Gaudet c. L. Simard Transport ltée |
2011 QCCS 1470 |
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DM 1706 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-17-003988-077 |
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DATE : |
30 MARS 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
DANIÈLE MAYRAND, J.C.S. |
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GUY M. GAUDET |
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Demandeur |
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c. |
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L. SIMARD TRANSPORT LTÉE |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur (« M. Gaudet ») a travaillé pour la défenderesse (« Simard ») de 1993 au 27 octobre 2006, alors qu'il a été congédié, suivant celle-ci, pour des motifs sérieux.
[2] Il a alors reçu une indemnité de 1 510 $, équivalant à deux semaines de salaire, de même que les avantages qui lui étaient dus.
[3] M. Gaudet prétend avoir été congédié sans cause juste et suffisante. Par la présente action, il réclame 121 000 $ ventilés comme suit :
1. une indemnité de perte d'emploi, équivalant à quatre (4) semaines par année de services continus, soit au total cinquante-deux (52) semaines au salaire de base de 750 $ ou 39 000 $ ;
2. 50 000 $ pour délai de congé, résultant de son congédiement ;
3. des dommages exemplaires de 25 000 $.
LES QUESTIONS EN LITIGE
v Le congédiement de M. Gaudet est-il justifié ?
v Si non, a-t-il droit à des dommages et lesquels ?
LES PARTIES
Ø Simard
[4] Simard est une entreprise qui fait du transport à l’échelle nationale et internationale par conteneurs, remorques, etc. Elle compte 750 employés et plus de 150 voituriers, qui sont répartis à travers le Canada dans trois places d’affaires : au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique.
[5] Les effectifs les plus nombreux se trouvent à Lachine où il y a 450 employés, dont environ 80 à 90 voituriers.
Ø M. Gaudet
[6] M. Gaudet a été salarié de la demanderesse du 5 juillet 1993 jusqu'au 27 octobre 2006.
[7] Au moment de son congédiement le 27 octobre 2006, il est répartiteur pour le quart de soir à Lachine, au salaire annuel de base de 37 500 $ plus rémunération additionnelle pour heures supplémentaires,
[8] Pour l'année 2005, il a reçu un salaire brut de 42 839,26 $.
LES PRINCIPES DE DROIT APPLICABLES
[9] L’article 2094 du C.c.Q. prescrit ceci :
Une partie peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail.
[10] Comme le soulignent des auteurs réputés sur le sujet[1] :
4.1.3 Le congédiement pour un motif sérieux (cause juste et suffisante) n'est en somme que l'exercice du droit de l'employeur de résilier le contrat de travail d'un employé qui n'exécute pas convenablement, par inaptitude, mauvaise volonté ou incapacité, ses obligations contractuelles. (Pages 4-1 et 4-3).
(Le Tribunal souligne)
[11] La doctrine et la jurisprudence ont élaboré les lignes directrices de ce que pouvait constituer un motif sérieux au sens de l’article 2094 C.c.q..
[12] Un motif sérieux est celui d'une faute grave commise par le salarié qui se rapporte à la conduite ou à son défaut d'exécuter le travail. Ainsi, un employé qui n'exécute pas convenablement, par inaptitude ou incapacité, ses obligations contractuelles peut être privé du préavis[2].
[13] En l’instance, le motif invoqué par Simard a trait aux erreurs répétées par M. Gaudet dans l’exécution de son travail. De fait, des erreurs commises à répétition dans l’exécution de son travail, malgré les avertissements de l’employeur, peuvent constituer un motif sérieux qui justifie de mettre fin à l’emploi sans préavis.
[14] De même, bien qu’un motif de reproche pris isolément ne revête pas la gravité requise peut constituer en soi un motif sérieux de congédiement, l'ensemble de ces défauts qui s'additionnent et leur caractère répétitif peuvent justifier un congédiement sans préavis.
ANALYSE ET DISCUSSION
[15] En 1993, M. Gaudet a débuté comme commis au service à la clientèle de Simard. Au fil du temps, plusieurs plaintes émanent des clients, en raison d'oublis fréquents de sa part, que ce soit pour passer les commandes ou rappeler les clients. En 2000, Simard décide de l'affecter à la fonction d'aide répartiteur de jour.
[16] Ce travail est exigeant, les chauffeurs doivent connaître leurs attributions et l'équipement requis, plusieurs appels peuvent survenir en même temps et sont tous urgents. Là encore, les défaillances de M. Gaudet continuent de se répéter. Au fil du temps, les plaintes proviennent des chauffeurs, des voituriers et des clients pour des oublis qui causent des pertes de temps coûteuses pour Simard et les voituriers qui sont à leur compte.
[17] Il est manifeste qu'après trois ans, le poste de répartiteur de jour demeure un défi que M. Gaudet ne peut réaliser à la satisfaction de ses collègues de travail et de son employeur.
[18] M. Gaudet étant un employé honnête et dévoué, Simard veut lui donner une autre alternative. En 2003, il sera transféré au poste de répartiteur pour le quart de soir, alors que le volume de transport est moins important.
[19] M. Gaudet qui nie avoir des difficultés pour l’exécution de ses fonctions y voit une reconnaissance pour son travail. Il n'a pas raison. Le fait qu'il reçoive une augmentation salariale de 5 000 $ n’est pas relié à sa performance. Il profite plutôt de la politique de rémunération générale de Simard et de ses échelles de salaire pour le poste de répartiteur (il est seul pour accomplir la tâche) et le fait que le quart de travail est le soir. La preuve révèle plutôt que Simard lui donne une troisième chance parce qu’il ne peut faire son travail adéquatement le jour.
[20] Malheureusement, la situation ne s'améliore guère. Les erreurs de M. Gaudet se répètent.
[21] Le 11 octobre 2005, une rencontre a lieu à la demande de Réjean Ducharme, qui représente les voituriers, Mike Distaulo, le patron de M. Gaudet et ce dernier pour discuter des problèmes et plaintes soulevés par les chauffeurs lorsque M Gaudet est en poste. Ceux-ci consistent à soit oublier de donner une assignation ou de laisser le chauffeur patienter en ligne. À maintes reprises, il envoie un chauffeur pour prendre livraison d'un conteneur qui a déjà été ramassé par quelqu'un d'autre ou transmet une mauvaise adresse ou ne donne pas les instructions claires et précises en temps opportun. M. Gaudet est incapable d'autocritique et relègue le blâme sur ses collègues de travail.
[22] Tous les témoins assignés par M. Gaudet, dont M. Réjean Champagne, représentant des voituriers, Mme Chantal Trudeau, chauffeur, Mme Lina Baldacchino qui travaille au Service à la clientèle, Mme Nadine Gauthier, ancienne chauffeur chez Simard, ont confirmé l'inaptitude de M. Gaudet d'exécuter son travail convenablement[3].
[23] M. François Desjardins, son superviseur, confirme la version des témoins ci-haut mentionnée. D'ailleurs, son évaluation de mai 2005 constituait déjà un avertissement, pourtant M. Gaudet ne le voit pas comme tel, sa perception est toujours qu'il ne se trompe pas, il ne s'avoue aucun tort, c'est toujours la faute des autres.
[24] Entre le 5 mai 2006 et le 24 octobre 2006, M. Gaudet a fauté à répétition dans son travail[4]. À deux reprises un conteneur qui devait embarquer sur un navire outre-mer a été oublié. Pourtant, cette tâche est en tête de la liste des priorités du répartiteur.
[25] Mme Nadine Gauthier relate l'incident du 4 août 2006. Elle est disponible depuis 19 h et attend une affectation. Ce n'est qu'à 19 h 40 qu'elle la reçoit de M. Gaudet qui est en panique parce qu'il avait oublié cette livraison. Son témoignage confirme la note au dossier écrite par François Desjardins[5] :
Friday night Guy gave out to Nadine Gauthier a full container for CN with an RV # closing at 19:59. This full export container was dispatch to Nadine at 19:40 in the Logirack system. Nadine immediately called Guy to let him know that she would never make it at CN before the closing time. Guy's response to Nadine was try it anyways you have a way with them you've done it in the past convince them. Nadine arrived at 20:20 and was refused missing the RV cut off of 19:59 she could not convince the clerk at the in Gate to accept this container. Guy then proceeded to create a move to bring the full container to Simard yard Fairway and mentioned at the same time to Nadine that he will get an RV for after midnight. This was never done and was forgotten by Guy. Simard was then forced by the client to bring this export container to the port of Halifax at Simard expense$$$$.
I meet with Guy when he came back from his 2 week Vacation to discusses what had happened. At this point he did not remember all the detail but could not give a good explanation on what happened.
[26] Les explications de M. Gaudet, à savoir que souvent le CN laissait la barrière ouverte lorsque, par exemple, un chauffeur disait qu'il avait été en file d'attente, ne peuvent justifier le manquement qui lui a été reproché.
[27] Tant M. Distaulo, qui ne travaille plus pour Simard depuis 2008, que M. Desjardins ont expliqué les circonstances relatives aux manquements répétés de M. Gaudet, dont l'incident du 24 octobre 2006 qui a mené à son congédiement.
[28] M. Distaulo, alors patron de M. Gaudet chez Simard, est un témoin crédible et détaché. Il a relaté que malgré des directives claires données à M. Gaudet d'assigner trois conteneurs pour livraison à un navire, ce dernier a encore une fois mal réparti ses attributions, de sorte que seulement deux de ces conteneurs ont pu être livrés. Simard a perdu ce client.
[29] En réalité, M. Gaudet confond dévouement, compétence et capacité d'accomplir les tâches qui lui ont été octroyées. Comme le souligne M. Ferris Abraham, copropriétaire chez Simard, la loyauté de M. Gaudet n'a jamais été mise en cause, au contraire, sans cela, les chances et opportunités qui lui ont été offertes entre 1993 et 2006, dont la ré-affectation à deux postes en 2000 et 2003 pour lesquels il n'a pas réussi à performer, ne lui auraient pas été offertes.
[30] Les reproches formulés à M. Gaudet, tant par Simard que les voituriers et les chauffeurs, n'ont aucun écho chez lui. Il n'accepte pas la critique et voit même dans son renvoi un complot orchestré par tous contre lui. Pourtant, les témoins qu'il a assignés ont tous confirmé qu'il était inefficace, nerveux, souvent en panique, et qu'il faisait des oublis.
[31] La preuve a révélé que M. Gaudet a été rencontré à plusieurs reprises, sur une base quotidienne, par son superviseur, M. Desjardins. M. Distaulo lui a même donné des trucs d'écrire sur des bouts de papier et de cocher ensuite les tâches à effectuer versus celles qui l'avaient déjà été, mais cela ne donnait rien.
[32] Sa version voulant qu'il était adoré par tous est sa propre perception qui affiche une absence totale d'autocritique à l'égard des reproches qui lui étaient adressés.
[33] La décision de le congédier a été prise après que toutes les alternatives ont été envisagées par Simard qui ne peut l'affecter à quelque autre poste sans qu'il y ait un risque de perdre des chauffeurs, des voituriers et des clients. M. Gaudet était inapte à faire son travail correctement et cela justifiait Simard de mettre fin à son emploi, comme elle l’a fait, et sans verser l’indemnité compensatrice[6].
[34] Simard a démontré que le congédiement de M. Gaudet a été était pour un motif sérieux et qu'elle a, en outre, toléré pendant plusieurs années une situation que peu d'employeurs auraient acceptée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[35] REJETTE la Requête introductive d'instance en dommages ;
[36] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ Danièle Mayrand, j.c.s. |
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M. Guy M. Gaudet |
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Demandeur non représenté |
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Me Norman Drolet |
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cain lamarre |
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Procureur de la défenderesse |
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Dates d’audience : |
14, 15 et 16 mars 2011 |
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[1] AUDET, Georges, BONHOMME, Robert et GASCON, Clément. Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., Éditions Yvon Blais, mise à jour 2010.
[2] GAGNON, Robert P., Le droit du travail au Québec, 6e éd., Éditions Yvon Blais, 2008, p. 126.
[3] Mme Chantal Trudeau, que M. Gaudet a assignée, le décrit comme étant « celui qui faisait son travail tout croche et qui n'était pas bon ».
[4] Pièce D-1, description des notes de François Desjardins, du 11 mai 2006, 4 août 2006, 3 octobre 2006, 10 octobre 2006, 11 octobre 2006.
[5] Pièce D-1
[6] Commission des normes du travail c. Provigo, AZ-86031092 (C.P.) : « Le fait que des négligences semblables à celles constatées le 2 avril avaient été notées un mois auparavant, le 3 mars, et avaient alors entraîné des pertes financières importantes, démontre l’insouciance du salarié à prévenir la répétition de telles erreurs ou son inaptitude à le faire. On ne peut obliger l’employeur à le garder pendant une période additionnelle de préavis au risque de subir de nouvelles pertes et, surtout, de nuire à la bonne renommée de l’établissement auprès des consommateurs. L’accumulation des négligences préjudiciables à l’employeur a constitué, vu les réprimandes nombreuses faites précédemment sans qu’il y soit remédié, une conduite fautive grave de la part du salarié. Par conséquent, la défenderesse était justifiée de le licencier ou de le congédier sans préavis et sans verser d’indemnité compensatrice. » (Pages 12 et 13) (Le Tribunal souligne).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.