Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Grégoire et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3939

2016 QCTAT 6397

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

CM-2016-4934

 

Dossier accréditation :

AM-1002-4588

 

 

Montréal,

Le 10 novembre 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Anick Chainey

______________________________________________________________________

 

 

 

David Grégoire

 

Partie demanderesse

 

 

 

c.

 

 

 

Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3939

Partie défenderesse

 

 

et

 

 

Société des casinos du Québec inc.

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 8 août 2016, David Grégoire (le plaignant) dépose une plainte dans laquelle il allègue que le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3939 (le Syndicat) a contrevenu, à son endroit, au devoir de juste représentation prévu à l’article 47.2 du Code du travail[1] (le Code).

[2]           À cet égard, le plaignant invoque que le Syndicat a adopté un comportement arbitraire en utilisant des fonds pour financer des activités de nature purement sociales et il a effectué des dons à des organismes caritatifs. Ce faisant, il a agi en contravention de l’article 6 de la Loi sur les syndicats professionnels[2]. De plus, le Syndicat aurait « perdu la trace » d’une importante somme d’argent.

la requête pour rejet sommaire

[3]           Le 15 août 2016, le Syndicat signifie une requête pour rejet sommaire. Il soulève que le plaignant, de son propre aveu, n’a subi aucune mesure disciplinaire ni renvoi donnant lieu à une contravention de l’article 47.2 du Code. Les reproches qui lui sont adressés font partie de sa régie interne, et même si de tels manquements ont eu lieu, ils ne sont pas visés par une plainte de cette nature. Le recours n’a donc aucune chance de succès. Au surplus, le Syndicat soutient que la plainte est prescrite, puisque le plaignant affirme avoir pris connaissance du comportement illégal en août 2015.

[4]           Le 23 septembre 2016, le Tribunal enjoint au plaignant de lui faire parvenir ses observations, eu égard à la requête pour rejet sommaire. Également, il lui est demandé d’identifier les gestes reprochés au Syndicat qui sont survenus dans les six mois précédant le dépôt de la plainte.

la réponse du plaignant

[5]           La réponse du plaignant est soumise le 5 octobre 2016 et indique ce qui suit :

Le 23 septembre passé, vous m’avez contacté afin de justifier ma plainte contre le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3939 sous prétexte qu’un représentant de ce dernier a requis un rejet sommaire. Dans le cadre de cette demande de rejet sommaire, on affirme que ma plainte concerne un aspect de gestion interne pour lequelle une jurisprudence constante non spécifiée s’applique.

 

Cependant, tandis qu’il est possible que le Tribunal administratif du travail a pris des décisions par le passé concernant le fait qu’il ne doit pas s’immiscer dans certains aspects de la régie interne d’une association de travailleur, il demeure inconcevable que cela puisse permettre à mon syndicat d’organiser des activités festives onéreuses dans le cadre duquel des milliers de dollars sont remis à des organismes caritatifs car cela contreviendrait à l’article 6 de la Loi sur les syndicats professionnels. En effet, il est clairement et distinctement impossible de défendre ou de développer les intérêts économiques, sociaux ou moraux des membres du syndicat en question en donnant de l’argent à des organismes caritatifs. Notez que les dons en argent à des organismes caritatifs figurent dans les prévisions budgétaires ce qui indique le caractère actuel et continue de cette activité illégale.

 

Il faut savoir que figure aussi dans les prévisions budgétaires des activités dites “annuelles”. Ces dernières sont en fait une ou des fêtes où des gens près de la direction du syndicat sont invités gracieusement afin de manger et festoyer. Les conjoints de ce groupe restreint peuvent aussi être présents. Or, il est évident que d’organiser ce type de fêtes privées aux frais des membres du syndicat ne peut aucunement défendre ou de développer les intérêts économiques, sociaux ou moraux des membres du syndicat en question.

 

Ainsi, le fait que le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3939 ai fait un don de 4407$ à la Fondation des canadiens pour l’enfance en juillet passé et que d’autre fêtes ou dons sont prévus au budget font de sorte que de prétendre que tous les aspects de ma plainte sont prescrits démontre la mauvaise foi de ce syndicat. Cela indique également une intention manifeste à continuer de dilapider l’argent des cotisations syndicales de manière négligente ou carrément en faveur des gens proches des administrateurs de ce syndicat. Compte tenu que le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3939 est parfaitement au courant de ces faits, sa demande de rejet sommaire aurait dû lui paraître frivole.

 

Notez également que nulle part dans ma plainte je fais référence à un renvoi, du harcèlement psychologique ou une mesure disciplinaire. Cependant, vous me demandez de justifier mon recours en relation avec l’un de ces types d’évènements. Or, il s’agît ici d’une infraction à l’article 6 de la Loi sur les syndicats professionnels et le Tribunal administratif du travail doit traiter mon recours en ce sens.

 

Je demeure disponible pour fournir plus d’information si cela vous semblais utile et sachez qu’il est facile pour moi de donner de la substance à mes propos en vous transmettant des enregistrements audio ou copies de documents pertinents.

 

(reproduit tel quel)

 

l’analyse et les motifs

Le droit

[6]           L’article 9 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[3] (la LITAT) traite des pouvoirs du Tribunal en ces termes :

9. Le Tribunal a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

En outre des pouvoirs que lui attribue la loi, le Tribunal peut:

 

1° rejeter sommairement ou assujettir à certaines conditions toute affaire qu'il juge abusive ou dilatoire;

 

 

[7]           Cette disposition reprend essentiellement ce qui était auparavant prévu à l’article 118 du Code, article qui a été abrogé à compter de l’entrée en vigueur de la LITAT.

[8]           Aussi, l’objectif demeure le même, soit d’empêcher, dans l’intérêt de la justice que des recours abusifs ou dilatoires obligent la tenue d’une audience, alors qu’à la face même du dossier, ils ne présentent aucune « chance de succès ».

[9]           À cet égard, l’affaire Dupont c. Syndicat du personnel de l’enseignement des Hautes-Rivières (FSE-CSQ)[4] énonce les critères à considérer en matière de rejet sommaire :

[28]      En matière de rejet sommaire, la jurisprudence de la Commission, à l’instar de celle du Tribunal du travail, a établi qu’elle devait s’inspirer des mêmes critères que ceux utilisés par la Cour d’appel lorsqu’elle est saisie d’une requête en rejet d’appel tel que prévu au paragraphe 5° du premier alinéa de l’article 501 du Code de procédure civile.

[29]      Ces critères jurisprudentiels se résument ainsi :

·     L’appréciation des arguments doit pouvoir se faire rapidement sans qu’il soit nécessaire de s’engager dans l’analyse de la preuve;

·     L’examen sommaire des motifs de rejet doit faire voir leur futilité, leur aspect dilatoire, par opposition à leur sérieux, en somme, démontrer une absence de chance raisonnable de succès;

·     Les arguments soulevés doivent être ni cohérents ni défendables juridiquement, en apparence à tout le moins;

·     Le droit d’être entendu doit cependant être respecté si des moyens en apparence sérieux et raisonnables sont présentés par une partie;

·     L’obligation de célérité prévue à l’article 114 du Code peut être prise en compte.

(soulignement ajouté)

 

[10]        Par ailleurs, en ce qui concerne la portée de la plainte pour manquement au devoir de représentation du Syndicat, l’affaire Michel Paradis c. Métallurgistes unis d’Amérique, local 9379[5] résume bien l’état de la jurisprudence voulant que les questions liées à la régie interne des affaires d’un syndicat ne puissent faire l’objet d’une telle plainte. En voici les extraits pertinents :

[11]        Il appert de cette décision que l'obligation de représentation s'étend principalement à la négociation, l'interprétation et l'application de la convention collective. La compétence de la Commission ne peut donc porter que sur des questions liées à ces aspects de la vie syndicale qui ont trait à la représentation, en tant que telle, des salariés auprès de l'employeur.

 

[12]        Les questions qui relèvent de la gestion interne du syndicat ne sont pas rattachées, directement, au devoir de représentation des salariés auprès de l'employeur. Ces questions concernent plutôt l'organisation, la structure, les règles et autres mécanismes de fonctionnement d'un syndicat.  En somme, ces aspects de la vie syndicale sont indépendants des relations syndicat-employeur, cadre dans lequel s'exerce le devoir de représentation.

 

[13]        La gestion interne des affaires du syndicat doit donc être distinguée de la stricte représentation syndicale visée à l'article 47.2.  La Cour supérieure invite à faire cette distinction dans l'affaire Couture c. Syndicat des agents de la paix en services correctionnels (AZ26633; DTE-2004-868). La Cour était saisie d'un recours à multiples volets qui l'a conduit à déterminer si le syndicat a manqué à son devoir de représentation à l'égard d'un groupe de salariés lors de la négociation d'une convention collective. Lorsqu'elle traite de la question de la destitution d'officiers syndicaux alléguée en contravention de la constitution syndicale, la Cour l'aborde sous l'angle du « volet de la régie interne du syndicat » et écrit ce qui suit :

 

[305] Finalement, toujours sous le couvert d'un manquement allégué à son obligation de représentation, les Surnuméraires reprochent au Syndicat des fautes qui concernent plutôt la validité des dispositions de sa constitution (92) et ses mécanismes de régie interne.

 

[…]

 

[314] Deuxièmement, sur une question qui, cette fois, touche la régie interne du Syndicat plutôt que son devoir de représentation en tant que tel, les Surnuméraires allèguent que certains d'entre eux ont fait l'objet de représailles à la suite de la continuation du présent recours.

 

(Nos soulignés.)

 

[14]        Comme l'a fait la Commission dans la décision précitée, il y a lieu de conclure que le devoir légal de représentation prévu à l'article 47.2 du Code du travail ne s'étend pas à la gestion interne des affaires d'un syndicat. C'est pourquoi, sur la base de cette disposition, un manquement reproché au syndicat dans la gestion de ses affaires ne relève pas de la compétence de la Commission.

 

[15]        En l'espèce, monsieur Paradis reproche à son syndicat d'avoir enfreint son devoir de représentation lorsqu'il l'a destitué de son poste de vice-président. Comme il l'a mentionné à l'audience, il remet en cause l'interprétation et l'application par le syndicat de ses statuts et règlements lorsqu'il a procédé à sa destitution. Il ne s'agit pas d'une question qui relève de l'obligation de représentation d'un salarié auprès de son employeur; il s'agit d'un pur conflit interne au syndicat. La Commission n'a donc pas compétence pour disposer de la plainte soumise par monsieur Paradis en vertu de l'article 47.2 du Code du travail.

 

(caractères gras ajoutés)

 

[11]        Également, l’affaire Vicki Odorico-Beaupré c. L’Association accréditée du personnel non enseignant de l’Université McGill[6], nous rappelle que le Tribunal n’a pas un pouvoir général sur la surveillance des affaires du Syndicat :

[18]    Ainsi, il est bien établi que la Commission n’a pas un pouvoir de surveillance générale sur les affaires de l’association accréditée, notamment en regard du respect de ses statuts et règlements.  Ce n’est que si une disposition spécifique du Code est violée qu’elle peut intervenir.  L’article 47.2 énonce des prohibitions qui ne concernent pas les questions de régie interne des associations accréditées (Blair c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP 301), 2007 QCCRT 0439 ).

 

(soulignement ajouté)

L’application des principes

[12]        Dans la présente affaire, il ne fait aucun doute que la plainte pour manquement au devoir de représentation du Syndicat doit être rejetée sommairement, car elle n’a aucune chance raisonnable de succès.

[13]        Les éléments sur lesquels se fonde le plaignant, soit la mauvaise gestion des finances du Syndicat et, en particulier, les dépenses importantes effectuées pour l’organisation d’activités sociales et caritatives visent directement des questions de régie interne qui ne sont pas soumises à la compétence du Tribunal.

[14]        Le comportement arbitraire que décrit le plaignant pour justifier le dépôt de sa plainte ne peut être confondu avec le libellé de l’article 47.2 du Code, car cette disposition vise exclusivement les situations liées au devoir de représentation du Syndicat à l’endroit de ses membres dans leur relation avec l’Employeur. Ce n’est absolument pas le cas en l’espèce.

[15]        Cela étant, la plainte pour manquement au devoir de représentation est frivole et dilatoire et elle doit être rejetée sommairement. Elle ne constitue pas le recours approprié pour permettre au plaignant de faire valoir ce qu’il juge, à tort ou à raison, être des demandes légitimes comme membre du Syndicat.


 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE                      sommairement la plainte;

 

 

 

__________________________________

 

Anick Chainey

 

 

 

M. David Grégoire

Pour lui-même

 

Me Ronald Cloutier

Pour la partie défenderesse

 

Date de la mise en délibéré :         28 octobre 2016

 

/oey



[1]           RLRQ, c. C-27.

[2]           RLRQ, c. S-40.

[3]          RLRQ, c. T-15.1.

[4]           2011 QCCRT 0048.

[5]           2005 QCCRT 230.

[6]           2008 QCCRT 0157.

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