Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

3 mai 2005

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

248682-03B-0411

 

Dossier CSST :

126419571

 

Commissaire :

Me Geneviève Marquis

 

Membres :

Jean-Guy Guay, associations d’employeurs

 

Thérèse Blanchet, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Dre Johanne Gagnon

______________________________________________________________________

 

 

 

Isabelle Couture Nadeau

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Couvoir Scott ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 18 novembre 2004, madame Isabelle Couture Nadeau (la travailleuse) dépose par l’intermédiaire de son représentant à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite d’une révision administrative le 10 novembre 2004.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 27 juillet 2004, déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle, le 17 juin 2004, et qu’elle n’a pas droit aux prestations en conséquence.

[3]                Les parties sont présentes et représentées à l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles à Lévis le 5 avril 2005.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision en litige et de déclarer qu’elle a subi une maladie professionnelle, soit une maladie reliée directement aux risques particuliers du travail qu’elle a exercé.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Les membres issus des associations d’employeurs ainsi que des associations syndicales estiment qu’il y a lieu pour le tribunal d’accueillir la requête de la travailleuse. Celle-ci a établi, par une preuve prépondérante, avoir subi une maladie professionnelle au niveau des coudes. Les gestes répétitifs qu’elles a accomplis à la fonction de sexage, à raison de 64 % du temps de travail, tels que décrits et illustrés en l’instance, sont nettement susceptibles d’avoir favorisé l’apparition et le développement tant de l’épicondylite que de l’épitrochléite diagnostiquées bilatéralement. La travailleuse a donc droit aux prestations en raison de cette lésion professionnelle.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle, en particulier une maladie professionnelle, à compter du 17 juin 2004.

[7]                L’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001) (la loi) définit la lésion professionnelle et la maladie professionnelle dans les termes suivants :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[8]                L’épicondylite de même que l’épitrochléite n’étant pas des maladies énumérées à l’annexe I de la loi, la travailleuse invoque une maladie professionnelle en application de l’article 30 de la loi, lequel se lit comme suit :

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[9]                À même la preuve documentaire et les témoignages de la travailleuse, de son contremaître, monsieur Martin Lavoie, du contrôleur de Couvoir Scott ltée (l’employeur), monsieur Guy Ferland, et du médecin consultant de l’employeur, le docteur Bernard Blanchet, la Commission des lésions professionnelles retient ce qui suit.

[10]           La travailleuse occupe depuis 17 ans la fonction de travailleuse de services chez l’employeur lorsqu’elle invoque la survenance d’une maladie professionnelle, le 17 juin 2004, dans les circonstances qu’elle décrit comme suit :

Je sexais avec un mouvement de va et vient répétitif et j’ai ressenti une douleur aux 2 coudes qui s’aggravait de plus en plus avec le temps. Douleur intensive aux coudes. [sic]

 

 

[11]           Les rapports médicaux que produit la docteure Bourget à la CSST au soutien de la réclamation de la travailleuse ont trait à une épicondylite bilatérale. Ce médecin qui a charge de la travailleuse prescrit à la fois du repos, des anti-inflammatoires et des traitements de physiothérapie. Ses notes de consultation médicale font également état, à compter du 7 juillet 2004, de douleur présente au niveau de l’épitrochlée.

[12]           Les diagnostics d’épicondylite et d’épitrochléite bilatérales sont confirmés par le docteur Laliberté, orthopédiste, dans un rapport de consultation adressé à la docteure Bourget le 30 novembre 2004.

[13]           La travailleuse qui est droitière, mais utilise tout aussi souvent sinon plus le bras gauche dans l’exercice de ses fonctions à raison de 28 heures par semaine, réparties sur quatre jours, attribue à l’opération de sexage l’apparition de la lésion aux coudes.

[14]           Le sexage, qui représente 64 % de la tâche globale de la travailleuse selon les données établies par le contrôleur de l’employeur, consiste à trier les poussins mâles et femelles. L’opération s’effectue à une cadence d’environ 1 800 poussins à l’heure. Pour ce faire, la travailleuse prend dans chaque main un poussin vivant qu’elle tient avec le pouce, l’annulaire et l’auriculaire, tout en écartant dans un mouvement d’extension l’aile qu’elle retient entre le majeur et l’index pour l’ouvrir de façon à pouvoir bien inspecter les rangées de plumes. Selon qu’il s’agit d’un mâle ou d’une femelle, la travailleuse envoie ensuite le poussin dans la dalle de gauche ou de droite située devant elle, sur le carrousel, avec un mouvement de pronation ou de supination de la main et du poignet.

[15]           L’opération de sexage est interrompue pendant quelques minutes lors du changement de troupeau qui peut survenir jusqu’à trois fois à l’heure. Les travailleuses de services sont habituellement au nombre de 15 autour du carrousel. Elles peuvent travailler en position debout ou assise. Elles disposent pour ce faire d’un banc ajustable avec marchepied. Elles peuvent également appuyer les bras sur le rebord du carrousel. La travailleuse indique pour sa part procéder au sexage des poussins en position debout, sans appuyer ses bras alors qu’il s’agit de la méthode qui lui convient le mieux.

[16]           Les autres tâches des travailleuses de services consistent à trier les poussins morts et les coquilles demeurés sur le convoyeur avant le sexage, procéder à une deuxième sélection des poussins rejetés au premier tri, sélectionner les œufs non éclos en vue du contrôle de qualité et de statistiques, empiler les boîtes de poussins pour l’expédition, puis effectuer le lavage et la désinfection des équipements dans leur aire de travail à l’aide notamment d’un boyau à pression muni d’un fusil. La travailleuse procède en après-midi à l’entretien de l’aire de travail pendant environ 1 h 30. Elle participe cependant peu ou pas au tri de même qu’à la deuxième sélection.

[17]           L’opinion de la docteure Bourget est à l’effet que la travailleuse, qui n’a jamais eu mal aux coudes par le passé, présente un problème d’épicondylite et d’épitrochléite bilatérales depuis juin 2004 après avoir accompli un travail qui implique l’utilisation répétitive, à haute cadence, des mains et poignets par des mouvements de pronation-supination, de flexion-dorsi-flexion et de déviation radiale et cubitale des poignets ainsi que des mouvements de flexion-extension des doigts.

[18]           L’opinion du docteur Blanchet est cependant à l’effet que le travail exercé par la travailleuse ne comporte pas de répétitivité combinée à une force importante et qu’il n’y a donc pas de facteurs de risque pouvant expliquer les pathologies en cause. Ce médecin souligne, en outre, que ces pathologies peuvent résulter d’autres causes telles un problème hormonal, une condition arthritique ou autre maladie systémique, voire même d’un problème d’organisation ou de relation de travail.

[19]           La Commission des lésions professionnelles, après avoir analysé l’ensemble des données factuelles et médicales à la lumière des arguments respectifs des parties, conclut à une prépondérance de preuve en faveur d’une lésion professionnelle dans le cas présent.

[20]           L’épicondylite et l’épitrochléite ne sont certes pas caractéristiques de l’emploi de travailleuse de services. Non seulement il n’y a pas de preuve épidémiologique ou autre à cet effet mais les données soumises par l’employeur tendent plutôt à établir qu’il n’y a pas d’autres cas semblables parmi ses propres employés et ceux d’autres entreprises exerçant des activités similaires.

[21]           Il appert cependant que l’épicondylite et l’épitrochléite bilatérales sont reliées directement aux risques particuliers du travail accompli par la travailleuse dont la principale tâche, à savoir le sexage des poussins qui représente 64 % de son temps de travail, comporte des mouvements susceptibles d’avoir causé ou à tout le moins favorisé l’apparition ou le développement de ces maladies[1]. Il en est de même, au surplus, de l’utilisation d’un boyau à pression doté d’un fusil pour le nettoyage quotidien de l’aire de travail qui s’ajoute à la tâche régulière de sexage et qui est peu propice à un repos compensateur.

[22]           Même s’il y a absence de force significative compte tenu du faible poids des poussins manipulés, les gestes décrits et illustrés par la travailleuse lors du sexage s’avèrent à la fois répétitifs et contraignants tant pour les épicondyliens que pour les épitrochléens. La travailleuse retient chaque poussin vivant avec le pouce, l’annulaire et l’auriculaire en flexion alors qu’elle prend en pince l’aile tout en l’écartant avec l’index et le majeur en extension. On note également une légère extension du poignet à cette occasion. Elle répète ces gestes de flexion et d’extension des doigts et d’extension du poignet environ à toutes les deux secondes, hormis les quelques minutes où l’on procède au changement de troupeau. À ces gestes s’ajoutent ceux de pronation et de supination des mains et poignets requis pour déposer devant elle les poussins mâles et femelles dans les dalles appropriées du carrousel.

[23]           La Commission des lésions professionnelles estime que la nature contraignante combinée à la haute répétitivité des gestes ainsi accomplis pendant plus de 50 % du temps de travail explique favorablement l’épicondylite ainsi que l’épitrochléite bilatérales telles que diagnostiquées chez la travailleuse, laquelle ne présente par ailleurs aucune maladie systémique ou autre facteur propice au développement de telles maladies.

[24]           L’état de la preuve soumise au tribunal milite en faveur de l’admissibilité de la réclamation de la travailleuse qui a démontré avoir subi une maladie professionnelle à compter du 17 juin 2004.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête logée par le représentant de madame Isabelle Couture Nadeau (la travailleuse) le 18 novembre 2004;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite d’une révision administrative le 10 novembre 2004;

DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle, le ou vers le 17 juin 2004, et qu’elle a droit aux prestations pour une telle lésion.

 

 

__________________________________

 

Geneviève Marquis

 

Commissaire

 

 

M. Louis Proulx

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Gérald Gobeil

SYLVAIN, PARENT & ASSOCIÉS

Représentant de la partie intéressée

 



[1]          Roy et Komatsu International (Canada) inc., [2001] C.L.P. 244 .

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