Ouellette c. Blais |
2021 QCCS 1084 |
|||||
COUR SUPÉRIEURE |
||||||
|
||||||
CANADA |
||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||
DISTRICT |
DE QUÉBEC |
|||||
|
||||||
N° : |
200-17-031195-209 |
|||||
|
|
|||||
|
||||||
DATE : |
25 mars 2021 |
|||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
BERNard tremblay, j.c.s. |
||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
|
||||||
CHANTAL OUELLETTE MICHEL MAYRAN |
||||||
Demandeurs |
||||||
c. |
||||||
MICHEL BLAIS |
||||||
Défendeur et demandeur en garantie |
||||||
c. |
||||||
ROBERT LAFORCE |
||||||
-et- |
||||||
LÉO CONSTANT |
||||||
Défendeurs en garantie |
||||||
-et- |
||||||
ROBERT LAFORCE Demandeur en arrière-garantie |
||||||
c. |
||||||
LÉO CONSTANT |
||||||
Défendeur en arrière-garantie |
||||||
-et- |
||||||
OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE QUÉBEC |
||||||
Mis en cause |
||||||
|
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
JUGEMENT (sur une demande en irrecevabilité en vertu de l’article 168, al. 2 C.p.c.) |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
[1] Les défendeurs en garantie Léo Constant [Constant] et Robert Laforce [Laforce] présentent un moyen d’irrecevabilité à l’encontre de la demande en garantie que le défendeur Michel Blais [Blais] intente contre eux.
[2] Ils soutiennent qu’à titre de vendeurs antérieurs de la résidence en cause dans cette affaire et dont la demande principale allègue qu’elle est atteinte de vices cachés, Blais ne peut leur opposer la garantie légale contre les vices cachés, puisqu’il y a renoncé dans l’acte de vente qu’il a conclu avec son auteur, monsieur Terrence O’Reilly [O’Reilly], en achetant cet immeuble à ses risques et périls.
ANALYSE
Les procédures et les ventes en cause
[3] Les demandeurs Chantal Ouellette et Michel Mayran demandaient initialement la résolution de la vente de l’immeuble qu’ils ont acquis de Blais aux termes d’un acte de vente conclu le 26 octobre 2018, et lui réclamaient des dommages et intérêts.
[4] Leur recours est modifié au mois de mars 2020 pour le limiter uniquement à une réclamation en dommages et intérêts.
[5] Blais a acquis cet immeuble d’O’Reilly le 1er mai 2013, lequel n’est pas partie à l’instance, et cette vente a été faite sans aucune garantie légale et aux risques et périls de Blais[1].
[6] Dans la demande en garantie qu’il introduit contre Constant et Laforce le 7 février 2020, Blais allègue qu’étant poursuivi pour des prétendus vices cachés, il est en droit d’être indemnisé par ceux-ci de toute condamnation pouvant être prononcée contre lui sur la demande principale en raison du fait que Constant et Laforce avaient antérieurement vendu le même immeuble, respectivement en 2001 et en 1982, avec la garantie légale de qualité.
[7] Constant et Laforce plaident que puisque Blais a acquis cet immeuble sans aucune garantie légale et à ses risques et périls, il ne peut se prévaloir contre eux de la garantie légale contre les vices cachés qu’eux-mêmes avaient consentie à leur acquéreur respectif. Selon eux, cette renonciation de Blais a eu pour effet de rompre la chaîne de transmission des garanties légales accessoires aux ventes antérieures de cet immeuble.
[8] Blais rétorque que même s’il a acquis cette résidence d’O’Reilly sans aucune garantie légale et à ses risques et périls, cette renonciation ne vaut qu’à l’égard de son recours personnel contre O’Reilly, son vendeur immédiat, et ne le prive aucunement des garanties légales consenties par les vendeurs antérieurs et qui lui ont été cédées par O’Reilly.
Le droit
[9] Cette question a été spécifiquement traitée par l’honorable Marie Michelle Lavigne, j.c.q., le 7 juillet 2018 dans la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Compagnie d'assurances ING du Canada c. Gervais[2] [ING].
[10] Dans cette affaire, la juge Lavigne adopte la position qu’en présence d’un acte de vente comportant une renonciation claire à la garantie de qualité, l’acquéreur subséquent d’un immeuble ne peut plus se prévaloir de cette garantie contre un vendeur antérieur à cette vente faite sans garantie.
[11] Les extraits suivants de cette décision méritent plus particulièrement notre attention:
[17] Lorsque le sous-acquéreur exerce un recours direct contre un vendeur antérieur, sans mettre en cause ou poursuivre son vendeur ou tout vendeur intermédiaire, il doit démontrer que le droit de poursuivre le vendeur antérieur existait pour chaque acquéreur subséquent de l’immeuble. Le sous-acquéreur doit prouver que la garantie accessoire à l’immeuble ne s'est pas éteinte à travers la chaîne de titres et qu'il est toujours en droit d'en réclamer le bénéfice aujourd'hui. Selon l’article 1442 C.c.Q., ce sont les «droits des parties à un contrat» qui sont transférés comme accessoire du bien lorsqu’ils lui sont intimement liés. Si ces droits comprennent la garantie contre les vices cachés, ils comprennent aussi la renonciation à cette garantie. Le recours direct de l'acquéreur d'un immeuble contre un vendeur précédent existe; il présuppose cependant la preuve que le droit d’action du premier acquéreur contre son vendeur a été transmis aux acquéreurs subséquents et cela jusqu'au demandeur.
[…]
[19] Ceci nous amène donc à la deuxième question. La garantie contre les vices cachés que revendique ING au nom de M. Perreault, a-t-elle survécu à la vente intervenue entre la Banque Royale et Soulière-Desnoyers le 10 mai 1995? L'acte de vente intervenu entre les parties contient la clause suivante:
«DÉCLARATION SPÉCIALE
L'acquéreur reconnaît que le vendeur n'a jamais habité la propriété, et il déclare l'accepter dans son état actuel après l'avoir soigneusement examinée, renonçant expressément à tous recours relatifs à l'éviction, aux vices de construction apparents ou cachés, l'acquéreur achetant à ses risques et périls.»
[20] Les tribunaux ont maintes fois décidé que les clauses excluant la garantie légale contre les vices cachés doivent recevoir une interprétation restrictive. Cependant, lorsque la clause d'exclusion est claire, le Tribunal n'a pas à recourir à l'interprétation et doit simplement constater l'exclusion.
[21] Le Tribunal est d'avis que la clause du contrat intervenu entre la Banque Royale et Soulière-Desnoyers est claire. Par conséquent, ING, subrogée aux droits de M. Perreault, ne peut prétendre avoir plus de droit que les vendeurs antérieurs. Or, Soulière et Desnoyers ne pouvaient poursuivre leur vendeur pour la garantie légale contre les vices cachés puisqu'ils y ont expressément renoncé.
[22] Ainsi, depuis la vente du 10 mai 1995 entre la Banque Royale et Soulière-Desnoyers, la garantie contre les vices cachés est caduque pour tout vice existant avant cette date. La preuve révèle que le vice de construction à la source de l'incendie existait depuis août 1989. Le 10 mai 1995, Soulière-Desnoyers ont expressément renoncé à la garantie légale en signant l'acte d'achat. Les ventes subséquentes n'ont pas eu pour effet de faire revivre ce recours en faveur des acquéreurs postérieurs.
[23] D'ailleurs, un droit inscrit au registre foncier à l'égard d'un immeuble est présumé connu de celui qui acquiert un droit sur le même immeuble. M. Perreault est donc présumé avoir connaissance de la renonciation à la garantie lorsqu'il a acquis l'immeuble.
[Le Tribunal souligne][Renvois omis]
[12] L’affaire ING[3] a été citée avec approbation par la suite, notamment dans l’affaire Légère c. 131666 Canada inc.[4] :
[79] Un tel recours présuppose cependant la preuve que le droit d'action du premier acquéreur contre son vendeur a été transmis aux acquéreurs subséquents et cela, jusqu'aux demandeurs. Dans l'arrêt Compagnie d'assurance ING du Canada c. Gervais, il a été décidé que lorsque le sous-acquéreur exerce un recours direct contre un vendeur antérieur sans mettre en cause ou poursuivre son propre vendeur, il doit démontrer que le droit de poursuivre le vendeur antérieur existait pour chaque acquéreur subséquent de l'immeuble. Il doit prouver que la garantie accessoire à l'immeuble ne s'est pas éteinte à travers la chaîne de titres et qu'il est toujours en droit d'en réclamer le bénéfice. Ainsi, il revient au demandeur de prouver l'existence d'un vice caché au sens du Code civil du Québec au moment de chaque vente. Par contre, la présomption de l'article 1729 C.c.Q. bénéficie également au sous-acquéreur.
[Le Tribunal souligne][Renvoi omis]
[13] Blais s’appuie pour sa part principalement sur l’arrêt de la Cour d’appel rendu dans l’affaire Hay c. Jacques[5], et dont discute d’ailleurs la juge Lavigne dans le jugement précité rendu dans l’affaire ING.
[14] La Cour d’appel reconnait l’existence d’un recours direct possible du sous-acquéreur d’un immeuble contre les vendeurs antérieurs de celui-ci, ce qui n’est aucunement remis en cause en l’espèce :
Contrairement à ce qu'affirme le juge de première instance, l'intérêt de la question est loin d'être théorique, même dans les situations où le vendeur a lui-même appelé le sien en garantie, comme c'est ici le cas. Le sous-acquéreur peut y trouver un avantage dans les cas où son propre vendeur est introuvable, insolvable ou encore s'il n'est pas tenu à l'obligation de garantie.
[…]
Dans un autre ordre d'idées, il y a lieu de préciser que le recours direct du sous-acquéreur contre les vendeurs antérieurs est assujetti aux conditions énoncées par le législateur en cette matière. En particulier, celui-ci devra notamment établir, pour chacun d'entre eux, que le vice était caché et qu'il existait lors de la vente, qu'il était inconnu de l'acheteur, etc. En l'espèce, le juge de première instance a conclu que les conditions d'exercice du recours existaient lors de la première vente. Tant les auteurs que les tribunaux ont appliqué la règle énoncée par la Cour suprême dans l'affaire Kravitz en matière immobilière le principe étant que la garantie légale des vices cachés est un accessoire de la chose vendue.
[Le Tribunal souligne]
[15] D’entrée de jeu, il importe de souligner qu’aucune partie dans cette affaire n’avait renoncé à la garantie légale de qualité. C’est d’ailleurs ce que confirme une lecture attentive du jugement de première instance rendu dans cette affaire[6].
[16] Les propos de l’honorable France Thibault de la Cour d’appel font plutôt écho à un commentaire du juge de première instance voulant que l’existence du recours du sous-acquéreur lui semble un peu théorique puisque dans cette affaire, le sous-acquéreur avait poursuivi non seulement le vendeur antérieur, mais aussi son propre auteur, qui avait lui-même à son tour intenté un recours en garantie contre son vendeur.
[17] Ainsi, afin de mettre en lumière la portée concrète de cet énoncé de la Cour d’appel, la juge Thibault réfère à des situations où le recours d’un sous-acquéreur contre un vendeur antérieur peut constituer son seul recours utile lorsque par exemple son vendeur immédiat « […] est introuvable, insolvable ou encore qu’il n’est pas tenu à l’obligation de garantie»[7].
[18] De l’avis du Tribunal, ces propos de la juge Thibault visent la situation du vendeur immédiat qui n’est pas tenu à la garantie envers l’acquéreur, comme c’est le cas par exemple dans le cadre d’une vente sous contrôle de justice, laquelle ne donne lieu à aucune garantie de qualité du bien vendu[8], et non la situation de l’acheteur qui renonce à cette garantie en achetant l’immeuble à ses risques et périls.
[19] Soulignons cependant que notre Cour, prenant appui sur l’arrêt Hay c. Jacques, a déjà conclu qu’une clause d’exclusion de la garantie légale de la qualité ne faisait pas obstacle au recours du sous-acquéreur postérieur à la vente contenant une telle exclusion contre un vendeur antérieur à celle-ci :
[26] Il faut donc retenir de cet enseignement de la Cour d'appel qu'en excluant la garantie de qualité dans le contrat de vente du 23 juin 2005, les vendeurs Couture et Boulanger n'ont pas privé les acheteurs Paris et Paré de l'accessoire de la chose vendue que constitue la créance en garantie qu'ils possédaient eux-mêmes à l'encontre des vendeurs antérieurs. Cette créance continuera d'être transmise aux acquéreurs éventuels qui ne pourront toutefois l'exercer contre les vendeurs Couture et Boulanger.[9]
[20] Par contre, dans une affaire plus récente[10], notre Cour, citant le professeur Pierre-Gabriel Jobin[11], rappelle que le recours du sous-acquéreur peut échouer en présence d’une clause exonératoire ou de vente aux risques et périls valide[12], tout en soulevant la possibilité, selon l’intention exprimée par les parties, qu’un vendeur puisse exclure sa propre garantie sans pour autant exclure la garantie consentie par le vendeur antérieur[13].
[21] L’arrêt de la Cour d’appel rendu dans l’affaire Hay c. Jacques a été suivi par un autre arrêt rendu également par celle-ci dans l’affaire Dupuy c. Leblanc[14].
[22] Ce dernier arrêt de la Cour d’appel contient une réserve importante qu’il convient de souligner relativement à la présence d’une renonciation à la garantie légale de la qualité:
[50] La garantie de qualité (art. 1522-1528 C.c.B.-C.; art. 1726-1731 C.c.Q.) peut être invoquée par un sous-acquéreur contre un vendeur antérieur dans la mesure où le vice existait au moment où ce dernier était propriétaire du bien et que son auteur n’avait pas renoncé expressément à cette garantie. Il exerce les droits que lui a transmis son auteur avec l’immeuble. Le recours du sous-acquéreur est de nature contractuelle. Ce dernier y trouvera « un avantage dans les cas où son propre vendeur est introuvable, insolvable ou encore s’il n’est pas tenu à l’obligation de garantie » ou encore, comme en l’espèce, si la société qui a vendu le bien est dissoute.
[Le Tribunal souligne][Renvoi omis]
[23] La Cour d’appel n’était toutefois pas non plus en présence dans cette affaire d’une renonciation à la garantie légale de qualité, s’agissant plutôt d’un cas où était dissoute la société ayant vendu l’immeuble au sous-acquéreur, lequel a dû alors exercer un recours direct contre l’auteur de son vendeur immédiat.
[24] Enfin, d’autres décisions citent la décision de la juge Lavigne rendue dans l’affaire ING[15], mais sans pour autant l’appliquer puisque les faits particuliers de ces cas d’espèce ne justifiaient pas de le faire[16].
[25] Il en est ainsi de l’affaire Dagenais c. Pichette[17] dans laquelle l’honorable David R. Collier, j.c.s., rappelle qu’il importe de rechercher l’intention réelle des parties d’exclure ou non la garantie légale antérieure à l’occasion d’une exclusion de garantie légale:
[21] Ce constat soulève un second commentaire concernant l’affaire Hay c Jacques. Lorsque la juge Thibault a déclaré que le sous-acquéreur pouvait exercer un recours selon l’article 1442 et ce, nonobstant le fait que son vendeur avait exclu la garantie, il est possible qu’elle ait envisagé la situation où le vendeur avait exclu sa propre garantie, sans pour autant exclure les garanties consenties par les vendeurs antérieurs, lesquelles sont transmises à tout acquéreur subséquent comme un accessoire du bien aliéné. À ce propos, puisque chaque sous-acquéreur reçoit non seulement la garantie de son vendeur immédiat, mais également les garanties consenties par les vendeurs antérieurs, il se peut que lorsque les parties déclarent que la vente est faite « sans garantie » leur intention ne soit pas d’exclure toutes les garanties transmises.
[22] L’auteur Jeffrey Edwards est d’avis que lorsqu’il s’agit de ventes successives d’un immeuble, il est important que la responsabilité du vendeur intermédiaire relative à sa garantie soit établie selon les faits et rapports juridiques afférents à sa propre vente. Cette opinion est reflétée dans l’affaire ING, où la juge Lavigne a déclaré que le sous-acquéreur doit établir que la garantie accessoire lui a été transmise à travers la chaîne de titres - ce qui pourrait exiger la preuve d’une intention de ne pas renoncer à la garantie ou de l’exclure. Dans tous les cas, il faut examiner l’intention des parties avant de conclure que la décision du vendeur de renoncer à la garantie ou de l’exclure a pour effet de priver tous les acquéreurs subséquents d’un recours contre les vendeurs antérieurs, autres que les vendeurs professionnels.
[Le Tribunal souligne][Renvoi omis]
[26] Soulignons que dans cette affaire, le juge Collier met de côté la stipulation d’absence de garantie contenue à l’acte au motif qu’elle ne reflète pas la véritable intention des parties. De plus, il importe de souligner à nouveau que malgré les propos précités du juge Collier, ceci dit avec le plus grand respect, la juge Thibault ne déclare pas, dans l’arrêt Hay c. Jacques, que le sous-acquéreur peut exercer un recours en vertu de l’article 1442 C.c.Q. nonobstant le fait que son vendeur ait exclu la garantie, d’autant plus que tel n’était pas le cas dans cette affaire.
[27] Dans son ouvrage portant sur le droit de la vente, le professeur Denys-Claude Lamontagne[18] rappelle, dans une premier temps, que les garanties et les droits d’action constituent l’accessoire du bien vendu et qu’en l’absence de toute exclusion légale ou conventionnelle, le sous-acquéreur peut recourir contre son propre vendeur, mais aussi contre le vendeur d’origine ou tout vendeur intermédiaire, en faisant ici référence à la notion de chaîne de titres développée par des auteurs.
[28] Traitant plus loin de la garantie de qualité, il adopte toutefois l’approche voulant qu’une clause d’exclusion de garantie n’empêche pas le sous-acquéreur privé de cette garantie de poursuivre l’auteur de son vendeur tenu par ailleurs à la garantie. Selon cet auteur, ce recours direct se fonde sur la transmission des garanties ou des droits d’action. Il précise ensuite qu’en vendant sans garantie, le vendeur n’exclut pas les garanties antérieures puisque la renonciation à un droit ne se présume jamais, de sorte que même si l’acheteur renonce à certains droits d’action à l’égard de son vendeur, on ne peut présumer qu’il renonce à ceux qu’il possède à l’encontre des auteurs de ce vendeur[19].
[29] Cet auteur rappelle enfin que le vendeur immédiat d’un bien ne peut céder des droits d’action qu’il ne possède pas[20], de sorte qu’en l’espèce, Blais ne pouvait céder à un acquéreur subséquent les droits d’action auxquels il a renoncé contre son auteur, en l’occurrence O’Reilly.
[30] Enfin, dans un article traitant spécifiquement de la question, les auteurs Isabelle et Pierre Viens[21] citent avec approbation la décision rendue dans l’affaire ING[22]:
Compte tenu du caractère clair et non équivoque de la clause en question, laquelle respectait les conditions nécessaires pour valoir à titre d’exclusion de garantie contre les vices cachés, le Tribunal a déclaré que la clause n’est pas susceptible d’interprétation et qu’ING n’a en conséquence pas plus de droits que les vendeurs antérieurs, lesquels avaient eux-mêmes renoncé à la garantie légale.
[…]
Ce résultat ne souffre pas d’injustice, puisque suivant la remarque même de la juge Lavigne, un droit inscrit au registre foncier, en l’occurrence une renonciation à la garantie légale contre les vices cachés, est présumé connu de celui qui acquiert un droit sur le même immeuble suivant l’article 2943 du Code civil du Québec.
[…]
Voici donc une autre information que l’acheteur est présumé connaitre et qui malheureusement, en pratique, lui échappe souvent, avec toutes les conséquences que cela implique sur la reconnaissance judiciaire du recours direct contre un vendeur antérieur en droit immobilier.
Discussion
[31] D’entrée de jeu, les interprétations différentes données par nos tribunaux de ces propos tenus par la Cour d’appel, dans l’arrêt Hay c. Jacques, ne rendent pas particulièrement aisée la tâche de trouver la solution à apporter à la question soumise dans le cas présent, dans la mesure où certains en retiennent que la Cour d’appel a alors décidé que le recours du sous-acquéreur contre un vendeur antérieur subsiste malgré toute renonciation par celui-ci ou un acquéreur antérieur à la garantie de qualité.
[32] Il nous semble à cet égard plus prudent de retenir la précision apportée à l’arrêt postérieur que la Cour d’appel a rendu dans l’affaire Dupuy c. Leblanc précitée, selon laquelle le recours d’un sous-acquéreur contre un vendeur antérieur n’est possible que dans la mesure où «[…] son auteur n’avait pas renoncé expressément à cette garantie.»[23].
[33] Selon la jurisprudence et la doctrine analysées ci-dessus, il ne peut être mis en doute que l’article 1442 C.c.Q. serve d’assise à la notion de transmissibilité des droits des parties à leurs ayants cause, dont la garantie légale de la qualité en matière immobilière, puisque constituant un accessoire de l’immeuble vendu.
[34] Demeure maintenant la question de savoir s’il est possible qu’un acquéreur, tout en renonçant à la garantie légale découlant de la vente immédiate de l’immeuble, puisse néanmoins se faire céder ou transmettre la ou les garanties légales qui découleraient des ventes antérieures.
[35] C’est le raisonnement auquel Blais invite le Tribunal à souscrire.
[36] Cette approche suggère nécessairement qu’il puisse y avoir plus d’une garantie légale de qualité, s’accumulant au fil des ventes successives de l’immeuble.
[37] Dès lors, on peut s’interroger sur la portée de cette réserve ou condition posée par la Cour d’appel dans l’arrêt Dupuy c. Leblanc[24] voulant qu’il n’y ait pas renonciation à la garantie, soit qu’elle ne vise que la situation du sous-acquéreur qui veut poursuivre l’auteur de son vendeur immédiat alors que ce dernier a renoncé expressément à la garantie, ou si cette réserve s’étend à tout autre vendeur antérieur, auquel cas il y aurait alors lieu de faire état d’une rupture de la chaîne de transmission de la garantie légale comme dans l’affaire ING[25].
[38] La première hypothèse, qui se limiterait au recours du sous-acquéreur contre l’auteur de son vendeur immédiat, serait une réserve inutile puisque cette situation ne pose en principe aucune difficulté. En effet, le sous-acquéreur d’un bien ne peut se faire céder un droit ou une garantie à laquelle son vendeur immédiat a renoncé contre son auteur, ce qui fait dire au professeur Lamontagne, dans son ouvrage précité, qu’on ne peut céder un droit auquel on a renoncé.
[39] Le Tribunal est plutôt d’avis que les termes utilisés par la Cour d’appel dans l’arrêt Dupuy c. Leblanc visent davantage une renonciation expresse à la garantie de qualité qui fait obstacle à un recours du sous-acquéreur contre tout vendeur antérieur, sans se limiter nécessairement à l’auteur du vendeur immédiat de ce sous-acquéreur, de sorte qu’un acheteur peut renoncer expressément à toute garantie légale de qualité, tant celle de son vendeur immédiat que celles de tous les vendeurs antérieurs.
[40] Toutefois, le Tribunal peut aisément concevoir qu’un acheteur puisse stipuler qu’il renonce à la garantie légale de son vendeur immédiat seulement, ou encore, lorsqu’achetant par exemple un immeuble lors d’une vente sous contrôle de justice, cet acheteur juge nécessaire de stipuler qu’il ne renonce pas aux garanties lui résultant des ventes antérieures.
[41] Ainsi, partant de l’hypothèse qu’un acheteur puisse renoncer à la garantie légale de son vendeur immédiat, mais sans pour autant renoncer à ce que lui soient cédées les garanties dont bénéficie ce même vendeur contre les vendeurs antérieurs, la question se résume uniquement à bien cerner la véritable intention des parties.
[42] En effet, le législateur a prévu aux articles 1732 et 1733 C.c.Q., la possibilité pour les parties d’exclure contractuellement la garantie légale, en partie ou entièrement, mais que cette exclusion n’a pas d’effet si le vendeur n’a pas déclaré les vices qu’il connaissait ou ne pouvait ignorer, à moins que l’acheteur n’achète le bien à ses risques et périls.
[43] Concrètement, que doit-on alors conclure d’une clause fréquemment utilisée, comme celle qui est stipulée en l’espèce, selon laquelle l’acheteur achète l’immeuble « sans aucune garantie légale aux risques et périls de l’acquéreur »?
[44] Le Tribunal estime qu’une telle stipulation ne laisse planer guère de doute sur l’intention de l’acheteur qui indique par cette clause vouloir acheter l’immeuble sans aucune garantie.
[45] Puisque la garantie légale de la qualité existe sans qu’il ne soit nécessaire de la stipuler à l’acte de vente, il incombe alors aux parties, comme le prévoient les articles 1732 et 1733 C.c.Q., de préciser à cet acte de vente leur intention d’ajouter aux obligations de la garantie légale ou d’en diminuer les effets, ou de l’exclure entièrement.
[46] Le Tribunal tient cependant à faire remarquer que la demande principale dans la présente instance fait état de déclarations qui auraient été faites aux demandeurs dans l’acte de vente pertinent quant à l’état de l’immeuble vendu par Blais.
[47] Il est d’ailleurs allégué dans la demande introductive d’instance que certains vices et déficiences affectant l’immeuble ont été reconnus par le vendeur contrairement aux déclarations données à l’acte de vente[26].
[48] Ainsi, comme en font foi les paragraphes 35 et suivants de la demande introductive d’instance, le recours des demandeurs en l’instance semble à la foi basé sur la présence de vices cachés, mais également sur la portée de certaines déclarations ou faits personnels du vendeur, en l’occurrence Blais, et les obligations pouvant en découler.
[49] Selon l’article 1732 C.c.Q. le vendeur ne peut d’ailleurs se libérer de ses faits personnels.
[50] L’exclusion de la garantie de qualité ou la renonciation à celle-ci n’entraîne pas une exclusion ou renonciation au droit d’action d’un acquéreur contre son vendeur pour ses faits personnels, et ce droit d’action est également transmissible en vertu de l’article 1442 C.c.Q.[27]
[51] Or, Blais n’allègue pas ni ne prétend que le droit d’action par sa demande en garantie vise des faits personnels qui lui sont imputés mais qui en fait résultent de faits et gestes imputables aux vendeurs antérieurs.
[52] En effet, Blais n’appuie sa demande en garantie que sur la garantie légale de qualité.
[53] De plus, il n’y a pas lieu pour le Tribunal, compte tenu de cette renonciation claire et non équivoque de Blais dans l’acte de vente pertinent à toute garantie légale, de repousser ce débat sur le fond en rejetant ce moyen d’irrecevabilité au motif qu’une preuve plus complète et concluante pourrait être présentée lors de l’instruction sur l’intention véritable des parties.
[54] Par conséquent, la demande en garantie de Blais est mal fondée en droit en tenant pour vrais les faits y allégués.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[55] ACCUEILLE la demande en irrecevabilité des défendeurs en garantie Léo Constant et Robert Laforce;
[56] DÉCLARE IRRECEVABLE et REJETTE la demande en garantie du défendeur/demandeur en garantie Michel Blais contre les défendeurs en garantie Léo Constant et Robert Laforce;
[57] LE TOUT, avec les frais de justice.
|
||
|
__________________________________ BERNARD TREMBLAY, j.c.s. |
|
Me Justin Gravel Lavery De Billy 95, boulevard Jacques-Cartier Sud, bureau 200 Sherbrooke (Québec) J1J 2Z3 Avocats des demandeurs |
||
|
||
Me Isabelle Sirois Casier 60 Avocate du défendeur/demandeur en garantie Michel Blais |
||
|
||
Me Catherine Rivard et Me Carl Huard Rivard Fournier Casier 61 Avocats du défendeur en garantie/demandeur en arrière-garantie Robert Laforce |
||
|
||
Me Guillaume Lavoie Dussault Lemay Beauchesne Casier 101 Avocats du défendeur en garantie/défendeur en arrière-garantie Léo Constant |
||
|
||
Date d’audience : |
17 février 2021 |
|
[1] Pièce R-6, p. 2.
[2] 2008 QCCQ 7152.
[3] Id.
[4] 2012 QCCS 1850.
[5] 1999 CanLII 13323 (QC CA).
[6] Hay c. Piché, C.S. Terrebonne, no 700-05-000306-955, 20 octobre 1997, j. Bergeron.
[7] Hay c. Jacques, préc., note 5.
[8] Article 1731 C.c.Q.
[9] Barrette c. Paris, 2012 QCCS 1416.
[10] Centre commercial Rimouski inc. c. Ville de Rimouski, C.S. Rimouski, no 100-17-001816-166, 10 janvier 2019, j. La Rosa.
[11] Pierre-Gabriel JOBIN et Michelle CUMYN, « Responsabilité du fabricant », dans La vente, 4 éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, EYB2017VEN17, par. 235
[12] Centre commercial Rimouski inc. c. Ville de Rimouski, préc., note 10, par. 49.
[13] Id., par. 57 et 58.
[14] 2016 QCCA 1141.
[15] Compagnie d'assurances ING du Canada c. Gervais, préc., note 2.
[16] Dagenais c. Pichette, 2018 QCCS 5285; Di Claudio c. Anéjis Stavridis, 2019 QCCS 2946; 9318-2707 Québec inc. (Résidence de l'Arche) c. Moreau, 2019 QCCQ 6451.
[17] Dagenais c. Pichette, préc., note 16.
[18] Denys-Claude LAMONTAGNE, Droit de la vente, 4e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019, EYB2019DRV9, par 158.
[19] Id., par. 264.
[20] Id., par. 218.
[21] Isabelle VIENS et Pierre VIENS, «Interrogations fréquentes en matière de vices cachés : quelques pistes de réflexion pour le juriste», Droit immobilier, Troisième colloque, coll. Blais, no 21, Cowansville, Édition Yvon Blais, 2014.
[22] Compagnie d'assurances ING du Canada c. Gervais, préc., note 2.
[23] Dupuy c. Leblanc, préc., note 14.
[24] Id.
[25] Compagnie d'assurances ING du Canada c. Gervais, préc., note 2.
[26] Par. 22 et 23 de la demande introductive d’instance.
[27] Denys-Claude LAMONTAGNE, Droit de la vente, 4e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019, EYB2019DRV9.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.