Décision

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Tokessy et Polymed Chirurgical Inc.

2010 QCCLP 2523

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Salaberry-de-Valleyfield

31 mars 2010

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

350337-62C-0809

 

Dossier CSST :

112968201

 

Commissaire :

Isabelle Therrien, juge administratif

 

Membres :

Ronald G. Hébert, associations d’employeurs

 

Noëlla Poulin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

John Tokessy

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Polymed Chirurgical inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 5 juin 2008, John Tokessi (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 30 avril 2008 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST conclut que la demande de révision du 28 novembre 2007 d’une décision rendue le 1er août 2007 a été produite hors délai et qu’aucun motif n’a été démontré permettant de relever le travailleur de son défaut.

[3]                La CSST déclare donc la demande de révision du 28 novembre 2007 irrecevable.

[4]                À l’audience tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 17 mars 2010, le travailleur est présent. L’employeur est absent. L’intervenante, la CSST, avise le tribunal de son absence et réfère à son argumentation écrite produite au dossier.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelle d’infirmer la décision rendue le 30 avril 2008, de déclarer recevable la contestation produite le 28 novembre 2007 et de réviser son indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 76 de la loi.

LES FAITS

[6]                Le 11 avril 1997, le travailleur alors âgé de 22 ans, subit un accident du travail. Le diagnostic alors retenu par la CSST est celui d’entorse lombaire. Le 25 janvier 1999 est retenu comme date de consolidation de cette lésion. Le travailleur conserve un déficit anatomo-physiologique de 2% pour entorse lombaire de la colonne dorso-lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées.

[7]                Le travailleur subit une récivide, rechute ou aggravation de sa lésion initiale le 28 janvier 2004. Le diagnostic alors retenu et précisé par la Commission des lésions professionnelles[1] est celui de hernie discale L4-L5 et L5-S1.

[8]                La date de consolidation de cette lésion est fixée au 27 mars 2006 et le travailleur conserve une atteinte permanente à son intégrité physique de 19,4% ainsi que les limitations fonctionnelles suivantes :

Le travailleur doit éviter les activités qui impliquent de :

 

- Soulever, porter, pousser ou tirer de façon répétitive des charges de plus de 5 kilos;

- Garder la même position debout, assise de plus de 30 minutes;

- Effectuer des mouvements répétitifs même de faible amplitude de la colonne lombaire;

- Effectuer des mouvements répétitifs des membres inférieurs;

- Travailler dans une position instable.

 

[9]                Les indemnités de remplacement du revenu du travailleur sont alors établies en fonction d’une base salariale de 18 622.37$, soit celle retenue lors de son événement d’origine, revalorisée.

[10]           Le montant correspondant à la base salariale est à nouveau revalorisé le 28 janvier 2005 puis le 28 janvier 2006.

[11]           Une note d’intervention datée du 13 mars 2007 par madame Johanne Dicaire, agente de la CSST, précise que le travailleur veut des nouvelles de sa demande en vertu de l’article 76.

[12]           Une note générale de madame Martine Limoges datée du 20 juin 2007 et ayant pour titre "art. 76?", fait état que le travailleur aurait fait une demande de l’application de l’article 76 au début du mois de janvier 2007. Madame Limoges ajoute que le dossier physique est aux services juridiques depuis mars 2007.

[13]           Une note d’intervention de madame Judith Bergeron, agente de la CSST, en date du 21 juin 2007, mentionne que le travailleur demande l’application de l’article 76 de la loi.

[14]           La note précise que le travailleur allègue qu’il aurait eu des augmentations salariales depuis son arrêt de travail. Madame Bergeron ajoute que le travailleur ne décrit aucune circonstance particulière permettant d’appliquer l’article 76. Elle mentionne ce qui suit :

Nous refusons d’appliquer cet article de loi sur la seule base que l’indexation des IRR ne reflète pas les augmentations salariales que le travailleur aurait eues s’il était demeuré au même endroit.

 

 

[15]           Le dossier contient une lettre portant la date du 1er août 2007, laquelle se lit comme suit :

Monsieur,

 

Par la présente, nous désirons vous aviser que nous ne pouvons donner suite à votre demande de révision du calcul de votre indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 76 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles tel que vous l’avez demandé.

 

En effet, votre preuve présentée ne nous permet pas de conclure que vous auriez pu occuper un emploi plus rémunérateur n’eut été de circonstances particulières.

 

Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de cette décision ou pour toute autre question. Vous pouvez demander la révision de la décision dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre.

 

Nous vous prions, Monsieur, d’accepter nos salutations distinguées.

 

 

[16]            On ne retrouve aucune mention de cette lettre ou d’une quelconque décision aux notes évolutives de la CSST pour cette période.

[17]           La note d’intervention suivante est rédigée par madame Limoges en date du 24 août 2007 et précise que le travailleur a laissé un message dans la boîte vocale demandant une copie de son dossier.

[18]           .Une note générale rédigée par madame Limoges datée du 18 février 2008 précise ce qui suit :

En effectuant le classement du dossier, contestation non traitée vs décision du 1er août 2007.

La contestation est arrivée par fax le 28 novembre 2007, donc hors-délai. Message laissé à Me Gagnon afin de vérifier si désistement, ou si nous devons faire suivre.

 

 

[19]           Le dossier contient effectivement une lettre signée par Me Annie Gagnon, datée du 7 août 2007 et faxée le 28 novembre 2007, par laquelle cette dernière demande, au nom du travailleur, la révision de la décision rendue par la CSST le 1er août 2007.

[20]           Le travailleur témoigne à l’effet qu’il n’a jamais reçu la lettre du 1er août 2007. Il apprend l’existence de la décision et de la contestation formulée par Me Gagnon lors de sa présence à la Commission des lésions professionnelles, le 3 décembre 2007.

[21]           Dans une lettre datée du 29 janvier 2008, le travailleur expose les motifs qui l’amènent à demander une révision de sa base salariale. Il précise essentiellement que lors de la réadaptation entreprise en 2000, son organisme est entré en état de choc et il a développé des tremblements (physiological tremor).

[22]           Le travailleur attribue ces tremblements au fait qu’il a été poussé, lors de la réadaptation, au-delà de ses capacités physiques. Le travailleur précise que sa condition physique, suite à l’aggravation qu’il a subie lors de sa réadaptation, le rend incapable de travailler et que son revenu est donc "bloqué".

[23]           N’eût été de ces circonstances particulières, le travailleur précise qu’il aurait pu retourner au travail et obtenir un salaire plus élevé.

[24]           Il ajoute également que ses indemnités doivent refléter le fait qu’il ne bénéficie pas d’un fond de pension et qu’il doit donc épargner en conséquence à même les indemnités qu’il reçoit.

[25]           Le 15 février 2008, la CSST rend une décision reconnaissant au travailleur le droit à des indemnités de remplacement du revenu calculées à partir d’un revenu brut assurable de 20 681.48$, conformément à l’article 47[2] de la loi.

[26]           Le 27 février 2008, Me Gagnon envoie un fax à la CSST dans lequel elle précise ce qui suit :

Je vous transmets les documents expliquant le retard à produire la contestation de la décision rendue le 1er août 2007. En effet, j’avais transmis une contestation par télécopieur le 7 août, mais j’ai omis de vérifier le rapport de vérification qui indiquait Pas de réponse/occupé, ainsi la contestation ne s’est pas rendue et je vous l’ai retourné le 27 novembre dernier alors que j’avais constaté mon erreur en révisant le dossier.

 

Je vous soumet que cette négligence de ma part de devrait pas pénaliser le travailleur.

 

D’autre part, vous trouverez ci-joint un retrait de représentation puisque le travailleur m’a retiré mon mandat. Je vous transmet donc ces commentaires à titre informatif afin de documenter le hors délai. (sic)

 

 

[27]           À l’audience le travailleur témoigne à l’effet que son dossier contient de nombreuses incongruités.

[28]           Il mentionne qu’il serait équitable d’ajuster son salaire compte tenu du mal que la CSST lui a fait. Il a été blessé et il est dans une situation pire qu’il ne l’était après son accident. S’il n’avait pas traversé ce qu’il a traversé lors de sa réadaptation, il n’aurait pas effectué de démarche afin d’obtenir une révision de ses indemnités.

[29]           Le travailleur ajoute que le montant de base considéré initialement n’était pas destiné au calcul de ses indemnités à long terme.

[30]           Ses indemnités devraient couvrir le coût d’une assurance maladie, dentaire et d’une pension de retraite après l’âge de 68 ans. Or, le montant qu’il reçoit n’est pas suffisant. Il ajoute qu’il s’est toujours conformé à ce que la CSST lui a demandé.

[31]           Le travailleur dépose des relevés d’état des prestations de l’Agence du revenu du Canada ainsi qu’un tableau émanant de Statistique Canada indiquant les revenus moyens des travailleurs canadiens de 2004 à 2008.

L’AVIS DES MEMBRES

[32]           Conformément aux dispositions de l’article 429.50 de la loi, la commissaire soussignée a obtenu l’avis motivé du membre issu des associations d’employeurs et de la membre issue des associations syndicales ayant siégé auprès d’elle dans la présente affaire.

[33]           La membre issue des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d'avis que la contestation du travailleur est recevable puisque ce dernier a rendu un témoignage crédible à l’effet qu’il n’a jamais reçu la décision en question.

[34]           Le document constituant la décision est par ailleurs questionnable de par sa forme qui ne correspond pas aux lettres-type de la CSST. D’autre part, on ne peut pénaliser le travailleur pour l’erreur de sa représentante, cette dernière ayant reconnu son erreur.

[35]           Quant au fond de l’affaire, les membres sont d’avis que la requête du travailleur doit être rejetée puisqu’il n’y a aucun motif invoqué permettant d’appliquer les dispositions de l’article 76 de la loi.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[36]           Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles doit décider si la demande de révision du travailleur portant la date du 7 août 2007 est recevable.

[37]           L’article 358 de la loi établit le délai dans lequel une personne qui se croit lésée par une décision de la CSST, doit en demander la révision. Cet article prévoit ce qui suit :

358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

 

(…)

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14.

 

 

[38]           En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles retient la version du travailleur à l’effet qu’il n’est mis au courant de l’existence de la décision que le 3 décembre 2007.

[39]           À ce moment, il est avisé, par sa représentante, tant de l’existence d’une décision que de la contestation de celle-ci. Le travailleur est donc notifié de l’existence d’une décision et d’une demande de révision au même moment et le tribunal conclut qu’il a respecté le délai prévu à l’article 358 de la loi.

[40]           La demande de révision formulée par le travailleur à l’encontre de la décision datée du 1er août 2007 est donc recevable.

[41]           La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si elle peut faire droit à la demande du travailleur en vertu de l’article 76 de la loi :

76.  Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.

 

Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.

__________

1985, c. 6, a. 76.

 

 

[42]           Le travailleur rencontre la première condition de l’article 76, soit de ne pouvoir exercer son emploi pendant plus de deux ans. Le tribunal souligne que le travailleur a été blessé à un jeune âge et il n’a pu réintégrer le marché du travail. Cela constitue une perte énorme pour lui mais ne peut être considéré comme étant une circonstance exceptionnelle au sens de l’article 76 de la loi.

[43]           Pour se prévaloir de cette disposition, le travailleur doit démontrer qu’il aurait occupé un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion, n’eût été de circonstances particulières.

[44]           Le travailleur invoque que n’eût été de l’accident dont il a été victime et de la récidive, rechute ou aggravation qu’il a subie par la suite, il aurait conservé son emploi et obtenu des augmentations au fil des années lui procurant ainsi un revenu plus élevé. Aucune preuve n’est administrée à cet effet.

[45]           La jurisprudence a déjà établi que l’article 76 de la loi ne vise pas à compenser la perte de progression salariale[3]. Les augmentations qu’auraient pu obtenir le travailleur au cours des années ne peuvent pas être prises en compte.

[46]           La seule forme d’augmentation est celle prévu par l’article 119 de la loi et tient compte des variations de l’indice des prix à la consommation[4]. Cela constitue le mécanisme prévu à la loi en terme de revalorisation et la Commission des lésions professionnelles ne peut y suppléer de manière à répondre aux attentes du travailleur.

[47]           Le travailleur soutient également que, considérant le tort qui lui a été fait, particulièrement lors de sa réadaptation, il devrait recevoir des indemnités plus élevées. La Commission des lésions professionnelles rappelle qu’elle n’a pas le pouvoir d’octroyer des dommages et intérêts visant à compenser la souffrance et les inconvénients subis à la suite d’une lésion professionnelle, aussi grands soient-ils.

[48]           La Commission des lésions professionnelles conclut que l’article 76 de la loi n’est pas applicable au travailleur.

       

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE EN PARTIE la requête de monsieur John Tokessi, le travailleur;

MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 30 avril 2008 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la requête du travailleur à l’encontre de la décision du 30 avril 2008 est recevable.

 

 

DÉCLARE que l’article 76 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles n’est pas applicable au travailleur, monsieur John Tokessi.

 

 

__________________________________

 

Isabelle Therrien

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Pierre Bouchard

Panneton Lessard

Représentant de la partie intervenante

 

 

 

 



[1]           Tokessi et Polymed Chirurgical inc. , C.L.P. 301487-62C-0610, 7 décembre 2007, M. Auclair.

[2]           47.  Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 47.

 

[3]           Leclerc et Construction Yvan Fortin, C.L.P., 88449-03-9705, le 29 septembre 1998, M. Carignan. Létourneau et Automobile transport inc., C.L.P., 126297-61-9911, le 26 février 2001, G. Morin.

[4]           Art 119 de la loi :

119.  La revalorisation est faite en multipliant le montant à revaloriser par le rapport entre l'indice des prix à la consommation de l'année courante et celui de l'année précédente.

__________

1985, c. 6, a. 119.

 

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