Décision

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     LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
     DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
     QUÉBEC    MONTRÉAL, le 30 avril 1997

     DISTRICT D'APPEL  DEVANT LA COMMISSAIRE :Me Monique Billard
     DE MONTRÉAL

     RÉGION: Montérégie   AUDITION TENUE LE :21 octobre 1996
     DOSSIER:
     63099-62-9410

     DOSSIER CSST:
     095996393 À :              Montréal
     DOSSIER BR:
     61516102
     _____________________________________________________________

     DÉCISION RELATIVE À UNE  REQUÊTE PRÉSENTÉE EN VERTU DE  L'ARTICLE
     
 
406
  DE LA  LOI  SUR LES  ACCIDENTS DU  TRAVAIL  ET LES  MALADIES
     PROFESSIONNELLES, (L.R.Q., chapitre A-3.001).
     

MARCEL GARIÉPY 1056, boul. Nobert Longueuil (Québec) J4K 2N4 PARTIE REQUÉRANTE et CANADIEN PACIFIQUE Case postale 6042 Succursale Centre-Ville, bureau 344 Montréal (Québec) H3C 3E4 LA COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL - MONTÉRÉGIE 25, boul. Lafayette, 5e étage Longueuil (Québec) J4K 5B7 PARTIES INTIMÉES D É C I S I O N Le travailleur, monsieur Marcel Gariépy, demande la révision pour cause de la décision rendue le 10 juin 1996 par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) le 29 mars 1996 qui déclare que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) était justifiée de suspendre, à compter du 7 octobre 1993, l'indemnité réduite de remplacement du revenu; déclare que le travailleur a recouvré le 29 janvier 1996 son droit de recevoir l'indemnité réduite de remplacement du revenu et ordonne à la Commission de verser au travailleur l'indemnité réduite de remplacement du revenu due à compter du 29 janvier 1996.

Les motifs invoqués au soutien de la demande du travailleur sont énoncés dans la requête soumise le 10 juin 1996 par le procureur du travailleur et se lisent comme suit : «1. Le jugement quoique daté du 29 mars 1996 ne fût reçu par l'avocate du travailleur que le 15 avril 1996, en conséquence le délai de 60 jours est respecté; 2. Le Commissaire Me Alain Archambault a commis une erreur manifeste et déterminante ne décidant que le revenu tiré par le travailleur d'une activité «illicite» est un revenu d'entreprise tel que défini par la jurisprudence ou un revenu d'emploi tel que défini dans la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles (ci-après nommé la LATMP); 3. Le Commissaire Me Alain Archambault a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que le revenu tiré d'une activité «illicite» était un revenu au sens de la LATMP permettant ainsi au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'inclure dans son revenu, lors du calcul de l'indemnité à lui être versée en vertu des articles 45 et suivants LATMP, des sommes d'argent gagnées au noir ou des sommes d'argent provenant d'une activité «illicite»; 4. Le Commissaire Me Alain Archambault a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que vu la nature même des activités «illicites», il ne pouvait retenir les prétentions du travailleur à l'effet que celles-ci s'étaient soldées par une perte financière alors qu'une preuve documentaire et testimoniale non contredite et corroborée par la preuve de la Commission de la Santé et de la Sécurité du Travail (ci-après nommé la CSST), venait établir que ses activités «illicites» s'étaient soldées par une perte financière d'au-delà de 100,000.00 $; 5. Le Commissaire Me Alain Archambault a commis une erreur manifeste et déterminante en décidant que le travailleur avait posé des gestes physiques alors qu'il s'adonnait à son activité «illicite» et que ceci pouvait avoir une incidence sur son droit aux bénéficies de la loi au sens de l'article 278 LATMP, alors que la preuve produite à l'audience est à l'effet contraire; 6. Le Commissaire Me Alain Archambault a commis une erreur manifeste et déterminante en décidant que ce n'est qu'à l'audience tenue le 29 janvier 1996 que le travailleur a vraiment informé la CSST de tout changement dans sa situation qui peut influer sur un droit que la présente loi lui confère ou sur le montant de l'indemnité et que c'est à compter de cette date que le travailleur a recouvré son droit de recevoir l'indemnité réduite de remplacement du revenu alors que la preuve produite à l'audience démontre que le défaut a cessé en février 1994; 7. De plus, cette conclusion est insoutenable en droit considérant que le travailleur n'est nullement responsable des délais causés pour obtenir une audition à la CALP. Or, si hypothétiquement, l'audience aurait été tenue à une date antérieure au 29 janvier 1996, le travailleur aurait pu recouvrir ses prestations à compter de cette date; 8. Le Commissaire Me Alain Archambault a commis une erreur manifeste et déterminante dans l'interprétation des articles 142 , 143 et 278 LATMP, en décrétant que le travailleur avait l'obligation d'informer la CSST que le motif qui a justifié la suspension des indemnités n'existait plus;» Le procureur du travailleur invoque de plus lors de l'audition que le premier commissaire a commis plusieurs autre erreurs de droit manifestes en ce que : - il a omis de considérer des éléments de preuve qu'il a écartés sans en étudier le mérite, particulièrement ne retenant pas que les activités «illicites» du travailleur s'étaient soldées par un perte financière d'au-delà de 100,000,00 $; - que la décision n'est pas assez motivée, le commissaire ne révélant pas la raison pour laquelle il n'a pas considéré certains éléments de preuve démontrant une perte financière; - que les deux motifs ci-dessus constituent un manquement aux règles de justice naturelle particulièrement au droit d'être entendu; - que les motifs du commissaire à la page 43 de sa décision sont à l'effet qu'il croit le travailleur, ceci allant à l'encontre de sa décision; - que le commissaire a commis une erreur d'interprétation des dispositions législatives et sans s'appuyer sur la jurisprudence relative à ces dispositions; - que le commissaire a commis une erreur d'appréciation des faits et de la preuve, sa propre interprétation n'étant pas conforme à la loi ni à la jurisprudence; - qu'en omettant des éléments de preuve, à savoir la preuve de la perte financière confirmée par le témoignage du policier lors de l'audience, il y a manquement aux règles de justice naturelle particulièrement au droit d'être entendu; - que le commissaire n'a pas motivé correctement sa décision et qu'il devait dire qu'il ne croyait pas les témoignages rendus; - que le commissaire n'a pas fait l'analyse de la preuve et qu'en conséquence sa décision n'est pas suffisamment motivée; - que le commissaire devait retourner le dossier en première instance; il n'a pas tenu compte de la preuve faite devant lui.

Le procureur de l'employeur quant à lui argumente que la décision du premier commissaire ne donne pas lieu à la requête en révision pour cause en vertu des articles 403, 405 et que seul l'erreur de droit ou de fait manifeste donne lieu à la révision pour cause de l'article 406, et que cette erreur manifeste doit être visible à la face même de la décision, donc à la simple lecture de la décision dont on demande la révision. Pour déterminer s'il y a erreur de droit ou de fait manifeste on doit se rapporter à la question en litige devant le premier commissaire. Cette question était de savoir si la Commission avait le droit de suspendre le paiement d'une indemnité (article 142) et si l'obligation de divulgation de tout changement dans la situation d'un travailleur (article 278) s'applique à l'indemnité réduite de remplacement du revenu (article 52).

Selon le procureur de l'employeur, l'ensemble même de la décision du premier commissaire porte sur ces dispositions législatives, le premier commissaire ayant conclu que le travailleur avait l'obligation de divulguer ses activités, ce que, n'ayant pas fait, il s'est vu suspendre son droit à une indemnité conformément aux dispositions de l'article 142 de la loi. De plus le premier commissaire n'a commis aucune erreur de faits ayant simplement apprécié la preuve et rendue sa décision en conséquence. Il ne rejette aucune preuve mais apprécie la crédibilité de la preuve faite devant lui et rend sa décision en conséquence. Il s'agit donc d'un appel déguisé et la requête du travailleur doit être rejetée.

Les représentations du procureur de la Commission sont au même effet que celles de l'employeur.

MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit décider s'il y a lieu d'accorder la révision pour cause de la décision rendue par le premier commissaire le 29 mars 1996.

Les articles 403, 405, 406, 407 et 409 de la loi édictent ce qui suit : 403. Un commissaire est compétent pour instruire et décider seul d'un appel qui relève de la juridiction de la Commission d'appel.

La décision du commissaire constitue la décision de la Commission d'appel.

405. Toute décision de la Commission d'appel doit être écrite, motivée, signée et notifiée aux parties et à la Commission.

Cette décision est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

406. La Commission d'appel peut, pour cause, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu.

407. Un commissaire a tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de sa compétence.

Il peut décider de toute question de droit ou de fait.

409. Sauf sur une question de compétence, une action en vertu de l'article 33 du Code de procédure civile (chapitre C-25) ou un recours extraordinaire au sens de ce code ne peut être exercé, et une mesure provisionnelle ne peut être ordonnée contre la Commission d'appel ou l'un de ses commissaires agissant en sa qualité officielle.

Un juge de la Cour d'appel peut, sur requête, annuler sommairement une action accueillie, un bref ou une ordonnance délivré ou une injonction accordée à l'encontre du présent article.

Le législateur consacre le principe de la stabilité juridique des décisions de la Commission d'appel en leur conférant un caractère final et consacre également le principe et de la compétence d'un commissaire pour décider seul d'un appel qui relève de la juridiction de la Commission d'appel ainsi et de décider de toute question de droit ou de fait.

La règle générale est qu'une décision de la Commission d'appel est finale et sans appel. Ce n'est qu'exceptionnellement que la Commission d'appel peut réviser pour cause.

La présente Commission d'appel, ainsi qu'elle l'a déjà exprimé, à l'instar de d'autres commissaires de la Commission d'appel1, est d'avis que le recours prévu à l'article 406 précité de la loi ne doit pas être une occasion d'usurper le pouvoir de surveillance et de contrôle qui n'appartient qu'à la Cour supérieure et qu'il doit être interprété comme un simple recours visant à obtenir la correction d'une erreur flagrante ou manifeste ou encore la rétractation d'une décision.

Dans l'affaire Société canadienne des postes et Raymond Gervais et Commission de la santé et de la sécurité du travail, CALP no.

35746-60-9201, 14 mai 1995, décision non publiée et à laquelle la soussignée souscrivait2 et souscrit toujours sans réserve, le commissaire Michel Duranceau s'exprimait comme suit : «Quand les parties reconnaissent qu'une demande de révision ne doit pas être un appel, il ne faut évidemment pas agir en révision justement comme si c'était un appel ou laisser les parties sous l'impression qu'elles peuvent obtenir en révision les mêmes résultats que ceux d'un appel.

Avant de se demander ce qu'il faut comprendre de l'expression «la Commission d'appel peut, pour cause, réviser ou révoquer une décision...», il importe d'établir ce qu'on doit entendre par l'idée d'appel d'une décision.

Le Code de procédure civile prévoit à ses articles 491 à 524 ce qu'est un appel, ce que les parties doivent faire et ce qu'elles visent en allant en appel.

Qu'est-ce qu'un appel ? Dans le dictionnaire Petit Robert, l'appel est défini comme étant «un recours à une juridiction supérieure en vue d'obtenir la réformation d'un jugement».

Dans le Larousse, l'appel est défini comme : 1Commission de la santé et de la sécurité du travail et Paul Enright et Ramada Renaissance du Parc, CALP no. 61746-60-9408, 18 novembre 1996; Forage Dominik (1981) inc. et Haché [1994] CALP 866 .

2Note 1 «un recours, une voie de recours. Cour d'appel et juridiction chargée de juger en appel les décisions des tribunaux de premier degré. Sans appel: irrecevable».

Dans le dictionnaire de la langue française, on définit ainsi l'appel : «terme de procédure. Recours à un juge supérieur. En Cour d'appel.» Dans son traité de droit administratif3, monsieur Patrice Garant explique ainsi la différence entre une juridiction d'appel à comparer à une juridiction qui n'aurait qu'un droit de surveillance ou de contrôle comme la Cour supérieure : «[...] La différence essentielle entre l'appel et les recours traditionnels devant la Cour Supérieure pour lui permettre d'exercer son pouvoir de surveillance et de contrôle est qu'un tribunal d'appel peut substituer sa propre décision à celle de l'organisme dont il y a appel, alors que la Cour Supérieure n'exerce en fait qu'un pouvoir de cassation. [..]» Une partie va en appel pour demander à une Cour de juridiction d'appel d'examiner la preuve qui a été faite dans un dossier, de l'apprécier à la lumière du droit et de renverser la décision rendue s'il y a eu une erreur déterminante en faits ou en droit.

Le législateur, à l'article 405, a décidé qu'il ne pouvait y avoir d'appel à l'encontre d'une décision de la Commission d'appel. Cet article permet donc d'interpréter l'article 406 de la loi et d'y voir de nettes limitations.

Il n'y a pas d'appel d'une décision de la Commission d'appel aux termes de l'article 405 de la loi; il ne faut donc pas que l'article 406 soit utilisé ou interprété de façon à contourner les effets de l'article 405 et permettre d'arriver aux mêmes fins que s'il y avait appel d'une décision rendue.

La faculté reconnue à la Commission d'appel de «réviser pour cause» une de ses décisions ne saurait donc être une forme d'appel à l'encontre d'une décision rendue, un dernier recours offert aux parties ou un nouveau palier décisionnel.

Il ne faut pas voir dans la «révision pour cause» l'occasion de parvenir aux mêmes fins que si l'article 405 n'existait pas. Il ne faut pas utiliser l'article 406 pour faire indirectement ce que l'article 405 de la loi empêche de faire directement.

Quand une partie demande à la Commission d'appel de nommer un nouveau commissaire pour entendre à nouveau les parties et qu'elle attend de ce commissaire qu'il reprenne l'examen de la preuve, réapprécie les faits et le droit et renverse la décision rendue, c'est là une démarche de la nature même de l'appel. Une telle démarche ne peut être acceptée.

Dans une cause de Fortin vs Commission d'appel en matière de lésions professionnelles [1994] CALP 887 , l'Honorable juge Robert Lesage soulignait qu'il fallait voir dans le pouvoir de réviser prévu à l'article 406 de la loi une simple faculté reconnue à la Commission d'appel et non pas une obligation.

Dans une cause de Jarry et Commission des affaires sociales et Régie des Rentes du Québec4, l'Honorable juge Nicole Morneau entendait une requête en révision judiciaire d'une décision rendue par la Commission des affaires sociales qui avait révoqué une décision qu'elle avait elle-même rendue le 3Droit administratif, 3e édition, vol. 1 - Édition Yvon Blais, p. 228 à 230.

4Cour supérieure de Montréal, no. 5000-05-002553- 954, jugement du 6 septembre 1995.

2 mai 1994. La Commission des affaires sociales avait d'abord donné raison à une requérante qui prétendait avoir droit à une rente de conjoint. Puis, par la suite, ayant reçu une demande de révision de la décision rendue de la Régie des rentes du Québec, la Commission des affaires sociales avait confié à deux nouveaux commissaires le soin d'entendre la demande et une décision avait été alors rendue, révoquant la décision rendue le 2 mai 1994 et rendant une nouvelle décision favorable à la Régie des Rentes du Québec.

L'Honorable juge Morneau, s'appuyant sur une décision du juge Boily de la Cour supérieure5 disait ceci : «[...] Le présent tribunal partage entièrement l'appréciation que fait Monsieur le juge Boily de la portée de l'article 24 al. 3 qui ne confère qu'une compétence dite d'exception dont la C.A.S.

ne saurait se servir pour étendre sa compétence selon les circonstances. Elle ne saurait non plus changer d'avis de façon plus ou moins capricieuse.

L'alinéa 3 de l'article 24 de la Loi doit se lire en conjonction avec le deuxième alinéa de l'article 23 qui stipule que les décisions de la Commission des affaires sociales sont finales et sans appel. L'article 24 donne à la C.A.S. un pouvoir de révision ou de révocation à utiliser dans des conditions particulières. Cela ne saurait l'autoriser à siéger en appel de ses propres décisions sans s'exposer à excéder la juridiction lui résultant de l'article 24.» (soulignements du soussigné) Plus loin elle ajoute : « Cette divergence d'opinions du deuxième banc de la C.A.S. suffit-elle à lui donner juridiction pour révoquer la première décision (R-8) comme étant déraisonnable et rencontrant les termes du troisième alinéa de l'article 24 de la Loi? Le tribunal doit répondre par la négative. En outre, comme le rappelle Monsieur le juge André Forget dans l'affaire Maison Ami-Co (1981) Inc. c.

Monette6 : «... Le concept du "manifestement déraisonnable" a été introduit, sauf erreur, dans l'arrêt S.C.F.P. (S.C.F.P. c.

Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227 ). Depuis, les tribunaux se sont appliqués à en circonscrire la portée par l'utilisation des synonymes ou périphrases faisant voir l'extrême sévérité du test: - "clairement abusive; manifestement injuste; absurde; contraire au sens commun; et sans aucun fondement dans l'ensemble de la preuve" (Blanchard c. Control Data, [1984] 2 R.C.S.

476 , 481 (Hon. Juge Beetz)); - le tribunal administratif a la compétence voulue pour se tromper, et même gravement, mais n'a pas celle d'être déraisonnable (Blanchard c. Control Data, ci-haut, p.494 (Hon. juge Lamer)); - "extravagante, criante ou manifestement déraisonnable" (Syndicat des employés de production du Québec c. CCRT, [1984] 2 R.C.S.

412 , 441 (Hon. juge Beetz)); 5Béland vs. Commission de la santé et de la sécurité du travail, 450-05-000615-936, jugement du 14 décembre 1993.

6C.S. de Montréal 500-05-007582-941, 1994-11-2, non rapporté, pp. 28 à 29.

- "aberrante ou manifestement injustifiable ou manifestement déraisonnable" (Shalansky c.

Régina Pasqua Hospital, [1983] 1 R.C.S. 303 (Hon. juge Laskin)); - "un abus de pouvoir équivalant à fraude et de nature à entraîner une injustice flagrante..." (Fraternité des policiers (C.U.M.), [1985] 2 R.C.S. 74 , 80 (Hon. juge Chouinard)); - "dans la mesure où l'erreur de droit ou de fait équivaut à un abus de pouvoir ou à une fraude à la loi..." (Commission de la Fonction publique c. Marchand, [1985] C.A. 47 , 54 (Hon.

juge LeBel)); - "... si fantaisiste et dénuée de fondement..." (Fraternité des policiers de la C.U.M. Inc. c. C.U.M., [1984] C.A. 537 , 540 (Hon. juge Monet)); - "... clairement irrationnelle, c'est-à-dire, de toute évidence non conforme à la raison..." (Procureur général du Canada c. Alliance de la fonction publique, [1993] 1 R.C.S. 941 , 963 (Hon. juge Cory));» (J'ai souligné) Dans la présente affaire, l'on peut tout au plus conclure à une divergence d'opinions ou d'interprétations de la part du deuxième banc de la Commission des affaires sociales qui ne lui permettait pas de s'arroger un pouvoir de révocation réservé aux cas de vice de fond (ou de procédure) de nature à invalider la décision. Il s'agit d'un excès de juridiction de la part de la deuxième commission qui ne peut même pas se targuer de corriger une décision manifestement déraisonnable de la part du premier banc.

(soulignements du soussigné) Devant conclure que la décision rendue par les commissaires Joly-Ryan et Saucier, le 2 mai 1994, n'était pas entachée d'un vice de fond donnant ouverture à la révision prévue à l'article 24 al. 3 de la Loi sur la Commission des affaires sociales et que l'intervention du second banc constitue un excès de juridiction, le tribunal n'a donc d'autre choix que d'intervenir.» Le commissaire soussigné estime qu'il faut tirer de ces décisions la conclusion que le pouvoir de révision prévu à l'article 406 de la loi ne saurait être l'occasion pour la Commission d'appel d'instaurer un nouveau palier décisionnel, de confier à un nouveau commissaire un pouvoir d'annuler la décision d'un autre commissaire en substituant sa propre appréciation des faits ou du droit.

À cause des articles 403 et 405 de la loi, la Commission d'appel ne peut attribuer à un commissaire autre que celui qui a entendu un dossier le droit de disposer de ce dossier; le recours prévu à l'article 406 ne peut qu'être une simple faculté de corriger les erreurs manuscrites ou les incongruités ou de rétracter une décision rendue. C'est ce que décidait la Commission d'appel dans une décision de Succession Laurier Lortie et Les Mines d'or Kiéna Ltée, CALP. no. 15429-08-8911, décision du 12 juillet 1994, requête en évocation rejetée [1995] CALP 462 , en appel C.A.Q. 200-09-000060-9501. La Commission d'appel disait ceci : «L'article 406 doit recevoir une interprétation restrictive et ne permettre que les corrections d'erreurs matérielles ou la rétractation de la décision dans les cas s'apparentant à ceux énoncés à l'article 483 C.p.c.» Dans une cause de Carrier et S.E.C.A.L., CALP no. 26191-02- 9101, la Commission d'appel s'exprimait ainsi : «[...] Dans ce contexte, il est utile de rappeler que les décisions rendues par la Commission d'appel sont finales et sans appel. Ce n'est qu'exceptionnellement que le tribunal peut procéder à une révision de ses décisions et ce, pour un motif particulier et sérieux.

Divers auteurs se sont déjà prononcés sur le caractère extraordinaire de ce recours et le présent tribunal réfère plus précisément à l'opinion du professeur Jean-Denis Gagnon et aux auteurs Dusseault et Borgeat. Le professeur Gagnon s'exprime comme suit: «La révision pour cause» ne doit pas (...) être un moyen «de forcer» les organismes administratifs à rendre leurs décisions conformes aux principes ou règles qui se dégagent de leur dernier jugement, sinon ce serait imposer alors la fixité à la jurisprudence administrative.»7 Les auteurs Dusseault et Borgeat, quant à eux, réfèrent explicitement au professeur Gagnon qui établit une distinction entre ce recours et la révision judiciaire, en ces termes: «Ce procédé de révision administrative ne doit pas être confondu avec celui de «révision judiciaire» ou judicial review qui entraîne l'exercice par les tribunaux judiciaires de leur pouvoir de cassation des décisions illégales (ultra vires) des tribunaux ou organes inférieurs soumis à leur pouvoir de surveillance et de contrôle.»8 Dans leur ouvrage, les auteurs soulignent que ce recours pourrait également être appelé "rétractation pour cause": «Ce procédé de révision, aussi appelé «rétractation pour cause», consiste à demander à un organisme administratif de modifier ou de changer sa propre décision. Il constitue, pour le droit administratif, le pendant de la «requête en rétractation que connaît le droit judiciaire privé.»9 Cette analogie faite au recours en rétractation prévu au Code de procédure civile doit cependant s'interpréter avec une certaine réserve. Les règles relatives au droit civil sont souventes fois différentes de celles en droit administratif et ce, au moins en ce qui a trait à l'utilisation de raccourcis procéduraux, pour permettre à l'adjudicateur de se prononcer sur la problématique fondamentale: «En présence d'allégations d'erreurs de faits et de droit dans une demande de révision administrative, la simple divergence d'opinion sur les faits ne justifie pas une cause pour révision, autrement la première décision cesserait d'être finale et constituerait un appel déguisé devant le même organisme administratif. En ce sens, la révision administrative ne doit pas être assimilée à celle d'une Cour d'appel judiciaire.» La problématique de droit même si elle prête à l'interprétation ne peut faire l'objet d'une intervention par un second commissaire, puisque cela équivaudrait à substituer, au jugement du premier commissaire, l'opinion d'un second 7Gagnon, Jean-Denis; "Recours en droit administratif" [1971] 31 R. du B., 182, 195.

8Dusseault, René et Borgeat, Louis; "Traité de droit administratif", 2e édition, Tome 1, québec, P.U.L. [1984], 2e partie, ch. 1er, note 339.

9Idem, note 19, pages 377-378.

officier de justice de même niveau d'autorité.

Une démarche semblable enfreint les règles relatives à la hiérarchisation des pouvoirs d'adjudication reconnus par l'article 405 de la loi. La Commission d'appel a déjà indiqué qu'une divergence jurisprudentielle ne donne pas ouverture à la révision ou au contrôle judiciaire.10 La procédure de révision ne peut, d'aucune façon, servir à modifier l'interprétation retenue par le premier commissaire de la règle de droit. Cette règle impérative a cours en matière de révision et ce, peu importe le raisonnement suivi par le commissaire pour en arriver à la conclusion qu'il propose.

Le législateur n'a pas jugé souhaitable que le recours en révision pour cause ait pour but de rendre une décision conforme à un courant jurisprudentiel majoritaire, malgré les inconvénients indéniables qu'une telle situation peut susciter. Il en va de l'indépendance même du commissaire et comme l'a constaté la Cour Suprême, cette règle doit primer sur celles relatives à la stabilité et à l'uniformité des décisions.11 Si le législateur avait jugé opportun de cristalliser la jurisprudence, il aurait probablement recommandé au tribunal de constituer un collège d'adjudicateurs pour trancher une question controversée. Il s'agirait d'un niveau supplémentaire d'adjudication et telle n'est pas la solution retenue dans le contexte actuel.12 Encore récemment, la Cour supérieure s'est penchée sur la jurisprudence de la Commission d'appel, relativement à ces dispositions légales et, elle est arrivée à la conclusion suivante: «... la Commission d'appel a également déjà énoncé que l'article 406 ne doit pas permettre de réouvrir (sic) un débat qui l'amènerait à substituer une nouvelle appréciation de la preuve, faite initialement à partir des mêmes éléments de preuve, pas plus qu'une ne doit permettre à une partie de compléter les lacunes de la preuve qu'elle eut l'opportunité de faire valoir en premier lieu. (...) La Commission d'appel a apprécié la preuve, l'a jugé insuffisante, cette appréciation ne comporte pas à sa face même d'erreur flagrante.» Pour les motifs ci-dessus la Commission d'appel conclut qu'elle n'a pas le pouvoir d'exercer la juridiction exclusive de la Cour supérieure et son pouvoir de révision et de contrôle.

Si la présente Commission d'appel avait le pouvoir d'exercer la juridiction exclusive de la Cour supérieure et son pouvoir de révision et de contrôle elle conclurait que la décision du premier commissaire ne contient aucune erreur encore moins d'erreurs de droits manifestement déraisonnables comme le soutient le procureur de l'employeur.

Cependant, comme le commissaire Duranceau l'a si bien exprimé dans la décision précitée, le pouvoir de révision prévu à l'article 406 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne saurait être l'occasion pour la Commission d'appel d'instaurer un nouveau palier décisionnel, de confier à un nouveau commissaire le pouvoir d'annuler la décision d'un autre commissaire en substituant sa propre appréciation des 10Thibault et Acoustique Gaétan Gaudet, décision no. 29221-62-9105, rendue le 23 août 1994, Mildred Kolodny, commissaire.

11[1993] C.A.L.P. 613, décision de la Cour Suprême impliquant la compagnie Domtar, re: quatorze premiers jours.

12Beaulieu, Duranceau.

faits et/ou du droit. À cause des articles 403 et 405 de la loi, la Commission d'appel ne peut attribuer à un commissaire autre que celui qui a entendu un dossier le droit de disposer de ce dossier; le recours prévu à l'article 406 ne peut être qu'une simple faculté de corriger les erreurs manuscrites ou les incongruités ou de rétracter une décision rendue.

De plus, la soussignée s'est déjà prononcée13 à l'effet que : «... Nul n'est mieux placé que le commissaire qui a entendu la preuve en appel et qui a apprécié le droit et les faits, pour déterminer s'il a tenu compte de la preuve qui lui a été présentée au mérite du dossier d'appel et s'il a commis une erreur de faits ou de droit manifeste, qui aurait fait en sorte qu'il rende une décision autre que celle qu'il a rendue en premier lieu.» En conséquence, la présente Commission d'appel estime que le recours approprié dans la présente instance est le recours en évocation qui relève de la compétence exclusive de la Cour supérieure et que la Commission d'appel ne peut usurper par le biais de l'article 406 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Quant aux motifs invoqués par le procureur du travailleur relativement à l'insuffisance de motivation de la part du premier commissaire, la Commission d'appel estime utile de rappeler que la loi exige, par les dispositions de son article 405 ci-dessus reproduit, que la décision de la Commission d'appel doit être motivée, sans plus.

Dans la décision sous étude il y a bel et bien présence de motifs. Ce n'est pas parce que le premier commissaire a motivé en termes brefs et concis sa décision qu'on doit conclure à une décision insuffisamment motivée ou à une absence de motivation de ladite décision.

Il n'appartient pas à la partie qui n'est pas satisfaite de la décision rendue par le premier commissaire d'imposer les termes des motifs ou la façon de motiver une décision et ce n'est pas là un motif donnant ouverture à la révision pour cause prévue à l'article 406 de la loi.

Tous les motifs énumérés à la requête en révision pour cause du travailleur et plaidés lors de l'audience sont du ressort d'un appel déguisé.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES : REJETTE la requête en révision pour cause du travailleur.

Monique Billard commissaire 13Note 1 PASQUIN & ASS.

(Me Chantale Gariépy) 4, rue Notre-Dame Est Montréal (Québec) H2Y 1B7 Représentante du travailleur MARTINEAU, WALKER (Me Jean Yoon) Tour de la Bourse, bureau 3400 Case postale 242, 800 Place Victoria Montréal (Québec) H4Z 1E8 Représentante de l'employeur PANNETON, LESSARD (Me André Breton) 25, boul. Lafayette, 5e étage Longueuil (Québec) J4K 5B7 Représentant de la Commission de la santé et de la sécurité du travail

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.