Air Canada c. P.A. |
2021 QCCA 873 |
COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
200-09-009977-197 & 200-09-009979-193 |
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(200-06-000112-089) |
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DATE : |
25 mai 2021 |
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[1] L’appelante Air Canada se pourvoit contre le jugement de la Cour supérieure rendu le 21 février 2019 (l’honorable Catherine La Rosa), qui accueille en partie l’action collective du représentant P... A... en dommages-intérêts compensatoires, moraux, punitifs et exemplaires pour les pratiques et les politiques tarifaires discriminatoires de ce transporteur envers ses passagers atteints d’une déficience.
[2] L’appelant P... A... en sa qualité de curateur à N... A..., agissant pour le compte de personnes ayant une déficience et pour celui de leur accompagnateur, appelle également de ce jugement qui limite les groupes aux passagers ayant payé au Québec des frais additionnels pour leur embarquement dans un avion de l’intimée Air Canada et qui ordonne de procéder par recouvrement individuel.
[3] Pour les motifs du juge Gagnon auxquels souscrivent les juges Rochette et Bouchard, LA COUR :
Dossier 200-09-009977-197
[4] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
Dossier 200-09-009979-193
[5] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
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[6] II s’agit de deux appels formés par Air Canada et par M. P... A... ès qualités de curateur à N... A... (« P... A... »)[1]. Les deux appelants contestent pour des motifs différents un jugement de la Cour supérieure rendu le 21 février 2019 (l’honorable Catherine La Rosa), qui accueille en partie l’action collective intentée contre Air Canada par P... A..., ce dernier agissant pour le compte de personnes ayant une déficience fonctionnelle et pour celui de leur accompagnateur (les « Groupes »)[2].
[7] Le recours autorisé par la même juge le 3 octobre 2011 portait sur « une action en dommages-intérêts compensatoires, moraux, punitifs et exemplaires contre Air Canada afin de sanctionner des pratiques et des politiques tarifaires discriminatoires à l’égard des personnes ayant une déficience et/ou souffrant d’obésité »[3].
[8] Compte tenu de sa politique tarifaire jugée discriminatoire et fautive à l’égard des membres des Groupes, Air Canada a été condamnée à les indemniser pour le préjudice encouru pour les frais payés pour le siège additionnel rendu indispensable en raison de leur déficience et pour les coûts occasionnés par leur accompagnateur devenu nécessaire du fait de cette déficience. La Cour supérieure a toutefois réservé sa compétence aux fins d’établir les modalités entourant la procédure de réclamation selon un mode individuel.
[9] Pour établir la responsabilité contractuelle d’Air Canada, la juge s’est fondée sur une décision de l’Office des transports du Canada (« l’Office ») rendue le 10 janvier 2008 (« la décision Norman »)[4]. Cette décision énonce que la politique tarifaire des transporteurs aériens Air Canada et WestJet concernant le coût du siège additionnel requis pour des voyageurs ayant une déficience au sens de la Loi sur les transports au Canada (« LTC »)[5] constitue un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de ces personnes à l’intérieur du système de transport canadien. Un arrêt de notre Cour rendu dans l’affaire WestJet c. Chabot[6] (« WestJet ») résume ainsi les conclusions de la décision Norman :
[6] En 2008, à la demande d'Éric Norman, de Joanne Neubauer et du Conseil des Canadiens avec déficiences (ci-après « CCD »), l'OTC rend une décision, en vertu du paragraphe 172(3) de la LTC, déclarant que les politiques tarifaires d'Air Canada et de WestJet, pour les vols intérieurs (nationaux), qui imposent un coût par siège, constituent des "obstacles abusifs" aux possibilités de déplacement dans le réseau de transport fédéral des personnes ayant une déficience.
[7] L'OTC ordonne alors à Air Canada et à WestJet de modifier leurs politiques et procédures actuelles afin d'instituer le régime « une personne, un tarif » (politique 1P1T) à l'intention des personnes ayant une déficience et/ou souffrant d'obésité. Il n'est dès lors plus possible pour ces transporteurs de percevoir des frais pour le siège additionnel utilisé par les passagers (ou leur accompagnateur) faisant partie des trois groupes suivants :
- les personnes qui doivent voyager avec un accompagnateur en vertu des règles imposées par le tarif du transporteur;
- les personnes ayant une déficience en raison de leur obésité;
- les autres personnes qui ont besoin d'un siège additionnel pour elles-mêmes en raison de leur déficience.
[8] Un délai de 12 mois est accordé aux deux sociétés aériennes pour mettre en œuvre cette nouvelle politique.[7]
[10] En appel, Air Canada plaide que la décision Norman a modifié fondamentalement ses obligations envers ses passagers ayant une déficience au sens où l’entend la LTC. Elle soutient que l’Office a changé si radicalement l’état du droit au moment d’appliquer les notions « d’obstacle abusif » et de « contrainte excessive » que la possibilité d’accorder à cette décision une portée rétroactive s’en trouve nécessairement écartée. Je mentionne au passage que le jugement entrepris fixe la période d’indemnisation du 5 décembre 2005 au 5 décembre 2008.
[11] De manière subsidiaire, Air Canada s’interroge sur la portée à accorder au mot « accompagnateur ». Il s’agit de la personne appelée à voyager avec un passager admissible au régime une personne, un tarif (« 1P1T »)[8] appliqué par l’Office au moment de rendre sa décision dans Norman. J’y reviendrai. De plus, Air Canada soulève l’absence de lien de droit entre elle et l’accompagnateur qui a acquitté lui-même les frais d’embarquement.
[12] P... A... se pourvoit également contre le jugement entrepris. En première instance, son recours ambitionnait de regrouper tous les voyageurs canadiens avec une déficience ayant acheté une carte d’embarquement auprès d’Air Canada. En appel, il conteste la décision de la juge de limiter les Groupes aux personnes ayant payé au Québec des frais additionnels pour leur embarquement dans un avion de ce transporteur. Il s’en prend aussi à la conclusion qui ordonne de procéder par recouvrement individuel.
A) ORIGINE DU LITIGE ET MISE EN SITUATION
[13] Les faits à l’origine de ce pourvoi trouvent leur source dans une difficulté de longue date à laquelle ont dû faire face les voyageurs canadiens atteints d’une déficience. Dans le passé, ces personnes se sont souvent heurtées à des obstacles résultant des politiques et procédures adoptées par les transporteurs qui exigeaient d’elles le paiement du coût d’un siège additionnel pour elles-mêmes en raison de leur déficience ou pour leur accompagnateur.
[14] Ces pratiques ont souvent fait l’objet de dénonciations auprès des organismes compétents tel l’Office, un tribunal quasi judiciaire dont un des mandats est d’éliminer les obstacles abusifs aux possibilités de déplacement au sein du réseau de transport canadien par les personnes atteintes d’une déficience[9].
[15] Au cours des dernières décennies, le Conseil des Canadiens avec déficiences (« CCD »)[10], un organisme composé de représentants d’organisations provinciales œuvrant dans tout le pays au bénéfice des personnes ayant une déficience, s’est avéré être un acteur important dans la dénonciation et la recherche d’une forme d’accommodement en vue d’écarter dans la mesure du possible les obstacles abusifs.
[16] L’historique du dossier fait voir que l’implantation du régime 1P1T mentionné précédemment constitue une revendication de longue date de la part du CCD. En fait, cette question semble avoir toujours fait partie des priorités de cet organisme depuis sa fondation à la fin des années 70. En 1979, le CCD a même organisé une conférence nationale sur les transports lors de laquelle il fut demandé aux transporteurs d’assumer les frais additionnels pour les accompagnateurs[11].
[17] Interpellé notamment par le CCD, l’Office a eu à se pencher à plusieurs reprises sur des allégations d’obstacles abusifs. Chaque fois, des contraintes de coûts et, dans une moindre mesure, des contraintes liées à la sécurité et aux opérations des transporteurs ont été invoquées avec un certain succès, leur permettant ainsi de maintenir de façon quasi intacte leur structure tarifaire.
[18] En dépit de certains ajustements, les résultats demeuraient toujours insatisfaisants du point de vue des voyageurs ayant une déficience. En 1999, la Cour suprême, dans l’arrêt Grismer, est venue rappeler qu’au moment d’étudier cette question, il importait d’accorder « suffisamment d’importance à l’accommodement de la personne handicapée »[12].
[19] En 2007, la juge Abella, dans l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada inc. (« VIA Rail »)[13], confirme que, lorsque l’Office est saisi d’une question de protection des droits de la personne ayant une déficience, ce tribunal administratif doit appliquer les principes de la Loi canadienne sur les droits de la personne (« LCDP »)[14] aux fins de relever les « obstacles abusifs » dans le contexte du transport canadien[15]. La juge Abella précise aussi qu’au moment d’apprécier le droit d’un voyageur de ne pas être confronté à des obstacles abusifs, l’Office est lié par l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U. (« Meiorin ») de la Cour suprême[16].
[20] Ensuite, la juge Abella trace un parallèle entre le mandat de l’Office et celui de la Commission canadienne des droits de la personne. En ayant à l’esprit les principes de l’arrêt Meiorin, elle indique que l’analyse faite en milieu de travail pour identifier une atteinte injustifiable à des principes en matière de droits de la personne s’applique aux obstacles physiques. Elle rappelle aussi que l’obstacle dont la conséquence est de priver une personne d’un service en raison d’une déficience sera justifié s’il est impossible de composer avec cette personne sans que le responsable du service subisse une contrainte excessive[17].
[21] En somme, il s’agit d’appliquer, avec les adaptations nécessaires dans le domaine du transport, la notion d’accommodement raisonnable développée en matière de droits de la personne. Ainsi, en présence d’un obstacle, l’accommodement visera à éliminer cet obstacle, à moins d’imposer au débiteur de l’obligation un fardeau excessif ou déraisonnable de la nature d’une contrainte excessive. Selon la preuve, l’obstacle pourra toutefois être jugé raisonnablement nécessaire au regard de critères spécifiques comme les coûts liés à l’implantation de la mesure corrective, des difficultés opérationnelles ou encore des problèmes de sécurité inhérents à cette mesure.
[22] L’arrêt VIA Rail précise aussi que la conciliation de ces facteurs propres au milieu du transport est éminemment contextuelle et intimement liée à ce secteur d’activité. C’est pourquoi il revient à l’Office en raison de son expertise en ce domaine, et non à un tribunal des droits de la personne, de trancher des questions de discrimination dans le système de transport fédéral. Les principes dégagés par la jurisprudence en matière de droits de la personne trouvent donc application avec beaucoup d’à-propos pour identifier les obstacles abusifs ou discriminatoires que peuvent subir de temps à autre des voyageurs éprouvés par cette forme d’atteinte en raison de leur condition et, le cas échéant, pour décider des mesures correctives applicables au regard de la notion de « contrainte excessive ».
[23] Cette digression sur l’arrêt VIA Rail m’a paru nécessaire pour mettre en contexte une décision marquante rendue par l’Office l’année suivante. Il s’agit de la décision Norman mentionnée au début de mes motifs. Mais revenons un peu en arrière.
[24] En l’année 2003, Eric Norman, Johanne Neubauer et le CCD déposent devant l’Office une demande contre Air Canada notamment pour réclamer l’abolition des frais de siège additionnel chargés aux personnes ayant une déficience[18].
[25] Au cours des ans, l’Office avait été saisi de plusieurs demandes de même nature contre Air Canada et d’autres transporteurs[19]. La décision Norman n’était que l’aboutissement d’une longue saga administrative[20] et mettait un terme à certaines prétentions des transporteurs aériens au regard de la suffisance de leurs mesures correctives et du fait que toutes mesures additionnelles à celles déjà prises allaient constituer une contrainte excessive.
[26] Sensibilisée depuis longtemps à cette problématique qui n’avait pour elle rien d’une surprise au moment de se présenter devant l’Office lors de l’audition qui allait conduire à la décision Norman, Air Canada avait par le passé tenté d’atténuer les effets discriminatoires de sa politique tarifaire en implantant une forme d’accommodement par l’octroi d’un rabais de 50 % du prix du billet pour l’accompagnateur d’une personne ayant une déficience[21]. Le jour du voyage, il arrivait aussi à Air Canada d’offrir un siège additionnel sans frais aux personnes ayant une déficience en raison de leur obésité. Cette mesure qualifiée de « spéciale » n’avait toutefois rien de systématique. Elle s’appliquait selon la disponibilité de sièges dans l’avion[22] et sans égard aux principes directeurs en matière d’accommodement raisonnable.
[27] Lors des auditions tenues dans le cadre de la décision Norman, Air Canada a soutenu devant l’Office que toute forme d’accommodement supérieure aux mesures déjà prises allait avoir des répercussions importantes sur sa situation financière au point de constituer une contrainte excessive. Il s’agissait, en fait, du même argument relevé un an plus tôt par la juge Abella dans VIA Rail :
[128] Pour justifier le maintien d’un obstacle discriminatoire, on invoque dans presque tous les cas ce qu’il en coûterait pour l’atténuer ou l’éliminer afin de répondre aux besoins de la personne qui demande l’accès. […][23]
[28] L’Office a vu les choses autrement. Sur le plan des principes, il a d’abord rappelé que les personnes ayant une déficience doivent bénéficier avec dignité et respect de l’égalité d’accès au système de transport canadien[24]. Il a ensuite indiqué que ce droit incluait celui de ne pas subir de désavantage économique en raison de la déficience d’un voyageur[25].
[29] En application de ces principes inspirés de l’arrêt VIA Rail, l’Office en est venu à la conclusion que les frais pour un siège additionnel chargés à une personne ayant une déficience constituaient un désavantage économique important pour cette personne au point de créer un obstacle abusif au sens de la LTC. Il a ensuite jugé insuffisantes les mesures d’accommodement « spéciales » mises en place par Air Canada.
[30] Comme il s’agissait d’une atteinte aux droits de la personne au sens de la LCDP et comme le prescrit l’arrêt Meiorin, l’Office s’est ensuite demandé si l’implantation du régime 1P1T allait constituer une contrainte excessive pour Air Canada, notamment au regard des coûts additionnels résultant de la mise en place de ce régime. Autrement dit, l’obstacle créé par la grille tarifaire d’Air Canada était-il raisonnablement nécessaire?
[31] Avant de répondre à cette question, l’Office s’est vu présenter une volumineuse preuve technique soutenue par une dizaine d’expertises visant à démontrer que les coûts estimatifs reliés à cette mesure constituaient pour Air Canada une contrainte excessive.
[32] L’Office, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, a rejeté cette prétention. En ayant à l’esprit son obligation d’accorder « suffisamment d’importance à l’accommodement de la personne handicapée »[26], l’Office a plutôt retenu l’argument des demandeurs et forcé l’implantation du régime 1P1T.
[33] La décision Norman, qui se développe sur 229 pages, est à l’origine de l’action collective dont était saisie la juge puisque la LTC ne confère pas compétence à l’Office pour consentir un redressement de la nature de celui recherché dans les procédures de P... A...[27].
[34] En première instance, la juge accepte la position de P... A... selon laquelle Air Canada a commis une faute contractuelle (art. 1458 C.c.Q.) en percevant, par le biais d’une politique tarifaire discriminatoire, des frais pour le siège additionnel requis de ses voyageurs ayant une déficience. Les règles du Code civil du Québec, de la LTC et de la LCDP constituent l’assise légale de la responsabilité contractuelle d’Air Canada.
[35] La preuve de la faute contractuelle du transporteur a reposé dans une large mesure sur la décision Norman à laquelle la juge a attribué une présomption simple d’exactitude[28]. Dans un jugement rendu en cours d’instance, la juge avait préalablement accepté la recevabilité de cette preuve en ces termes :
[39] Ainsi, une grande partie du travail effectué par un organisme quasi judiciaire dans le contexte d’une audience approfondie dans un domaine spécialisé pourra être utilisé dans certains cas par le justiciable dans une autre instance. Nul besoin de tout reprendre à zéro. C’est là le but de la preuve par présomption simple d’exactitude.
[40] En termes plus pratiques, cela signifie qu’il appartient maintenant à Air Canada de tenter de renverser cette présomption par preuve contraire. […][29]
[36] Dans le jugement entrepris, la juge a ainsi circonscrit la portée qu’elle entendait accorder à la décision Norman :
[85] Ainsi, on peut présumer de la véracité, entre autres, de la présence d’un obstacle au sens de la LTC, de son caractère abusif et de l’absence de contrainte excessive pour Air Canada de même que du « nombre estimatif de voyages annuels intérieurs par personne ayant une déficience qui a besoin d’un siège additionnel pour répondre à ses besoins (54 200 voyages par année) et le tarif moyen par voyage (de 244,20 $) ».[30]
[Renvois omis; italique dans l’original]
[37] Transposée sur le plan du droit civil, la conclusion de l’Office selon laquelle la politique tarifaire d’Air Canada était abusive ou encore discriminatoire devenait la faute contractuelle d’Air Canada à l’origine de sa responsabilité[31]. Quant aux mesures d’accommodement mises en place volontairement par le transporteur, on peut inférer du jugement entrepris qu’elles ont été jugées insuffisantes du point de vue contractuel pour rompre le lien de causalité entre la faute et le dommage. Finalement, la réparation de nature systémique imposée par l’implantation du régime 1P1T pouvait servir de modèle, avec les adaptations nécessaires, pour la fixation des dommages subis par les membres des Groupes.
[38] En première instance, Air Canada n’a pas véritablement tenté de renverser cette présomption. Elle s’est appliquée à plaider que le Code civil du Québec et la LCDP ne trouvaient pas application en dépit de l’arrêt WestJet qui avait pourtant conclu dans le sens contraire. Elle a soutenu aussi que la Cour supérieure n’avait pas compétence pour se prononcer sur l’objet même de l’action collective[32]. Subsidiairement, Air Canada a défendu ses pratiques tarifaires sans égard pour la décision Norman, ajoutant que, de toute façon, les membres des Groupes n’avaient subi aucun dommage[33].
[39] En appel, Air Canada reconnaît maintenant que le recours dont était saisie la juge repose sur l’application des articles 1458, 1590 et 1607 C.c.Q.[34] et elle ne conteste plus la compétence de la Cour supérieure pour trancher sa responsabilité contractuelle.
B) LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
i) Considérations préliminaires
[40] La juge répond d’abord à six questions préliminaires posées par les parties.
[41]
Les Groupes des accompagnateurs doivent-ils être inclus dans l’action
collective?
Air Canada soutenait que les accompagnateurs n’étaient pas personnellement
victimes d’une politique tarifaire discriminatoire et que, subsidiairement, les
proches d’une personne déficiente devaient être exclus de la définition
d’accompagnateur. La juge a rejeté cette position. Elle s’est dite d’avis que
l’accompagnateur est un accessoire au transport de la personne déficiente et
non un simple passager autonome, d’où l’importance de l’inclure dans l’action
collective. De plus, comme la politique tarifaire d’Air Canada exige d’une
personne ayant une déficience d’être accompagnée, la notion d’accompagnateur ne
devrait pas être restreinte par des liens d’amitié ou de parenté[35]. En appel,
Air Canada conteste ces conclusions.
[42] La présente action a-t-elle une portée pancanadienne? La juge répond à cette question par la négative et réduit la portée de l’action collective aux personnes qui ont payé au Québec des frais additionnels pour leur embarquement dans un avion d’Air Canada. P... A... fait de cette question un moyen d’appel.
[43] Quelle est la nature de l’action collective? Se fondant sur l’arrêt WestJet[36], la juge estime que la nature du litige relève de la responsabilité contractuelle d’Air Canada. Cette conclusion tirée, elle considère inutile d’analyser en vertu de la LTC les politiques tarifaires de ce transporteur pour déterminer s’il s’agit d’obstacles abusifs aux déplacements des membres des Groupes à l’intérieur du réseau de transport fédéral[37]. Cette conclusion n’est pas directement remise en question par ce pourvoi.
[44] La Cour supérieure a-t-elle compétence pour entendre l’action collective? La juge répond à cette question par l’affirmative. La compétence ratione materiae de la Cour supérieure a été tranchée lors du jugement d’autorisation et bénéficie de l’autorité de la chose jugée[38]. De surcroît, la Cour a confirmé dans WestJet[39] la compétence de la Cour supérieure pour entendre et décider d’une action collective en responsabilité contractuelle dans laquelle des dommages-intérêts sont réclamés à ce transporteur pour l’exécution fautive d’une obligation découlant du contrat intervenu avec les passagers réclamants[40]. Ces conclusions demeurent incontestées en appel.
[45] Quelles sont les dispositions applicables aux fins de trancher l’action? S’agissant d’une action en responsabilité civile contractuelle, la juge conclut que les articles 1458, 1590 et 1607 C.c.Q. trouvent application. La faute contractuelle alléguée consiste en la politique tarifaire d’Air Canada qui contrevient aux obligations imposées par le Code civil du Québec, l’article 5 de la LTC et les articles 2, 3 et 5 de la LCDP.
[46] En ce qui a trait à l’application du Code civil du Québec, la juge en vient à la conclusion que les lois provinciales d’application générale « peuvent s’appliquer aux entreprises qui relèvent de la compétence fédérale sauf si la loi provinciale entrave l’entreprise dans certains de ses éléments vitaux, fondamentaux ou essentiels »[41]. La juge conclut que la faute d’Air Canada en lien avec des pratiques discriminatoires n’affecte pas la protection des éléments vitaux, fondamentaux ou essentiels de l’entreprise. Sa responsabilité civile relève donc de la compétence des provinces en vertu du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867[42].
[47] Quant à la LTC et à la LCDP, la juge affirme que P... A... peut y référer dans le cadre de son recours en responsabilité civile contractuelle puisque l’action collective n’a pas pour but de réglementer Air Canada ni de déterminer si ses politiques tarifaires constituent des obstacles abusifs aux déplacements des voyageurs à l’intérieur du réseau de transport fédéral au sens de la LTC[43]. Il s’agit donc de décider si la violation de ces lois fédérales est constitutive d’une faute civile en vertu de l’article 1458 C.c.Q.
[48] Quelle est la force probante de la Décision Norman? La juge souligne, comme cela avait été annoncé dans deux jugements rendus en cours d’instance[44], que les motifs et le dispositif de la décision Norman jouissent d’une présomption simple d’exactitude. Elle pouvait donc présumer, entre autres, de la présence d’un obstacle au sens de la LTC, de son caractère abusif, de l’absence de contrainte excessive pour Air Canada et du nombre estimatif de voyages annuels de personnes ayant une déficience, soit 54 180 voyages au tarif moyen de 244,20 $[45]. Il appartenait à Air Canada de renverser cette présomption.
[49] Comme on le verra plus loin, la question de la contrainte excessive ne constitue pas un véritable enjeu aux fins de trancher ce pourvoi.
ii) La responsabilité d’Air Canada
[50]
La faute. En vue de déterminer si Air Canada a commis une
faute au sens de la responsabilité civile contractuelle, la juge se pose trois
questions : (1) Air Canada, par l’entremise de sa politique
tarifaire, a-t-elle commis un acte discriminatoire? (2) Si une telle
discrimination existe, constitue-t-elle une faute au sens de l’article 1458 C.c.Q.?
(3) S’il y a faute, Air Canada peut-elle s’exonérer en
invoquant un moyen de défense valable?
[51] En s’appuyant sur la grille d’analyse Meiorin et sur la décision Norman, la juge conclut au caractère discriminatoire de la politique tarifaire d’Air Canada. Elle estime aussi que la mise en œuvre du régime 1P1T ne constitue pas une contrainte excessive au sens de l’arrêt Meiorin.
[52] La juge est également d’avis que la présomption d’exactitude de la décision Norman n’a pas été repoussée par Air Canada. Elle rejette aussi l’argumentaire du transporteur selon lequel la décision Norman serait de droit nouveau et constituerait la première application de l’arrêt VIA Rail, lui-même constitutif d’obligations inédites pour les transporteurs. Selon Air Canada, cet arrêt entraîne une « modification fondamentale du droit applicable » au sens de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Hislop (« Hislop »)[46]. Comme la décision Norman a pris effet en janvier 2009, celle-ci ne peut avoir une portée rétroactive, comme l’enseigne l’arrêt Hislop. Voici comment la juge répond à cette prétention :
[97] Certes, l’arrêt VIA Rail confirme l’application du test de l’arrêt Meiorin en contexte de transport. Ainsi, peut-on affirmer que l’OTC, lorsqu’il apprécie la portée du droit d’un demandeur de ne pas être confronté à des obstacles abusifs au sens de la LTC, doit, au même titre que la Commission canadienne des droits de la personne, imposer au transporteur l’obligation d’accommoder au sens des lois sur les droits de la personne, dont la LCDP, c’est-à-dire tant qu’il n’en résulte pas une contrainte excessive. En d’autres termes, la Cour suprême du Canada assimile le critère de la LTC à celui de l’arrêt Meiorin en droits de la personne.
[…]
[100] En effet, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt VIA Rail, fondement de la décision de l’OTC, voit dans le libellé de la LTC une simple reconnaissance légale du critère de la contrainte excessive. Elle réfère d’ailleurs à un arrêt de la Cour d’appel fédérale de 2001 où cette dernière s'est expressément reportée à la jurisprudence établie sur les « contraintes excessives » dans le contexte des droits de la personne pour l’« analyse relative aux obstacles abusifs ».[47]
[Soulignement dans l’original; renvois omis]
[53] La juge ajoute « [qu’]il est maintenant acquis que la contravention à une loi d'ordre public constitue en principe une faute civile donnant lieu à réparation, dans la mesure où les autres éléments de la responsabilité civile sont présents »[48].
[54] Bref, l’argument basé sur la modification fondamentale du droit est rejeté. Cette prétention d’Air Canada est toutefois reprise avec insistance en appel.
[55] Le dommage. La juge reconnaît l’existence de dommages pécuniaires en raison de la politique tarifaire discriminatoire d’Air Canada et considère que le préjudice subi correspond au coût du billet d’avion pour le second siège[49].
[56] Elle refuse toutefois d’accorder des dommages moraux aux membres des Groupes puisque l’arrêt Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc.[50] enseigne la nécessité de démontrer un préjudice moral chez chacun des membres pris individuellement ou encore un préjudice moral partagé par tous les membres des Groupes[51]. Cette preuve n’a pas été faite en première instance[52] et aucun moyen d’appel ne porte sur cette question.
[57] Le lien de causalité. La juge conclut que le préjudice subi par les membres des Groupes découle des pratiques fautives d’Air Canada et qu’il existe un lien de causalité entre ces pratiques et le préjudice prouvé[53].
iii) Le recouvrement
[58] Je reviendrai sur cet aspect du jugement entrepris dans le cadre de l’appel de ’P... A.... Pour l’instant, il suffit de dire que la juge a privilégié le mode de recouvrement individuel et que les Groupes contestent cette conclusion.
C) L’APPEL D’AIR CANADA
[59] Aux fins de son pourvoi, Air Canada pose trois questions :
- Air Canada peut-elle être tenue responsable des dommages pécuniaires réclamés sur la seule base de la décision Norman?
- De manière subsidiaire, Air Canada est-elle tenue de rembourser les frais d’embarquement des accompagnateurs qui voyagent avec des personnes admissibles au régime 1P1T pour d’autres raisons?
- Les accompagnateurs qui ont acquitté eux-mêmes leurs frais d’embarquement (le deuxième groupe) ont-ils un recours valable contre Air Canada?
[60] Pour les raisons suivantes, je suis d’avis de répondre par l’affirmative à chacune de ces questions et, conséquemment, de proposer le rejet de l’appel d’Air Canada.
i) Le fondement de la responsabilité d’Air Canada
[61] Ce premier moyen d’appel se subdivise en deux sous-questions. Dans un premier temps, Air Canada plaide que la juge n’aurait pas appliqué les bonnes règles de droit au moment de retenir sa responsabilité contractuelle. Ensuite, Air Canada avance que l’arrêt McKay-Panos c. Air Canada (« McKay-Panos ») de la Cour d’appel fédérale[54], l’arrêt VIA Rail de la Cour suprême[55] et la décision Norman de l’Office constituent du droit nouveau, à telle enseigne que ces précédents auraient modifié le paysage juridique au point où les obligations des transporteurs aériens envers leurs passagers ayant une déficience s’en sont trouvées profondément modifiées. Selon Air Canada, les nouvelles règles tirées de cette jurisprudence, en raison du changement profond qu’elles suggèrent, ne peuvent avoir de portée rétroactive, de sorte que sa responsabilité contractuelle ne pouvait pas reposer sur la décision Norman.
1. La responsabilité contractuelle d’Air Canada
[62] Air Canada affirme n’avoir transgressé aucune règle du Code civil du Québec. Je résume ainsi son raisonnement au soutien de cette prétention : bien que le Code civil du Québec puisse inclure parmi les obligations contractuelles les règles relatives à la non-discrimination contenues dans des lois particulières portant sur les droits de la personne, comme la LCDP, le critère de l’obstacle abusif, une notion étrangère au Code civil du Québec, relève seulement de l’application de la LTC.
[63] Air Canada avance que l’analyse de sa politique tarifaire devait se faire au regard des règles de la LTC. Elle précise qu’elle ne devrait pas être taxée d’avoir mis en place une politique tarifaire abusive et discriminatoire sans égard aux critères de l’article 5 de la LTC ci-après reproduit :
5 - Déclaration : Il est déclaré qu’un système de transport national compétitif et rentable qui respecte les plus hautes normes possibles de sûreté et de sécurité, qui favorise un environnement durable et qui utilise tous les modes de transport au mieux et au coût le plus bas possible est essentiel à la satisfaction des besoins de ses usagers et au bien-être des Canadiens et favorise la compétitivité et la croissance économique dans les régions rurales et urbaines partout au Canada. Ces objectifs sont plus susceptibles d’être atteints si : […]
c) les prix et modalités ne constituent pas un obstacle abusif au trafic à l’intérieur du Canada ou à l’exportation des marchandises du Canada; […] |
5 - Declaration: It is declared that a competitive, economic and efficient national transportation system that meets the highest practicable safety and security standards and contributes to a sustainable environment and makes the best use of all modes of transportation at the lowest total cost is essential to serve the needs of its users, advance the well-being of Canadians and enable competitiveness and economic growth in both urban and rural areas throughout Canada. Those objectives are most likely to be achieved when […]
(c) rates and conditions do not constitute an undue obstacle to the movement of traffic within Canada or to the export of goods from Canada;
[…] |
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[Soulignement ajouté] |
[64] Avec égards, la thèse d’Air Canada procède d’une mauvaise interprétation de la teneur de la preuve présentée en première instance et surtout d’une importation sans nuance de concepts propres aux droits de la personne pour en faire partie intégrante du régime de la responsabilité contractuelle.
[65] Ce litige concerne la responsabilité contractuelle d’Air Canada. La Cour supérieure avait pour tâche de décider si cette partie avait engagé sa responsabilité et dans quelle mesure. Aux fins de trancher ces questions, les règles édictées au Code civil du Québec devaient donc recevoir application, comme cela a d’ailleurs été décidé à bon droit par la juge.
[66] Sur ce point, il y a lieu de revenir à l’arrêt WestJet[56]. Cet arrêt de la Cour s’inscrit dans le cadre d’une demande d’autorisation pour instituer une action collective, plus précisément dans le contexte d’une exception déclinatoire rejetée par la Cour supérieure devant laquelle WestJet soutenait que cette instance n’avait pas compétence pour trancher l’action intentée par la représentante Chabot. Ce transporteur plaidait que la LTC conférait à l’Office une juridiction exclusive pour trancher tout différend relatif au transport de personnes ayant une déficience. Or, dans WestJet, la Cour a fermement rejeté cette proposition. Voici comment la juge Hogue, écrivant au nom de la Cour, présente le litige :
[31] Cette action de nature adjudicative se fonde sur un cadre législatif préexistant, notamment les éléments de la Politique nationale des transports énoncés au paragraphe 5c) de la LTC et les articles 2, 3 et 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
[32] La question qui se pose donc est celle de savoir si le Parlement a retiré cette compétence adjudicative de la Cour supérieure au profit de la compétence adjudicative de l’OTC énoncée à l’article 172 de la LTC.
[33] C’est à cette question qu’il convient de répondre en premier lieu puisque si cela est le cas, il n’y aura pas lieu de traiter des deux autres moyens, qui ne sont que subsidiaires.[57]
[67] La Cour explique qu’en dépit du pouvoir d’adjudication détenu par l’Office, la Cour supérieure conserve sa compétence pour entendre un recours civil découlant des fautes réglementaires des transporteurs aériens. La Cour a ainsi donné son aval à la Cour supérieure pour entendre un recours en responsabilité civile fondé sur une contravention à une obligation découlant à la fois du Code civil du Québec, de la LCDP et de la LTC. Elle écrit :
[62] La nature essentielle de l’action collective est, ici, une action en responsabilité contractuelle pour avoir contrevenu à une obligation qu’imposent le Code civil du Québec et la Loi canadienne sur les droits de la personne (« LCDP ») puisque les intimées reprochent à l’appelante, par le biais de sa politique tarifaire, une pratique discriminatoire, « abusive et fautive ». Le résultat concret recherché par les intimées est l’obtention de dommages-intérêts en vue de compenser le préjudice prétendument causé par les fautes de l’appelante. […]
[…]
[72] L’action collective instituée par les intimées est de la nature d’une action en responsabilité contractuelle. Pour réussir, les intimées devront donc démontrer que l’appelante a commis une faute contractuelle puisqu’ils ont opté pour un recours contractuel. La faute découlera possiblement du non-respect d’une disposition de la LTC, mais aussi des obligations imposées par le Code civil du Québec et la Loi canadienne sur les droits et libertés. La notion de faute, dans les circonstances n’est pas la même que la notion d’obstacle au transport que l’on retrouve à la LTC quoique les intimées s’appuient également sur cette dernière. Il est possible que la notion de faute l’englobe, je n’en décide pas, mais elle peut certainement inclure d’autres actes, gestes ou instruments posés ou adoptés par l’appelante.
[73] L’objectif poursuivi par la LTC, lorsqu’elle confère à l’OTC la compétence d’identifier s’il existe des obstacles au transport et ensuite d’y remédier, est différent de la compétence qu’a la Cour supérieure de déterminer si une faute a été commise et s’il y a lieu, d’accorder les dommages-intérêts nécessaires pour compenser le préjudice que cette faute peut avoir causé. La finalité de chacun des exercices n’est pas la même.[58]
[Soulignements ajoutés]
[68] Cela dit, nous sommes ici présence d’une action basée sur la responsabilité civile contractuelle, laquelle engage Air Canada dès qu’il est démontré une faute, des dommages et un lien de causalité. La faute équivaut à un manquement à l’obligation de se comporter en personne prudente et diligente. Il peut aussi s’agir de la violation d’un droit ou d’une liberté, même si cette violation n’est pas intentionnelle. C’est l’effet de la clause attaquée qui compte[59].
[69] L’article 1434 C.c.Q. traite de la force obligatoire du contrat pour tout ce qui en découle « d’après sa nature et suivant les usages, l’équité et la loi ». De plus, la disposition préliminaire du Code civil du Québec vient compléter cet article en prévoyant que d’autres lois peuvent ajouter au Code. Il ne fait aucun doute que les principes généraux de droit en matière d’ordre public[60], de liberté individuelle[61] ou concernant les questions d’intégrité de la personne physique[62] font partie du contenu implicite d’un contrat conclu au Québec.
[70] J’ajoute que les articles 7 (abus de droit) et 8 (respect de l’ordre public) du Code civil du Québec s’appliquent également au contrat intervenu entre Air Canada et les membres des Groupes. Bien que la juge n’invoque pas précisément ces dispositions au soutien de ses conclusions, il s’infère de ses motifs qu’elle s’en est largement inspirée.
[71] Comme le reconnaît d’ailleurs Air Canada, les dispositions d’ordre public contenues dans une loi particulière comme la LTC ou la LCDP sont susceptibles d’application dans un contrat privé. Ces lois prohibent les distinctions illicites comme la discrimination, une valeur également protégée par la Charte des droits et libertés de la personne[63], en l’occurrence une source de droit fondamental qui participe, avec le Code civil du Québec, à régir les rapports entre les personnes.
[72] Je suis donc d’accord avec la juge lorsqu’elle affirme :
[74] […] Il est un principe bien établi que les lois provinciales d’application générale comme le Code civil du Québec peuvent s’appliquer aux entreprises qui relèvent de la compétence fédérale sauf si la loi provinciale entrave l’entreprise dans certains de ses éléments vitaux, fondamentaux ou essentiels.
[75] Or, constater la faute d’Air Canada en lien avec des pratiques discriminatoires n’entre nullement en contravention avec la protection des « éléments vitaux, fondamentaux ou essentiels » d’Air Canada, d’autant plus que la responsabilité civile relève de la compétence des provinces en vertu du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.[64]
[Renvois omis]
[73] Ensuite, les régimes de la responsabilité contractuelle et de la mise en œuvre de la Politique nationale des transports se distinguent par les règles qui leur sont applicables et par leur finalité propre. Ils ne sont pas interdépendants. La juge a remis les pendules à l’heure et a bien différencié ces régimes :
[81] Encore une fois, il ne s’agit pas ici de décider si les politiques tarifaires d’Air Canada constituent des obstacles abusifs aux déplacements du demandeur à l’intérieur du réseau de transport fédéral au sens de la LTC, mais plutôt de savoir si Air Canada a commis une faute contractuelle au sens du droit civil québécois causant un préjudice au demandeur, dont l’évaluation, le cas échéant, devra tenir compte des paramètres prévus au Code civil du Québec.
[82] Comme le mentionne la Cour d’appel dans l’arrêt WestJet, « [l]a faute découlera possiblement du non-respect d’une disposition de la LTC, mais aussi des obligations imposées par le Code civil du Québec et la Loi canadienne sur les droits et libertés. La notion de faute, dans les circonstances n’est pas la même que la notion d’obstacle au transport que l’on trouve à la LTC [...] ».
[83] En somme, il n’est pas question d’appliquer la LTC et la LCDP, voire de mettre en œuvre les régimes spécifiques qu’elles contiennent, mais de vérifier si leur violation est constitutive d’une faute civile en vertu de l’article 1458 C.c.Q. qui s’applique, comme mentionné plus avant, à Air Canada :
31 Cette action de nature adjudicative se fonde sur un cadre législatif préexistant, notamment les éléments de la Politique nationale des transports énoncés au paragraphe 5c) de la LTC et les articles 2,3 et 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.[65]
[Italique dans l’original]
[74] Or, Air Canada a tort de soutenir que l’arrêt VIA Rail préconise une approche en silo au moment de se pencher sur la notion d’obstacle abusif, une question dont l’analyse ne devrait se faire, selon elle, qu’au regard des critères de la LTC. En affirmant que l’Office avait l’expertise nécessaire pour soupeser les exigences des personnes ayant une déficience, la Cour suprême dans VIA Rail n’a fait que reconnaître à ce tribunal administratif sa position privilégiée pour s’acquitter de cette responsabilité à l’égard de laquelle la Commission canadienne des droits de la personne se trouve moins bien placée[66].
[75] En l’espèce, la juge s’appuie, à bon droit, sur les déterminations de fait et mixtes de droit et de fait auxquelles est parvenu l’Office dans la décision Norman pour conclure à la présence d’une faute commise par Air Canada. Il est opportun d’en reproduire certains extraits pour mieux cerner cette faute et l’effet en résultant.
[76] L’Office précise d’abord son mandat et ce qu’il faut entendre par le mot « obstacle » utilisé à l’alinéa 5c) de la LTC :
[137] Le mandat que confère la partie V de la LTC à l'Office consiste à veiller à l'élimination des obstacles abusifs que les personnes ayant une déficience rencontrent lorsqu'elles se déplacent dans le réseau de transport de compétence fédérale. Le mot « obstacle » n'est pas défini dans la LTC, mais il se prête à une interprétation libérale, car il s'entend généralement de ce qui s'oppose au passage, à l'action, à l'obtention d'un résultat ou de ce qui gêne le mouvement. Par exemple, les difficultés ou les obstacles aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience peuvent être causées par les installations des fournisseurs de services de transport de compétence fédérale, découler de la conception des équipements ou de l'application de politiques, de procédures ou de pratiques, ou résulter de ce que les fournisseurs de services de transport ne se conforment pas à ces dernières, ou encore de ce qu'ils n'ont pas su prendre des mesures positives afin d'assurer leur respect, y compris le fait de ne pas avoir assuré la formation adéquate des employés et des agents contractuels.
[138] Lorsqu'il se penche sur la question de savoir si une situation a constitué ou non un « obstacle » aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience, l'Office examine généralement l'incident relaté dans la demande afin de déterminer si son auteur a établi, prima facie :
· qu'un obstacle aux possibilités de déplacement d'une personne ayant une déficience a été le résultat d'une distinction, d'une exclusion ou d'une préférence;
· que l'obstacle était lié à la déficience de cette personne;
· et que l'obstacle est discriminatoire du fait qu'il a imposé un fardeau à la personne ou l'a privée d'un avantage.[67]
[Soulignements ajoutés]
[77] L’Office formule ensuite les constatations suivantes :
[157] L'Office est d'avis que tout le monde a droit à un accès raisonnable aux services de transport. Air Canada et WestJet exercent des activités pour le transport de personnes, et les personnes ayant une déficience font partie de ce groupe. Les personnes ayant une déficience qui ont besoin d'un Accompagnateur ont besoin aussi d'un siège supplémentaire, tout comme les personnes qui, en raison de leur déficience, ne peuvent pas prendre place dans le siège fourni par la compagnie aérienne pour le transport des personnes. À partir de diverses classes de tarif, Air Canada et WestJet déterminent leurs tarifs en fonction des sièges occupés par les personnes en cours de transport. Cette pratique a pour effet de désavantager les personnes ayant une déficience qui ont besoin d'un siège additionnel en raison de leur déficience pour voyager mais qui bénéficient du même transport entre les points A et B que les autres passagers.
[…]
[162] Les personnes ayant une déficience sont une minorité, et il est reconnu en général qu'elles sont désavantagées dans la société en raison de leur déficience. Le taux de chômage et le niveau de sous- emploi de cette sous-population sont plus élevés, leur revenu est plus bas et le niveau de scolarité plus faible que dans la population en général. De ce fait, des mesures législatives sont prévues pour éliminer les désavantages des personnes ayant une déficience et pour garantir qu'elles ne soient victimes de discrimination. En particulier, la partie V de la LTC a pour objet d'améliorer l'accès des personnes ayant une déficience au réseau fédéral de transport, de telle sorte qu'elles puissent participer pleinement à la société.
[163] L'Office est d'avis que les politiques des transporteurs en cause qui consistent à imposer des tarifs aux personnes ayant une déficience pour les sièges additionnels nécessaires en raison de leur déficience (pour leur Accompagnateur ou pour elles-mêmes) constituent un désavantage économique lié directement à la déficience des personnes et susceptible pour ainsi dire de limiter les options de voyage qui s'offrent à elles et, de ce fait, les possibilités de voyage pour des raisons d'emploi, de loisirs, d'études, de soins médicaux et d'urgence. […]
[…]
[170] Compte tenu de ce qui précède, l'Office considère que les tarifs imposés par les transporteurs en cause pour les services aériens intérieurs et les frais d'améliorations aéroportuaires de l'Administration de l'aéroport international de Gander que doivent payer les personnes ayant une déficience pour le siège additionnel dont elles ont besoin, en raison de leur déficience, pour voyager constituent des obstacles à leurs possibilités de déplacement, y compris le regretté M. Norman, Mme Neubauer et Mme McKay-Panos.[68]
[Renvoi omis; soulignements ajoutés]
[78] Cette analyse de l’Office trouve son fondement sur une application judicieuse de la LTC et de la LCDP, comme le prescrit l’arrêt VIA Rail :
[112] L’adoption de la partie V de la Loi sur les transports au Canada visait à confirmer la protection des droits des personnes ayant une déficience dans le système de transport fédéral. L’historique de ce régime de réglementation démontre que le législateur entendait que l’on donne à ce qui constitue maintenant la partie V de la Loi une interprétation conforme aux principes en matière de droits de la personne et qu’on « utilis[e] la loi sur les transports plutôt que la loi sur les droits de la personne » pour appliquer les normes d’accessibilité établies dans la loi précédente, la Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. 1985, ch. 28 (3e suppl.) (Débats de la Chambre des communes, vol. VI, 2e sess., 33e lég., 17 juin 1987, p. 7272-7273 (l’hon. John C. Crosbie)).[69]
[79] Prenant appui sur ces déterminations de l’Office dont la validité n’est pas attaquée et qui bénéficient d’une présomption simple d’exactitude, la juge conclut que la politique tarifaire d’Air Canada est discriminatoire.
[80] Air Canada n’allègue ni ne démontre que ces constats sont affectés d’une erreur justifiant l’intervention de la Cour. Les manquements observés portent atteinte aux droits fondamentaux des membres des Groupes, c’est-à-dire le droit à l’égalité.
[81] Il faut aussi se demander si Air Canada a démontré que les accommodements qu’elle a proposés étaient raisonnables en fonction des principes énoncés dans l’arrêt Meiorin. Sur ce point, on ne peut soutenir sérieusement que Meiorin, un arrêt applicable à toute analyse faite par l’Office en matière de droits de la personne, ne lie pas un tribunal de droit commun saisi d’un problème semblable comme celui de la responsabilité civile d’un transporteur régi par le Parlement canadien en raison des obstacles dressés devant ses passagers affectés d’une déficience.
[82] Pour trancher cette question, l’article 5 de la LTC n’ajoute rien de substantiel à l’analyse, comme le font voir ces passages tirés de l’arrêt VIA Rail :
[133] […] Les facteurs énoncés à l'art. 5 de la Loi sur les transports au Canada découlent de l'évaluation même qui est inhérente à l'analyse de l’« accommodement raisonnable ». Concilier l'accessibilité pour les personnes ayant une déficience avec le coût, la rentabilité, la sécurité et la qualité du service offert à tous les voyageurs (des facteurs énoncés à l'art. 5 de la Loi) reflète le fait que l'évaluation s'effectue dans un contexte de transport qui, faut-il le préciser, est exceptionnel.
[134] L'énonciation de ces facteurs par le législateur est une façon de reconnaître que les facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer le caractère raisonnable d'une mesure d'accommodement proposée varient selon le contexte. Elle représente une approbation, et non un rejet, de la primauté des principes en matière de droits de la personne qui, comme l'a affirmé notre Cour dans les arrêts Chambly et Meiorin, prévoient que la souplesse et le bon sens ne seront pas écartés.
[135] Chacun des facteurs décrits à l'art. 5 de la Loi est compatible avec ceux qui s'appliquent en vertu des principes en matière de droits de la personne. […][70]
[Soulignements ajoutés]
[83] Il faut donc revenir à l’essence même du recours dont était saisie la juge pour mieux cerner la portée de la preuve présentée par P... A... et ainsi éviter d’amalgamer des notions qui, sans être incompatibles, demeurent distinctes du régime de la responsabilité contractuelle.
[84] Le dédommagement dépend de la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien causal. De son côté, le régime des droits de la personne est habituellement enclenché par une allégation d’atteinte d’une manière injustifiable à des droits protégés par les chartes des droits et libertés[71]. Cette atteinte peut toutefois se justifier sur la base de différents critères. À défaut, elle doit être écartée par des accommodements raisonnables ou, si on aime mieux, dans les limites de ce que constitue une contrainte excessive[72].
[85] Il s’agit donc de deux régimes qui se distinguent en raison de leur finalité propre. Cependant, et à certains égards, ils demeurent complémentaires et se recoupent à plusieurs niveaux, sans être entièrement subordonnés l’un à l’autre.
[86] Air Canada a bien tenté de rompre le lien de causalité entre sa faute et les dommages en suggérant que le recours à certaines mesures d’accommodement (siège à demi-prix pour l’accompagnateur et, si disponible, un siège additionnel offert aux personnes obèses) avait évité à ses passagers ayant une déficience de subir un préjudice compensable.
[87] Or, l’Office a jugé ces accommodements insuffisants et la juge a estimé que cette conclusion, bénéficiant de la présomption d’exactitude, n’avait pas été repoussée lors du procès. Bref, la défense d’Air Canada n’a pas réussi à contrer la preuve prépondérante de P... A... sur la faute.
[88] Cela dit, toute la preuve de la faute d’Air Canada aurait pu se faire sans égard à la décision de l’Office. Si tel avait été le cas, les parties auraient dû reprendre devant la Cour supérieure la preuve présentée devant l’instance administrative. Or, la juge a vu juste en retenant cette modalité de preuve que constitue la présomption simple d’exactitude rattachée à la décision Norman :
[101] Ce faisant, le Tribunal conclut à la commission par Air Canada d’un acte discriminatoire, au sens de la LCDP, en exigeant d’une personne ayant une déficience de devoir payer le tarif pour un siège supplémentaire requis en raison de sa déficience.
[102] Du reste, il est maintenant acquis que la contravention à une loi d'ordre public constitue en principe une faute civile donnant lieu à réparation, dans la mesure où les autres éléments de la responsabilité civile sont présents […].[73]
[89] En somme, la responsabilité contractuelle d’Air Canada tient à sa faute pour avoir implanté une politique tarifaire discriminatoire, contrevenant ainsi au contenu implicite du contrat intervenu entre elle et les membres des Groupes. La faute contractuelle en fonction de l’article 1434 du Code civil du Québec est donc établie.
[90] Il ne reste que la question des dommages à régler.
[91] Mais avant de trancher cet aspect du litige, la juge s’était longuement attardée à l’argument d’Air Canada selon lequel le cadre analytique retenu par l’Office au moment de relever les obstacles abusifs et d’apprécier la défense de contrainte excessive constituait une modification fondamentale du droit (il s’agit en l’espèce du second volet du premier moyen d’appel).
[92] Dans la présente affaire et bien que la juge réfère dans son jugement à quelques reprises à la question de la contrainte excessive, cette notion n’est d’aucune application aux fins de fixer les dommages. En effet, personne ne peut valablement soutenir qu’en droit civil l’évaluation des dommages dépend de la contrainte exercée par la condamnation sur les finances du débiteur.
[93] C’est pour cette raison que j’affirmais plus tôt que le régime propre aux droits de la personne et celui de la responsabilité contractuelle pouvaient très bien cheminer en parallèle, voire même à l’occasion s’inspirer l’un de l’autre, mais sans toutefois se confondre.
[94] Sur le plan des dommages, une condamnation reposant sur le remboursement du coût du siège chargé illégalement à des personnes ayant une déficience pouvait intervenir sans égard à la conclusion de l’Office sur la question de la contrainte excessive. En effet, il existe un lien de causalité bien concret entre le manquement contractuel retenu contre Air Canada et les dommages pécuniaires représentés par les frais d’embarquement chargés en trop. Encore une fois, je ne vois aucune erreur dans cette conclusion de la juge :
[104] Les dommages pécuniaires découlent de la faute d’Air Canada d’avoir exigé le paiement du deuxième siège pour un vol intérieur. C’est ainsi que la compensation accordée à la personne déficiente pour le préjudice subi correspond au coût du billet d’avion payé par cette personne pour le deuxième siège.[74]
[95] Ce volet du premier moyen d’appel doit donc être rejeté.
2. L’argument basé sur les modifications fondamentales au droit
[96] Air Canada a beaucoup insisté sur ce moyen d’appel lors de l’audition de cette affaire. Elle plaide d’abord que la décision Norman, rendue par l’Office en janvier 2008, constitue une modification fondamentale du droit au sens de l’arrêt Hislop[75]. Il en résulterait que les principes découlant de cette décision ne peuvent conférer de droits de façon rétroactive, de sorte que la responsabilité civile d’Air Canada ne pouvait être engagée sur la base de cette décision.
[97] Selon elle, comme le recours entrepris par P... A... vise les personnes qui ont payé des frais entre le 5 décembre 2005 et le 5 décembre 2008 et que l’Office a accordé à Air Canada un délai de 12 mois, soit jusqu’en janvier 2009, pour l’élaboration et la mise en œuvre des mesures correctrices ordonnées, la décision Norman ne devrait avoir d’effet que pour l’avenir seulement. Par conséquent, le recours de P... A... doit être rejeté.
[98] En fait, Air Canada ne limite pas son argument à une seule modification fondamentale du droit, mais plutôt à trois modifications successives, prétendument de cette nature. La première serait survenue en 2006 à l’occasion de l’arrêt McKay-Panos[76], la deuxième viendrait des enseignements de la Cour suprême tirés de l’arrêt VIA Rail[77] et finalement la troisième consisterait en la décision Norman de janvier 2008. Revoyons maintenant chacune d’elles au regard de l’argumentaire d’Air Canada selon lequel les changements que contiennent ces précédents ne justifient l’octroi d’une réparation que pour l’avenir seulement.
[99] Tout d’abord, un mot sur l’arrêt Hislop. Ce litige résulte de la modification par le gouvernement fédéral, en 2000, du Régime de pension du Canada[78], pour que le conjoint de même sexe soit admissible à la pension de survivant, conformément aux droits à l’égalité garantis au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[79] (« Charte canadienne »). Les membres du groupe Hislop ont intenté une action collective pour contester la constitutionnalité des dispositions législatives qui limitaient l’effet rétroactif de la réforme, soutenant qu’une déclaration d’invalidité fondée sur l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982[80] rétroagissait nécessairement à l’entrée en vigueur de l’article 15 de la Charte canadienne.
[100] La Cour suprême rappelle dans cet arrêt que, pour juger du bien-fondé de cette prétention, « il faut d’abord considérer la nature de la réparation constitutionnelle et les circonstances dans lesquelles le tribunal peut limiter sa portée rétroactive et la rendre uniquement valable pour l’avenir »[81]. Elle écrit :
[93] […] [Lorsque le tribunal] établit une nouvelle règle de droit dans les paramètres généraux de la Constitution, la limitation de la portée rétroactive de sa décision peut être indiquée.
[…]
[96] Il ne s’agit plus de décider si le tribunal peut à bon droit accorder une réparation pour l’avenir, mais bien dans quels cas, pour quels motifs et de quelle manière il peut statuer ainsi ou restreindre la portée rétroactive de ses décisions en matière constitutionnelle. […][82]
[101] La Cour suprême ajoute les énoncés suivants :
- « une modification fondamentale du droit […] ne suffit pas pour écarter la rétroactivité de la réparation »[83];
- « lorsque, par suite d’un revirement jurisprudentiel, une disposition législative est jugée inconstitutionnelle, il ne convient généralement pas d’imposer une responsabilité civile au gouvernement »[84];
- « lorsqu’une décision de justice modifie le droit existant ou crée une nouvelle règle de droit, il peut être inopportun, dans certaines circonstances, de tenir le gouvernement rétroactivement responsable »[85];
- la bonne foi du gouvernement et l’équité envers les parties peuvent faire « pencher la balance en faveur d’une réparation rétroactive »[86].
[102] Mais il y a plus.
[103] Dans Hislop, la Cour suprême précise que, lorsque les parties ne recherchent pas une déclaration rendant inopérantes les dispositions incompatibles avec une règle de droit en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais plutôt une réparation en dommages-intérêts en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne, cette réparation est « nécessairement rétroactive »[87]. La Cour se réfère avec approbation à l’arrêt Schachter c. Canada dans lequel le juge en chef Lamer écrivait, pour la majorité :
Par ailleurs, il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où il serait approprié d'accorder une réparation à l'intimé, par exemple des dommages intérêts, en vertu du par. 24(1). La doctrine classique en matière de dommages intérêts est que le plaignant doit être mis dans la situation où il aurait été s'il n'y avait pas eu faute[88].
[Soulignement ajouté]
[104] Ce mode de réparation est donc distinct de celui déclenché en application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 :
Même lorsque l'application de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 n'est pas déclenchée, il peut y avoir une réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte. Cela peut se produire quand la loi ou la disposition législative n'est pas inconstitutionnelle en soi, mais qu'elle a donné lieu à une mesure prise en contravention des droits garantis par la Charte. Le paragraphe 24(1) offre une réparation à la personne dont les droits ont été violés.[89]
[105] Même si l’on faisait abstraction de cet obstacle décisif, Air Canada ne serait pas au bout de ses peines.
[106] En l’espèce, quelle est la modification fondamentale du droit invoquée par cette partie? Lors de l’audience d’appel, ses avocats ont répondu à cette question. Pour Air Canada, l’implantation du régime 1P1T retenu par l’Office et sa conclusion selon laquelle cette norme ne crée pas une contrainte excessive constituent le changement fondamental dont il est ici question. Je rappelle en quoi consiste ce régime :
1P1T désigne le principe « une personne, un tarif »
proposé dans le cas présent par [le Conseil des Canadiens avec déficiences],
aux termes duquel les personnes
ayant une déficience paieraient un seul tarif, quel que soit le nombre de sièges
dont elles ont besoin en raison de leur déficience pour leur voyage[90]
[Renvois omis]
[107] En ce qui a trait à la notion de contrainte excessive, celle-ci se subdivise en trois volets distincts, mais complémentaires. Il y a tout d’abord la contrainte des coûts. Je reproduis les principaux constats de l’Office à propos de ce facteur :
[805] Ici encore, même s'il n'est pas nécessaire de montrer que le coût d'accommodement nuirait à la rentabilité des activités de l'intimé, il est essentiel que ce dernier produise des données sur l'importance de l'impact du coût pour lui, pour prouver la contrainte excessive et s'acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe, et qu'il montre que le coût et l'importance de son impact lui seraient nuisibles à un point tel qu'il lui serait déraisonnable, irréalisable ou impossible de fournir l'accommodement demandé. L'Office conclut que, vu qu'ils ont décidé de ne pas présenter de données montrant qu'ils ne seraient pas en mesure d'absorber le coût d'une politique 1P1T, les transporteurs en cause ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve au sujet de l'importance des répercussions financières d'une politique 1P1T.
[…]
[827] Plus particulièrement, en ce qui concerne l'impact d'une politique 1P1T sur la capitalisation boursière d'Air Canada et de WestJet, même si la preuve indique que l'impact du coût d'une telle politique serait comparable à du « bruit », qui s'exprime en termes de fluctuations quotidiennes du cours des actions des transporteurs en cause, ces derniers ont choisi de ne pas fournir d'éléments de preuve pour montrer l'effet négatif de ce coût, sauf en termes généraux, se limitant à déclarer que tout changement des conditions de coûts pour une entreprise a un impact sur ses affaires et sur sa valeur.
[828] En ce qui concerne l'impact d'une politique 1P1T sur les revenus bruts, […] un impact sur les revenus bruts de 0,2 pour cent se situerait dans la marge d'erreur pour les prévisions générales de revenus. […] Compte tenu du fait que le coût estimatif annuel net après impôts d'une politique 1P1T représente, selon les calculs de l'Office, une baisse de moins de 0,2 pour cent des revenus bruts des transporteurs en cause, l'Office conclut que le coût d'une politique 1P1T ne serait pas important dans le contexte des incidences pour la cote de solvabilité et des réactions des marchés financiers.[91]
[Soulignements ajoutés]
[108] Ensuite, il y a la contrainte liée à la sécurité ainsi répondue par l’Office :
[217] Cela dit, pour l'Office, il est évident que la cause des demandeurs ne repose pas sur ce point. Les demandeurs n'ont pas mis en doute la qualité que les transporteurs en cause ont pour établir des tarifs qui déterminent quelles personnes ayant une déficience auront besoin d'un Accompagnateur pour voyager par avion. Au cours de l'instance, ils ont indiqué à maintes reprises qu'il ne s'agit pas d'examiner le caractère raisonnable des critères énoncés dans les tarifs des transporteurs en cause pour déterminer l'obligation de voyager avec un Accompagnateur.
[218] Il s'agit plutôt de déterminer si les politiques actuelles des transporteurs en cause qui prévoient l'imposition de tarifs par siège occupé et si le défaut d'appliquer une politique 1P1T aux personnes ayant une déficience qui ont besoin d'un siège additionnel en raison de leur déficience, afin qu'elles puissent utiliser leurs services aériens intérieurs, constituent un obstacle abusif. […] [L]a sécurité ne doit entrer en ligne de compte que pour aider à définir le nombre de personnes qui auront peut-être besoin d'une telle politique.[92]
[Soulignement ajouté]
[109] Finalement, il y a les contraintes opérationnelles. Voici la conclusion de l’Office à ce sujet :
[881] Par conséquent, l'Office conclut que les transporteurs en cause n'ont pas réussi à démontrer qu'il existe des contraintes opérationnelles qui les empêcheraient de mettre en œuvre une politique 1P1T à l'égard des populations cibles des personnes ayant une déficience. De plus, il ne fait aucun doute que la mise en œuvre d'une politique 1P1T comportera des difficultés, mais l'Office conclut que les transporteurs en cause n'ont pas démontré que ces difficultés représentent une contrainte excessive.[93]
[Soulignement ajouté]
[110] Je retiens que la modification fondamentale au droit invoquée par Air Canada a uniquement trait à deux aspects du contentieux qui opposait les parties devant l’Office, soit 1) l’implantation d’un accommodement appelé 1P1T permettant d’écarter l’obstacle des tarifs discriminatoires et 2) la détermination que cet accommodement ne constituait pas une contrainte excessive pour Air Canada, notamment au regard des finances de l’entreprise.
[111] Au départ, je trouve bien difficile de comprendre comment la décision de l’Office peut constituer une modification fondamentale au droit du simple fait que les prétentions d’Air Canada ont été rejetées par l’instance administrative. Ensuite et vu la nature du recours intenté, c’est sur le plan du droit civil qu’il fallait identifier une telle modification du droit.
[112] Cela dit, comme écrit précédemment, les prétentions d’Air Canada à propos de son absence de faute sont rejetées. Seule l’évaluation du préjudice demeure en litige, comme cela avait été le cas d’ailleurs devant l’Office avant sa décision d’implanter le régime 1P1T au stade de la réparation.
[113] Or, je ne vois rien de nature à mettre en péril l’orthodoxie du droit civil en retenant que le préjudice est une condition essentielle de la responsabilité contractuelle et que celui fixé par la juge constitue une juste indemnisation basée sur le coût du siège additionnel. À ce chapitre, la détermination de la juge est autonome et indépendante de la réparation ordonnée par l’Office qui lui était tenu de prendre en compte le critère de la contrainte excessive.
[114] Il est vrai que la réparation ordonnée par l’Office et la condamnation prononcée par la juge partagent un point commun, soit celui du coût du siège additionnel, ce qui sur le plan des droits de la personne repose sur l’application de la notion d’obstacle abusif et, sur le plan du droit civil, constitue une source de responsabilité autonome. Cependant, comme je l’ai indiqué précédemment, l’Office devait composer avec la question de la contrainte excessive avant de forcer l’implantation du régime 1P1T, alors que l’attribution de dommages-intérêts compensatoires en vertu du Code civil du Québec échappe à cette considération.
[115] De plus, le remède rattaché à une atteinte aux droits vise à y mettre fin pour le futur. En matière contractuelle, le contractant sera responsable envers son cocontractant pour le défaut d’exécution de son obligation. Ainsi, outre la question du préjudice futur, l’analyse en cette matière porte essentiellement, pour ne pas dire nécessairement, sur l’historique de la relation contractuelle entre les parties aux fins d’évaluer le préjudice du réclamant.
[116] Au regard de ce qui précède, je ne puis voir comment la norme 1P1T a pu modifier de façon fondamentale le régime de la responsabilité contractuelle au Québec, notamment à l’égard de la détermination du préjudice. Comme indiqué précédemment, une indemnisation sur la base du remboursement des frais d’embarquement exigés pour le siège additionnel d’une personne ayant une déficience correspond à un préjudice facilement identifiable, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la décision Norman pour parvenir à cette solution, elle-même indépendante de la capacité de payer d’Air Canada.
[117] Enfin, Air Canada ne cite aucun précédent qui avalise la thèse selon laquelle un changement fondamental au droit civil priverait un créancier de dommages en dépit de la preuve de la faute de son débiteur. Sur ce plan, l’arrêt Schachter auquel j’ai fait référence précédemment lui donne tort puisque « [l]a doctrine classique en matière de dommages intérêts est que le plaignant doit être mis dans la situation où il aurait été s'il n'y avait pas eu faute »[94].
[118] Ce qui précède est suffisant pour rejeter ce second volet du premier moyen d’appel. Je tiens cependant à répondre à Air Canada quant aux précédents invoqués au soutien de son argumentaire selon lequel ces décisions auraient profondément modifié l’état du droit. À mon humble avis, il n’en est rien, voici pourquoi.
- L’arrêt McKay-Panos
[119] Madame McKay-Panos souffre d’obésité morbide. Le 21 août 1997, lors d’un vol Calgary-Ottawa, elle est assignée à un siège dans lequel elle peut à peine prendre place. Lors du retour, elle doit voyager en cabine classe affaires en déboursant un montant de 972 $ sans pour autant avoir droit à un crédit pour le siège en cabine classe économique. Saisie d’une plainte, la majorité des membres de l’Office, en application du paragraphe 172(3) de la LTC, en vient à la conclusion que la question de la capacité du siège (l’obstacle) ne constitue pas un facteur à prendre en compte au moment de déterminer si une personne obèse est atteinte d’une déficience[95].
[120] Les paragraphes suivants contiennent le ratio decidendi de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale appelée à revoir cette décision :
[38] En vertu de la LTC, aucune conséquence prévue par la loi, quelle qu’elle soit, n’est rattachée à une conclusion voulant qu’une personne se soit heurtée à un obstacle. Ce n’est que si l’obstacle est jugé « abusif » que la compétence de l’Office d’accorder la réparation recherchée est déclenchée. Le mot « obstacle » ne figure nulle part dans les dispositions pertinentes de la Loi sans le qualificatif « abusif ». Bien qu’un obstacle abusif suppose l’existence d’un obstacle, rien ne découle de la reconnaissance de l’obstacle en tant que tel.
[39] Il s’ensuit que le seul obstacle qui est pertinent en vertu de la LTC est un « obstacle abusif » et l’Office n’entrave aucunement sa capacité d’agir au dernier stade en examinant l’Obstacle à la première étape. En effet, il est difficile de voir comment une personne peut être considérée comme ayant une déficience en vertu de la Loi, à moins qu’elle ne démontre qu’elle s’est heurtée à un obstacle en raison de la prétendue déficience.
[…]
[42] Compte tenu de la concession que l’appelante souffre d’une invalidité et compte tenu qu’elle s’est heurté à une limitation d’activité en raison de cette invalidité, la seule conclusion que pouvait tirer l’Office était que l’appelant est une personne ayant une déficience au sens de la LTC.[96]
[Soulignement ajouté]
[121] Air Canada voit dans cet arrêt une rupture nette avec la position antérieure de l’Office quant à la démonstration d’un obstacle abusif pour les personnes obèses.
[122] Or, bien avant que l’Office ne se prononce sur la plainte de madame McKay-Panos, Air Canada avait reconnu implicitement l’obstacle auquel avait été confrontée cette passagère en lui présentant ses excuses[97] pour le traitement qui lui avait été réservé. Le transporteur avait aussi offert de lui rembourser le coût du billet en cabine classe économique en l’informant qu’Air Canada entendait mettre en œuvre certaines mesures visant à répondre à sa plainte.
[123] La question qui s’était posée devant l’Office était de déterminer si l’obésité de madame McKay-Panos constituait une déficience au sens de la LTC. De l’avis de la Cour d’appel fédérale, l’Office avait appliqué une mauvaise grille d’analyse pour tenter d’y répondre et avait conclu à tort que cette passagère n’avait pas démontré être atteinte d’une déficience.
[124] L’arrêt de la Cour d’appel fédérale précise seulement que l’analyse de cette question nécessite de considérer le contexte. En effet, comment ne pas conclure à l’existence d’une déficience lorsqu’une passagère est incapable de prendre place dans le siège qui lui est assigné en raison de sa maladie? L’obligation de tenir compte du contexte a d’ailleurs été réitérée dans l’arrêt VIA Rail :
[123] Ce qui constitue une contrainte excessive dépend des facteurs pertinents sur le plan des circonstances et des mesures législatives qui régissent chaque cas : Chambly, p. 546; Meiorin, par. 63. Les facteurs qui sous-tendent l’obligation d’accommodement d’un intimé « ne sont pas consacrés, sauf dans la mesure où ils sont inclus ou écartés expressément par la loi » : Meiorin, par. 63.
[124] Dans tous les cas, comme le juge Cory l’a souligné à la p. 546 de l’arrêt Chambly, « [i]l y a lieu [d’]appliquer [ces facteurs] d’une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas ».[98]
[125] Je suis donc incapable de voir dans l’arrêt McKay-Panos une modification fondamentale du droit alors que la Cour d’appel fédérale invite seulement le décideur administratif à recourir aux bons facteurs « en fonction des faits de chaque cas »[99] aux fins d’identifier la déficience dont il s’agit et l’obstacle abusif au regard de cette déficience.
- L’arrêt VIA Rail
[126] À la fin des années 2000, VIA Rail acquiert 139 voitures de chemin de fer appelées « voitures Renaissance ». Dès l’année 2003, elle se retrouve devant l’Office en raison de l’inaccessibilité de ces nouveaux équipements pour toute personne devant se déplacer en fauteuil roulant. L’Office ordonne en conséquence à VIA Rail de mettre en œuvre différentes mesures correctives, dont l’aménagement de 13 voitures-coachs de la classe économique et de 17 voitures de service, pour faire en sorte qu’une voiture par train soit accessible aux personnes en fauteuil roulant le jour, et que le train soit doté de compartiments-lits pour ces voyageurs la nuit.
[127] Les changements fondamentaux que perçoit Air Canada dans cet arrêt sont les suivants :
- la preuve d’un obstacle amène un renversement du fardeau de la preuve qui impose au transporteur de démontrer que l’obstacle n’est pas abusif;
- seul l’obstacle strictement déraisonnable, peu pratique, voire impossible à éliminer, sera toléré;
- l’équilibre entre le droit des passagers ayant une déficience et celui des fournisseurs de service ne constitue plus le baromètre applicable aux fins de trancher la question des obstacles abusifs.
[128] Ce n’est pas de n’importe quel obstacle dont discute l’arrêt VIA Rail. Il s’agit de l’obstacle discriminatoire qui contrevient au droit d’accès égalitaire de tous les voyageurs, y compris ceux ayant une déficience. Seul ce type d’obstacle amène un renversement du fardeau de la preuve, comme cela est notamment le cas lorsque des normes en milieu de travail[100] portent atteinte de manière injustifiable aux droits de la personne.
[129] Par ailleurs, ce n’est pas un fardeau nouveau que d’imposer à l’auteur de l’obstacle de mettre en place des accommodements raisonnables pour atténuer, voire écarter l’atteinte. Cette affirmation se vérifie notamment par les accommodements proposés par Air Canada à ses voyageurs, avant même que soient rendus l’arrêt VIA Rail et la décision Norman. Or, dans cette dernière décision, la question n’était pas de savoir si Air Canada avait tenté d’accommoder raisonnablement les voyageurs, mais plutôt de déterminer si ces accommodements étaient suffisants pour mettre fin à la discrimination ou, à défaut, décider si les correctifs recherchés par les plaignants constituaient une contrainte excessive pour le transporteur.
[130] Sur ce point, il convient de citer ce passage de l’arrêt VIA Rail :
[133] Répétons qu’« [i]l importe de se rappeler que l’obligation d’accommodement est limitée par les mots “raisonnable” et “sans imposer de contrainte excessive”. Il s’agit là non pas de critères indépendants, mais plutôt de différentes façons d’exprimer le même concept » […].[101]
[Renvois omis]
[131] Ainsi, la question du fardeau de démontrer que l’accommodement recherché est excessif ou déraisonnable est loin d’être inédite en matière de droits de la personne et elle fait d’ailleurs l’objet d’une jurisprudence constante et particulièrement importante[102]. Par ailleurs, il va de soi que celui qui invoque la notion de contrainte excessive est le mieux placé pour démontrer l’impact de l’accommodement recherché sur ses finances ou sur son organisation. En cela, le fardeau d’imposer au fournisseur de service de s’acquitter de cette preuve n’a rien d’un changement fondamental.
[132] Il me semble tout aussi indéniable que les notions de contrainte excessive ou d’accommodement raisonnable participent à l’équilibre qui doit exister entre les droits de voyageurs ayant une déficience et l’intérêt des fournisseurs de service de ne pas être tenus à une réparation excessive et déraisonnable.
[133] Air Canada trouve un certain réconfort dans sa position défendue en appel au moment de recourir au jugement de la Cour fédérale dans Office des transports du Canada c. Morten rendu en 2010 dans lequel le juge O’Keefe affirme que l’arrêt VIA Rail « a changé fondamentalement la manière dont l’Office est tenu d’instruire les plaintes en violation des droits de la personne »[103].
[134] À mon avis, l’argument tiré de ce passage relève essentiellement de la sémantique. Dans ses motifs, le juge O’Keefe ne renvoie nulle part à l’arrêt Hislop. Par ailleurs, la Cour suprême n’a jamais indiqué dans VIA Rail, comme elle l’avait fait dans Hislop, que son arrêt ne valait que pour le futur. Or, VIA Rail confirme la décision de l’Office rendue quatre ans plus tôt sans mention d’une réserve quant à la rétroactivité de la réparation.
[135] En outre, comme l’illustre le passage suivant de VIA Rail, la prise en compte de notions développées en matière de droits de la personne pour l’interprétation et l’application de la LTC n’a rien d’une modification substantielle du droit :
[137] Les termes « dans la mesure du possible » expriment la reconnaissance légale du critère de la « contrainte excessive » dans le contexte du transport. Le fait que ce critère soit libellé différemment ne le rend ni plus ni moins rigoureux que celui établi dans l’arrêt Meiorin : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, 2000 CSC 27, par. 46. La même évaluation est nécessaire pour déterminer de quelle façon l’obligation d’accommodement sera remplie.
[…]
[139] Ce qui est « possible » au sens du sous-al. 5g)(ii) de la Loi sur les transports au Canada est fonction de la preuve concernant la question de savoir si l'accommodement relatif à la déficience a pour effet d'imposer un fardeau déraisonnable à la partie responsable de l'obstacle. Il s'agit de la même analyse que celle requise pour déterminer s'il y a contrainte excessive au regard de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou, si en vertu de la Loi sur les transports au Canada, il serait déraisonnable (ou abusif) d'exiger qu'un obstacle soit éliminé ou qu'il y soit remédié. La différence des contextes ne justifie pas de procéder différemment, d'autant plus qu'à l'art. 171 le législateur a ordonné à l'Office de favoriser l'adoption de lignes de conduite complétant celles de la Commission canadienne des droits de la personne. L'analyse de l’« accommodement raisonnable » dans le contexte du transport n'est exceptionnelle que dans la mesure où les objectifs de politique générale formulés à l'art. 5 de la Loi sur les transports au Canada sont des facteurs qui guident la détermination des moyens par lesquels la contrainte excessive peut être établie. Ces facteurs servent à définir, et non à diluer, l'obligation d'accommoder tant qu'il n'en résulte pas une contrainte excessive.[104]
[Soulignements ajoutés]
[136] Bref, il ne s’agit pas ici d’un « contexte technologique ou social nouveau ou dont l'existence a récemment été reconnue » comme discuté dans l’arrêt Hislop[105]. Bien au contraire.
[137] Finalement, l’argument du changement fondamental de l’état du droit perd complètement de sa saveur lorsqu’on retient que la décision de l’Office maintenue par la Cour suprême dans VIA Rail[106] a été analysée selon la norme déférente de la décision raisonnable. Il a été dit dans cet arrêt que la méthode d’analyse appliquée par l’Office et ses motifs servaient de guide rationnel[107]. Or, l’application de la norme de la décision raisonnable sera rarement compatible avec une modification fondamentale du droit qui, en ce domaine, emporte habituellement l’application de la décision correcte.
- La décision Norman
[138] Bien que, dans les paragraphes précédents, j’aie fait mention à plusieurs reprises à la décision Norman, il convient de faire un résumé de ses aspects que j’estime plus pertinents aux fins de mon propos.
[139] Dans cette décision, l’Office réitère les grands principes d’accessibilité au réseau de transport fédéral[108] et rappelle que les personnes ayant une déficience ont les mêmes droits que les autres voyageurs de bénéficier de l’égalité d’accès au transport, dont celui de ne pas subir de désavantage économique en raison de leur déficience[109].
[140] Selon l’Office, la prise en compte de ces principes permet d’identifier les obstacles à l’accessibilité au réseau de transport fédéral pour les usagers affligés d’une déficience et de déterminer si ces obstacles, notamment l’achat d’un deuxième siège, sont abusifs[110]. Cette approche est conforme à la jurisprudence en la matière, notamment à l’arrêt McKay-Panos rendu deux ans plus tôt.
[141] Le fournisseur de services doit démontrer que la mesure d’accommodement mise en place pour respecter le principe d’accessibilité est suffisante pour permettre un accès équivalent aux personnes ayant une déficience, à défaut de quoi, l’obstacle sera considéré abusif ou discriminatoire[111]. L’Office décide que pour justifier le maintien d’un obstacle discriminatoire, le transporteur doit démontrer que toute mesure d’accommodement supérieure à celles déjà mises en place constitue une contrainte excessive[112].
[142] L’Office, en application de la LTC, conclut que la politique tarifaire d’Air Canada crée un obstacle abusif pour le voyageur Norman. Il suspend toutefois l’effet de sa décision durant un an pour permettre au transporteur de modifier sa politique tarifaire pour en retirer les éléments discriminatoires et implanter de manière structurée le régime 1P1T.
[143] Air Canada plaide qu’elle ne pouvait enfreindre ce régime avant qu’il ne soit imposé par l’Office dans la décision Norman rendue en janvier 2008 et qu’il fasse partie intégrante du Règlement sur les Transports accessibles aux personnes handicapées, enregistré le 25 juin 2019[113].
[144] Ce faisant, Air Canada confond la faute civile et l’obstacle discriminatoire, les dommages et la contrainte excessive. La responsabilité contractuelle d’Air Canada n’a pas été retenue en raison d’un manquement à un régime non encore établi, mais du fait de sa politique tarifaire discriminatoire.
[145] Le régime 1P1T est la réponse à une violation et non la cause de cette violation, qui elle-même repose sur un obstacle discriminatoire, en l’occurrence le manquement contractuel dont il est ici question, soit la grille tarifaire fautive d’Air Canada à l’égard des passagers ayant une déficience. Le régime 1P1T ne subordonne pas la détermination de la responsabilité contractuelle qui s’établit seulement au regard de la faute du cocontractant, sans égard à la détermination d’une contrainte excessive.
[146] Accepter la logique avancée par Air Canada reviendrait à dire qu’en dépit de la preuve d’un manquement contractuel de sa part en raison d’une exigence discriminatoire, le créancier de l’obligation, c’est-à-dire la personne dont les droits ont été affectés, ne pourrait être dédommagée du fait d’une prétendue immunité conférée par l’originalité de la décision de l’Office. Je crois pouvoir dire que la réponse à cette proposition se trouve dans le simple fait de l’énoncer.
[147] Finalement, comment parler de changement substantiel au droit apporté par la décision Norman alors que l’Office gardait la porte ouverte à la révision de sa décision au cas où :
[912] Compte tenu du caractère particulier de cette affaire, l'Office estime approprié de souligner un mécanisme disponible en vertu de la LTC. L'article 32 de la LTC confère à l'Office le pouvoir de réviser une décision lorsqu'il a une justification suffisante de le faire, par exemple si l'évolution des circonstances, notamment des faits nouveaux ou une nouvelle preuve qui n'étaient pas disponibles au moment où il a rendu sa décision, est suffisamment importante pour entraîner l'application de cette disposition. Une telle évolution des circonstances pourrait découler du fait que l'expérience des parties avec la mise en œuvre et l'administration de la politique requise par la décision diffère de manière importante de la preuve et de son interprétation qui ont servi de fondement à la présente décision.[114]
[148] Ce second volet du premier moyen d’appel s’avère également mal fondé.
ii) La notion d’accompagnateur
[149] Selon Air Canada, la politique 1P1T exclut tout voyageur qui accompagne une personne ayant une déficience pour d’autres raisons que la déficience elle-même. Étant donné que la décision de l’Office bénéficie de la présomption d’exactitude, Air Canada soutient que la juge aurait dû considérer le motif de l’accompagnement aux fins de l’établissement du lien de causalité. En somme, Air Canada plaide que chaque membre du premier Groupe devrait démontrer que l’accompagnateur n’aurait pas voyagé, n’eût été la situation du passager accompagné.
[150] Je reproduis les passages pertinents de la décision Norman à ce sujet:
[322] Il est important de souligner que le terme « Accompagnateur » est défini, aux fins de la présente instance, comme étant une personne qui, en vertu des tarifs des transporteurs en cause, doit voyager avec une personne ayant une déficience pour des raisons précises et clairement définies concernant :
· les besoins afférents aux soins personnels;
· ou la sécurité dans des situations d'évacuation d'urgence et de décompression;
et sont exclus les compagnons de voyage, les membres de famille et les amis voyageant avec des personnes pour d'autres raisons. La présente décision ne doit pas être interprétée comme élargissant les critères d'admissibilité pour déterminer la nécessité d'un accompagnateur définie dans les tarifs existants.
[…]
[328] L'Office est d'accord avec les éléments de preuve fournis par M. Lewis, qui estime qu'en élaborant et en appliquant de façon méthodique une politique 1P1T de façon à inclure le concept d'Accompagnateur défini, dans les tarifs, comme étant une personne dont les services sont jugés essentiels pour une personne ayant une déficience pour voir à des besoins reliés aux soins personnels ou à la sécurité, les transporteurs en cause peuvent s'assurer que le nombre des personnes ayant une déficience qui profiteront d'une politique 1P1T correspondra à celui des personnes que leurs tarifs respectifs obligent à voyager avec un Accompagnateur.
[…]
[858] […] Il est important de souligner que l'Office définit un Accompagnateur aux fins de la présente instance conformément aux dispositions du tarif des transporteurs en cause comme étant une personne qui est tenue, en vertu du tarif des transporteurs en cause, de voyager avec une personne ayant une déficience pour des raisons précises et clairement définies ayant trait à des soins personnels et/ou à la sécurité et ne comprend pas les compagnons de voyage, les membres de la famille ou les amis voyageant avec des personnes ayant une déficience pour d'autres raisons personnelles. La présente décision ne doit pas être interprétée comme élargissant l'admissibilité au-delà des critères actuellement définis dans les tarifs servant à déterminer le besoin d'un Accompagnateur.[115]
[Soulignements ajoutés]
[151] La décision Norman ne vise pas à déterminer le but exact du voyage d’un accompagnateur. Les passages précités font plutôt voir que l’Office s’intéresse strictement aux personnes avec une déficience et ayant besoin d’un accompagnateur lors de leur déplacement à bord d’un avion. Une fois ce constat tiré, il n’est pas nécessaire d’examiner le choix de l’accompagnateur ni si ce dernier joint l’utile à l’agréable. Je ne décèle donc aucune erreur dans les passages suivants du jugement entrepris :
[37] Par ailleurs, le Tribunal n’est pas d’accord avec la définition de « l’accompagnateur » avancée par Air Canada. Comme mentionné dans le jugement d’autorisation, il faut revenir à la base et se demander ce que vise l’action collective. Le demandeur réclame le remboursement du coût du deuxième siège utilisé au bénéfice d'une même personne, soit pour celui qui nécessite la présence d'un accompagnateur vu sa déficience ou pour celui qui a besoin de l'usage de deux bancs vu sa condition de personne déficiente ou obèse.
[38] Pour évaluer l’opportunité de la gratuité du deuxième siège, il faut donc se placer du côté de la personne déficiente. Elle doit voyager avec un accompagnateur, car le tarif d’Air Canada l’y oblige. Elle peut, dans ce contexte,choisir son accompagnateur sans restriction en lien avec quelque lien d’amitié ou de parenté.[116]
[Soulignement ajouté]
[153] Ce moyen d’appel doit échouer.
iii) La situation de l’accompagnateur qui a lui-même déboursé le coût du billet additionnel
[154] Air Canada conteste la réclamation du deuxième Groupe composé d’accompagnateurs qui ont eux-mêmes déboursé le coût du billet additionnel aux fins d’agir comme tel. Voici comment la juge rejette cet argument :
[36] En ce qui a trait à l’argument portant sur le fait que les accompagnateurs n’ont pas subi de préjudice personnel, il ne peut être retenu. Si les accompagnateurs sont tenus de payer leur propre billet, c’est parce que la politique d’Air Canada est discriminatoire. L’accompagnateur ne se qualifie pas ici de simple passager autonome, mais plutôt comme accessoire au transport de la personne handicapée, d’où l’importance d’inclure dans l’action collective la personne handicapée et son accompagnateur. L’accompagnateur est le moyen, pour le membre, de pallier son handicap.[117]
[155] Dans la mesure où une personne ayant une déficience nécessite la présence d’un accompagnateur pour se déplacer à bord d’un avion, la détermination du payeur du second siège devient sans pertinence. En effet, l’accompagnateur devient, de ce fait, un accessoire essentiel pour le transport de l’accompagné, comme l’a déterminé la juge.
[156] De plus, l’argument revêt un aspect très peu pratique au point de contrevenir à la règle de la proportionnalité. Air Canada ne conteste pas que l’accompagnateur peut toujours demander à l’accompagné de l’indemniser pour le coût d’un voyage fait dans le but principal de lui porter assistance. Aussi, vu la nature de la faute d’Air Canada, il ne fait aucun doute qu’il revient ultimement à cette partie d’acquitter ces mêmes coûts s’ils lui sont réclamés du passager atteint d’une déficience qui a dû rembourser son accompagnateur. Dans ces circonstances, il serait disproportionné pour ce passager de forcer l’intervention du transporteur pour lui demander à chaque fois d’assumer les conséquences pécuniaires de la demande de remboursement de l’accompagnateur envers ce même passager.
[157] Ce moyen d’appel est également mal fondé.
D) L’APPEL DE P... A... ET DES MEMBRES DES GROUPES
[158] Au stade de l’autorisation, la juge a entériné la description des Groupes proposée par P... A... :
Toutes les personnes handicapées et/ou obèses résidant au Canada qui, sur un vol intérieur au Canada, ont dû payer à Air Canada ou à un mandataire autorisé d’Air Canada des frais additionnels pour la carte d’embarquement d’un accompagnateur nécessité par leur condition particulière et/ou pour un emplacement adapté à leur condition à bord d’un appareil d’Air Canada, et ce, entre le 5 décembre 2005 et le 5 décembre 2008.
et
Toutes les personnes physiques au Canada qui ont payé à Air Canada ou à un mandataire autorisé d’Air Canada des frais d’embarquement à bord d’un appareil d’Air Canada alors qu’elles accompagnaient une personne handicapée et/ou obèse au sens du premier paragraphe sur un vol intérieur au Canada.[118]
[159] Dans le jugement au fond, la juge a toutefois décidé de réduire la portée de l’action collective aux seules personnes ayant payé, au Québec, des frais additionnels pour leur embarquement dans un avion d’Air Canada. Bien qu’à l’étape préliminaire, la multiplicité des règles de droit applicables à la situation des Groupes ne créait pas un obstacle dirimant à l’autorisation recherchée[119], sur le fond, la juge a choisi de revoir sa décision sur la composition des Groupes puisque P... A... n’avait pas démontré le droit en vigueur dans chaque province et territoire du pays.
[160] Cette lacune dans la preuve et l’absence d’allégation à ce sujet empêchaient la juge de prendre connaissance d’office du droit étranger, et surtout d’apprécier sa compatibilité avec le droit québécois aux fins de trancher la responsabilité contractuelle d’Air Canada[120]. La juge écrit :
[49] Dans la mesure où, comme l’avance Air Canada, la common law ne permettait pas, contrairement au droit québécois, de fonder un recours civil sur la violation d’un droit protégé par les lois relatives aux droits et libertés de la personne, l’application des règles substantives québécoises aux situations contractuelles issues d’une autre province équivaudrait à leur accorder une portée extraterritoriale contraire au principe constitutionnel de la territorialité des lois provinciales. Dans un tel contexte, la situation des non-résidents ayant contracté avec Air Canada à l’extérieur du Québec se trouverait déterminée par le droit québécois alors qu’aucun lien de quelque sorte ne les rattache à celui-ci.[121]
[161] La juge a,
par ailleurs, ordonné que le recouvrement des réclamations se fasse de façon
individuelle puisque les données pancanadiennes tirées de la décision Norman
n’étaient pas suffisamment précises pour justifier un recouvrement collectif
pour les
membres des Groupes ayant payé leurs frais d’embarquement seulement au Québec[122].
Elle ajoute que l’admissibilité à la gratuité d’un second siège pour les
personnes obèses devra s’évaluer au cas par cas.
[162] Ces conclusions s’inscrivent dans la logique du choix de la juge d’ordonner un recouvrement individuel[123].
[163] P... A... conteste ces ordonnances et plaide les moyens d’appel suivants :
- La juge de première instance a-t-elle erré en droit en modifiant la définition des Groupes pour les limiter aux résidents du Québec?
- La juge de première instance a-t-elle erré en droit en ordonnant un processus de réclamations individuelles?
[164] Il me faut répondre à ces questions par la négative. Voici pourquoi.
i) La modification des membres des Groupes
[165] Avec égards, la première question est ici mal posée. L’action collective concernée n’est pas limitée aux résidents du Québec, mais regroupe toutes les personnes ayant une déficience qui ont payé des frais additionnels au Québec pour leur embarquement dans un avion d’Air Canada. D’ailleurs, dans le jugement sur le fond, la juge n’a pas manqué de faire cette distinction :
[50] Par conséquent, comme le permet l’article 588 C.p.c., le Tribunal modifie le groupe pour ne viser que les personnes ayant contracté dans la province de Québec :
Toutes les personnes avec une déficience (handicapées) ou reconnues comme ayant une déficience fonctionnelle en raison de leur obésité résidant au Canada qui, sur un vol intérieur exploité par Air Canada ou un de ses mandataires autorisés, ont dû payer, au Québec, à Air Canada des frais additionnels pour le siège d’un accompagnateur et/ou pour un emplacement adapté à leur condition, et ce, entre le 5 décembre 2005 et le 5 décembre 2008.
et
Toutes les personnes physiques au Canada qui, entre le 5 décembre 2005 et le 5 décembre 2008, ont payé, au Québec, à Air Canada des frais pour un siège sur un vol intérieur exploité par Air Canada alors qu’elles agissaient à titre d’accompagnatrices d’une personne avec une déficience (handicapée).[124]
[Soulignements ajoutés]
[166] Rappelons que la question relative à la portée pancanadienne de l’action collective est abordée pour la première fois dans le jugement d’autorisation. La juge estime alors que la portée extraterritoriale des Groupes se justifie au regard des facteurs suivants :
[120] […] :
a. Le recours du demandeur a entièrement pris naissance au Québec, lieu de l’imposition de frais discriminatoires;
b. Les pratiques tarifaires d’Air Canada visées par le recours collectif envisagé sont uniformes dans toutes les provinces et territoires du Canada;
c. Les fautes reprochées à Air Canada sont les mêmes à l’égard de tous les usagers résidant au Canada;
d. Des résidents d’autres provinces ou territoires du Canada peuvent acheter au Québec des billets d’avion d’Air Canada;
e. Air Canada aurait contrevenu à des lois fédérales, soit la Loi sur les transports et la Loi canadienne sur les droits de la personne, donc applicables à l’ensemble des citoyens canadiens;
f. Air Canada a un établissement d’affaires au Québec.[125]
[167] Sur le fond, la juge est appelée à réexaminer cette question puisque P... A... n’a ni prouvé ni allégué le droit étranger[126]. La juge entretient aussi un doute sur la possibilité que la common law puisse fonder un recours contractuel civil contre Air Canada dont l’assise repose en partie sur une atteinte à un droit protégé par les lois relatives aux droits de la personne[127].
[168] P... A... conteste ces conclusions au motif que la composition des Groupes relève de la chose jugée depuis le jugement d’autorisation qui aurait tranché de manière finale les questions de l’inclusion des « résidents » de l’ensemble du pays dans les Groupes et de la preuve de l’existence d’un lien substantiel avec le for du Québec. P... A... plaide aussi qu’il revenait à Air Canada de prouver l’incompatibilité du droit étranger avec le droit québécois dans la mesure où elle s’opposait à la portée extraterritoriale des Groupes.
[169] L’argument basé sur la chose jugée ne résiste pas à l’analyse. Tout d’abord, cette proposition ignore cette mise en garde contenue dans le jugement d’autorisation :
[100] Il faut se garder de mettre sur le même pied l’autorisation du recours collectif et son exécution. Le juge du fond pourra alors distinguer les questions individuelles des questions communes. Il pourra aussi modifier le groupe en cours de route pour tenir compte de certains éléments révélés par la preuve. La description définitive du groupe sera ainsi connue lors du jugement final [citant Carrier c. Québec (Procureur général), 2011 QCCA 1231].[128]
[Soulignement ajouté]
[170] Comme le fait voir la jurisprudence citée à bon droit par la juge, la modification du groupe relève du pouvoir discrétionnaire conféré au juge du fond. Encore tout récemment, la Cour suprême rappelait cette prérogative en ces termes :
[72] […] Rappelons que le présent stade des procédures ne fait qu’autoriser le dépôt de la requête introductive d’instance; le jugement sur requête pour autoriser le recours ne constitue « qu’une décision préliminaire susceptible d’être modifiée au cours du procès, voire avant, et qui ne préjuge pas du résultat de la contestation finale ».[129]
[Renvois omis]
[171] Ensuite, et c’est bien connu, le juge doit, au stade de l’autorisation, favoriser une approche souple et libérale des conditions d’autorisation et privilégier les objectifs sociétaux de l’action collective que sont la dissuasion, l’accessibilité au système de justice et l’indemnisation des victimes[130].
[172] Pour un exemple donné, cette façon d’aborder l’autorisation a prévalu dans l’arrêt Union des consommateurs c. Bell Canada[131] (« Bell Canada ») au moment où la Cour se déclare satisfaite, au stade de l’autorisation, de l’existence de questions communes entre les recours de tous les consommateurs canadiens, clients de Bell Canada :
[117] Au moment d’aborder l’analyse de cette question, je rappelle l’approche généreuse - plutôt que restrictive - qui doit prévaloir dans l’étude d’une demande d’autorisation. À cette étape sommaire et préliminaire, le doute doit jouer en faveur des requérants et donc, en faveur de l’autorisation d’exercer le recours collectif.
[…]
[125] D'ailleurs,
sans être expert en droit comparé ou en droit ontarien, il me semble
raisonnable de présumer, pour l'instant du moins et jusqu'à preuve du
contraire, que le droit de la consommation ne varie pas tellement d'une
province canadienne à l'autre, quant au fond du moins. […][132]
[Soulignements ajoutés]
[173] À n’en point douter, l’approche généreuse en matière d’autorisation doit prévaloir. Cependant, il en va autrement à l’audition au fond; le droit applicable à l’extérieur du Québec ne se présume plus. En cette matière, une grande prudence est donc de mise, dès lors qu’il est demandé au tribunal d’importer les fondements d’un système juridique dans un autre[133].
[174] L’article 588 C.p.c. confère au tribunal la discrétion nécessaire pour modifier le groupe lors de l’audition au fond, s’il considère que « les circonstances l’exigent » :
588. Le tribunal peut, en tout temps, à la demande d’une partie, réviser ou annuler le jugement d’autorisation s’il considère que les conditions relatives aux questions de droit ou de fait ou à la composition du groupe ne sont plus remplies.
S’il révise le jugement d’autorisation, il peut permettre au représentant de modifier les conclusions recherchées. De plus, si les circonstances l’exigent, il peut, en tout temps et même d’office, modifier ou scinder le groupe.
Si le tribunal annule le jugement d’autorisation, l’instance se poursuit entre les parties devant le tribunal compétent, suivant la procédure prévue au livre II. |
588. The court may at any time, on the application of a party, revise or annul the authorization judgment if it considers that conditions relating to the issues of law or fact or to the composition of the class are no longer satisfied.
If the court revises the authorization judgment, it may allow the representative plaintiff to amend the conclusions sought. In addition, if circumstances so require, the court may, even on its own initiative, modify or divide the class at any time.
If the court annuls the authorization judgment, the proceeding continues between the parties before the competent court according to the procedure set out in Book II. [Soulignement ajouté] |
[175] En l’occurrence, le dossier présente plusieurs incertitudes entourant le droit applicable au recours de P... A... dans les autres provinces et territoires. Ces circonstances conféraient à la juge toute la latitude pour ne pas se sentir liée par ses conclusions « provisoires » au stade de l’autorisation.
[176] La Cour a déjà rappelé que le juge du fond « jouit [d’une] discrétion suffisante afin de modifier le groupe en cours d'instance de sorte à prendre en compte certaines caractéristiques révélées par la preuve »[134]. Reste à déterminer si la conclusion de la juge de limiter la composition des Groupes à ceux qui ont payé au Québec des frais additionnels pour l’embarquement est le résultat d’un exercice discrétionnaire affecté d’une erreur manifeste et déterminante.
[177] Après l’audition du pourvoi, P... A... a déposé, avec l’autorisation des membres de la formation, des observations additionnelles suscitées par l’arrêt rendu récemment par la Cour dans Benamor c. Air Canada[135] (« Benamor »). Je reprends le passage de cet arrêt invoqué par P... A... au soutien de sa prétention selon laquelle la position d’Air Canada dans Benamor serait contradictoire avec celle maintenant défendue en l’espèce :
[120] En l’occurrence, comme il a déjà été écrit, Air Canada ne s’oppose pas à l’autorisation d’un groupe national, son objection vise plutôt la reconnaissance d’un groupe mondial. […][136]
[178] Dans Benamor, la Cour est intervenue pour autoriser une action collective. Les juges majoritaires ont aussi accepté la position d’Air Canada selon laquelle l’action collective dirigée contre elle devait n’avoir qu’une portée nationale, alors que les demandeurs voulaient représenter un groupe de portée mondiale.
[179] .
[180] Tout d’abord, l’arrêt Benamor porte sur l’appel d’un refus par la Cour supérieure d’autoriser une action collective. La Cour n’a donc pas eu à se pencher sur le fond de l’affaire, à la différence de la situation qui nous occupe.
[181] Ensuite, il convient de préciser que cet arrêt est conforme à l’esprit de l’arrêt Bell Canada cité précédemment, dans lequel il est écrit :
[125] […] Reprenant les reproches formulés par l'appelante à l'endroit de l'intimée, il me semble raisonnable de croire que la législation canadienne d'un océan à l'autre, quelle que soit la province, interdit à un commerçant, sous peine de sanction civile ou pénale, ou des deux, de fournir un service qui ne correspond pas de façon significative à la description contractuelle qui en est faite, d'offrir et de vendre un produit sous des représentations fausses ou trompeuses ou en ne divulguant pas à l'acheteur des faits importants et pertinents à l'achat envisagé, et enfin, de porter atteinte à la vie privée de ses clients.[137]
[Soulignement ajouté]
[182] L’arrêt Benamor, tout comme l’arrêt Bell Canada, portait sur un jugement statuant sur une demande d’autorisation pour une action collective en matière de protection du consommateur[138]. La position d’Air Canada dans Benamor correspondait à peu de chose près aux enseignements de l’arrêt Bell Canada dans lequel on tenait pour acquis, aux fins de l’autorisation, que « pour l'instant du moins et jusqu'à preuve du contraire, que le droit de la consommation ne varie pas tellement d'une province canadienne à l'autre, quant au fond du moins »[139]. Notre Cour, dans Benamor, apporte toutefois cette nuance importante :
[123] S’il est vrai qu’un tribunal québécois peut appliquer le droit étranger, la multiplicité des régimes juridiques applicables peut néanmoins affecter la communauté des questions faisant l’objet d’une action collective. Tel serait le cas, par exemple, comme la Cour suprême l’écrit dans l’arrêt Vivendi Canada Inc. c. DeII’AnieIIo si nous étions en présence de divergences substantielles entre les différents régimes juridiques applicables, faisant ainsi perdre à l’action sa dimension collective.[140]
[Soulignement ajouté]
[183] Contrairement à la situation dans Benamor, l’argument d’Air Canada doit maintenant être analysé dans le contexte d’une audition au fond. À ce stade, on ne saurait se contenter d’une démonstration prima facie[141] puisque la preuve prépondérante en première instance devait tendre à régler la question sérieuse des « divergences substantielles entre les différents régimes juridiques applicables »[142]. Or, c’est là que le bât blesse.
[184] En application des articles 3112 et 3127 C.c.Q., la juge conclut que la règle de droit régissant le lien juridique entre Air Canada et ses passagers dépend du lieu du paiement des frais additionnels pour l’embarquement. Maintenir la portée pancanadienne de l’action collective signifierait l’application de diverses règles de droit dont le sens et la portée doivent être précisés au préalable.
[185] La preuve du droit étranger, si elle avait été faite, aurait obligé la juge à se tourner vers les règles régissant les conflits de lois et non, comme le plaide P... A..., à s’en tenir seulement à la compétence des tribunaux québécois d’entendre une affaire :
3112. En l’absence de désignation de la loi dans l’acte ou si la loi désignée rend l’acte juridique invalide, les tribunaux appliquent la loi de l’État qui, compte tenu de la nature de l’acte et des circonstances qui l’entourent, présente les liens les plus étroits avec cet acte.
3127. Lorsque l’obligation de réparer un préjudice résulte de l’inexécution d’une obligation contractuelle, les prétentions fondées sur l’inexécution sont régies par la loi applicable au contrat. |
3112. If no law is designated in the act or if the law designated invalidates the juridical act, the courts apply the law of the State with which the act is most closely connected in view of its nature and the attendant circumstances.
3127. Where an obligation to make reparation for injury arises from nonperformance of a contractual obligation, claims based on the nonperformance are governed by the law applicable to the contract. |
[186] La présomption simple de l’article 3113 C.c.Q. ne venait pas simplifier cette démarche, d’autant qu’Air Canada possède des « établissements » à travers tout le pays :
3113. Les liens les plus étroits sont présumés exister avec la loi de l’État dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique de l’acte a sa résidence ou, si celui-ci est conclu dans le cours des activités d’une entreprise, son établissement.
|
3113. A juridical act is presumed to be most closely connected with the law of the State where the party who is to perform the prestation which is characteristic of the act has his residence or, if the act is concluded in the ordinary course of business of an enterprise, has his establishment. [Soulignement ajouté] |
[187] Au regard de ce qui précède, la détermination de la juge selon laquelle elle « devra statuer sur l’obligation de réparer un préjudice en fonction du droit de chaque province où il y a eu un achat de billets, c’est-à-dire à l’endroit où un contrat a été conclu »[143] est, à mon humble avis, bien fondée.
[188] Ce constat dressé, la prochaine étape consistait à s’interroger sur l’existence de « divergences substantielles » entre les différents régimes applicables, de sorte à maintenir intacte la dimension collective de l’action de P... A.... La juge n’a pu se livrer à un tel exercice en raison d’une preuve lacunaire sur cette question.
[189] L’appel de P... A... se heurte donc à deux difficultés d’importance à l’égard des « divergences substantielles », une question demeurée sans réponse en première instance. Contrairement aux situations discutées dans Bell Canada et Benamor, le fondement juridique de l’action collective en l’espèce s’appuie notamment sur une disposition prohibant implicitement la discrimination dans les contrats intervenus au Québec :
Disposition préliminaire, alinéa 1. Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C- 12) et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.
1434. Le contrat valablement formé oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi. |
Preliminary provision, paragraph 1. The Civil Code of Québec, in harmony with the Charter of human rights and freedoms (chapter C-12) and the general principles of law, governs persons, relations between persons, and property.
1434. A contract validly formed binds the parties who have entered into it not only as to what they have expressed in it but also as to what is incident to it according to its nature and in conformity with usage, equity or law. |
[190] Dans un tel contexte, il me paraît pour le moins hasardeux de soutenir, sans démonstration à l’appui, que la common law présume de l’inclusion dans un contrat privé de différentes conditions implicites (implied terms) de la nature de celles prévues dans le droit civil québécois. La notion de « implied terms » en common law est ainsi résumée par la Cour suprême dans l’arrêt M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée :
[27] […] Les principes généraux permettant de déterminer l’existence de conditions contractuelles implicites ont été énoncés par notre Cour dans l’arrêt Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée c. Banque de Montréal, [1987] 1 R.C.S. 711. Le juge Le Dain a conclu, au nom de la majorité, qu’il pouvait y avoir introduction, dans un contrat, de conditions implicites: 1) fondées sur la coutume ou l’usage; 2) en tant que particularités juridiques d’une catégorie ou d’un type particulier de contrats; ou 3) fondées sur l’existence d’une intention présumée des parties, soit la condition implicite dont l’introduction est nécessaire « pour donner à un contrat de l’efficacité commerciale ou pour permettre de quelque autre manière de satisfaire au critère de “l’observateur objectif”, [condition] dont les parties diraient, si on leur posait la question, qu’elles avaient évidemment tenu son inclusion pour acquise » (p. 775). Voir également les arrêts Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, au par. 137, motifs du juge McLachlin, et Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986, à la p. 1008, motifs du juge McLachlin.[144]
[191] Il y a bien l’arrêt récent de la Cour suprême C.M. Callow Inc. c. Zollinger[145] dans lequel le juge Kasirer, au nom de la majorité, conclut à un lien direct entre l’obligation d’exécution honnête d’un contrat, comme cela est énoncé dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew[146], et l’interdiction d’exercer de façon malhonnête le droit prévu dans ce même contrat. Ce postulat, devenu partie intégrante de la common law par le biais de l’arrêt Callow, repose sur un rapprochement avec l’obligation de bonne foi énoncée à l’article 1375 C.c.Q. Mais au-delà de cet énoncé de principe, le juge Kasirer ne va pas jusqu’à affirmer que tout ce qui est implicite dans un contrat conclu au Québec l’est également en common law.
[192] Outre ce dialogue entre le droit civil et la common law enrichi par la jurisprudence, il ne saute pas aux yeux que les obligations propres aux droits de la personne intégrées de manière implicite dans le contrat québécois ont leur équivalent en common law.
[193] P... A... a choisi de se prévaloir des règles du droit contractuel québécois avec le particularisme inhérent à son contenu implicite. Il avait donc le fardeau de démontrer que cette réalité juridique avait son pendant, sous une forme ou sous une autre, dans la législation des autres provinces et territoires.
[194] Le deuxième obstacle réside dans l’hypothèse d’envisager la question sous l’angle de la discrimination comme tort en common law. Il me suffit ici de citer ce passage de l’arrêt de la Cour suprême Seneca College c. Bhadauria pour exposer les limites des rapprochements possibles entre les deux systèmes de droit :
Nous sommes ici en présence, si la conclusion de la Cour d’appel est bien fondée, d’une espèce de délit civil d’ordre économique qui, faisant pour la première fois l’objet de poursuites, est fondé, même si indirectement, sur une loi dans un domaine qui ne s’apparente pas aux domaines pleinement reconnus de l’obligation en common law: voir Williams, "The Effect of Penal Legislation in the Law of Tort" (1960), 23 Mod. L. Rev. 233, à la p. 256. C’est une chose que de faire appliquer une obligation de diligence découlant de la common law aux normes de comportement prévues par une loi; il s’agit simplement là d’appliquer le droit en matière de négligence à la reconnaissance des délits civils visés par la loi. C’est tout autre chose que de créer par autorisation judiciaire une obligation—qui n’est aucunement assimilable à une obligation de diligence dans le droit en matière de négligence—de conférer un avantage économique à certaines personnes avec lesquelles le prétendu obligé n’a aucun rapport, et ce sur le seul fondement de la violation d’une loi qui, elle, prévoit de façon détaillée des recours en cas de violation.
[…]
Le point de vue adopté par la Cour d’appel de l’Ontario témoigne d’audace et peut être loué comme tentative de faire avancer la common law.
Je suis toutefois d’avis que cela est rendu impossible par l’initiative du législateur qui, allant plus loin que la common law telle qu’elle existe en Ontario, a établi un régime qui, loin d’exclure les cours, les intègre dans le mécanisme d’application prévu par le Code.
Pour ces motifs, je conclus que non seulement le Code empêche toute action civile fondée directement sur une violation de ses dispositions, mais qu’il exclut aussi toute action qui découle de la common law et est fondée sur l’invocation de la politique générale énoncée dans le Code. Le Code lui-même établit les procédures destinées à la défense de cette politique générale, procédures dont la demanderesse n’a pas cru bon de se prévaloir.[147]
[Soulignement ajouté]
[195] Au regard de ce qui précède et sans une preuve satisfaisante sur le droit étranger dont la démonstration incombait à P... A..., je ne puis voir comment l’on peut présumer que tous les régimes juridiques applicables sont compatibles avec la loi québécoise pour ce qui s’agit de la question qui nous concerne.
[196] L’absence même d’allégation sur cette question impose, là encore, la plus grande retenue à ce sujet. Ce manquement fait aussi ressortir l’impossibilité de statuer proprio motu sur le facteur de la « divergence substantielle », en l’absence d’une preuve pertinente. À l’audience, P... A... n’a d’ailleurs pas requis de la Cour qu’elle se livre à un tel exercice.
[197] Ainsi, P... A... n’a pas fait la démonstration que la juge de première instance a erré en modifiant la composition des Groupes en raison de l’absence de preuve concernant la cohérence du droit applicable à travers tout le pays.
[198] Je suis donc d’avis de rejeter ce moyen d’appel.
ii) Le mode de recouvrement individuel
[199] En première instance, P... A... réclamait au nom des Groupes une indemnisation collective de 39 692 187 $. Ce chiffre provient des données mises en preuve dans le recours ayant donné lieu à la décision Norman (le tableau 10). Elles ont été utilisées par l’Office pour évaluer l’importance de la contrainte qui allait se répercuter sur les finances d’Air Canada, à la suite de l’implantation du régime 1P1T. Les dépenses annuelles occasionnées par ce régime ont été estimées à 13 230 729 $, soit 54 180 voyages annuels au tarif moyen de 244,20 $, multiplié par la période de trois ans visée dans l’action collective, pour une réclamation potentielle de 39 692 187 $[148].
[200] La juge constate que les données de l’Office ne contiennent rien de concret sur la clientèle d’Air Canada au Québec. Elle estime que ces données sont insuffisamment précises pour justifier un recouvrement collectif pour un groupe restreint aux seules personnes ayant conclu un contrat dans cette province. Elle écrit :
[140] La seule donnée qui pourrait être retirée du tableau 10 et qui soit considérée comme « suffisamment précise » demeure le coût moyen du billet d’avion, soit 244,20 $. Quant à la possibilité de procéder à un calcul mathématique qui se voudrait basé sur le fait que durant les années 2006, 2007 et 2008, la population du Québec constitue environ 23 % de la population canadienne permettant ainsi de réduire le montant de 39 millions à 8 970 000 $, le Tribunal est d’avis qu’elle n’est pas suffisamment précise et à la limite de l’arbitraire, ce qui n’est pas le but de l’indemnisation collective.[149]
[201] Aux fins de sa décision, la juge prend aussi en considération le spectre des particularités concernant les voyageurs ayant une déficience dont la situation selon le cas pourrait nécessiter un siège supplémentaire. À son avis, il s’agit là d’un autre facteur qui milite contre la méthode du recouvrement collectif.
[202] Elle note, par exemple, que certaines personnes ayant une déficience nécessiteront un accompagnateur lors d’un vol long-courrier, mais pas nécessairement lors d’un vol court-courrier[150]. Pour les personnes souffrant d’obésité, elle conclut que leur admissibilité au régime 1P1T « dépend des faits et des circonstances de chaque situation et doit être évaluée au cas par cas »[151]. Enfin, elle propose ses propres exemples susceptibles d’avoir un impact sur l’admissibilité à un recouvrement en fonction du degré d’autonomie de personnes ayant la même déficience :
[142] À titre d’exemple, un voyageur paraplégique aura suffisamment de force à la partie supérieure de son corps pour être considéré autonome alors qu’une autre personne, souffrant du même handicap, ne pourrait répondre aux exigences du transporteur pour voyager seul. Certaines personnes souffrant d’épilepsie ont des symptômes « contrôlés » alors que d’autres sont susceptibles d’avoir besoin d’assistance à tout moment.[152]
[203] P... A... plaide que si la juge entendait limiter les Groupes aux seuls voyageurs du Québec, elle aurait dû suspendre son délibéré et ordonner la réouverture des débats (art. 323 C.p.c.) pour permettre la présentation d’une preuve additionnelle. Il reproche aussi à la juge d’avoir confondu le processus de liquidation individuelle (art. 596 C.p.c.) avec celui du recouvrement individuel (art. 599 C.p.c.). Je suis en désaccord avec ces prétentions.
[204] Bien que le recouvrement collectif soit d’application générale[153], la juge avait discrétion en vertu de l’article 595 al. 1 C.p.c. pour conclure comme elle l’a fait, estimant que la preuve ne permettait pas d’établir d’une façon suffisamment précise le montant total des réclamations :
595 al. 1. Le tribunal ordonne le recouvrement collectif des réclamations des membres si la preuve permet d’établir d’une façon suffisamment précise le montant total de ces réclamations. Ce montant est établi sans égard à l’identité de chacun des membres ou au montant exact de la réclamation de chacun. |
595(1). The court orders collective recovery of the class members’ claims if the evidence allows a sufficiently precise determination of the total claim amount. The total claim amount is determined without regard to the identity of individual class members or the exact amount of their respective claims. [Soulignement ajouté] |
[205] Rappelons par ailleurs que, le 15 mai 2012, soit près de 6 ans avant l’audition, Air Canada a déposé sa défense dans laquelle elle conteste la portée pancanadienne de l’action collective[154]. Or, P... A... a fait le choix de s’en remettre uniquement au tableau 10 de la décision Norman pour prouver le préjudice des membres, restreignant ainsi sa marge de manœuvre à la seule hypothèse du maintien de la portée pancanadienne des Groupes.
[206] En l’espèce, ce commentaire tiré de l’arrêt de la Cour dans Electrolux Canada Corp. c. American Iron & Metal, l.p. trouve application :
[20] It appears that the failure to produce evidence of overall costs giving rise to a calculation of gross profit margin was the result of a deliberate choice made by Respondent. In such circumstances, any invitation by the trial judge to fill gaps in the evidence pursuant to Article 292 of the former C.C.P. would have been useless. […][155]
[207] Quant à l’argument basé sur l’article 323 C.p.c., la Cour énonce ainsi les critères à prendre en considération à l’occasion d’une demande de réouverture d’enquête :
a) les nouveaux éléments de preuve découverts étaient inconnus du requérant au moment du procès;
b) il lui était impossible, malgré sa diligence, de les connaître avant le procès;
c) ces nouveaux éléments de preuve pourront avoir une influence déterminante sur la décision à rendre.[156]
[208] En première instance, la limitation de la portée de l’action collective a été débattue et ne constitue donc pas une question découverte lors du délibéré. Les parties ont eu amplement l’occasion d’en discuter durant l’audition[157]. Sachant cela, P... A... aurait pu présenter des données à l’appui de la méthode de recouvrement qu’il préconisait, et le cas échéant, prévoir la possibilité que le recouvrement pancanadien ne soit pas autorisé. Il ne l’a pas fait, préférant s’en tenir à la position de droit selon laquelle le régime juridique québécois serait forcément appliqué à tous les membres canadiens, du fait que le siège d’Air Canada était situé au Québec.
[209] Cette stratégie a échoué et la demande de P... A... en réouverture des débats, de sorte à lui procurer l’occasion de donner another kick at the can, ne peut lui être d’aucun secours. P... A... ne peut demander à ajuster son recours selon la portée que lui accorde le jugement entrepris, lui-même rendu en tenant compte de ses prétentions en première instance.
[210] Incidemment, la présomption d’exactitude accordée par la juge aux données contenues dans la décision Norman ne pouvait bonifier la preuve de P... A... tant sur le plan de leur pertinence que de leur force probante, une fois transposée dans le présent recours.
[211] Ajoutons que la méthode de recouvrement individuel a l’avantage de ne pas plafonner la réclamation d’un membre au prorata de l’ensemble des réclamations, lorsque le montant total disponible est atteint, comme cela peut se produire en matière de recouvrement collectif.
[212] Il est par ailleurs inexact d’affirmer que la juge a confondu le processus de liquidation individuelle avec celui du recouvrement individuel. La juge motive bien sa décision de retenir le mode de recouvrement individuel en raison de la spécificité de chacun des passagers ayant une déficience au regard de leur niveau d’autonomie et des circonstances variantes selon qu’il s’agit d’un vol long-courrier ou court-courrier. Quant aux personnes obèses, la juge rappelle que leur admissibilité au régime 1P1T « dépend des faits et des circonstances de chaque situation et doit être évaluée au cas par cas »[158].
[213] Ces conclusions mettent en relief la réalité spécifique de chacun des membres des Groupes au regard de l’obstacle abusif à leur déplacement tel que déterminé par l’Office. Pour cette raison, le mode de recouvrement « ne doit pas conduire à l’augmentation aveugle du fardeau financier du défendeur »[159].
[214] En présence de nombreuses particularités propres à chacun des membres d’un groupe, le juge est justifié, comme cela a été le cas ici, de procéder par voie de recouvrement individuel. La doctrine soutient cette approche :
L’existence de particularités propres à chacun des membres ne constitue pas un obstacle à la recevabilité d’un tel recours [n.C.p.c. : action collective]. En présence de nombreuses particularités, le tribunal conserve le choix de procéder à l’exécution du jugement par voie de réclamations individuelles [n.C.p.c. : recouvrement individuel].[160]
[215] Bref, au terme d’un exercice discrétionnaire pour trancher la question du mode de recouvrement[161], il ne ressort pas des motifs de la juge une erreur manifeste et déterminante capable de justifier l’intervention de la Cour.
[216] Cette dernière conclusion doit conduire au rejet de la demande de P... A... de retourner le dossier à la Cour supérieure si notre arrêt devait maintenir les conclusions du jugement entrepris sur l’étendue des Groupes.
[217] Je propose donc de rejeter ce pourvoi.
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[218] Pour toutes ces raisons, je suis d’avis de rejeter les deux pourvois, avec les frais de justice.
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GUY GAGNON, J.C.A. |
[1] L’appel d’Air Canada porte le numéro de dossier 200-09-009977-197 alors que l’appel de M. P... A... et des membres des Groupes porte le numéro de dossier 200-09-009979-193.
[2] P.A. c. Air Canada, 2019 QCCS 606 [jugement entrepris].
[3] Picard c. Air Canada, 2011 QCCS 5186, paragr. 153 [jugement d’autorisation].
[4] Décision de l’Office relative à la demande présentée par la succession d’Eric Norman, Joanne Neubauer et le Conseil des Canadiens avec déficiences, no 6-AT-A-2008, référence no U3570-14/04-1, 10 janvier 2008 [décision Norman].
[5] Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 [LTC].
[6] WestJet c. Chabot, 2016 QCCA 584, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 27 octobre 2016, no 37027 [WestJet].
[7] Id., paragr. 6-8.
[8] Décision Norman, Annexe A, Abréviations, « 1P1T » : « 1P1T désigne le principe "une personne, un tarif" proposé dans le cas présent par [le Conseil des Canadiens avec déficiences] aux termes duquel les personnes ayant une déficience paieraient un seul tarif, quel que soit le nombre de sièges dont elles ont besoin en raison de leur déficience pour le voyage » [renvois omis].
[9] LTC, partie V.
[10] Cet organisme était auparavant appelé la Coalition des Organisations Provinciales Ombudsman des Handicapés.
[11] Décision Norman, paragr. 40.
[12] Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868, paragr. 41 (« Grismer »).
[13] Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650 [VIA Rail].
[14] Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 [LCDP].
[15] VIA Rail, supra, note 13, paragr. 115.
[16] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 R.C.S. 3, p. 32-33 [Meiorin].
[17] VIA Rail, supra, note 13, paragr. 119-120.
[18] Lettre-décision de l’Office no LET-AT-A-138-2003.
[19] Décision de l’Office no 435-AT-A-2005 (« Morten »); Décision de l’Office no 336-AT-A-2004 (« Charbonneau »); Décision de l’Office no 671-AT-A-2002 (« Reinsborough »); Décision de l’Office no 290-AT-A-2000 (« Smith »); Décision de l’Office no 120-AT-A-1998 (« Lemieux-Brassard »); Décision de l’Office no 532-A-1993 (« Buchholz »).
[20] Air Canada c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 169, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 20 novembre 2008, no 32729; Air Canada c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 168, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 20 novembre 2008, no 32729.
[21] Témoignage de Louise-Hélène Sénécal du 16 avril 2018. Voir aussi la décision Norman, paragr. 890.
[22] Décision Norman, paragr. 892.
[23] VIA Rail, supra, note 13, paragr. 128.
[24] Décision Norman, paragr. 895-898.
[25] Id., paragr. 900.
[26] Décision Norman, paragr. 905.
[27] WestJet, supra, note 6, paragr. 59 et 71.
[28] Jugement entrepris, paragr. 84.
[29] P.A. c. Air Canada, 2017 QCCS 2162, paragr. 39-40.
[30] Jugement entrepris, paragr. 85.
[31] Id., paragr. 25, 64 et 77.
[32] Id., paragr. 17.
[33] Id., paragr. 21.
[34] Mémoire de l’appelante Air Canada, paragr. 32.
[35] Jugement entrepris, paragr. 28-38.
[36] WestJet, supra, note 6, paragr. 62 et 72-74.
[37] Jugement entrepris, paragr. 51-53.
[38] Id., paragr. 54-61.
[39] WestJet, supra, note 6, paragr. 30 et 72-75.
[40] Jugement entrepris, paragr. 62.
[41] Id., paragr. 74, citant Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, paragr. 48 et Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749, p. 762-763.
[42] Id., paragr. 75; Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, annexe II, no 5, paragr. 92(13).
[43] Jugement entrepris, paragr. 77-83.
[44] P.A. c. Air Canada, 2013 QCCS 5594; P.A. c. Air Canada, 2017 QCCS 2162. Dans ce dernier jugement, le tribunal précise que les paragraphes 635 et 636 de la Décision Norman, qui établissent le nombre estimatif de voyages et leur coût, font partie des motifs de la décision. Notre Cour a rejeté la requête pour permission d'appeler d’Air Canada sur les paragraphes 635 et 636 de la Décision Norman, qualifiant l’appel proposé de « voué à l’échec » : Air Canada c. P.A., 2017 QCCA 1770, paragr. 8.
[45] Jugement entrepris, paragr. 84-85.
[46] Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, [2007] 1 R.C.S. 429 [Hislop].
[47] Jugement entrepris, paragr. 97 et 100.
[48] Id., paragr. 102.
[49] Id., paragr. 104.
[50] Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214.
[51] Jugement entrepris, paragr. 105-115.
[52] Id., paragr. 119.
[53] Id., paragr. 120-121.
[54] McKay-Panos c. Air Canada, 2006 CAF 8 [McKay-Panos].
[55] VIA Rail, supra, note 13.
[56] WestJet, supra, note 6.
[57] Id., paragr. 31-33.
[58] Id., paragr. 62 et 72-73.
[59] Jean-Louis Baudouin, Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, p. 186.
[60] Goulet c. Cie d’Assurance-Vie Transamerica du Canada, 2002 CSC 21, [2002] 1 R.C.S. 719.
[61] Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801.
[62] Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862.
[63] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
[64] Jugement entrepris, paragr. 74-75.
[65] Id., paragr. 81-83.
[66] VIA Rail, supra, note 13, paragr. 135-138.
[67] Décision Norman, paragr. 137-138.
[68] Id., paragr. 157, 162-163 et 170.
[69] VIA Rail, supra, note 13, paragr. 112.
[70] Id., paragr. 133-135.
[71] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11; Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
[72] VIA Rail, supra, note 13, paragr. 139; Meiorin, supra, note 16, paragr. 22.
[73] Jugement entrepris, paragr. 101-102.
[74] Id., paragr. 104.
[75] Hislop, supra, note 46.
[76] McKay-Panos, supra, note 54.
[77] VIA Rail, supra, note 13.
[78] Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8.
[79] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
[80] Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
[81] Hislop, supra, note 46, paragr. 78.
[82] Id., paragr. 93 et 96.
[83] Id., paragr. 99.
[84] Id., paragr. 102 [soulignement ajouté].
[85] Id., paragr. 103.
[86] Id., paragr. 107.
[87] Id., paragr. 81.
[88] Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, p. 725.
[89] Id., p. 719-720.
[90] Décision Norman, Annexe A, Abréviations, « 1P1T ».
[91] Id., paragr. 805 et 827-828.
[92] Id., paragr. 217-218.
[93] Id., paragr. 881.
[94] Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, p. 725.
[95] Décision de l’Office no 567-AT-A-2002, référence no U3570/97-21.
[96] McKay-Panos, supra, note 54, paragr. 38-39 et 42.
[97] En l’espèce, les excuses d’Air Canada ne peuvent valoir à titre d’aveu de responsabilité (art. 2853.1 C.c.Q.).
[98] VIA Rail, supra, note 13, paragr. 123-124.
[99] Id., paragr. 124.
[100] Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489.
[101] VIA Rail, supra, note 13, paragr. 133.
[102] Voir par exemple Meiorin, supra, note 16; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525.
[103] Office des transports du Canada c. Morten, 2010 CF 1008, paragr. 72.
[104] VIA Rail, supra, note 13, paragr. 137 et 139.
[105] Hislop, supra, note 46, paragr. 99.
[106] VIA Rail, supra, note 13, paragr. 97-103.
[107] Id., paragr. 104.
[108] Décision Norman, paragr. 894 et s.
[109] Id., paragr. 897 et 900.
[110] Id., paragr. 901.
[111] Id., paragr. 902.
[112] Id., paragr. 905.
[113] Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées, DORS/2019-244. La plupart des dispositions du règlement sont entrées en vigueur le 25 juin 2020, mais certaines le seront en 2021 (les articles 72, 73, 97, 98, 143, 144 et 225 et le paragraphe 227(4)) ou en 2022 (les articles 11, 69, 70, 92 à 95, 140, 141, 188, 189, 190, 191, 223 et 224).
[114] Décision Norman, paragr. 912.
[115] Id., paragr. 322, 328 et 858.
[116] Jugement entrepris, paragr. 37-38.
[117] Id., paragr. 36.
[118] Jugement d’autorisation, paragr. 154-155.
[119] Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3, paragr. 76.
[120] Art. 2809 C.c.Q.; Union des consommateurs c. Bell Canada, 2012 QCCA 1287, paragr. 120, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 17 janvier 2013, no 34994.
[121] Jugement entrepris, paragr. 49.
[122] Id., paragr. 139-143.
[123] Id., paragr. 144-146.
[124] Id., paragr. 50.
[125] Jugement d’autorisation, paragr. 120.
[126] Jugement entrepris, paragr. 46.
[127] Id., paragr. 49.
[128] Jugement d’autorisation, paragr. 100.
[129] Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, paragr. 72.
[130] L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., 2019 CSC 35, paragr. 8; Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600, paragr. 69.
[131] Union des consommateurs c. Bell Canada, 2012 QCCA 1287, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 17 janvier 2013, no 34994 [Bell Canada].
[132] Id., paragr. 117 et 125.
[133] Pour un aperçu général sur l’articulation des deux systèmes juridiques à la Cour suprême : Louis LeBel et Pierre-Louis Le Saunier, « L'interaction du droit civil et de la common law à la Cour suprême du Canada », (2006) 47 C. de D. 179. Voir également, comme exemple de cette interaction dans le contexte de la bonne foi en droit des contrats : Rosalie Jukier, « Good Faith in Contract : A Judicial Dialogue Between Common Law Canada and Québec », (2019) 1 J Commonwealth L 83.
[134] Carrier c. Québec (Procureur général), 2011 QCCA 1231, paragr. 73.
[135] Benamor c. Air Canada, 2020 QCCA 1597 [Benamor].
[136] Id., paragr. 120.
[137] Bell Canada, supra, note 131, paragr. 125.
[138] Benamor, supra, note 135, paragr. 19.
[139] Bell Canada, supra, note 131, paragr. 125.
[140] Benamor, supra, note 135, paragr. 123.
[141] Id., paragr. 106.
[142] Id., paragr. 123.
[143] Jugement entrepris, paragr. 44 [soulignement omis].
[144] M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, [1999] 1 R.C.S. 619, paragr. 27.
[145] C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45.
[146] Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S 494.
[147] Seneca College c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S 181, p. 189 et 194-195.
[148] Jugement entrepris, paragr. 128.
[149] Id., paragr. 140.
[150] Id., paragr. 143, citant la décision Norman, paragr. 114 et note de bas de page 6.
[151] Id., paragr. 144, citant la décision Norman, paragr. 128.
[152] Id., paragr. 142.
[153] Catherine Piché, L’action collective : ses succès et ses défis, Montréal, Thémis, 2019, p. 178-185.
[154] Défense, 15 mai 2012, paragr. 42-49, 79-85 et 92-95.
[155] Electrolux Canada Corp. c. American Iron & Metal, l.p., 2016 QCCA 1692, paragr. 20.
[156] Symons General Insurance Company c. Rochon, J.E. 95-602 (C.A.).
[157] Jugement entrepris, paragr. 39.
[158] Id., paragr. 144, citant la décision Norman, paragr. 128.
[159] Masson c. Telus Mobilité, 2019 QCCA 1106, paragr. 78, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 9 avril 2020, no 38820, faisant référence à Martin c. Telus Communication, 2014 QCCS 1554, désistement d’appel, 2016 QCCA 1178.
[160] Pierre-Claude Lafond, « Le modèle québécois de recours collectif : une procédure originale et adaptée à la réparation des dommages », dans Brigitte Lefebvre et Antoine Leduc (dir.), Mélanges Pierre Ciotola, Montréal, Thémis, 2012, 127, p. 151.
[161] Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, [2008] 3 R.C.S. 392, paragr. 112; Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, paragr. 1188; Pierre-Claude Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice : impact et évolution, Cowansville, Yvon Blais, 2006, p. 191-192.
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