[1] LA COUR, statuant sur le pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure du district de Montréal prononcé le 11 juin 1997 par l'honorable Louis Tannenbaum qui rejetait la requête en révision judiciaire de l'appelante à l'encontre de deux décisions de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles prononcées respectivement par les intimés Laurent McCutcheon et Sylvie Moreau;
[2] Après étude du dossier, audition et délibéré;
[3] Pour les motifs énoncés dans l'opinion ci-jointe du juge Brossard, auxquels souscrivent les juges Fish et Rousseau-Houle;
[4] ACCUEILLE l'appel;
[5] INFIRME le jugement de la Cour supérieure;
[6] ACCUEILLE la requête en révision judiciaire de l'appelante;
[7] CASSE les conclusions suivantes de la décision rendue le 6 mars 1996 par l'intimé McCutcheon:
«DÉCLARE que la travailleuse a reçu une indemnité de remplacement du revenu sans droit;
«RETOURNE le dossier à la Commission pour qu'elle se prononce sur la question de la récupération de l'indemnité de remplacement du revenu.»
[8] CASSE la décision rendue le 20 janvier 1997, par l'intimée Moreau;
[9] DÉCLARE que la CSST n'a aucun droit de demander le remboursement de l'indemnité de remplacement du revenu reçue par l'appelante pendant la période suivant sa contestation de son assignation temporaire offerte le 16 juin 1995 jusqu'au 4 octobre 1995;
[10] LE TOUT AVEC DÉPENS contre le mis en cause Centre Hospitalier Laurentien tant en Cour d'appel qu'en Cour supérieure.
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OPINION DU JUGE BROSSARD |
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[11] L'appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure (l'honorable Louis Tannenbaum) qui rejette sa requête en révision judiciaire à l'encontre de deux décisions de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la première de l'intimé Laurent McCutcheon et la seconde de l'intimée Sylvie Moreau).
[12] Quant à la première décision, l'appelante conteste les conclusions suivantes du dispositif:
DÉCLARE que la travailleuse a reçu une indemnité de remplacement du revenu sans droit;
RETOURNE le dossier à la Commission pour qu'elle se prononce sur la question de la récupération de l'indemnité de remplacement du revenu.
[13] La seconde décision rejetait sa requête en révision pour cause de la première décision.
[14] Les faits pertinents se résument comme suit:
- l'appelante est victime d'un accident de travail le 22 octobre 1994 et présente une réclamation éventuellement acceptée par la CSST le 18 novembre de la même année. Cette dernière lui reconnaît le droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu pendant la durée de son incapacité de retourner à ses tâches normales;
- ce n'est que le 4 octobre 1995 que la CSST rend une décision à l'effet que l'appelante était devenue apte à exercer son emploi régulier et qu'elle n'avait plus droit, à compter de cette date, à l'indemnité de remplacement du revenu;
- son employeur, pendant la durée de son incapacité, lui offre à quatre reprises des assignations temporaires, sous l'autorité de l'article 179 de la Loi sur les accidents de travail et des maladies professionnelles, soit les 24 octobre 1994, 10 mars 1995, 4 mai 1995 et 16 juin 1995;
- les trois premières assignations temporaires sont acceptées par l'appelante; elle conteste cependant la dernière, en date du 20 juin 1995, pour le motif qu'elle n'accepte pas l'opinion de son médecin traitant quant à ses aptitudes à remplir cette assignation temporaire et parce qu'elle craint que celle-ci aggrave sa condition;
- le 5 juillet 1995, la CSST conclut que la contestation de l'appelante n'est pas justifiée et qu'elle est en mesure d'effectuer l'assignation temporaire offerte par l'employeur mis en cause le 16 juin;
- le 10 juillet, l'appelante demande la révision de cette décision de la CSST par le Bureau de révision;
- parallèlement, soit en date du 21 juin 1995, l'employeur mis en cause dépose auprès de la CSST une demande de réduction ou de suspension de l'indemnité de remplacement du revenu de l'appelante pour le motif que c'est sans justification que cette dernière a contesté son assignation temporaire du 16 juin 1995, le tout en vertu de l'article 142e) de la loi;
- cette demande est rejetée par la CSST, par décision du 14 juillet 1995;
- le même jour, l'employeur mis en cause demande à son tour la révision de cette décision de la CSST qui juge inapplicable l'article 142e) de la loi;
- le 21 juillet 1995, le Bureau de révision paritaire rejette la demande de révision déposée par l'appelante et confirme la décision de la CSST à l'effet que celle-ci était en mesure d'accomplir les tâches auxquelles elle avait été affectée à la suite de l'assignation temporaire du 16 juin 1995;
- le 12 septembre 1995, le Bureau de révision paritaire confirme également, sur dissidence, la décision du 14 juillet 1995 de la CSST de ne pas appliquer les dispositions de l'article 142e) de la loi du fait que l'appelante avait contesté son assignation temporaire selon la procédure prévue à l'article 179 de cette même loi;.
- tant l'appelante que le mis en cause se pourvoient alors en appel devant la Commission intimée des décisions du Bureau de révision paritaire rejetant leurs demandes respectives;
- les deux appels sont réunis pour les fins de l'audition et la CALP (Laurent McCutcheon) disposera des deux dans une seule et unique décision prononcée le 6 mars 1996, à la suite d'une audition tenue le 7 février 1996;
- entre-temps, tel que mentionné, l'appelante avait été déclarée apte par la CSST à retourner à ses tâches régulières à compter du 4 octobre 1995, ce qu'elle avait fait;
- dans sa décision du 6 mars 1996, en plus des deux conclusions déjà précitées, l'intimé McCutcheon avait également confirmé la décision de la CSST à l'effet qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer l'article 142e) de la loi, «compte tenu de la contestation de la travailleuse en vertu de l'article 179 de la loi»;
- dès le 3 avril 1996, la CSST réclame de l'appelante le remboursement d'un montant de 5 079,36$ qu'elle aurait perçu sans droit, à titre d'indemnité de remplacement du revenu, à la suite de son refus d'accepter l'assignation temporaire qui lui avait été offerte le 16 juin 1995;
- épuisant comme il se doit les remèdes prévus par la loi, l'appelante demande à la CALP une révision de la décision de l'intimé McCutcheon du 6 mars 1996;
- par décision de l'intimée Sylvie Moreau du 20 janvier 1997, cette demande de révision est rejetée par la CALP pour le motif que le caractère manifeste d'une erreur de la part de l'intimé McCutcheon n'avait pas été démontré et qu'il n'appartenait pas à un second commissaire de simplement substituer sa propre opinion à celle du premier;
- l'appelante dépose alors une requête en révision judiciaire de ces deux décisions des intimés, laquelle est rejetée par la Cour supérieure par le jugement entrepris.
[15] À mon avis, les seules dispositions pertinentes de la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles à considérer en l'espèce sont les suivantes:
Art. 142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité:
………………….
2° si le travailleur, sans raison valable:
………………….
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;
Art. 179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
363. Lorsqu'un bureau de révision ou la Commission d'appel annule ou réduit le montant d'une indemnité de remplacement du revenu ou d'une indemnité de décès visée dans l'article 101 ou dans le premier alinéa de l'article 102 ou une prestation prévue dans le plan individualisé de réadaptation d'un travailleur, les prestations déjà fournies à un bénéficiaire ne peuvent être recouvrées, sauf si elles ont été obtenues par mauvaise foi ou s'il s'agit du salaire versé à titre d'indemnité en vertu de l'article 60.
430. Sous réserve des articles 129 et 363, une personne qui a reçu une prestation à laquelle elle n'a pas droit ou dont le montant excède celui auquel elle a droit doit rembourser le trop-perçu à la Commission.
[16] L'appelante soulève trois moyens au soutien tant de son pourvoi devant nous que de sa requête en révision judiciaire:
1- le commissaire McCutcheon aurait excédé sa compétence en prononçant les conclusions déclaratoires précitées;
2- de façon subsidiaire, sa décision à cet égard est manifestement déraisonnable en ce qu'elle ne peut rationnellement s'appuyer sur la loi;
3- l'intimée Moreau se devait de réviser la décision de l'intimé McCutcheon étant donné l'excès de compétence et l'erreur manifestement déraisonnable commise par ce dernier.
[17] L'intimée, CALP, ne plaide, quant à elle, que la compétence de l'intimé McCutcheon à prononcer les conclusions déclaratoires en litige et s'en remet aux autres parties quant au caractère juste ou raisonnable des décisions contestées.
[18] Le mis en cause, tout en rejetant, en premier lieu, les moyens invoqués par l'appelante, soulève une autre question de caractère plus procédural mais non moins sérieuse. Il plaide que la décision déclaratoire de l'intimé n'était pas, en elle-même, susceptible de révision judiciaire en ce qu'elle ne comportait aucune ordonnance exécutoire et en ce qu'elle ne faisait que déférer à la CSST la décision ultime de demander le remboursement de l'indemnité de remplacement du revenu. La CSST, en effet, ne serait pas liée de façon absolue par la décision de la CALP et pourrait renoncer d'elle-même à la demande de remboursement. Si elle ne le fait pas, comme ce fut le cas en l'espèce, l'appelante disposait d'un autre recours utile, qu'elle aurait effectivement exercé, soit la demande de révision au Bureau de révision paritaire.
[19] Tel que déjà mentionné, l'appelante prétend que la première décision de la CALP était ultra petita et qu'elle excédait la compétence de cette dernière qui devait se limiter à déterminer si son refus d'accepter l'assignation temporaire était ou non justifié. La décision de la CALP, dans un sens ou dans l'autre, la dessaisissait automatiquement du dossier. D'autre part, elle plaide également le caractère manifestement déraisonnable et irrationnel de la conclusion de cette décision qui viendrait contredire les dispositions claires des articles 179, 142 et 363 de la loi.
[20] Quant à l'argument fondé sur l'incompétence de la CALP, je suis d'avis qu'il y a lieu de retenir l'argument de celle-ci. Son procureur plaide que, vu la demande parallèle de l'employeur selon l'article 142e), et la réunion des deux demandes pour fin d'audition, l'annulation, la réduction ou la suspension du paiement de l'indemnité de remplacement du revenu était alors au cœur du débat qui lui était soumis. Il relevait donc de sa compétence stricto sensu de la considérer.
[21] Ceci, cependant, ne répond pas à l'argument fondé sur l'ultra petita. En effet, une fois rejetée la demande de l'employeur en vertu de l'article 142e), la CALP n'était-elle pas dessaisie de cette question? Pouvait-elle, après avoir rejeté la demande de l'employeur selon l'article 142e), déclarer, du même souffle et dans la même décision, que l'indemnité qu'elle venait de refuser de réduire ou de suspendre avait, par ailleurs, été payée indûment à l'appelante?
[22] Ces deux dernières questions sont intimement reliées à l'argument de fond de l'appelante quant au caractère manifestement déraisonnable des décisions attaquées.
[23] L'argument de l'appelante, à ce sujet, est très simple. Une fois le droit à l'indemnité de remplacement du revenu acquis, les articles 179 et 142 sont clairs, non équivoques et ne nécessitent aucune interprétation. Les mots à l'effet que le salarié qui conteste l'assignation temporaire «n'est pas tenu de faire le travail» …«tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale» signifient nécessairement que son droit de recevoir l'indemnité de remplacement du revenu est maintenu sans réserve durant cette période.
[24] Cet argument serait corroboré par le texte même de l'article 142e) qui prévoit expressément que la CSST peut réduire ou suspendre le paiement uniquement lorsque le salarié omet ou refuse de faire le travail «qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179 …. », ce qui n'est plus le cas, en vertu de ce même article, lorsqu'il a contesté l'assignation temporaire.
[25] D'ailleurs, une telle lecture de l'article 179, situé dans le chapitre traitant de la réadaptation, s'insère dans ou découle nécessairement de la finalité de l'ensemble de la loi dont l'objet est, entre autres, de permettre la réadaptation du salarié de bonne foi et de le protéger contre une aggravation ou récidive qui serait causée par un retour anticipé au travail. C'est pour atteindre cette finalité que le législateur a créé, par son article 179, deux exceptions qui dérogent à toutes les autres dispositions correspondantes de la loi, soit en ce que: 1) le salarié, dans le cas d'assignation temporaire, n'est pas lié par l'opinion de son médecin traitant; 2) le salarié n'est pas tenu de travailler pendant que le processus décisionnel de sa contestation suit son cours.
[26] Quant à l'argument plaidé par le mis en cause qu'une telle application de l'article 179 constituerait une porte ouverte à l'abus, l'appelante soumet qu'il est irrecevable en ce que:
a) la bonne foi des employés doit être présumée[1];
b) l'indemnité de remplacement du revenu est moindre que le salaire; la simple logique exige que le salarié serait donc mieux de percevoir 100% de son revenu sous l'autorité de l'article 180 plutôt que de refuser l'assignation temporaire; son refus d'accepter celle-ci ne vient que confirmer sa bonne foi présumée;
c) par ailleurs, s'il y a mauvaise foi, l'article 363 protège effectivement la CSST et l'employeur.
[27] Ce dernier article, enfin, viendrait confirmer le caractère manifestement déraisonnable, abusif et excessif de la décision de la CALP du 6 mars 1996 puisqu'il stipule expressément que l'indemnité de remplacement du revenu qui aurait été perçue sans droit par un salarié à la suite d'une décision de la CALP annulant ou réduisant le montant de cette indemnité ne peut être recouvré sauf le cas de mauvaise foi. Le mis en cause suggère que cet article ne s'applique pas à une «suspension» du montant de l'indemnité à la suite de l'offre d'une assignation temporaire en vertu de l'article 179. Avec égards, je ne saurais, d'une part, voir la distinction entre une suspension et une annulation temporaire, non plus que, d'autre part, la logique d'une interprétation qui ferait en sorte que le salarié dont l'indemnité serait suspendue serait moins protégé et aurait moins de droits que celui dont l'indemnité est annulée.
[28] Par ailleurs, quant à l'argument du mis en cause, déjà sanctionné par une autre décision de la CALP dont fait état l'intimée Moreau dans sa propre décision, à l'effet que l'article 179 doit être lu comme signifiant que ce serait «à ses risques et périls» qu'un salarié n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale, il me paraît carrément irrecevable. Il s'agirait là non pas d'une interprétation de l'article mais d'un ajout de texte à la loi, manifestement déraisonnable en soi, et de plus contraire à la finalité de cet article dans la mesure où il le rendrait inopérant, en pratique.
[29] Notre Cour, dans un arrêt récent de Desrivières c. Général Motors du Canada[2], sous la plume du juge Chamberland, concluait qu'il est manifestement déraisonnable d'exiger d'un salarié le remboursement d'une indemnité de remplacement du revenu perçue sans droit, à la suite d'une décision défavorable du Bureau de révision paritaire ou de la CALP, dans les cas donnant ouverture à l'application de l'article 363. Il ne s'agit pas là d'une question d'interprétation de la loi mais bien d'un excès de juridiction donnant ouverture à la révision judiciaire. Cet arrêt confirme le caractère définitif de l'octroi de l'indemnité de revenu et le caractère déraisonnable d'une ordonnance d'application rétroactive annulant le droit à cette indemnité et demandant le remboursement de l'indemnité payée indûment, autrement que dans le cas prévu par la loi, à l'article 363, soit la mauvaise foi.
[30] Je suis d'avis que la même conclusion s'impose en l'espèce.
[31] Par ailleurs, les remarques qui précèdent m'amènent logiquement à traiter de l'argument procédural soulevé par le mis en cause, à savoir que la demande de révision judiciaire présentée par l'appelante à l'encontre des décisions de la CALP est prématurée, en tout état de cause, et que c'est la demande de remboursement, confirmée par une décision finale de la CALP ou du Bureau de révision paritaire qui donnerait seule ouverture, selon le cas, à une telle demande.
[32] Comme, en l'espèce, la demande de révision de la décision de la CSST réclamant le remboursement est toujours pendante devant le Bureau de révision paritaire, la présente instance en révision judiciaire serait prématurée.
[33] Selon le mis en cause, l'article 430 de la loi démontrerait que la procédure de remboursement se fait en deux étapes:
1- une première étape où il serait déterminé, comme en l'espèce, que l'indemnité de remplacement du revenu a été reçue sans droit vu le refus injustifié de l'assignation temporaire;
2- deuxième étape où il appartiendrait alors à la CSST de décider:
a) si le salarié était de bonne foi, auquel cas l'article 363 s'appliquerait;
b) si le salarié était de mauvaise foi, auquel cas elle exigerait le remboursement;
c) si le remboursement créerait une iniquité, auquel cas la CSST pourrait discrétionnairement renoncer au remboursement demandé.
[34] En l'espèce, soumet l'intimé, seule une décision définitive rendue dans le cadre de la seconde étape pourrait donner ouverture à une demande de révision judiciaire et non la décision prononcée dans le cadre de la première étape, qui ne décide rien de définitif.
[35] Avec égards, mais sans nécessairement rejeter a priori un tel argument dans d'autres circonstances, je crois qu'il est totalement inapplicable en l'espèce.
[36] Premièrement, la décision de la CSST, dans le cadre de la deuxième étape, est sujette à révision par le Bureau de révision paritaire dont la décision est elle-même susceptible d'appel à la CALP; or, en l'espèce, la CALP s'est déjà prononcée, a déjà conclu que l'indemnité avait été reçue sans droit, et s'est déjà prononcée quant aux droits de la CSST d'en demander le remboursement. Il y aurait donc chose jugée sur le fond.
[37] Deuxièmement, la demande de l'employeur en vertu de l'article 142e) a déjà ouvert la porte à la démonstration que l'appelante, si tel avait été le cas, était de mauvaise foi; la preuve faite permettait à l'intimé McCutcheon, le cas échéant, de se prononcer à ce sujet. De toute évidence, il a au contraire conclu à la bonne foi de l'appelante en rejetant la demande du mis en cause fondée sur l'article 142e).
[38] Troisièmement, la procédure en deux étapes mènerait inévitablement à la conséquence absurde d'imposer une nouvelle réaudition complète sur le mérite du refus de l'appelante, ce qui serait contraire à l'objet et au but de la loi, soit la simplification et la rapidité du processus.
[39] Je suis donc d'avis que l'appelante était justifiée de ne pas attendre de décision définitive sur la demande de remboursement effectivement faite par la CSST et de s'attaquer directement aux décisions des intimés.
[40] Quant à ces décisions, pour les raisons déjà exprimées, et, indépendamment même de notre décision dans l'affaire Desrivières[3], elles me paraissent incontestablement déraisonnables, en ce que:
1- la décision de l'intimé McCutcheon du 6 mars 1996 contredit la lettre et la finalité de l'article 179 de la loi;
2- elle viole le texte même de l'article 363 de la loi en retournant le dossier à la CSST pour que celle-ci prenne la décision «sur la question de la récupération» de l'indemnité dont elle n'a pas le droit de demander le remboursement en vertu de ce même article. L'applicabilité de cet article a été formellement admise par l'avocat du mis en cause, en fin d'audition[4];
3- vu l'applicabilité en l'espèce de l'article 363 de la loi, en l'absence de mauvaise foi, la conclusion retournant le dossier à la CSST, aux fins précitées, constitue une contradiction manifestement déraisonnable de la conclusion précédente qui rejette la demande du mis en cause en vertu de l'article 142e), laquelle constitue, à tout le moins implicitement, une reconnaissance de l'absence de mauvaise foi de l'appelante;
4- le refus de l'intimée Moreau de reconnaître le caractère manifestement déraisonnable de la décision de l'intimé McCutcheon constitue, en lui même, une erreur d'un caractère manifestement déraisonnable.
[41] Pour ces raisons, je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer le jugement entrepris, de casser la décision de l'intimé McCutcheon du 6 mars 1996 et la décision de l'intimée Moreau du 20 janvier 1997 et de déclarer que la CSST n'a aucun droit de demander le remboursement de l'indemnité de remplacement du revenu reçue par l'appelante pendant la période suivant sa contestation de l'assignation temporaire offerte le 16 juin 1995 jusqu'à la date de la fin de son incapacité de reprendre son travail normal et régulier, soit le 4 octobre 1995.
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________________________________ ANDRÉ BROSSARD J.C.A.
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[1] En l'espèce, l'appelante avait effectivement démontré une telle bonne foi en acceptant antérieurement trois offres d'assignation temporaire de son employeur.
[2] J.E. 2000-1270 , 6 juin 2000, Les honorables Chamberland, Robert et Thibault.
[3] Une demande d'autorisation d'appel est pendante devant la Cour suprême du Canada.
[4] Ce dossier a été réuni pour audition commune avec un autre dossier de Murphy c. CALP et al. portant le no 200-09-003067-003 des dossiers de cette Cour (district de Québec), dans laquelle l'avocat du mis en cause a admis l'applicabilité de l'article 363, en l'absence de mauvaise foi, dans un cas de même nature. Dans le présent dossier, invité à dire s'il partageait l'opinion de son confrère, l'avocat du mis en cause a fait la même admission, pour les faits en l'espèce et pour les fins du présent dossier seulement.