Décision

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Excellence (L'), compagnie d'assurance-vie c

Excellence (L'), compagnie d'assurance-vie c. St-Jacques

2009 QCCA 2354

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-018617-084

(500-17-026681-059)

 

DATE :

 Le 9 décembre 2009

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

JACQUES A. LÉGER, J.C.A.

 

 

L'EXCELLENCE, COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE

APPELANTE - Défenderesse

c.

 

MAURICE ST-JACQUES

INTIMÉ - Demandeur

 

 

ARRÊT

 

 

 

[1]                LA COUR; - Statuant sur l’appel d’un jugement rendu le 27 mars 2008 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Suzanne Courteau), qui déclare l'intimé en situation d'invalidité totale à compter du 25 septembre 2002 et ordonne à l'appelante de lui payer en conséquence une prestation mensuelle de 2 200 $ pour la durée des protections;

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré ;

[3]                L’appelante conteste qu’il puisse s’agir d’une invalidité totale au-delà du 24 avril 2003, date à laquelle son expert, le Dr Alain Roy, a procédé à l’évaluation de la condition médicale de l’intimé. Non seulement ne partage-t-elle pas l’avis de la juge de première instance lorsque cette dernière conclut à l’invalidité totale de l’intimé, mais elle propose un calcul des prestations d’invalidité différent du montant établi par la juge. Enfin, elle oppose à l’intimé la clause de perte du droit aux prestations d’invalidité puisqu’il occuperait un travail rémunérateur.

[4]                La juge de première instance retient de la preuve médicale que l'intimé ne peut fournir, depuis qu'il s'est blessé, le 20 août 2002, sa pleine prestation de travail dans son entreprise de plomberie. D’ailleurs, tant l'expertise médicale du Dr. Roy que celle du Dr. Gilbert Thiffault, expert retenu par l’intimé, concluent dans ce sens, la seule différence entre leurs opinions tenant au pourcentage d'incapacité permanente à effectuer la charge de travail de bureau que l'intimé assumait auparavant, le premier l’estimant à 40%, le second, entre 20 et 30 %.

[5]                D'ailleurs, voici en quels termes l’expert de l’appelante, le Dr. Roy, qualifie les limitations qu’impose à l’intimé sa condition (expertise du 28 avril 2003) :

À notre avis, Monsieur ne peut demeurer en position assise prolongée et il ne peut demeurer debout plus de 5 à 10 minutes et il ne peut se déplacer sur un terrain accidenté. Il ne peut monter et descendre des escaliers ou encore des échelles ou des échafauds et par conséquent il ne peut plus faire la supervision de chantier, il ne peut faire l'inspection des travaux et il ne peut faire les tâches de commissionnaire. En fait, Monsieur ne peut que gérer sa compagnie et faire les soumissions sur plan. Par conséquent, nous croyons qu'il peut accomplir 40 % de travail administratif seulement.

[6]                La juge donne tout son sens à la définition d’invalidité totale au contrat d’assurance, soit l’incapacité « d’accomplir les fonctions de son occupation régulière ». En effet, appliquant cette définition aux faits de l’espèce, elle constate que les occupations régulières de l’intimé lorsqu’il a souscrit au contrat d'assurance ne ressemblent en rien à ce que ce dernier est maintenant capable d’accomplir. Comme seule l’incapacité d’accomplir les fonctions de son occupation régulière est pertinente pour déterminer si l’assuré est en situation d’invalidité totale, l’incapacité de l’intimé à pouvoir exécuter de façon substantielle les tâches qu’il accomplissait auparavant dans son entreprise suffit à établir son état d’invalidité totale aux fins du contrat d’assurance. La conclusion de la juge à cet égard trouve appui dans la preuve et ne souffre d’aucune erreur révisable.

[7]                Par ailleurs, le jugement dont appel confirme le droit de l’intimé à percevoir des prestations mensuelles de 2 200 $. L’appelante propose plutôt un calcul des prestations qui produit un résultat différent.

[8]                Dans une lettre à l’intimé, le 26 novembre 2004, l’appelante reconnaît que la prestation admissible correspond à sa prestation assurée, soit 2 200 $. Toutefois, référant à la clause du contrat précisant l’objet de la garantie, elle l’informe que « les prestations vous sont accordées à partir du 25 septembre 2002 jusqu’à la date de l’expertise, soit le 24 avril 2003. ». Puis, l’assureur procède à des calculs pour établir que l’intimé n’a droit qu’à des prestations de 80,60 $ par mois, du 25 septembre au 31 décembre 2002 et de 1 497,38 $ par mois, du 1er janvier 2003 au 24 avril 2003. Le calcul de ces prestations est fonction de l’analyse des états financiers de la compagnie de l’intimé. Enfin, la lettre informe l’intimé que pour la période après le 24 avril 2003, elle le considère en situation d’invalidité partielle et lui octroie, en conséquence, la somme de 814 $ par mois pour les douze mois suivants. Et alors prend fin, selon l’assureur, son obligation envers l’intimé.

[9]                Quant au calcul de l'indemnité ou de la perte de revenus, la juge est d'avis que le contrat est ambigu. Elle fait d'ailleurs état des difficultés que pose l'interprétation du contrat rédigé par l'assureur et relève de nombreux éléments qui sont sources d'ambiguïté. Elle constate que l'appelante s'autorise de méthodes de calcul qui ne font pas partie du contrat et ajoute :

[118]    De plus, le Tribunal considère que la clause intitulée Objet de la protection concernant l'assurance-invalidité est ambiguë. Il est utile de la répéter :

« Sous réserve des dispositions de la présente protection et de celles du contrat, lorsqu'un assuré devient totalement invalide à la suite d'une maladie ou d'un accident entraînant une perte de revenus, l'Assureur verse à celui-ci les prestations mensuelles telles que prévues à la section - montant de la prestation mensuelle -, sous réserve du délai de carence et jusqu'à concurrence des maximums et de la durée indiquée au Sommaire des protections choisies. »

[119]    À la lecture, cette clause pourrait signifier que la maladie ou l'accident doivent avoir causé une perte de revenus, entraînant le versement de prestations mensuelles, ou encore que l'assureur versera des prestations mensuelles en tenant compte des pertes de revenus causées par la maladie ou l'accident.

[…]

[123]    Même la proposition d'assurance, seul document signé par l'assuré, peut mener à croire à une prestation garantie lorsque l'imprimé au formulaire réfère à l'expression « Montant des garanties ».

[124]    Nulle part dans tout ce contrat d'assurance l'assureur indique-t-il, de quelque façon, que les prestations mensuelles devront être calculées en tenant compte de la perte de revenus subie par l'assuré. À vrai dire, tout le contrat d'assurance laisse comprendre le contraire !

(Références omises)

(les mots en caractères gras apparaissent ainsi au jugement dont appel)

[10]           Confrontée à un contrat ambigu, la juge se penche d'abord sur les engagements et affirmations de l'assureur qui, selon elle, laissent croire à plusieurs égards à une intention qui milite en faveur du droit de l'assuré au montant des prestations indiquées au sommaire des protections choisies par l'intimé. Elle cite à cette fin la lettre du président de l'appelante au moment de transmettre à l'intimé son contrat d'assurance :

L'Excellence, Compagnie d'assurance-vie s'engage à verser les prestations indiquées au Sommaire des protections choisies et selon les conditions énoncées dans le contrat.

Veuillez vous reporter au Sommaire des protections choisies qui représente les garanties auxquelles vous avez droit.

(le texte en caractère gras apparaît ainsi dans la lettre)

[11]           Puis, la juge, empruntant à la règle d'interprétation contra proferentem, conclut que, lorsque par suite d'une maladie ou d'un accident entraînant une perte de revenus, l'assuré devient totalement invalide au sens du contrat, l'assureur est tenu de lui verser les prestations mensuelles garanties, soit les prestations décrites à la section du contrat intitulé montant de la prestation mensuelle, en fonction de la durée indiquée au sommaire des protections choisies.

[12]           Obligée de jongler avec les termes d'un contrat d'assurance-invalidité ambigu, la juge lui donne une interprétation qui s'harmonise avec sa teneur lorsqu'elle confirme que le montant des prestations mensuelles est de 2 200 $. Toutefois, s'il est exact d'affirmer que l'intimé n'a pas déclaré, à la section 16 de la proposition d'assurance, être propriétaire de l'entreprise, il l'a indiqué tout de même à la section 3 du même document, en cochant la case « non indexée » à côté des mots « Moins de 20 % (et propriétaires) ».

[13]           Bien qu'on ne puisse prendre appui sur la définition de « Membre propriétaire », comme la juge le fait, pour affirmer que les prestations mensuelles auxquelles l'intimé a droit sont garanties, puisqu'en vertu de sa proposition d'assurance du 4 mars 1997, l'intimé ne s'est pas assuré à ce titre, ayant plutôt choisi d'être couvert par le programme s'adressant aux membres effectuant moins de 20 % de travaux manuels, l'ambiguïté du contrat décrite au jugement dont appel demeure entière lorsqu'il s'agit de déterminer le montant de la prestation mensuelle à laquelle a droit l'intimé.

[14]           En référant notamment à la proposition d'assurance remplie par l'intimé et aux représentations de l'assureur dans la lettre couverture jointe à la transmission du contrat d'assurance-invalidité (Programmes de Protection Personnalisées), la conclusion voulant qu'en cas d'invalidité totale l'intimé ait droit à des prestations mensuelles de 2 200 $ est bien fondée.

[15]           En effet, le montant des garanties apparaissant à la section protections choisies de la proposition d'assurance remplie par l'intimé et signée par ce dernier le 4 mars 1997, est de 2 000 $ pour une prime mensuelle de 131,60 $, sans autre réserve de la part de l'assureur. Si, à l'origine, le montant des garanties était de 2 000 $, à l'évidence, ce montant avait été augmenté à 2 200 $, comme l'attestent à la fois la lettre de l'appelante à l'intimé du 26 novembre 2004 et le formulaire de confirmation du courtier d'assurance de 2005, sous le titre « sommaire de vos protections ». L'argument de l'ultra petita doit donc être écarté.

[16]           L'appelante réfère, toutefois, aux termes du contrat pour le calcul du montant des prestations mensuelles. Et c'est là que les choses s'embrouillent!

[17]           La clause du contrat prévoyant le montant des prestations mensuelles est ainsi rédigée :

Montant des prestations mensuelles :

Le montant des prestations mensuelles pour le membre et l'employé équivaut au moins élevé des deux (2) montants suivants :

i           La prestation mensuelle qui, selon le Tableau des garanties disponibles de la page25, correspond à l'Établissement du revenu annuel pour les fins de la présente protection; ou

ii           La prestation mensuelle prévue sur le sommaire des protections choisies de l'assuré et pour laquelle les primes ont été payées.

Si vous détenez une prestation garantie, vous avez droit au montant accordé par l'Assureur à la suite de votre proposition d'assurance.

[18]           L'appelante établit le montant de la prestation mensuelle par un savant calcul comportant une analyse des états financiers de l'entreprise de l'intimé. Elle préconise une méthode de calcul qui ne se retrouve pas au contrat et qui, difficilement, peut s’en inférer. Ses calculs font appel à une utilisation du tableau intitulé « Tableau des garanties disponibles » qui relève davantage de sa compréhension du contrat que de sa teneur. Or, comme la juge le constate, l’interprétation que donne l’appelante à cette clause du contrat et au tableau auquel elle réfère pour justifier sa détermination du montant des prestations ne trouve pas d'assise dans le contrat. À tout le moins, la méthode de calcul suggérée par l’assureur suscite un doute.

[19]           Constatant l'ambiguïté du contrat, la juge pouvait raisonnablement retenir, comme prestation mensuelle, le montant des garanties, soit 2 200 $. Bien que l'assurance-invalidité vise généralement à compenser une perte, rien ne fait obstacle, en l'absence d'une clause susceptible d'une seule interprétation, à ce que, dans le cas d'une invalidité totale, le montant des prestations soit égal au montant des garanties de la Proposition d'assurance. L'interprétation donnée par la juge se défend d'autant que le contrat offre, par ailleurs, une telle couverture aux membres propriétaires.

[20]           Enfin, l'appelante invoque l'application de la clause de perte du droit aux prestations d'invalidité prévues au contrat. Selon elle, l'intimé perd le bénéfice aux prestations réclamées à titre d'invalidité totale puisqu'il exerce un travail rémunérateur. Il aurait, toutefois, droit aux prestations d'invalidité partielle.

[21]           Cette interprétation de l'assureur est difficilement conciliable, voire incompatible, avec la notion d'invalidité totale s'appliquant à l'intimé, soit celle pour « le membre [couvert par l'assurance groupe] effectuant moins de 20 % de travaux manuels ».

[22]           Opposer cette clause à l’intimé, comme le suggère l’appelante, viderait la notion d’invalidité totale de toute application, puisque, au sens du contrat d’assurance, l’invalidité totale se caractérise ou se définit par l’incapacité de l’assuré « d’accomplir les fonctions de son occupation régulière ». D’ailleurs, l’appelante n'évoque pas cette clause lorsqu’elle écrit à l'intimé, le 26 novembre 2004, pour lui faire part du montant des prestations auxquelles il a droit, selon elle, pour la durée de l’incapacité totale qu’elle lui reconnaît. À l’évidence, l’appelante ne semblait manifestement pas épouser l’interprétation du contrat qu’elle avance maintenant. La clause de perte du droit aux prestations d'invalidité ne peut donc être opposée à l'intimé, encore moins dans les circonstances révélées par la preuve.

[23]           Pour toutes ces raisons, il n'y a pas lieu d'intervenir et le pourvoi doit être, en conséquence, rejeté.

[24]           POUR CES MOTIFS :

[25]           REJETTE l'appel, avec dépens.

 

 

 

 

 

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES A. LÉGER, J.C.A.

 

Me Jacques Waite

Me Roxanne Turcotte

Avocats de l'appelante

 

Me Alain Tremblay

Ouellet, Nadon , Cyr, Cousineau, Gagnon, Tremblay

Avocat de l'intimé

 

Date d’audience :

 Le 1er décembre 2009

 

AVIS :
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