[1] LA COUR; — Statuant sur l'appel d'un jugement de la Cour supérieure du district de Joliette (l'honorable Clément Trudel) rendu le 10 juillet 2002, qui a accueilli, avec dépens la requête en révision judiciaire de l'intimée contre une décision de la mise en cause;
[2] Après étude du dossier, audition et délibéré;
[3] Le juge de première instance a conclu que l'interprétation de la mise en cause des dispositions des articles 83 , 88 , 89 , 91 et 224 de la Loi sur les accidents du Travail et des maladies professionnelles[1] (LATMP) était manifestement déraisonnable au sens retenu par la jurisprudence.
[4] La Cour partage cet avis.
[5] Feu Jean-Guy Roger a été victime d'une lésion professionnelle en 1996 pour « rechute, récidive ou aggravation », qui l'a laissé avec une atteinte permanente lui donnant droit à une indemnité pour dommages corporels, déterminée le 8 novembre 1999, avant que ne survienne son décès, le 30 novembre 1999 pour une cause totalement étrangère à sa lésion professionnelle;
[6] La mise en cause a conclu à l'extinction du droit à indemnité pour dommages corporels en raison du décès du travailleur, survenu plusieurs années après sa réclamation pour «rechute, récidive ou aggravation», faite en 1996 :
L'indemnité pour dommages corporels constitue un droit personnel et non un droit patrimonial susceptible d'être transmis à la succession; il s'agit d'un droit personnel qui se rattache à sa personne même. Le décès vient créer un état de fait qui entraîne des conséquences juridiques immédiates et fait en sorte que le droit à l'indemnité pour dommages corporels s'éteint, sauf l'exception prévue à l'article 91 de la loi.
[7] Cette conclusion repose sur une interprétation déraisonnable des articles 83 et 91 de la LATMP. À cet égard, la Cour reprend à son compte les commentaires du juge Baudouin dans Mc Kenna c. Commission des lésions professionnelles[2]:
[69] Avec égards pour l'opinion contraire, je suis d'avis que l'interprétation donnée par l'instance administrative à l'article 91 est déraisonnable, et voici pourquoi.
[70] Soutenir que le décès met fin automatiquement à toute réclamation pour dommages corporels est faire dépendre le droit à l'indemnité de la conjonction de deux événements sur lesquels le réclamant n'a aucun contrôle, soit le délai de traitement de la réclamation, d'une part, et le décès, d'autre part. Ainsi, le droit qu'accorde clairement le législateur dépendrait de la rapidité avec laquelle la demande est évaluée et de la résistance physique du réclamant.
[71] Ce résultat, me semble-t-il, est absurde et il eût été facile, si telle était la volonté du législateur d'être beaucoup plus précis dans la formulation du premier alinéa de l'article 91. Si le droit naît avec la réclamation, la constatation subséquente de l'existence de toutes les conditions pour que l'indemnité puisse être réclamée ne fait que confirmer ou, le cas échéant, infirmer celui-ci. Par la suite, si ce droit est constaté même après le décès du travailleur, il me semble logique d'affirmer que la créance qu'il représente était due dès le moment où la demande a été faite. L'adjudication sur les conditions de l'ouverture du droit de réclamer l'indemnité est simplement déclaratoire puisqu'elle vise à constater l'existence de certains faits et non constitutive de droit.
[72] On imagine - et je ne veux naturellement pas passer pour avoir dit qu'il s'agit de la réalité - que le versement de l'indemnité du travailleur pourrait aussi dépendre de la longueur des contestations par l'employeur et de la bonne ou mauvaise volonté des fonctionnaires en charge du dossier.
[73] L'interprétation donnée à l'article 91 me semble donc manifestement déraisonnable lorsqu'on l'analyse sur le plan des principes juridiques - le droit à la créance naîtrait de son acquittement avant le décès - et de ses effets - le droit à la créance dépendrait d'actes sur lesquels le réclamant n'a aucun espèce de contrôle.
[8] POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[9] REJETTE l'appel, avec dépens
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.