Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit CMQ

Commission municipale du Québec

______________________________

 

 

 

Date :

Le 7 juillet 2017

 

 

 

 

 

Dossier :

CMQ-65670   (29781-17)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Juge administrative :

Sandra Bilodeau

 

 

 

 

 

 

 

Personne visée par l’enquête :              Bertrand Anglehart,

                                                        conseiller municipal

                                                        Ville de Grande-Rivière

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

_____________________________________________________________________

 

 

ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE

EN MATIÈRE MUNICIPALE

 

_____________________________________________________________________

 


DÉCISION

LA DEMANDE

[1]           La Commission municipale du Québec est saisie d’une demande d’enquête en éthique et déontologie transmise le 2 mars 2016 par le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire, conformément à l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1] (LEDMM).

[2]           La demande d’enquête déposée par Stevens Bernard allègue que Bertrand Anglehart, conseiller à la Ville de Grande-Rivière, aurait commis un manquement aux alinéas 1 et 3 de l’article 5.3 du Code d’éthique et de déontologie des élus municipaux de la Ville de Grande-Rivière[2] (le Code d’éthique).

[3]           Plus spécifiquement, le manquement se résume ainsi :

Alors qu’il siège en tant que représentant de la Ville de Grande-Rivière sur le conseil d’administration de l’Office municipal d’habitation de Grande-Rivière (l’OMH), Bertrand Anglehart s’est placé en situation de conflit d’intérêts en agissant comme sous-contractant, par le biais de l’entreprise La Ferblanterie Gaspésienne inc. dont il est coactionnaire et coadministrateur, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’OMH et Les Constructions Pabok inc. le 7 juillet 2015, concernant la Réfection des jumelés rue de l’Hôtel de Ville - Phase 2015.

LA PREUVE

[4]           La Commission entend un témoin, Jean Aspiros, ainsi que l’élu visé.

[5]           Les admissions suivantes sont faites en début d’audience :

               L’élu admet avoir sous-traité dans le contrat conclu entre l’OMH de Grande-Rivière et Constructions Pabok inc.

  La preuve documentaire du procureur indépendant de la Commission, Me Nicolas Dallaire[3], est déposée de consentement. Me Annie Dupuis, procureure de l’élu ne dépose pas de pièces additionnelles.

Contexte

[6]           À la suite d’inspections, la Société immobilière du Québec (SHQ) réalise un « bilan de santé » de ses actifs immobiliers, puis établit un programme d’habitation, identifiant des immeubles devant être rénovés prioritairement.

[7]           Ce programme inclut des immeubles dont la gestion relève de l’OMH de Grande-Rivière. Ainsi, des jumelés occupés à titre de logements sociaux doivent être rénovés en trois phases, s’échelonnant de 2013 à 2015.

[8]           La phase 3 est celle qui retient notre attention, puisque le sous-contrat sous étude a été conclu pendant celle-ci.

Élections

[9]           Bertrand Anglehart est élu conseiller municipal le 3 novembre 2013, à la Ville de Grande-Rivière. À la séance du conseil du 12 novembre, il est désigné pour siéger à l’OMH de Grande-Rivière.

[10]        À la réunion du conseil d’administration de l’OMH du 28 novembre 2013, il est élu président[4]. Le 7 juillet 2015, il devient sous-traitant dans un contrat octroyé par l’organisme. Voici la chronologie des faits pertinents.

Le sous-contrat

[11]        Monsieur Anglehart est coactionnaire à 33⅓ % de Ferblanterie Gaspésienne inc., fondée en 1993 et spécialisée dans les travaux de ferblanterie et d’installation de systèmes de chauffage et de ventilation. Il en est aussi le vice-président[5].

[12]        C’est pourquoi dans sa déclaration d’intérêts pécuniaires de décembre 2013, il indique que cette compagnie est susceptible d’avoir des marchés avec l’OMH de Grande-Rivière[6].

[13]        Toutefois, lors du renouvellement de cette déclaration en novembre 2014 et 2015, il ne mentionne plus l’OMH, mais plutôt Grande-Rivière, comme étant la personne morale susceptible d’avoir des marchés avec sa compagnie.[7] Voici pourquoi.

[14]        En 2014, lors de l’appel d’offres pour les travaux de la phase 2, il vérifie auprès de Jean Aspiros, architecte stagiaire, agissant à titre de conseiller technique pour le Centre de services techniques de Gaspé-Îles de la Madeleine[8], la possibilité, pour sa compagnie, de participer aux travaux de l’OMH.

[15]        Monsieur Aspiros précise que c’est à titre de président de l’OMH que monsieur Anglehart le consulte. Il ne se souvient pas s’il lui a mentionné être un élu municipal, mais chose sûre, en aucun moment il n’a été question d’un Code d’éthique.

[16]        Monsieur Aspiros se renseigne auprès d’un conseiller en gestion de la SHQ. On l’informe que dans le cadre d’un appel d’offres public, il n’est pas interdit à un administrateur d’un OMH de conclure un marché avec son organisme[9].

[17]        En raison de cela, monsieur Anglehart ne rementionne pas l’OMH dans ses déclarations d’intérêts pécuniaires de novembre 2014 et 2015. Il admet toutefois qu’il s’agit là d’une erreur d’appréciation de sa part.

[18]        Monsieur Anglehart vérifie également auprès de Reynald Méthot, de la direction régionale du MAMOT, « pourquoi aurait-il le droit de participer à des travaux avec l’OMH et non avec la Ville ? » Ce dernier lui répond qu’il s’agit de deux choses différentes.

[19]        Après ces vérifications, il se dit « je suis backé et j’ai le droit de participer à l’appel d’offres de la phase 2 ». Précisons que le sous-contrat qu’il a obtenu pour cette phase ne fait pas l’objet de l’enquête, mais les faits qui l’entourent ont une pertinence.

[20]        Au procès-verbal de la première réunion de chantier de la phase 2[10] le 2 juin 2014, on y lit ceci au point 6 du varia :

            « 6.1  Sous-traitant

Monsieur Jean Aspirot (sic) confirme que monsieur Anglehart, président du C.A. de l’OMH de Grande-Rivière, pouvait remettre sa soumission sans être en position de conflit d’intérêts puisque l’appel d’offres était public. Monsieur Gaston Bujold a choisi la soumission de monsieur Anglehart puisque c’était la soumission la plus basse parmi les soumissionnaires en ventilation. »

[21]        Pourquoi cette mention se trouve-t-elle au procès-verbal ? Il s’agit en fait d’une initiative de monsieur Aspiros, qui a cru opportun de faire inscrire cela, en raison du questionnement dont monsieur Anglehart l’avait préalablement saisi, comme on l’a vu.

[22]        En 2015, monsieur Aspiros prépare le budget de la phase 3 et le présente au directeur général de l’OMH, Simon-Pierre Dubé. Il ne rencontre pas le conseil d’administration.

[23]        Monsieur Anglehart dit avoir appris le démarrage de cette phase en consultant le site du BSDQ[11]. Il ne l’aurait pas su de son organisme, dont il est le président. Cela semble étonnant, mais le directeur de l’OMH n’ayant pas été cité comme témoin, cette affirmation doit être tenue pour avérée.

[24]        Monsieur Anglehart ne revérifie pas en 2015 s’il peut soumissionner, s’agissant pour lui d’une suite des travaux de 2014.

[25]        En aucun temps, dit-il, il n’a eu un accès privilégié à des documents ou renseignements, dans le cadre des travaux de la phase 3. Cela est confirmé par monsieur Aspiros.

[26]        Il se procure les plans et devis, prépare sa soumission et la dépose au BSDQ avant l’expiration du délai attribué aux sous-traitants.

[27]        Les entrepreneurs généraux ont, pour leur part, jusqu’au 29 juin 2015, pour déposer leur soumission,[12] à partir de la liste des sous-traitants conformes du BSDQ, dans les différentes spécialités.

[28]        À cette liste, on y voit que Ferblanterie Gaspésienne a produit la plus basse soumission conforme, pour la spécialité ventilation, au prix de 34 500 $.

[29]        Selon le mode de fonctionnement établi, un entrepreneur général doit choisir des sous-traitants conformes dans la liste, mais n’est pas tenu de prendre le plus bas prix.

[30]        L’OMH de Grande Rivière procède à l’ouverture des soumissions le 29 juin 2015[13].

[31]        Le 6 juillet 2015, l’architecte du projet recommande à l’OMH l’octroi du contrat à Constructions Pabok, le plus bas soumissionnaire conforme[14].

[32]        L’OMH signe un contrat le 7 juillet 2015 avec cette entreprise.

[33]        Le 10 août 2015, le bureau d’architecte demande à l’entrepreneur son échéancier et sa liste de sous-traitants.

[34]        Dans la liste transmise le 11 août 2015, on y voit la Ferblanterie Gaspésienne à titre de sous-contractant, pour la ventilation[15].

[35]        Au procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de l’OMH, le 13 août 2015, on y lit ceci à propos du lien de parenté entre l’élu et le président de la compagnie ayant eu le contrat principal[16] :

            « 7  Rénovation phase 2015.

            […]

            7.2   L’ouverture des soumissions.

            […]

            Le prix des soumissions sont les suivants :

            Les Constructions Pabok Inc.            386 258,51 $

            MFT & Fils inc.                                440 300,00 $

            7.3   Déclaration du président.

            Monsieur Bertrand Anglehart déclare à tous les membres du conseil d’administration présents à l’assemblée, être le frère du président de l’entreprise les Constructions Pabok Inc., monsieur Gilbert Anglehart, soumissionnaire ayant obtenu le contrat pour effectuer les travaux de la phase 2015. »

                                                                                                            (soulignement ajouté)

[36]        Soulignons qu’aucun vote n’intervient pour l’adjudication du contrat. Monsieur Aspiros explique que la plupart des directeurs généraux des OMH de la région[17] ne soumettent pas l’octroi du contrat à leur conseil d’administration, puisque les fonds pour les travaux proviennent entièrement de la SHQ. Dès la recommandation de l’architecte à l’égard du plus bas soumissionnaire conforme, ils ont l’autorité, selon lui, pour signer le contrat.

[37]        Ville de Grande-Rivière, à l’instar des autres villes de la région, n’est pas impliquée dans un dossier de cette nature, précise-t-il. Elle n’a aucun droit de veto sur les décisions de l’OMH et lui, n’a pas à lui rendre compte de sa gestion.

L’ANALYSE

[38]        Dans le cadre d’une enquête en vertu de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, la Commission doit s’enquérir des faits afin de décider si l’élu visé par l’enquête a commis les actes ou les gestes qui lui sont reprochés et si ces derniers constituent une conduite dérogatoire au code d’éthique.

[39]        Pour ce faire, l’enquête doit être conduite dans un esprit de recherche de la vérité qui respecte les règles d’équité procédurale et le droit de l’élu visé par l’enquête à une défense pleine et entière.

[40]        Ainsi, et même si on ne peut parler de fardeau de preuve comme tel, la Commission doit tout de même être convaincue que la preuve qui découle des témoignages, des documents et des admissions, a une force probante suffisante suivant le principe de la balance des probabilités, pour lui permettre de conclure que l’élu visé par l’enquête a manqué à ses obligations déontologiques et enfreint le Code d’éthique.

[41]        En raison du caractère particulier des fonctions occupées par un élu municipal et des lourdes conséquences que la décision peut avoir sur celui-ci au niveau de sa carrière et de sa crédibilité, plusieurs décisions de la Commission[18] ont établi que pour conclure à un manquement au code d’éthique et de déontologie d’un élu, la preuve obtenue doit avoir une force probante suffisante suivant le principe de la balance des probabilités et être claire, précise, sérieuse, grave et sans ambiguïté.

[42]        En ce sens, la Commission est d’avis que le principe établi par les tribunaux quant au degré de preuve requis en matière disciplinaire peut s’appliquer, avec les adaptations nécessaires, aux enquêtes en éthique et déontologie en matière municipale.

[43]        On ne peut accorder aux doutes, aux impressions, aux insinuations ou aux soupçons, la valeur probante nécessaire pour permettre de conclure à un manquement par l’élu, à une règle de son Code d’éthique.

[44]        Enfin, elle doit analyser la preuve en tenant compte de l’article 25 de la LEDMM qui précise que :

« 25. Les valeurs énoncées dans le code d’éthique et de déontologie ainsi que les objectifs mentionnés au deuxième alinéa de l’article 5 doivent guider la Commission dans l’appréciation des règles déontologiques applicables ».

                                                                                                (soulignement ajouté)

[45]        Les objectifs énoncés au Code de Grande-Rivière à l’article 5.2 reprennent exactement ceux du deuxième alinéa de l’article 5 de cette loi[19].

[46]        Les dispositions pertinentes du Code sont les suivantes :

« ARTICLE 5 : RÈGLES DE CONDUITE

5.1   Application

Les règles énoncées au présent article doivent guider la conduite d’un élu à titre de membre du conseil, d’un comité ou d’une commission :

a)    de la municipalité ou,

b)    d’un autre organisme lorsqu’il y siège en sa qualité de membre du conseil de la municipalité.

5.2  Objectifs

Ces règles ont notamment pour objectifs de prévenir :

1)      toute situation où l’intérêt personnel du membre du conseil peut influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions;

2)    toute situation qui irait à l’encontre des articles 304 et 361 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (L.R.Q., chapitre E-2.2);

3)    le favoritisme, la malversation, les abus de confiance ou autres inconduites.

5.3  Conflits d’intérêts

Toute personne doit éviter de se placer, sciemment, dans une situation où elle est susceptible de devoir faire un choix entre, d’une part, son intérêt personnel ou celui de ses proches et, d’autre part, celui de la municipalité ou d’un organisme municipal.

Le cas échéant, elle doit rendre publiques ces situations et s’abstenir de participer aux discussions et aux délibérations qui portent sur celles-ci.

Sans limiter la généralité de ce qui précède, il est interdit à toute personne d’agir, de tenter d’agir ou d’omettre d’agir de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne.

Il est également interdit à toute personne de se prévaloir de sa fonction pour influencer ou tenter d’influencer la décision d’une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne. »

[47]        La preuve doit démontrer que l’élu Anglehart s’est placé dans une situation interdite par l’article 5.3 du Code d’éthique, en détenant un sous-contrat avec l’OMH.

[48]        Comme cet élu n’a pas de lien contractuel direct ou indirect avec la Ville, mais avec un organisme où il siège en tant que président, il faut d’abord déterminer si une telle situation est visée par le Code d’éthique.

[49]        L’article 5.1 du Code énonce que les règles de conduite de l’article 5 s’appliquent et doivent gouverner un élu, même lorsqu’il siège à un organisme en sa qualité de membre du conseil de la municipalité. L’article 5.3 spécifie qu’il doit s’agir d’un organisme municipal. Ainsi, dans la mesure où l’OMH est un organisme municipal, alors les règles du Code d’éthique s’appliquent.

[50]        Pour qualifier cet organisme, l’article 57 de la Loi sur la Société d’habitation du Québec nous éclaire[20] :

« 57.1.  Sur réception d’une requête d’une municipalité ou d’une municipalité régionale de comté qui a déclaré sa compétence en matière de gestion du logement social, le lieutenant-gouverneur peut, aux conditions qui y sont énoncées, délivrer, sous le grand sceau du Québec, des lettres patentes constituant un office municipal d’habitation ou un office régional d’habitation aux fins d’offrir principalement des logements d’habitation aux personnes ou familles à faible revenu ou à revenu modique.

La requête doit mentionner le nom de l’office, le lieu de son siège, les pouvoirs, droits et privilèges dont il jouira, les règles qui le régiront pour l’exercice de ses pouvoirs et la désignation de ses administrateurs et dirigeants; le nom de l’office doit indiquer qu’il s’agit, dans le cas d’une requête présentée par une municipalité locale, d’un office municipal d’habitation ou, dans le cas d’une requête présentée par une municipalité régionale de comté, d’un office régional d’habitation.

2.   Un avis de l’émission de ces lettres patentes doit être publié à la Gazette officielle du Québec.

3.   Un office ainsi constitué a entre autres pouvoirs ceux d’une personne morale formée par lettres patentes sous le grand sceau du Québec et est un agent de la municipalité qui en a demandé la constitution; toute acquisition, location ou aliénation d’immeubles et tout emprunt ne peuvent être effectués que s’il y est préalablement autorisé par la Société.

4.  […] »

(soulignement ajouté)

[51]        Un OMH étant désigné à la loi « agent d’une municipalité », est de ce fait un organisme municipal.

[52]        De plus, la LERM[21] confirme ce statut :

« 307.  Aux fins des articles 304 à 306, on entend par « organisme municipal » le conseil, tout comité ou toute commission :

1° d’un organisme que la loi déclare mandataire ou agent d’une municipalité;

[...] »

[53]        Monsieur Anglehart siège-t-il à l’OMH en sa qualité d’élu, puisque cette condition est aussi requise par l’article 5 du Code ?

[54]        L’OMH de Grande-Rivière a été créé, par lettres patentes, le 17 décembre 1971 en conformité de la Loi sur la Société d'habitation du Québec. Dans ses lettres patentes supplémentaires émises 27 août 1985, il y est prévu que la Ville peut nommer trois administrateurs[22].

[55]        C’est pourquoi, après les élections municipales de 2013, elle nomme trois membres du conseil pour y siéger, dont monsieur Anglehart, tel qu’on le voit au procès-verbal du 12 novembre 2013[23] :

[56]        274.13 Responsabilités des élus sur différents dossiers de la Ville :

            « […]

            Que : son Honneur le Maire attribue la responsabilité des dossiers suivants à chacun des élus :

            […]

            Bertrand Anglehart : Comité de la sécurité publique

            Office municipal d’habitation. »

[57]        Étant établi qu’un OMH est un organisme municipal et que monsieur Anglehart y siège en raison de son statut d’élu municipal, il faut maintenant examiner si cet élu a contrevenu à son Code en sous-traitant avec une entreprise qui a un contrat avec l’OMH ?

[58]        Les objectifs de l’article 5.2 du Code d’éthique ont pour objet de prévenir toute situation qui irait à l’encontre des articles 304 et 361 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités[24].

[59]        La situation en cause ici est celle de l’article 304 :

« 304. Est inhabile à exercer la fonction de membre du conseil de toute municipalité la personne qui sciemment, pendant la durée de son mandat de membre du conseil d’une municipalité ou de membre d’un organisme municipal, a un intérêt direct ou indirect dans un contrat avec la municipalité ou l’organisme.

L’inhabilité subsiste jusqu’à l’expiration d’une période de cinq ans après le jour où le jugement qui déclare la personne inhabile est passé en force de chose jugée. »

(soulignement ajouté)

[60]        Ainsi, l’article 5.2 du Code veut empêcher un élu d’avoir un intérêt direct ou indirect dans un contrat avec un organisme municipal, puisque cette situation le placerait en conflit d’intérêts, à l’encontre de l’article 5.3, car il se trouverait dans une ambivalence entre la protection de ses intérêts privés et ceux d’un tel organisme.

[61]        La situation de l’article 304 LERM, qui est proscrite par le Code, a été interprétée à de multiples reprises par les tribunaux. Une décision récente de la Cour supérieure résume bien les éléments à considérer pour son application[25] :

«  [28]  Mme Arnold a-t-elle eu sciemment, pendant la durée de son mandat comme conseillère auprès de la Municipalité, un intérêt direct ou indirect dans un contrat au sens de l'article 304 de la Loi sur LERM ?

[29]  Quatre conditions sont requises pour constater une contravention à l'article 304 de la Loi sur LERM :

1)  Un intérêt direct ou indirect;

2)  Sciemment;

3)  Un contrat avec la Municipalité;

4)  En cours de mandat.

(…)

[33]  Ce que la loi interdit, ce sont les contrats susceptibles de placer l'élu dans une situation de conflits d'intérêts. L'article 304 de la Loi sur LERM a pour but de prévenir les conflits d'intérêts et de faire en sorte que le conseiller municipal ne se trouve pas dans une situation où il risque d'avoir à choisir entre son intérêt personnel et celui de la municipalité. »

[62]        Cette décision établit aussi que le fait d’être actionnaire dans une compagnie constitue un cas d’intérêt indirect :

« [31]  L'intérêt est indirect si l'élu agit par personne interposée, telle une compagnie. À cet effet, la Loi sur LERM (art. 305(2)) fait spécifiquement une exception pour l'actionnaire de moins de 10 % des actions votantes d'une compagnie.

[32]  Ici, Mme Arnold détient 45 % des actions de SBR dont son époux, M. Sylvain Bouchard, est détenteur du reste. »

[63]        Monsieur Anglehart rencontre ce critère de l’intérêt indirect en détenant 33⅓ % des actions de Ferblanterie Gaspésienne. Toutefois, sa compagnie n’a pas de contrat direct avec l’OMH, puisqu’il est sous-traitant à un contrat conclu entre cet organisme et Constructions Pabok.

[64]        Or, cette distinction ne peut jouer en faveur de monsieur Anglehart, puisque la Cour d’appel dans l’affaire Brosseau[26], englobe ce type de situation :

            « À vrai dire, je ne puis concevoir un plus bel exemple d’un intérêt indirect dans un marché de construction que celui du sous-traitant… »

[65]        Monsieur Anglehart a donc un intérêt indirect dans un contrat, en étant coactionnaire et dirigeant de l’entreprise qui a sous-traité avec l’entrepreneur général qui détient un contrat avec l’OMH, et ce, pendant son mandat d’élu municipal. Rappelons que la détention d’un sous-contrat a été admis par l’élu.

[66]        De plus, son intérêt est pécuniaire, même si cela ne constitue pas une exigence,[27] puisque comme la preuve le démontre, c’est un homme d’affaires qui a tout avantage à ce que sa compagnie prospère et obtienne des contrats, afin de réaliser des profits.

[67]        Il se trouve ainsi dans la même situation décrite dans l’affaire Arnold, où la Cour supérieure explique qu’en étant détentrice d’actions à plus de 10 %, l’élue a un intérêt dans la compagnie qui lui procure un revenu[28] :

« [35] Mme Arnold, en étant détentrice de 45 % des actions de SBR, a manifestement un intérêt dans cette compagnie qui lui procure un emploi et dont son mari détient les autres actions. D'ailleurs, elle reconnaît cet intérêt en le dénonçant elle-même dans une déclaration d'intérêt à chaque année. »

[68]        Finalement, il reste à déterminer si monsieur Anglehart avait la connaissance requise par l’article 5.3 du Code, puisqu’il faut que ce soit « sciemment » que l’élu se soit placé dans une situation où il est susceptible de devoir faire un choix entre son intérêt personnel et celui de l’organisme. En d’autres mots, savait-il que Ferblanterie Gaspésienne est un sous-traitant de Constructions Pabok, qui détient un contrat avec L’OMH ?

[69]        La Cour d’appel dans Gadoury[29] a défini le mot sciemment ainsi :

« Dès lors, si le contexte législatif en vigueur jusqu'en 1987 permettait de conclure que le mot « sciemment » devait comporter la présence et la preuve d'une intention coupable pour que l'inhabilité soit décrétée, il n'en va plus de même maintenant et, dépourvue de toute connotation pénale impliquant la mens rea, l'expression « sciemment » signifie uniquement « en pleine connaissance de cause. »

[70]        Monsieur Anglehart connaissait certes son intérêt dans la compagnie Ferblanterie Gaspésienne, car il y occupe un emploi et en est le vice-président, tel qu’il l’a stipulé dans ses déclarations d’intérêts pécuniaires[30].

[71]        Dès l’octroi du contrat à Construction Pabok en 2015, son sous-contrat avec cette entreprise est devenu un intérêt palpable. L’élu ne pouvait certes ignorer cela. Sa situation est très semblable à celle de la décision Arnold[31] :

« [36]  De plus, Mme Arnold, à partir de l'octroi du contrat à SBR, savait que cette compagnie pour laquelle elle avait un intérêt transigeait avec la Municipalité. SBR avait un contrat avec la Municipalité pendant son mandat comme conseillère. Ces deux derniers critères à remplir pour l'application de l'article 304 sont admis et ne font l'objet d'aucun doute. »

[72]        Il faut maintenant statuer sur les éléments de défense soulevés par la procureure de l’élu. Elle soumet que monsieur Anglehart a été prudent en vérifiant auprès de « personnes qualifiées et responsables ». De plus, dit-elle, il a dénoncé l’obtention du contrat par son frère à la séance de l’OMH du 13 août 2015 et n’a pas voté, car le directeur général avait déjà octroyé le contrat, au nom de l’OMH, le 7 juillet 2015[32].

[73]        Ces moyens ne peuvent être d’aucun secours à l’élu au niveau du manquement, puisque ce n’est pas la situation de l’article 361 LERM qui est ici en cause, soit l’absence de dénonciation d’intérêts dans une question traitée par l’organisme, mais plutôt la détention d’un sous-contrat, telle que visée par l’article 304.

[74]        À cet égard, l’état du droit est draconien[33] :

« [37]  Le Tribunal ne doute pas de la bonne foi de Mme Arnold et de ses croyances erronées qui l'ont guidée sans aucune arrière-pensée en demeurant en poste lorsque SBR transigeait avec la Municipalité.

[38]  Mais, ici, la loi ne laisse pas de marge de manœuvre pour ce type de situation englobé dans son application. »

[75]        Dans Brosseau c. Bélanger la Cour d'appel, sous la plume du juge Vallerand :

« [39]  Quant à son comportement qui, ainsi que le signale le premier juge, traduit la plus totale intégrité, il n'est pas un moyen de défense à l'action. Il est vrai qu'en dévoilant son intérêt éventuel et en s'abstenant de participer aux délibérations et aux votes, Brosseau s'est conformé aux exigences de l'article 361 en ce qui concerne celui qui a un intérêt pécuniaire particulier dans une question qui doit être prise en considération par le conseil. Mais l'article 304 est plus pointu lui qui ne s'intéresse qu'à l'intérêt du conseiller dans un contrat et le respect des exigences de l'article 361 ne peut soustraire le conseiller à l'interdit de l'article 304. »

[76]        La décision Fontaine est au même effet[34] :

« Malgré toute la bonne foi et la transparence qu’elle a voulu démontrer, elle s’est placée dans une situation de conflit d’intérêts potentiel contrevenant à l’article 304 qui a pour objet justement d’empêcher toute possibilité de conflits d’intérêts, c’est-à-dire que la notaire mairesse n’a pas un jour ou l’autre à choisir entre son intérêt personnel et celui de sa municipalité »

[77]        Pourquoi le Code d’éthique empêche-t-il un élu d’être en relation contractuelle directe ou indirecte avec sa municipalité ou un organisme municipal, et ce, même s’il ne participe pas aux délibérations et ne vote pas sur l’octroi du contrat qui lui procure un avantage ?

[78]        Précisément parce que le Code veut éviter que l’élu se place dans une situation où il est susceptible de devoir faire un choix entre son intérêt personnel et celui de l’organisme municipal.

[79]        La Cour supérieure est très claire sur le pourquoi de cette interdiction[35] :

« Ainsi, s'il est question d'intérêt, il sera nécessairement question de conflit entre « public », et « particulier ».

Cela s'explique facilement en regard de l'objectif visé par les dispositions législatives concernées, celles-ci ayant pour but de réglementer de façon étroite le pouvoir contractuel de l'Administration pour préserver l'intérêt public et établir ainsi une saine utilisation des fonds publics. Comme l'ont affirmé Tremblay et Savoie :

« Le législateur ne veut pas d'administrateurs municipaux qui soient en position de conflit d'intérêts, c'est-à-dire qui puissent poursuivre des intérêts divergents ou contradictoires : l'intérêt public auquel peut se juxtaposer un intérêt privé susceptible de déterminer ou à tout le moins d’influencer une décision administrative »

(…)

On veut donc empêcher le fait, pour un membre d’un conseil municipal, de tirer un avantage personnel de son poste en contractant avec la corporation ou en ayant un intérêt dans un contrat, au détriment de tiers qui eux, ne jouissent précisément pas de toutes les données que les membres du conseil possèdent à cause du poste qu’il occupe.

Ainsi, la jurisprudence a établi que le législateur a voulu s’assurer que les membres d’un conseil municipal ne se placeraient pas dans une situation où ils auraient à choisir ou seraient tentés de choisir entre leurs intérêts et ceux de la municipalité… »

[80]        Entrer en relation contractuelle avec une municipalité ou un organisme municipal place l’élu dans cette position interdite.

[81]        Certes, la Commission est d’avis que monsieur Angelhart a été prudent en vérifiant auprès de monsieur Aspiros en 2014, avant de sous-contracter, mais cette vigilance à l’égard de son statut de président d’un organisme, aurait dû aussi le gouverner à l’égard de son statut d’élu de la Ville de Grande-Rivière et du respect du Code d’éthique. Les propos de monsieur Méthot de la Direction régionale auraient dû l’emmener à pousser un peu plus loin ses vérifications.

[82]        Par conséquent, la Commission en arrive à la conclusion que l’élu a commis un manquement à l’alinéa 1 de l’article 5.3 du Code d’éthique.

LA SANCTION

Les observations

[83]        L’élu a reçu un avis d’audience sur sanction indiquant les conclusions de la Commission à l’égard du manquement au Code.

[84]        Dans des observations écrites, le procureur de la Commission recommande en premier lieu une suspension de 90 jours, ou sinon le remboursement du salaire pour la période totale du contrat, soit 3 mois. Pourrait s’y ajouter, le remboursement du profit retiré du sous-contrat.

[85]        L’avocate de l’élu est d’avis qu’une réprimande est suffisante et à défaut, une suspension de 15 jours. Si le remboursement du salaire est envisagé, la durée du sous-contrat, soit 1 semaine, devrait être la période retenue.

Analyse

[86]        La LEDMM prévoit à l’article 26 que lorsqu’elle impose une sanction, la Commission doit prendre en compte la gravité du manquement, les circonstances dans lesquelles il s’est produit, l’obtention ou non d’un avis écrit d’un conseiller à l’éthique, ou toute autre précaution raisonnable de l’élu, pour se conformer au code.

 

[87]        L’article 31 établit l’éventail des sanctions que la Commission peut imposer :

-       une réprimande;

-       la remise à la municipalité du don, de la marque d’hospitalité, de l’avantage reçu ou de la valeur de ceux-ci ou de tout profit retiré;

-       le remboursement de toute rémunération, allocation ou autre somme reçue pour la période qu’a duré le manquement;

-       la suspension du membre du conseil pour une durée maximale de 90 jours.

[88]        Le Code comme on l’a vu, interdit strictement à un élu d’être en relation contractuelle directe ou indirecte avec un organisme municipal.

[89]        Cette prohibition vise à éviter qu’un élu ait à choisir entre ses intérêts privés et ceux de sa municipalité, et ce, pour la confiance nécessaire des citoyens envers les institutions municipales. Il s’agit d’un type de contravention revêtant un caractère de gravité.

[90]        L’élu a pris des précautions en consultant un représentant de l’OMH de Gaspé, en charge du dossier, qui lui a dit que son poste de président de l’OMH de Grande-Rivière, n’empêche pas une relation contractuelle avec cet organisme, en raison des règles de la SHQ. Cela démontre a priori un souci de se conformer aux normes. La Commission retient cet élément comme facteur atténuant important et écarte ainsi la recommandation de suspension de 90 jours, suggérée par le procureur de la Commission.

[91]        Toutefois, l’élu aurait dû pousser plus loin sa vigilance face aux remarques du représentant du MAMOT, à l’égard de son statut d’élu municipal. Cela créait une incertitude face à sa situation juridique.

[92]        À cet égard, son avocate plaide qu’après cette consultation, il avait l’assurance de pouvoir soumissionner. Or, la preuve ne permet pas de soutenir une telle assertion.

[93]        De plus, la Commission retient que l’élu a dénoncé lors d’une réunion de l’OMH tenue au mois d’août 2015 son lien de parenté avec l’entrepreneur général, mais non son propre intérêt dans le contrat. Cet élément écarte une sanction clémente, telle que suggérée par son avocate.

[94]        La Commission est d’avis dans les circonstances de ce dossier, qu’une suspension de 30 jours est juste et raisonnable et tient compte de la gravité du manquement.

[95]        Quant au remboursement du profit généré par le sous-contrat, tel que suggéré par le procureur de la Commission, il aurait pu être ajouté comme sanction à la suspension.

[96]        Toutefois, le dossier n’établit pas la quotité de ce montant. Une conclusion de la Commission de rembourser cette somme serait donc non exécutable.

EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :

-     CONCLUT QUE la conduite de Bertrand Anglehart alléguée dans la demande d’enquête, constitue un manquement à l’alinéa 1 de l’article 5.3 du Code d’éthique et de déontologie des élus municipaux de la Ville de Grande-Rivière.

-     ORDONNE la suspension pendant 30 jours de l’élu, à compter du 1er août 2017, sans rémunération, allocation ou autre somme découlant de sa fonction d’élu municipal.

 

 

 

 

__________________________________

SANDRA BILODEAU

Juge administrative

 

SB/tj

 

Me Nicolas Dallaire

D’Aragon Dallaire

Procureur indépendant de la Commission

 

Me Annie Dupuis

Pour Bertrand Anglehart

 

Audience le 11 avril 2017

 



[1].   RLRQ, chapitre E-15.1.0.1.

[2].   Règlement no V-639/13 Code d’éthique et de déontologie des élus municipaux.

3.   D’Aragon Dallaire.

4.     Pièce E-9.

5.   Pièce E-19.

6.   Pièce E-6.

7.   Pièce E-6.

8.   Ces centres ont été créés par la SHQ. M. Aspiros est à l’emploi de l’OMH de Gaspé qui offre les services techniques aux OMH de la région.

9.   Pièce E-21, article 1.6.3.4.2. Guide de l’administrateur-Les conseils d’administration des offices d’habitation, Société d’habitation du Québec.

10.  Pièce E-22.

[11].  Bureau des soumissions déposées du Québec.

[12].  Pièce E-10.

[13].  Pièce E-14.

[14].  Pièce E-13.

[15].  Pièce E-16.

[16].  Pièce E-17.

[17].  En fait, 13 des 14 directeurs des OMH de la région gaspésienne fonctionnent de cette façon.

[18]Bourassa, CMQ-63969 et CMQ-63970, 30 mars 2012; Moreau, CMQ-64261, 14 décembre 2012.

19.  RLRQ, chapitre E-2.

[20].  RLRQ, chapitre S-8.

[21].  Préc., note 19.

[22].  Pièce E-8.

[23].  Pièce E-7.

[24].  RLRQ, chapitre E-2.

[25]Arnold c. St-Ludger-de-Milot, 2015 QCCS 3369.

[26]Brosseau c. Bélanger, 1997 Can LII, 10738 (QC CA).

27.  Précité, note 25, paragraphe 30.

28.  Idem.

[29]Fortin c. Gadoury, 1995 CanLII 5381 (QC CA).

30.  Pièce E-6.

31.  Précité, note 25.

[32].  Pièce E-15.

33.  Précité, note 25.

34.  Fontaine c. Laferrière, JE 2000-2225 (C.S.).

35.  Montréal-Est c. Lachapelle, AZ-91021506 (C.S.).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.