'un processus plus long; rien n'indique cependant que le législateur ait voulu qu'il en soit ici autrement. Dans cette optique, je suis d'avis qu'il est particulièrement important que les personnes saisies d'une affaire soient celles qui décident.

[11]       Dans l'arrêt Domtar inc. c. Québec, la juge l'Heureux-Dubé mentionne qu’en l'absence d'unanimité au sein d'un tribunal administratif n'est pas un motif autonome de contrôle judiciaire[4] :

[…] Si le droit administratif canadien a pu évoluer au point de reconnaître que les tribunaux administratifs ont la compétence de se tromper dans le cadre de leur expertise, je crois que l'absence d'unanimité est, de même, le prix à payer pour la liberté et l'indépendance décisionnelle accordées aux membres de ces mêmes tribunaux.  Reconnaître l'existence d'un conflit jurisprudentiel comme motif autonome de contrôle judiciaire constituerait, à mes yeux, une grave entorse à ces principes.  Ceci m'apparaît d'autant plus vrai que les tribunaux administratifs, tout comme le législateur, ont le pouvoir de régler eux-mêmes ces conflits.  La solution qu'appellent les conflits jurisprudentiels au sein de tribunaux administratifs demeure donc un choix politique qui ne saurait, en dernière analyse, être l'apanage des cours de justice.

[12]       Comme c’était le cas dans l'arrêt CSST c. Fontaine[5], les divergences d'interprétation, qui par ailleurs ne dénaturent pas la LSST, se retrouvent au sein d'un même tribunal administratif, la CLP. En conséquence, « les moyens de cultiver la cohérence décisionnelle par concertation et délibération internes sont donc plus à la portée des décideurs que ce ne pouvait être le cas dans Domtar »[6].

[13]       En l'espèce, le juge de première instance n’a pas erré en décidant que les décisions de la CLP étaient raisonnables. Comme le soulignent les juges LeBel et Bastarache, dans Dunsmuir[7], « certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables»[8]. La CLP aurait pu conclure autrement, mais les décisions ne sont pas pour autant déraisonnables.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[14]       REJETTE l’appel, sans frais.

 

 

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 



[1]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 , 2008 CSC 9 , paragr. 47 [Dunsmuir].

[2]     Loi sur la santé et sécurité du travail, L.R.Q., c. S-2.1.

[3]     Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952 , 974, cité dans Domtar inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756 ; voir également CSST c. Fontaine, 2005 QCCA 775 ; CSST c. CLP et 164630 Canada inc., 2007 QCCA 203 .

[4]     Domtar inc. c. Québec, ibid., 800.

[5]     CSST c. Fontaine, supra, note 3.

[6]     Ibid., paragr., 64.

[7]     Dunsmuir, supra, note 1 paragr. 47.

 

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