N.R. et Compagnie A |
2011 QCCLP 5001 |
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[1] La Commission des lésions professionnelles est saisie de trois contestations formulées par le travailleur, monsieur N... R..., à l’encontre de décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST). Ces contestations portent les numéros de dossiers suivants : 375048-63-0904, 388198-63-0909 et 392306-63-0910.
Dossier 375048-63-0904
[2] Le 9 avril 2009, le travailleur conteste la décision rendue le 3 avril 2009 par la CSST à la suite d’une révision administrative.
[3] Par cette décision, la CSST dispose d’une demande de révision du travailleur visant trois décisions qu’elle avait rendues le 15 décembre 2008 concernant la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur, la fin du versement de l’aide personnelle à domicile et l’arrêt de la fourniture d’un fauteuil roulant. Elle confirme ces décisions. Elle conclut ainsi :
CONSTATE que le travailleur a fourni des renseignements inexacts;
CONFIRME les décisions rendues le 15 décembre 2008;
DÉCLARE que la Commission est bien fondée de suspendre les versements de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 15 décembre 2008;
DÉCLARE que le travailleur n’a plus droit à une allocation pour une aide personnelle à domicile à compter du 15 décembre 2008; et
DÉCLARE qu’il n’y a pas lieu de prolonger la location d’un fauteuil roulant à compter du 15 décembre 2008.
Dossier 388198-63-0909
[4] Le 8 septembre 2009, le travailleur conteste la décision rendue le 2 septembre 2009 par la CSST à la suite d’une révision administrative.
[5] Par cette décision, la CSST dispose de deux demandes de révision formulées par le travailleur quant aux décisions des 2 avril et 10 juin 2009 portant sur le maintien de la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu et sur la survenance d’une rechute, récidive ou aggravation.
[6] La CSST confirme ses premières décisions. Elle juge que la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu est toujours justifiée et que le travailleur n’a pas subi une rechute, récidive ou aggravation le 27 janvier 2009.
Dossier 392306-63-0910
[7] Le 22 octobre 2009, le travailleur conteste la décision rendue le 19 octobre 2009 par la CSST à la suite d’une révision administrative.
[8] Par cette décision, la CSST confirme sa première décision du 29 septembre 2009. Elle fait les déclarations suivantes :
DÉCLARE que la Commission serait justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi, étant donné que la lésion est consolidée avec limitations fonctionnelles. Cependant, celle-ci est toujours suspendue en vertu de l’article 142 de la loi.
DÉCLARE que le travailleur a droit à une indemnité pour préjudice corporel étant donné la présence d’une atteinte permanente.
[9] Une audience a été tenue à Joliette le 23 juin 2010 et le 17 février 2011 en présence du travailleur et des représentants des parties. Le dossier a été mis en délibéré le 14 mars 2011 à l’issue du délai accordé aux parties pour compléter le dossier.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 375048-63-0904
[10] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de rétablir le versement de l’indemnité de remplacement du revenu et l’aide personnelle à domicile ainsi que la fourniture d’un fauteuil roulant à partir du 15 décembre 2008.
Dossier 388198-63-0909
[11] Dans la mesure où le tribunal ne lui donnerait pas raison dans le dossier précédent, le travailleur demande que ses prestations soient rétablies à partir du moment où elle a obtenu l’expertise du docteur Pierre Legendre.
[12] Il demande également que la Commission des lésions professionnelles déclare qu’il a subi une rechute, récidive ou aggravation le 27 janvier 2009, soit un trouble de l’adaptation et une dysfonction érectile.
Dossier 392306-63-0910
[13] Le travailleur requiert que la Commission des lésions professionnelles déclare qu’il a droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu et aux prestations de réadaptation.
LES FAITS
[14] Le travailleur occupe un emploi de préposé à la récupération de matières dangereuses lorsqu’il se blesse au dos et au pied gauche en tombant d’un chariot élévateur. L’accident du travail survient le 6 février 2006.
[15] Les premiers diagnostics sont posés par le docteur Teodor Simion, chirurgien orthopédiste, qui retient que le travailleur souffre d’une entorse sévère à la cheville gauche avec arrachement capsulaire antérieur et d’une entorse lombaire.
[16] Le 13 novembre 2006, le travailleur subit une intervention chirurgicale à la cheville, soit une arthotomie de la cheville gauche avec exérèse de souris articulaires et débridement antérieur. À ce moment, il est en attente d’une consultation en neurochirurgie pour son problème lombaire.
[17] Le 20 mars 2007, le docteur Denis Ladouceur diagnostique une hernie discale au niveau L3-L4 gauche et recommande une intervention chirurgicale.
[18] Le 11 avril 2007, le docteur Simion indique que le plateau thérapeutique est atteint pour ce qui est de la lésion à la cheville gauche. Il précise qu’il y a une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique et que le travailleur est en attente d’une chirurgie au rachis lombaire. Ce médecin recommande qu’on attribue au travailleur une allocation pour l’entretien de son domicile. Il prescrit des soins en massothérapie. Il recommande le port de bas de support et l’usage d’une chaise orthopédique.
[19] Au printemps 2007, le travailleur consulte un psychologue pour l’aider à s’adapter à sa nouvelle situation. Au début de la thérapie de soutien, la thérapeute note que le travailleur est triste, mais qu’il n’est pas en période dépressive. À la fin des rencontres, soit à la mi-juin 2007, le travailleur est décrit comme un homme qui se plaint peu, mais qui vit de grandes douleurs. Il est très lucide et possède un courage et une grande force morale, aux dires de la psychologue. Celle-ci indique que le travailleur pourrait avoir besoin d’aide sporadiquement pour faire face à des périodes plus angoissantes.
[20] À l’été 2007, tenant compte de l’opinion du docteur Simion et de celle d’un ergothérapeute Sylvie Curadeau, la CSST accorde au travailleur un peu plus de 4 500 $ pour l’adaptation de la nouvelle maison qu’il fait construire. Les adaptations ainsi financées concernent la douche, la toilette et la porte d’entrée.
[21] Selon ce qu’on lit au dossier de la CSST, le travailleur a choisi de vendre son duplex pour aménager dans une nouvelle demeure mieux adaptée à sa situation et à la vie commune avec sa conjointe et leurs enfants respectifs. Cette maison est située dans une municipalité [de la région A] en bordure de la rivière A.
[22] Le travailleur doit emménager dans sa nouvelle demeure à l’automne 2007. En attendant, et cela à compter de la mi-juin 2007, il vit dans une roulotte prêtée par un ami non loin du chantier de construction. En raison de ses expériences passées de constructeur, le travailleur supervise lui-même les travaux du moins c’est ce que l’agente de la CSST note au dossier pour rendre compte des renseignements fournis par lui.
[23] Le docteur Simion produit un rapport d’évaluation médicale en juillet 2007. À ce moment, il observe que le travailleur se déplace avec difficulté et qu’il boite. Celui-ci utilise une canne et il porte une orthèse antiéquine. Le médecin mentionne une atrophie au niveau du mollet gauche ainsi que l’absence de dorsiflexion de la cheville et une limitation de la flexion plantaire de ce côté. La palpation de la cheville gauche est douloureuse. La force semble préservée. Le docteur Simion indique que le travailleur conserve un déficit anatomophysiologique de 7 %. Il précisera plus tard que le travailleur ne peut effectuer une activité professionnelle requérant la marche prolongée.
[24] Le 24 octobre 2007, le docteur Ladouceur procède à une discectomie L3-L4 gauche. L’intervention n’apportera pas de soulagement au travailleur.
[25] Après un séjour dans un centre de convalescence, le travailleur retourne chez lui. À ce moment, il marche avec un déambulateur (marchette). Il est toujours sous médication. Il prend notamment de la morphine.
[26] L’agente de la CSST note au dossier les renseignements que le travailleur fournit sur ses capacités. À la suite de cette conversation, une allocation d’aide personnelle à domicile est accordée pour la période du 15 novembre 2007 au 18 janvier 2008.
[27] En post opératoire, la condition du travailleur se complique. On soupçonne un abcès touchant le disque opéré. Le travailleur est hospitalisé de nouveau à compter du 30 novembre 2007. Il reste à l’hôpital environ deux semaines. L’investigation diagnostique démontre qu’il n’y a pas d’infection sur le disque.
[28] Dans un rapport du 14 janvier 2009, le docteur Pierre Legendre décrit bien les résultats des tests effectués pendant l’hospitalisation et le traitement administré :
En postopératoire, il y a eu augmentation des douleurs avec symptômes sphinctériens et paralysie au niveau du membre inférieur gauche, selon le travailleur. Une résonance magnétique en date du 30 novembre suggérait une spondylodiscite (infection d’un disque intervertébral) débutante. Il n’y avait pas d’abcès au niveau chirurgical. La même journée, le docteur Ladouceur a procédé à une exploration du site chirurgical. Il notait l’absence de pus. Il a procédé à des prélèvements microbiologiques. Les cultures ont démontré la présence de staphylococcus épidermidis et de propionibactérium. Monsieur R... fut traité par antibiothérapie jusqu’à la mi-janvier 2008.
Par la suite, le suivi fut effectué par le docteur Ladouceur qui a référé son patient en avril 2008 à la clinique de douleur de l’Hôpital Maisonneuve Rosemont. À cette clinique, il y a eu prescription de médication et l’utilisation d’un Tens. Il y a eu évaluation en psychologie. Il semble que monsieur R... soit actuellement en attente d’une implantation d’un neuro-stimulateur. Il n’y a pas de date fixée pour cette chirurgie.
[29] Le 12 décembre 2007, la CSST autorise la location d’un fauteuil roulant manuel pour une période d’un mois parce que le travailleur est très faible et qu’il ne peut utiliser son déambulateur. Elle refuse la demande du travailleur pour un fauteuil motorisé.
[30] En janvier 2008, la CSST renouvelle la location d’un fauteuil roulant. Cette décision est prise en tenant compte des déclarations du travailleur quant aux symptômes ressentis et à la faiblesse de ses membres inférieurs. Selon les notes prises par l’agente de la CSST, le travailleur se déplace toujours en fauteuil roulant.
[31] Quant à l’aide personnelle à domicile, une réévaluation est faite le 30 janvier 2008. À ce moment, l’agente de la CSST note que le travailleur est guéri à 80 %. Cette information est obtenue du travailleur qui a vu le docteur Ladouceur quelques jours plus tôt. En même temps, il déclare avoir les mêmes douleurs qu’avant l’intervention chirurgicale. À ce moment, il prend de la morphine et il a cessé les antidépresseurs que le docteur Ladouceur lui avait prescrits auparavant. Le travailleur indique qu’il se déplace en fauteuil roulant.
[32] Avec les aides techniques fournies récemment par la CSST, ce 30 janvier 2008, le travailleur se dit autonome pour le lever et le coucher et l’utilisation de la toilette. L’allocation d’aide personnelle à domicile est renouvelée avec correction pour la période du 1er février au 9 mai 2008.
[33] En avril 2008, la CSST vérifie avec le travailleur si ses besoins d’aide personnelle à domicile sont les mêmes. Il affirme que sa condition n’a pas changé et qu’il a toujours besoin du fauteuil roulant.
[34] Le 23 avril 2008, le travailleur consulte le docteur Normand Dufresne à la Clinique médicale de la Cité, lequel signe un rapport médical. Il indique un diagnostic de « multiples blessures » sans en préciser la nature. Il mentionne qu’une évaluation sera faite en médecine générale. Il prescrit de la médication et il ajoute que le travailleur sera revu pour un examen complet.
[35] À la même période, il affirme à la conseillère en réadaptation qu’il voit également le docteur Ladouceur qui l’a référé à la clinique de la douleur.
[36] Selon la preuve au dossier, le travailleur ne verra pas d’autres médecins avant le mois d’août 2008.
[37] Le 28 avril 2008, la CSST réévalue les besoins d’aide personnelle à domicile. Le travailleur indique que ses besoins sont toujours les mêmes. L’allocation accordée est prolongée pour quatre mois, soit jusqu’au 12 septembre 2008.
[38] Le 15 mai 2008, des intervenants de la CSST rencontrent le travailleur à son domicile. Celui-ci explique qu’il ne peut plus travailler. Il manifeste son besoin pour obtenir des services à domicile en raison de sa faible mobilité. Il rappelle qu’il doit utiliser un quadriporteur et un fauteuil roulant, tel que prescrit par le docteur Ladouceur, affirme-t-il. Il demande que la CSST lui achète un fauteuil roulant plutôt que d’en faire la location.
[39] À la suite de cette visite, la CSST autorise le remboursement de frais d’entretien du domicile (grand ménage, lavage de vitres, déneigement, ratissage du terrain).
[40] Le 29 mai 2008, le médecin du bureau médical de la CSST note au dossier qu’un bilan médical doit être fait avec le docteur Ladouceur afin « de comprendre l’état clinique du travailleur qui serait totalement incapable de marcher selon ses dires et présenterait des symptômes neurologiques peu explicables actuellement. »
[41] Le 19 juin 2008, le médecin de la CSST note que le docteur Ladouceur rapporte que l’état du travailleur est tel qu’il « est impossible d’avoir une évaluation objective neurologique. » Il l’a référé à la Clinique de la douleur de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont pour une évaluation multidisciplinaire et un ajustement du traitement par la suite.
[42] Le 8 juillet 2008, la CSST autorise le remboursement du coût d’achat de chaussures orthopédiques. Il semble qu’à cette époque une expertise en neurochirurgie fut demandée par la CSST. Toutefois, la demande n’a pas été poursuivie en raison d’une prise en charge rapide par le docteur Ladouceur à la clinique de la douleur.
[43] Au mois d’août 2008, le travailleur revoit le docteur Ladouceur. Le médecin écrit sur le rapport que le travailleur souffre de lombalgie chronique. Il précise qu’un bilan est à faire en neurologie. Il prescrit des aides techniques pour le travailleur dont une chaise roulante laquelle est déjà fournie par la CSST.
[44] En septembre 2008, la CSST convient de revoir les besoins d’aide du travailleur après que celui-ci se soit plaint de sa situation. L’ergothérapeute Curadeau est de nouveau mandaté pour évaluer la situation du travailleur.
[45] Le 29 septembre 2008, la conseillère en réadaptation de la CSST note au dossier que l’ergothérapeute Curadeau requiert un bilan médical de l’état du travailleur avant de faire ses recommandations. Au dossier de la CSST, on lit ce qui suit :
Sylvie Curadeau, ergothérapeute, s’est rendue chez le T pour évaluer les besoins en terme de fauteuil roulant, du lit et de l’aide personnelle. Conjointe du T n’était pas présente. T ne se lève plus de son fauteuil roulant et n’arrive plus à marcher. C’est sa conjointe qui l’aide pour toutes les activités. Le fauteuil roulant en location n’est pas adéquat pour le T. Devra essayer d’autres. Au niveau du lit, le T possède un lit king avec un matelas en viscoélastique d’excellente qualité. Ne peut rien recommander de plus.
Avant de commander quoi que ce soit, madame Curadeau a besoin que le Dr Ladouceur fasse un bilan complet de l’état du T. De plus, elle devra retourner chez le T en présence de sa conjointe afin de valider la façon dont cette dernière s’y prend pour l’aider (ex. transferts).
[46] Le tribunal constate que la capacité du travailleur apparaît aggravée par rapport à la situation de juillet 2007 alors que le travailleur n’avait pas encore été opéré au niveau lombaire. À ce moment, la même ergothérapeute mentionnait que le travailleur se déplaçait avec une canne à droite et qu’il pouvait le faire 10 minutes à la fois. Le travailleur parvenait à se déplacer dans les escaliers en utilisant un appui. Il parvenait à transporter des sacs légers.
[47] Le 10 octobre 2008, le travailleur subit une résonance magnétique lombosacrée et un électromyogramme. À ce moment, le docteur Ladouceur veut éliminer une spondylodiscite post chirurgie lombaire. Selon cette note médicale, il soupçonne une pachyméningite (inflammation chronique de la dure-mère).
[48] La neurologue Nicole Khairallah voit le travailleur ce 10 octobre 2008 afin de procéder à l’électromyogramme. Elle rapporte que celui-ci se plaint de douleurs importantes en lombaire avec des sensations de paresthésies au niveau de tout le membre inférieur gauche et de la cuisse droite. Il se promène en fauteuil et il dit avoir de la difficulté à lever le pied gauche.
[49] L’examen neurologique n’est pas optimal parce qu’il y a une limitation de la collaboration, comme la docteure le mentionne. Elle constate une asymétrie au niveau des réflexes rotuliens, soit 2/4 à gauche et 1/4 à droite. Le travailleur allègue une diminution de la piqûre au niveau de tout le membre inférieur gauche.
[50] L’examen électrophysiologique met en évidence un ralentissement léger de toutes les vitesses de conductions motrices et sensitives en distal. Voici comment la docteure Khairallah rapporte les résultats :
CONCLUSION : Cette étude électrophysiologique met en évidence un ralentissement léger de toutes les vitesses de conductions motrices et sensitives en distal possiblement secondaire à la froideur des pieds du patient. On note un ralentissement à la tête du péroné au niveau du nerf sciatique poplité externe gauche. Cependant, à l’EMG, on ne trouve aucune dénervation aiguë dans les myotomes étudiés à gauche. Le quadriceps est normal. Le jambier antérieur, il n’y a aucune dénervation aiguë mais le patient allègue une incapacité à soulever le pied, donc le recrutement n’a pu être évalué. Le gastrocnémius est dans les limites de la normale également. Il n’y a donc aucune évidence de radiculopahie motrice active au membre inférieur gauche. Il y a possiblement une névrite du SPE gauche compressive à la tête du péroné mais l’évaluation est limitée par la collaboration du patient.
[51] Les données obtenues par la résonance magnétique sont interprétées par le radiologiste Antoine Robillard. Il voit des anomalies qui suggèrent une inflammation du sac thécal au niveau L3-L4. Il suggère qu’il pourrait s’agir de fibrose reliée à une chirurgie antérieure. Il ne peut préciser l’origine de ce phénomène ni exclure une infection. Il mentionne également des modifications dégénératives en L3-L4 et en L4-L5 avec hernies et complexes disco-ostéophytiques entraînant des sténoses foraminales significatives.
[52] Un autre examen radiologique effectué le jour même à la suite de la résonance magnétique indique qu’il n’y a pas de signe d’une spondylodiscite.
[53] Le 10 novembre 2008, l’ergothérapeute que la CSST a mandaté fournit son rapport sur les besoins d’aide du travailleur. Son mandat était d’évaluer l’autonomie du travailleur dans la réalisation des activités de la vie quotidienne (AVQ) et les activités de la vie domestique (AVD) et de faire des recommandations, le cas échéant.
[54] Il faut rappeler que ce mandat lui avait été donné après que le travailleur ait demandé une hausse de son allocation d’aide personnelle à domicile laquelle, à ses dires, ne répondait plus à ses besoins, un meilleur lit, un coussin pour son fauteuil roulant ainsi qu’un fauteuil roulant ultra léger recommandé par la clinique de la douleur selon ce qu’il avait affirmé à la CSST quelques semaines plus tôt. Le travailleur ajoutait alors pour justifier sa demande que sa conjointe développe des épicondylites à force de pousser le lourd fauteuil que la CSST lui fournit.
[55] Dans son rapport l’ergothérapeute Curadeau indique qu’elle rend une opinion basée sur une entrevue, des mises en situation et ses observations du milieu. Elle précise cependant que le travailleur a été réticent face aux mises en situation à cause de la douleur ressentie.
[56] À la section Facteurs environnementaux, l’ergothérapeute Curadeau décrit la situation conjugale du travailleur, à savoir qu’il vit en couple avec cinq enfants à la maison. Sa conjointe ne travaille pas. Elle mentionne que malgré ses recommandations la douche n’est pas conforme à ce qu’elle avait recommandé à la CSST. Elle ajoute que l’emplacement de la toilette ne favorise pas un transfert optimal avec le fauteuil roulant. La porte d’entrée présente un seuil important qu’elle mesure à 3 pouces à l’intérieur et 3 pouces à l’extérieur.
[57] L’ergothérapeute rapporte que le travailleur ne peut se tenir debout plus de 10 minutes. Relativement au déplacement, elle reprend ce que le travailleur lui dit, soit qu’il n’est pas en mesure de se déplacer à pied et qu’il le fait uniquement en fauteuil roulant. Elle note une certaine incohérence parce que le travailleur indique qu’il peut conduire son véhicule automobile sur de courtes distances. Elle indique que le travailleur a pu de manière autonome faire un transfert du fauteuil auto-souleveur au fauteuil roulant. Elle relate par ailleurs les limitations que le travailleur décrit.
[58] Elle donne son opinion. Elle écrit que celui-ci se trouve à domicile dans une situation de dépendance à plusieurs niveaux parce qu’il se déplace en fauteuil roulant manuel, que la mobilité au niveau du tronc et des membres inférieurs semble diminuée de manière significative, que la maison n’est pas complètement adaptée et que la douleur ressentie entraîne une immobilité.
[59] Pour répondre aux questions de la CSST sur les aides techniques à ajouter à celle déjà fournie, l’ergothérapeute requiert plus de renseignements médicaux parce que la perte de mobilité est importante. Dans l’éventualité de pertes motrices irrécupérables, elle suggère de diriger le travailleur en réadaptation physique.
[60] L’exercice de mises en situation, à être effectuées chez différents fournisseurs, est suggéré afin d’identifier une solution appropriée en tenant compte de la situation médicale à long terme. L'ergothérapeute Curadeau termine son rapport en fournissant une évaluation des besoins d’aide du travailleur à partir de la situation décrite par lui. Elle retient des besoins qui totalisent 23.5 / 48 selon la grille d’évaluation réglementaire.
[61] Le 13 novembre 2008, la CSST obtient un rapport de filature fournissant des images où le travailleur marche de manière autonome. Nous y reviendrons.
[62] Le 11 décembre 2008, la conseillère en réadaptation de la CSST contacte le travailleur pour le convoquer à une rencontre au bureau de la CSST. Celle-ci note au dossier la réponse que le travailleur lui aurait donnée. Elle écrit que celui-ci ne peut se rendre à la CSST parce qu’il ne se déplace qu’en fauteuil roulant. La conseillère l’aurait rassurée quant à l’accessibilité.
[63] La rencontre a donc lieu le 15 décembre 2008 en présence du travailleur, de sa conjointe, de la conseillère en réadaptation et de la chef d’équipe. Il y lieu de reproduire les notes du dossier de la CSST qui rendent compte des échanges intervenus lors de cette rencontre :
Nous questionnons le T sur sa condition de vie actuelle en rapport avec l’évaluation de ses capacités faite en ergothérapie.
T se décrit comme complètement invalide. Il dit ne se déplacer qu’en fauteuil roulant et pouvoir tenir à peine deux minutes sur ses jambes. Se dit incapable de prendre soin de lui-même et a besoin de l’aide de sa conjointe pour tous les soins de base, soit se laver, se déplacer, s’habiller. T dit qu’il arrive à peine à se raser et dit qu’il ne fait absolument rien de ses journées. Il ajoute que sa conjointe doit conduire sa voiture pour lui. T a dû se représenter à l’Hôpital Maisonneuve Rosemont car il avait omis de répondre à une vingtaine de questions sur le questionnaire psychiatrique. Chirugie prévue pour janvier (TENS) et le Dr Ladouceur lui a dit qu’il l’évaluerait par la suite.
T a passé dernièrement une EMG, une résonance magnétique ainsi que des radiographies. Nous lui expliquons ensuite que suite à une dénonciation, nous l’avons mis sous enquête. Nous remettons au T une copie de l’enquête. Informons le T et sa conjointe de la suspension des IRR à compter d’aujourd’hui pour renseignements inexacts, de la fin de l’aide personnelle ainsi que de la location du fauteuil roulant également en date d’aujourd’hui puisque nous considérons qu’il est mesure de prendre soin de lui-même et de se déplacer sans difficulté. T pleure beaucoup lors de la rencontre et sa conjointe nous questionne sur le pourquoi de notre décision. Nous revenons à plusieurs reprises sur le fait que l’information recueillie lors de l’enquête nous démontre des capacités beaucoup plus importantes que celles alléguées.
T nous questionne également sur la façon de procéder pour récupérer ses IRR. Nous l’informons qu’il doit collaborer dans la mesure où il doit nous démontrer que ses dires sont conformes aux capacités démontrées par l’enquête. Informé que nous l’enverrons en expertise le plus rapidement possible dans le but d’obtenir un avis médical sur ses limitations fonctionnelles et que enverrons également une copie de l’enquête au Dr Ladouceur, médecin traitant. Informé que nous devrons ensuite déterminer un emploi convenable et reprendront les IRR pour son année de recherche d’emploi. T maintient alors qu’il est complètement invalide et qu’il est incapable d’exercer tout emploi. Nous lui recommandons de prendre connaissance de l’enquête à son retour chez lui. [sic]
[64] L’enquête dont il est ici question a été réalisée entre les 3 octobre et 6 novembre 2008. Le travailleur a fait l’objet d’une filature pendant 8 jours non consécutifs par les agents de la firme Les Consultants Lupien Rouleau inc. Une copie du rapport est déposée au dossier du tribunal ainsi que l’enregistrement numérique d’images prises pendant la filature. Certains passages ont d’ailleurs été visionnés à l’audience. Voici les éléments que le tribunal retient.
[65] Le 3 octobre, la surveillance commence vers 6 h aux abords de la résidence du travailleur. Celui-ci n’a pas été vu. Sa voiture n’y est pas garée non plus. Un appel téléphonique effectué vers 11 h reste sans réponse. La surveillance est interrompue à 13h.
[66] Le 7 octobre, la surveillance commence vers 6h. Le véhicule du travailleur est garé devant sa résidence. Vers 11 h le travailleur quitte l’endroit en automobile. Il conduit. Il est accompagné d’une femme que le tribunal identifie comme sa conjointe. Il se rend à un restaurant situé à quelques minutes de chez lui.
[67] Les enquêteurs mentionnent que le conducteur sort de la voiture avec une canne à la main droite. L’homme boite. Le tribunal retient qu’il s’agit du travailleur.
[68] Pendant son séjour au restaurant, le travailleur sort pour fumer. Il se déplace de manière autonome avec une canne. Il n’utilise pas une chaise roulante. Sa conjointe qui l’accompagne, ne lui porte pas assistance. Il monte dans la voiture côté conducteur sans difficulté et sans l’aide de la canne. Il parvient à déverrouiller la portière du côté passager, en allongeant le bras droit et en se penchant latéralement.
[69] Plus tard, le travailleur marche sur le terrain d’une station-service. Il n’utilise pas de canne. Aux abords d’un autre commerce, il se déplace avec une canne à la main. Il s’assoie dans les marches d’un escalier extérieur sans prendre appui. Il parvient à se relever seul sans difficulté apparente en prenant appui avec la main droite sur la marche où il était assis et cela sans utiliser la canne qui, cette fois, est à la main gauche. Au cours de cette séquence, il porte la canne tantôt à la main droite tantôt à la main gauche.
[70] L’enquêteur précise également que le travailleur s’est rendu chez une personne et qu’à ce moment, il est descendu de son véhicule et qu’il a fait quelques pas sans utiliser de canne.
[71] Le 9 octobre, la surveillance commence vers 6 h aux abords de la résidence du travailleur. Vers 10 h 30, le travailleur se rend au restaurant avec sa conjointe en automobile. Il conduit. Il se déplace sans canne de manière autonome. Il quitte le restaurant pour se rendre dans un autre commerce. La filature prend fin vers 12 h.
[72] Le 1er, 2, 3 et 6 novembre, les enquêteurs prennent une position d’observation au village de Ste-Béatrix. Aucune observation du travailleur n’est réalisée.
[73] Le 4 novembre, le travailleur est vu à la clinique de la douleur. Il est en fauteuil roulant. Il est accompagné d’une femme que le tribunal identifie comme sa conjointe. À certaines occasions, il se déplace par lui-même en faisant rouler son fauteuil.
[74] Vers 14 h 20, le travailleur se rend au Centre hospitalier Pierre-Boucher. Il marche sans canne du terrain de stationnement à l’entrée de l’hôpital. Il est vu plus tard près de l’entrée alors qu’il fume et converse avec d’autres personnes. Il se déplace de manière autonome sans boiterie ni aide. Il reste debout plusieurs minutes en appuyant par moment les fesses contre un véhicule automobile garé.
[75] Plus tard en soirée, il est vu debout sur le terrain d’un restaurant alors qu’il fume une cigarette.
[76] Le tribunal comprend que le 15 décembre 2008, la CSST met fin à l’aide personnelle à domicile sur la base des observations faites par les enquêteurs. Elle conclut que le travailleur est capable de prendre soin de lui-même. Elle interrompt la fourniture du fauteuil roulant.
[77] Enfin, elle rend une décision en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Elle suspend à compter du jour même, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu considérant que le travailleur a fourni des renseignements inexacts. Elle précise que le versement pourra être repris dans la mesure où les motifs qui ont justifié la suspension n’existent plus.
[78] Le 14 janvier 2009, le travailleur est examiné par le chirurgien orthopédiste Pierre Legendre à la demande de la CSST. Il se présente en chaise roulante avec sa conjointe.
[79] Au moment de l’examen, le travailleur se plaint d’une lombalgie basse constante plus importante à droite qu’à gauche. Il mentionne une irradiation de la douleur jusqu’au mollet du côté gauche. Le travailleur accuse également un engourdissement de tout le membre inférieur gauche et d’une faiblesse à ce niveau. La médication parvient plus ou moins à soulager la douleur. Au moment de l'examen, la douleur est cotée à 8 sur 10 et elle est stable depuis des mois.
[80] Le travailleur affirme qu’il passe plus de 80 % de son temps en chaise roulante. Il peut faire occasionnellement une marche de 15 à 20 pas au maximum. Il ne peut tolérer la position debout plus de 10 minutes et il doit, pour ce faire, utiliser une canne. Il utilise peu sa voiture et seulement sur de courts trajets.
[81] Après avoir fait la revue du dossier, le docteur Legendre procède à une évaluation objective de la condition du travailleur. Il observe que le travailleur passe de la position assise à debout seul avec un peu d’aide de ses membres supérieurs. Il mesure des ankyloses à la mobilisation active du rachis. Il mentionne que le travailleur se plaint de douleur lors de la palpation de la région lombaire et paravertébrale. Le médecin ne note pas de spasme. Il juge le Lasègue et le tripode négatifs de même que la manœuvre de Ély. Les réflexes achilléens sont présents et symétriques. Il y a une atrophie au niveau du mollet qu’il relie à la lésion de la cheville. Le travailleur accuse des douleurs à la mobilisation des hanches.
[82] Par ailleurs, le docteur Legendre précise que les manœuvres de Waddell et le test de Hoover sont positifs. Il écrit :
La majorité des manœuvres de Waddell sont positives. De fait, une légère pression appliquée sur le haut de la tête amène des douleurs lombaires basses. Il y a présence de douleur vive à la mobilisation passive en torsion du tronc à partir des hanches en gardant la charnière lombo sacrée fixe. Il y a hypoesthésie à tout le membre inférieur gauche en ne respectant pas les dermatomes. Il y a absence de mouvement actif de la cheville gauche lorsque nous demandons au travailleur de faire des mouvements de cette structure. Toutefois, comme nous l’avons précédemment mentionné, le travaillait était capable de passer de la position assise à debout avec l’aide minimum de ses membres supérieurs. Les tests du Tripode sont négatifs. Toutefois, la manœuvre de Lasègue amène des douleurs lombaires et au membre inférieur gauche à partir de vingt degrés (20o) de flexion des hanches. Notons également l’absence d’amélioration des symptômes lorsque nous essayons de fléchir passivement les genoux en même temps que les hanches.
Notons également que le test de Hoover est positif en ce qui a trait à la faiblesse alléguée du membre inférieur gauche. Ce test a été effectué comme suit : le travailleur en position couchée sur le dos, nous mettons nos mains sous l’arrière de ses pieds. Nous lui demandons de lever la jambe droite. À ce moment, monsieur R... présente une certaine difficulté à cause des douleurs lombaires mais il effectue une poussée vers le bas de son membre inférieur gauche. Cet effort vers le bas est tout à fait physiologique. Toutefois, lorsque nous effectuons le même test au niveau de l’autre membre inférieur, monsieur R... est incapable d’effectuer une quelconque flexion de sa hanche et à ce moment, il n’y a aucun effet de poussée vers le bas avec le membre inférieur droit. Ce test nous démontre l’absence de faiblesse réelle du membre inférieur gauche. Il peut s’agir ici d’une simulation conscience ou inconsciente.
[83] Le docteur Legendre conclut que son examen ne permet pas d’objectiver les séquelles douloureuses au niveau lombaire. Il ajoute qu’il y a plusieurs signes de non— organicité. Il déconseille la pose d’un neurostimulateur. À cet égard, il écrit :
Nous sommes d’avis qu’il y a une forte discordance entre le subjectif et l’objectif dans le présent dossier. De plus, la médication de narcotiques utilisée de façon chronique suite à un problème musculo-squelettique non cancéreux doit amener un soulagement significatif, ce qui n’est pas ici le cas. Cette médication devrait être cessée.
[84] Le docteur Legendre établit la date de consolidation au jour de son examen et ne recommande aucun traitement. Il s’en remet au rapport d’évaluation médicale du docteur Simion en ce qui concerne la lésion à la cheville gauche.
[85] Il retient un déficit anatomophysiologique de 3 % pour une discectomie à un espace et un préjudice esthétique de 2,5 % pour la cicatrice. Au chapitre des limitations fonctionnelles, il affirme que le poids maximal pouvant être manipulé par le travailleur est de 20 kilogrammes selon les restrictions de classe 1 de l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail (l’IRSST) qu’il applique à la situation du travailleur.
[86] Plus tard, en janvier 2009, la CSST obtient du docteur Legendre ses commentaires à la suite du visionnement des images obtenues dans le cadre de la filature du travailleur. Comme le mentionne le tribunal précédemment, il fait, entre autres, remarquer que le travailleur utilise la canne sans y prendre un véritable appui. Il ne voit pas de boiterie significative. Il indique que le travailleur parvient à fléchir le rachis lombaire à une amplitude plus prononcée que celle atteinte en mobilisation active lors de l’évaluation réalisée en décembre 2008.
[87] Le docteur Legendre est d’avis qu’il y a une discordance entre ce qui a été démontré à l’évaluation médicale et ce qui apparaît sur l’enregistrement visionné qu’il ne peut expliquer par une pathologie muscolosquellettique.
[88] En janvier 2009, le travailleur change de médecin. À l’audience, il explique qu’il n’a plus revu le docteur Ladouceur parce qu’il n’avait plus confiance en lui. Il choisit de voir le docteur Bernard Chartrand qui lui a été référé par son représentant.
[89] Le 27 janvier 2009, le docteur Chartrand signe cinq rapports médicaux pour la CSST. Les notes de consultations pour cette visite montrent que le travailleur relate qu’il a subi deux opérations et qu’il n’existe pas d’évaluation médicale pour son problème à la cheville gauche, ce qui est inexact comme on l’a vu précédemment. Le travailleur aurait expliqué qu’il a été coupé par la CSST parce qu’on l’a filmé. Le travailleur affirme qu’il se déplace en chaise roulante.
[90] Le travailleur raconte l’histoire de ses lésions. Il indique qu’il a perdu son triplex parce qu’il ne peut plus l’entretenir. Encore une fois, cette affirmation n’est pas tout à fait juste puisque le travailleur a fait le choix de vendre sa maison pour aller s’établir avec sa conjointe dans une nouvelle maison dont la CSST a payé certaines adaptations. Il mentionne le décès de sa sœur survenu le 10 novembre 2008 et d’autres difficultés qu’il relie aux séquelles de la lésion professionnelle. Le médecin procède à un examen. À cet égard, les notes manuscrites sont difficilement déchiffrables.
[91] Ce 27 janvier 2009, le docteur Chartrand diagnostique un trouble de l’adaptation. Il précise qu’il y a un risque de suicide. Il mentionne des séquelles postopératoires au niveau lombaire en rapport avec une discectomie L3-L4 et une lésion à la cheville gauche. Il juge que le travailleur est invalide. Il ajoute que le travailleur se sent piégé par la CSST. Il recommande une psychothérapie parce que le travailleur est « tellement déprimé » par sa perte de capacité. Il mentionne également une dysfonction érectile reliée à la douleur.
[92] Selon ce que le docteur Chartrand indique, il revoit la médication. Il cesse le Flexeril, prescrit de l’Effexor, du Desyrel, de l’Hydromorph Contin et du Dilaudid.
[93] Pourtant, selon la liste des médicaments fournie par le travailleur à l’audience, il apparaît que l’Hydromorph Contin et le Dilaudid ont été prescrits par la docteure Édith Joly avant la consultation avec le docteur Chartrand. La prescription de ces médicaments a été remplie le 23 janvier 2009 en même temps qu’une ordonnance pour un relaxant musculaire. Quelques semaines plus tard, le travailleur fait également exécuter une prescription émanant de la docteure Joly en date du 23 janvier 2009 pour un anti-inflammatoire.
[94] Il faut souligner qu’on ne trouve pas au dossier du tribunal ou de la CSST de rapport médical qui aurait été émis par la docteure Joly. Dans son témoignage, le travailleur n’a d’ailleurs pas mentionné l’avoir consulté.
[95] Le 3 février 2009, le travailleur fait une nouvelle réclamation à la CSST. Il soutient que son état s’est aggravé. On mentionne notamment un risque de suicide en liens avec les douleurs.
[96] Le 26 février 2009, le docteur Ladouceur, que le travailleur voyait à la clinique de la douleur, commente le rapport du docteur Legendre. Il visionne l’enregistrement vidéo du travailleur. Dans le rapport complémentaire qu’il signe, il écrit :
Après visionnement du vidéo avec psychologue (docteur Dégagné) je suis incapable d’affirmer quelle atteinte permanente ou/et limitations fonctionnelles son appropriées sans risques de me tromper.
[97] Le 26 février 2009, le représentant du travailleur écrit à la CSST pour obtenir la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Il plaide que le rapport du docteur Legendre fournit les renseignements utiles sur les séquelles permanentes qui confirment l’incapacité du travailleur. Il ajoute que les motifs qui justifient l’application de l’article 142 de la loi n’existent plus. La CSST refuse cette demande.
[98] En mars 2009, le représentant du travailleur fait parvenir à la CSST le rapport d’un ergothérapeute, madame Johanne Dumas, quant aux besoins d’aide personnelle du travailleur. On lui demande notamment d’émettre une opinion sur la « crédibilité de la symptomatologie du travailleur » considérant le rapport de filature.
[99] L’ergothérapeute mentionne qu’elle a fait la revue du dossier et a rencontré le travailleur à son domicile à deux occasions pour un total de trois heures et 30 minutes. Elle a administré deux questionnaires standardisés.
[100] Elle mentionne que le travailleur est séparé depuis septembre 2008. Il dit que sa conjointe lui a apporté son aide jusqu’à février 2009, alors qu’il y a eu séparation officielle. Depuis, il reçoit l’assistance occasionnelle de voisins et amis.
[101] Le tribunal note que le travailleur n’avait pas mentionné sa séparation de septembre 2008 de manière contemporaine. La revue du dossier démontre qu’il présentait sa conjointe comme une personne indispensable à sa vie.
[102] L’ergothérapeute Dumas affirme que sa consoeur Curadeau a fait défaut d’évaluer la dimension affective du travailleur et ajoute que son rapport est empreint de subjectivité. Sur la foi de la relation que le travailleur fait de la rencontre du 26 septembre 2008 avec madame Curadeau, elle affirme que cette professionnelle donne une opinion fausse des capacités que le travailleur aurait reconnues. Elle aurait, ainsi omis de relater certains faits pertinents comme la séparation du travailleur et l’affirmation de celui-ci voulant qu’il soit capable de se tenir debout environ 10 minutes. Elle ajoute que l’ergothérapeute Curadeau conclut sans raison à la non-collaboration du travailleur à partir du fait que celui-ci se plaignait de douleur aiguë l’empêchant de faire les mises en situation requises de lui. Elle suggère enfin que madame Curadeau a signé un rapport biaisé dans le but de justifier les décisions de la CSST.
[103] Ici quelques remarques s’imposent. Le rapport de madame Curadeau ne peut pas avoir été rédigé afin de soutenir le rapport d’enquête et la décision de la CSST parce qu’il est antérieur à la réception par la CSST des images de la filature. D’autre part, il apparaît au tribunal que l’ergothérapeute Curadeau a rédigé son rapport d’évaluation de manière descriptive sans jamais indiquer que le travailleur simulait. Madame Curadeau évalue d’ailleurs les besoins du travailleur à un niveau supérieur que ce qui est retenu par l’ergothérapeute Dumas comme on le verra plus loin. Ce fait supporte difficilement l’idée d’un préjugé défavorable. Cela étant dit, revenons au rapport de l’ergothérapeute Dumas.
[104] L’ergothérapeute Dumas retient des conclusions qui tiennent compte des dires du travailleur et de ses observations sur les capacités physiques de celui-ci. Il y a lieu de citer ce qui est mentionné à son rapport quant à la mobilité du travailleur à la marche, dans les escaliers, au moment du transfert à la chaise et à la conduite automobile :
· Marcher : Lors des rencontres, monsieur a marché sur environ 25 pieds avec beaucoup de difficulté. Il avançait à très petits pas, tenant sa canne d’une main tremblante à droite, le dos voûté, et se supportant la région lombaire avec sa main gauche. Monsieur porte une orthèse tibiale en tout temps. Il dit ne pas utiliser son déambulateur parce qu’il le trouve lourd et qu’il a peur de perdre le contrôle vers l’avant lorsqu’il l’utilise. Depuis plusieurs semaines, monsieur confirme utiliser le fauteuil roulant manuel pour presque tous ses déplacements dans la maison et à l’extérieur, car marcher amplifie ses symptômes, et il craint de tomber.
· Escaliers : Il explique pouvoir monter et descendre quelques marches avec difficulté et en se tenant sur une main courante. Il dit éviter de le faire dernièrement en raison de sa douleur accrue. Pour sortir de chez lui, j’ai observé qu’il franchissait le seuil de porte avec beaucoup de précautions, prenant appui d’une main sur sa canne et de l’autre sur le cadre de porte.
· Transferts à la chaise : Il peut transférer de son fauteuil roulant au fauteuil auto-souleveur (et vice versa) avec précaution mais sans difficulté. Lors de l’évaluation, il ne pouvait s’asseoir et se relever seul d’une chaise droite sans appui bras. Au moment de s’asseoir, j’ai dû l’assister pour éviter une chute. Il a également eu besoin d’aide pour se relever. J’ai remarqué qu’il se fie principalement sur la force de ses membres supérieurs pour passer de la position assise à la position debout. Il ne pensait pas à bien positionner ses pieds légèrement sous la chaise et à faire une flexion antérieure du tronc pour se relever avec moins d’efforts. Après ma remarque, il a réussi à se relever de la chaise droite avec seulement une supervision étroite.
[…]
· Conduite automobile : Il dit conduire son véhicule à transmission automatique sans difficulté, pour des périodes ne dépassant généralement pas 30 minutes. Un coussin avec support lombaire est utilisé. Il mentionne éviter de conduire dans les périodes de grandes douleurs. J’ai pu observé le client entrer et sortir de sa voiture sans aide, mais avec beaucoup de précautions, en prenant appui sur la portière et sur le toit de la voiture. Il pouvait aisément actionner le frein et l’accélérateur. Il peut passer rapidement de l’accélérateur au frein sur demande, et ce à plusieurs reprises. Il a démontré sa capacité à reculer son véhicule sans difficulté afin de le positionner adéquatement dans un endroit restreint près de la porte d’entrée de sa maison. Il fait cette manœuvre de façon sécuritaire en consultant ses miroirs latéraux et son rétroviseur. [sic]
[105] Elle indique que le travailleur présente, entre autres, une attitude de catastrophisme et de la kinésiophobie qu’elle définit ainsi :
Catastrophisme : Tendance à interpréter toute information (médicale ou autre) ou sensation corporelle comme une menace. Ex. : Une sensation d’engourdissement est interprétée comme l’aggravation d’une lésion sous-jacente. Une information donnée par le médecin est filtrée pour ne retenir que son aspect alarmant. (…)
Kinésiophobie : Crainte excessive, irrationnelle de l’activité physique ou du mouvement venant de la peur qu’a l’individu de se blesser ou d’aggraver son état actuel. (…)
[106] Elle ajoute :
Puisque monsieur R... ne présente pas de signe d’organicité pouvant expliquer ses symptômes et incapacités, puisqu’il présente un profil de douleur chronique tel que présenté précédemment, puisqu’il souffre physiquement et psychologiquement depuis trois ans, il m’apparaît nécessaire que le client soit évalué par une équipe multidisciplinaire spécialisée (médecin, psychologue, ergothérapeute, physiothépeute) dans l’évaluation et le traitement de la douleur chronique, selon une approche cognitivo-comportementale.
[107] L’ergothérapeute ne voit pas dans la vidéo de filature d’élément qui soit contradictoire avec les déclarations antérieures du travailleur. Elle retient des besoins d’aide personnelle du travailleur qui totalise 18.5 / 48 selon la grille réglementaire applicable.
[108] Le 10 juin 2009, la CSST refuse la nouvelle réclamation que le travailleur avait faite quelques mois plus tôt. Elle considère notamment que la maladie psychique du travailleur est en relation avec les révélations de l’enquête et ses conséquences sur les prestations fournies par la CSST.
[109] Le 19 juin 2009, le docteur Chartrand revoit le travailleur. Il maintient son diagnostic de trouble de l’adaptation.
[110] Le dossier du travailleur est finalement référé au Bureau d’évaluation médicale par la CSST. Celui-ci rencontre l’orthopédiste Khalil Masri qui rend compte de ses observations et conclusions dans un rapport du 24 août 2009. Le médecin fait la revue du dossier. Il note les plaintes du travailleur :
Pour ce qui est de la colonne lombaire, monsieur R... rapporte une douleur constante située au niveau de la région lombaire. Cette douleur irradie au niveau du membre inférieur gauche. Il y a présence d’une douleur au niveau de la fesse gauche. Il doit se coucher sur le côté gauche en tout temps. Aucune position ne soulage sa symptomatologie douloureuse.
La douleur est présente la nuit toutes les nuits. Il doit se mobiliser s’aidant d’un fauteuil roulant. Il rapporte la présence d’une diminution de la sensation du niveau du membre inférieur gauche. Il a de la difficulté à uriner.
Il a de la difficulté à marcher sans aide (canne ou béquilles).
Il a besoin d’aide dans les activités de la vie quotidienne. Il est incapable de cuisiner ou faire du ménage. Il a la garde partagée de ses enfants âgés de 13 ans et c’est avec leur aide qu’il réussit à passer à travers ces journées. Lorsque ses enfants ne sont pas présents, c’est une amie qui l’aide à s’habiller et à se laver.
Il doit porter une orthèse au niveau du membre inférieur gauche. Il doit prendre de la morphine de façon constante. Il prend aussi une pilule pour dormir ainsi que des antidépresseurs.
[111] Le docteur Masri attribue une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique en relation avec la discectomie et la lésion à la cheville gauche. Il considère son examen physique peu fiable considérant l’irritabilité du travailleur. Il mentionne une perte de mobilité au niveau lombaire.
[112] En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, il retient des limitations fonctionnelles de classe 4 selon l’IRSST considérant que le travailleur est dépendant de la médication narcotique. Il ajoute que le manque de concentration et l’effet de la douleur sur le comportement du travailleur font en sorte qu’il ne peut reprendre un travail régulier. Il ajoute qu’on peut envisager une activité dont le travailleur peut contrôler lui-même le rythme.
[113] Selon l’extrait du document de l’IRSST déposé à l’audience, les limitations fonctionnelles retenues par le docteur Masri sont les suivantes :
CLASSE4: Restrictions très sévères
En plus des restrictions des classes 1, 2 et 3:
· Le caractère continu de la douleur et son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration sont incompatibles avec tout travail régulier.
· On peut toutefois envisager une activité dont l'individu peut contrôler lui-même le rythme et l'horaire.
Exemples: cas de lombalgie, avec ou
sans irradiation aux membres inférieurs, dont le niveau de douleur est élevé et
continu, comme dans le cas d'un syndrome douloureux lombaire chronique ou dans
le cas d'une chirurgie vertébrale au dos,
avec résultat Insatisfaisant ou complication.
[114] Par ailleurs, les restrictions de classe1, 2 et 3 sont ainsi décrites :
CLASSE1: Restrictions légères
Éviter d'accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui
impliquent de:
· soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg
· travailler en position accroupie
· ramper, grimper
· effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d'extension ou de torsion de la colonne lombaire
·
subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la
colonne vertébrale
(provoqués par du matériel roulant sans suspension par exemple)
CLASSE 2: Restrictions modérées
En plus des restrictions de la classe 1, éviter les activités qui impliquent
de:
· soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges de plus de 5 à 15 kg
· effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d'extension ou de torsion de la colonne lombaire, même de faible amplitude
· monter fréquemment plusieurs escaliers
·
marcher en terrain accidenté ou glissant
CLASSE 3: Restrictions sévères
En plus des restrictions des classes 1 et 2, éviter les activités qui impliquent de:
· soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant environ 5 kg
· marcher longtemps
· garder la même posture (debout, assis) plus de 30 à 60 minutes
· travailler dans une position instable (ex.: dans des échafaudages, échelles, escaliers)
· effectuer des mouvements répétitifs des membres inférieurs (ex.: actionner des pédales)
[115] Lorsque le travailleur revoit le docteur Chartrand en octobre 2009, il indique qu’il a tout perdu, sa conjointe et sa maison. La médication est alors révisée. Le Paxil et substitué à l’Effexor. À noter qu’à cette date, le travailleur habite toujours sa nouvelle maison.
[116] En 2010, le travailleur voit le docteur Chartrand les 23 février et 9 septembre. Le médecin ne reprend plus le diagnostic de dysfonction érectile. À la dernière visite, les seuls diagnostics qu’il communique à la CSST, sont : « cheville gauche radiculopathie L4 gauche ». Il précise que le travailleur est inapte et qu’il a besoin de médication.
[117] Le 20 septembre 2010, le docteur Chartrand signe un rapport pour la Régie des rentes du Québec. Il indique que le travailleur souffre de trois conditions : une entorse à la cheville gauche avec souris articulaire, une hernie discale L3-L4 avec séquelles de laminectomie L3-L4 et déficit L4 gauche et un trouble de l’adaptation de nature anxio-dépressive. Pour chacune de ces conditions, le pronostic est réservé. Il réfère aux limitations fonctionnelles lombaires recommandées par le docteur Masri du Bureau d’évaluation médicale comme étant la cause de l’incapacité.
[118] Le tribunal constate qu’il y a erreur sur la nature de l’intervention chirurgicale lombaire. Il s’agit plutôt d’une discectomie L3-L4.
[119] Il faut aussi mentionner qu’en juillet de cette année, soit le 1er juillet 2010, le psychiatre Bertrand Major écrivait au docteur Chartrand pour rendre compte de l’évaluation du travailleur. Il rapportait alors ce que le travailleur lui avait raconté ses problèmes, soit que tout avait basculé après l’accident du travail de 2006. Celui-ci se sentait non supporté par le système. Le médecin faisait également état du mariage du travailleur en mai 2010 lequel est intervenu après une séparation douloureuse. Le travailleur mentionnait également que les antidépresseurs n’avaient eu que peu d’effets sur lui. Au moment de la consultation, soit en juillet 2010, le travailleur se sentait encouragé face à la CSST et son moral était mieux malgré la douleur peu contrôlée. Le travailleur a indiqué au médecin qu’il a souffert d’irritabilité « dans le décours d’une tension conjugale et de séparation».
[120] L’examen mental était normal. Le diagnostic retenu par le docteur Major sur l’axe I est « facteurs psychologiques qui affectent une condition médicale ». Il ajoutait que les stresseurs présents sont modérés à sévères et concernent la condition physique chronique et le problème avec la CSST.
[121] À l’audience, le travailleur a témoigné ainsi que le docteur Legendre. Le tribunal retient de leur témoignage ce qui suit.
[122] Le travailleur explique que dès 2007, il anticipait l’éventualité qu’il aurait à se déplacer en chaise roulante à la suite de son opération au dos. Il affirme que la construction de sa maison a été supervisée par sa conjointe. Il ajoute qu’à cette époque, il a vécu plus de cinq mois dans une roulotte.
[123] Il affirme qu’à la suite de la chirurgie au dos, il a été obligé d’utiliser une chaise roulante considérant les douleurs chroniques. De janvier à septembre 2008 sa situation est restée stable, selon ce qu'il affirme. Il confirme qu’il a besoin d’une chaise roulante parce que la douleur est trop forte. Il indique qu’il peut faire 10 à 15 pas seul.
[124] Sur sa séparation conjugale, le travailleur mentionne que cela est arrivé en septembre 2008. Celle-ci l’a quitté parce qu’elle n’en pouvait plus. Elle était épuisée. Le couple a gardé la séparation secrète pour motif personnel.
[125] Le travailleur indique qu’il a été des jours, voire des semaines complètes sans bouger à cause de la douleur. Il affirme avoir dit la vérité à madame Curadeau sur ses capacités et n’avoir pas caché qu’il pouvait conduire sa voiture.
[126] Le travailleur indique qu’au moment de l’enquête, il faisait des efforts physiques. Il marchait lentement avec le soutien de sa canne. Il ajoute que le rapport de filature ne montre pas sa réalité quotidienne. Il a pris une surdose de morphine et qu’il fonctionnait sur l’adrénaline. Il poursuit en disant qu’il a pris sa chaise roulante le 4 novembre 2008 parce qu’à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, la distance à parcourir est grande. Il ajoute que lorsqu’il s’est rendu au chevet de sa sœur, il n’a eu à parcourir que 30 pas à partir de sa voiture.
[127] Le travailleur reconnaît avoir indiqué à la conseillère de la CSST qu’il ne pouvait pas se rendre à la CSST sans sa chaise roulante. Il ajoute qu’il n’a jamais dit qu’il se déplaçait uniquement en fauteuil roulant.
[128] Le docteur Legendre, rappelons-le, est le médecin qui a examiné le travailleur à la demande de la CSST le 14 janvier 2009. Il a témoigné sur les aspects orthopédiques du dossier. Il reprend les éléments de son rapport. Il insiste sur les résultats aux tests croisés qui montrent une mobilité du rachis lombaire meilleure que celle obtenue par ailleurs.
[129] Il revient sur les tests qui concernent les signes non organiques (signe de Waddell et le test de Hoover), c'est-à-dire des manifestations cliniques qui ne peuvent s’expliquer par une pathologie précise. Ces signes peuvent venir d’une réaction consciente ou inconsciente d’un patient face à la pathologie active ou non dans ses dimensions psychosociales.
[130] Le docteur Legendre reconnaît que la dimension psychosociale est un élément à considérer. Il revient sur l’importance du fait accidentel et sur la lésion lombaire qu’il qualifie de relativement fréquente. L’intervention chirurgicale a été suivie d’une complication, soit une infection dans la plaie, sans abcès ni fibrose. Cette infection est guérie. Elle n’engendre pas de conséquence comme l’ont montré les examens radiologiques de l’automne 2008.
[131] Selon le docteur Legendre, les résultats de ces examens de même que ceux de l’électromyogramme ne montrent aucune évidence de radiculopathie au membre inférieur gauche. Il est d’avis qu’il n’y a pas de pathologie lombaire sévère. Pourtant, fait-il remarquer, le travailleur prend une dose importante (250 mg x jour) de morphine quotidiennement pour soulager des douleurs, thérapie qui ne lui procure aucun soulagement.
[132] Il réfère aux lignes directrices du Collège des médecins du Québec quant aux opioïdes et aux douleurs chroniques. Il fait valoir que selon ces indications lorsqu’il y a une absence de réponse clinique suffisante à des doses de plus de 200 mg d’équivalence morphine par jour, il y lieu de procéder à une réévaluation complète et une remise en question de l’utilité des opioïdes.
[133] En considérant, la preuve vidéo qui présente des incongruités avec les limitations alléguées par le travailleur, il ne peut accorder une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique au-delà de ce qui est prévu au barème en rapport avec une discectomie simple. Il ne peut pas conclure que le travailleur présente une invalidité importante.
[134] Sur les images obtenues dans le cadre de l’enquête, il indique que le travailleur déambule sans l’aide de la canne et sans boiterie véritable reliée aux symptômes allégués, soit une diminution d’appui sur le membre inférieur gauche. Notamment, le médecin fait remarquer que le pas est à un certain moment régulier. Il ajoute que la conduite du travailleur ne démontre pas qu’il est dans un état secondaire à la prise d’une double dose de morphine d’autant qu’il a conduit lui-même sa voiture. Il ajoute qu’une poussée d’adrénaline ne peut expliquer non plus la mobilité du travailleur telle que démontrée sur les images de l’enquête.
L’AVIS DES MEMBRES
Dossier 375048-63-0904
[135] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales rejetteraient la contestation du travailleur. Ils croient que celui-ci a omis de fournir à la CSST des renseignements exacts sur ses capacités physiques comme le démontrent les images de la filature.
[136] Par ailleurs, ils croient que le travailleur n’a pas démontré par une preuve prépondérante qu’il a besoin d’une allocation pour de l’aide personnelle à domicile ou qu’il a besoin de se déplacer en chaise roulante.
Dossier 388198-63-0909
[137] Le membre issu des associations d’employeurs rejetterait la contestation du travailleur alors que le membre issu des associations syndicales l’accueillerait en partie.
[138] Le membre issu des associations d’employeurs considère que les plaintes du travailleur ne sont pas réelles et qu’elles ne correspondent pas aux images de la vidéo. Il juge que la version du travailleur est non crédible. Il soulève certaines incohérences dans le traitement du dossier notamment en ce qui concerne la référence à un médecin spécialiste. Il maintiendrait donc la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu et refuserait la demande de rechute, récidive ou aggravation.
[139] Le membre issu des associations syndicales considère que l’obtention par la CSST du rapport du docteur Legendre permet la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. À cet égard, il accueillerait la contestation du travailleur. Toutefois, il ne croit pas que le travailleur a subi une rechute, récidive ou aggravation parce la relation médicale n’est pas établie par une preuve prépondérante. À son avis il y a plusieurs inconsistances.
Dossier 392306-63-0910
[140] Pour les mêmes motifs que ceux déjà exprimés, le membre issu des associations d’employeurs rejetterait la contestation du travailleur. Il ajoute que le Bureau d’évaluation médicale n’est pas valable parce qu’il est basé sur des déclarations fausses du travailleur. Il croit que le travailleur n’a ni droit à une indemnité de remplacement du revenu ni droit à la réadaptation. Il réformerait donc la décision de la CSST.
[141] Le membre issu des associations syndicales accueillerait la contestation du travailleur. Il juge que la présence des séquelles permanentes justifie le droit à une indemnité de remplacement du revenu et à la réadaptation.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
Dossier 375048-63-0904
[142] La Commission des lésions professionnelles dispose d’abord des litiges dans le dossier 375048-63-0904, à savoir la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 15 décembre 2008, le droit à une allocation d’aide personnelle à domicile et la fourniture d’une chaise roulante.
[143] Pour les motifs suivants, le tribunal conclut que le 15 décembre 2008, les conditions d’application de l’article 142 étaient réunies. La CSST pouvait suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur.
[144] L'article 142 de la loi se lit ainsi :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.
__________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[145] En l’espèce, le travailleur a fourni à la CSST et à de nombreux médecins ou intervenants des renseignements inexacts sur sa capacité de marcher sans canne et sans l’usage d’un fauteuil roulant. Les images de la vidéo déposée en preuve démontrent qu’il pouvait marcher sans aide technique et qu’il était en mesure de maintenir la station debout avec un léger appui pour une certaine période.
[146] Or, le travailleur a négligé de mentionner à la CSST qu’il pouvait marcher sur de courtes distances sans aide technique. Il apparaît des faits cités plus haut que depuis janvier 2008, il a constamment invoqué son incapacité à marcher et à se mouvoir pour obtenir des aides techniques comme une chaise roulante, un triporteur et une chaise roulante ultra légère. En aucun temps, il a nuancé ses demandes en précisant les circonstances où il pouvait se passer du fauteuil roulant.
[147] Les excuses qu’il donne à l’audience pour faire valoir que la surveillance vidéo a eu lieu alors qu’il faisait des efforts exceptionnels ne sont pas retenues. Le tribunal s’en remet au témoignage du docteur Legendre pour conclure qu’il ne peut expliquer un regain passager et exceptionnel de la mobilité.
[148] Ainsi, le tribunal retient qu’à l’automne 2008, le travailleur a omis de fournir à la CSST, à l’ergothérapeute mandaté par celle-ci et aux médecins qui l’ont vu à la clinique de la douleur les renseignements exacts sur ses capacités physiques.
[149] À cet égard, il est révélateur de mettre en parallèle d’une part la déclaration du travailleur faite le 10 octobre 2008 à la docteure Khairallah voulant qu’il ait de la difficulté à lever le pied gauche et, d’autre part, les images prises un peu plus tard ce même 10 octobre 2008 alors que le travailleur marche de manière tout à fait autonome et sans boiterie.
[150] On en vient à la demande qui concerne la fourniture d’une chaise roulante. Le 15 décembre 2008, la CSST a jugé que le travailleur n’avait plus droit à cette aide technique.
[151] L’article 188 de la loi établit qu’un travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de la lésion professionnelle qu’il a subie.
[152] Le paragraphe 5 de l’article 189 de la loi prévoit que l’assistance médicale inclut les aides techniques prévues au Règlement sur l'assistance médicale[2].
[153] En vertu de l’article 3 de ce règlement, la CSST assume le coût des aides techniques selon les montants prévus au règlement si les soins ont été prescrits par le médecin qui a charge préalablement à la demande. Selon l’annexe II du règlement, le fauteuil roulant à propulsion manuelle est une aide technique que la CSST peut fournir au besoin.
[154] Dans le présent dossier, il y a bel et bien une prescription pour un fauteuil roulant faite par le docteur Ladouceur en août 2008. Toutefois, il n’est pas en preuve que l’état du travailleur découlant de la lésion professionnelle requiert qu’il se déplace en fauteuil roulant.
[155] Encore une fois, les images prises au moment de l’enquête sont éloquentes à cet égard. Comme, l’indique le docteur Legendre la condition médicale du travailleur n’explique pas la perte de mobilité, ce à quoi l’ergothérapeute dont les services sont retenus par le travailleur concourt.
[156] L'ergothérapeute Dumas évalue que le travailleur est vraiment incapable de marcher plus de quelques pas. Cependant, son opinion repose sur une hypothèse qui apparaît invraisemblable. Elle mentionne que le travailleur a des réactions de catastrophisme et des craintes irrationnelles du mouvement. Si tel avait été le cas, en toute vraisemblance, au moment de l’enquête, le travailleur se serait déplacé à tout moment en chaise roulante. Comment expliquer, que pendant la période de surveillance, la crainte du travailleur se soit manifestée par l’utilisation du fauteuil roulant uniquement lorsqu’il s’est présenté à son rendez-vous médical à la clinique de la douleur?
[157] Il faut ajouter que le docteur Ladouceur, le médecin qui a prescrit l’usage d’un fauteuil roulant, n’a pu justifier de limitations fonctionnelles même temporaires à la suite du visionnement de la vidéo.
[158] L’ergothérapeute Dumas indique que la vidéo n’est pas contradictoire avec ses observations cliniques. Pourtant, elle décrit une marche difficile sur 25 pieds avec une canne et tremblement de la main gauche. Ce n’est pas ce que la vidéo visionnée à l’audience et revue au moment du délibéré montre. L’avis de l’ergothérapeute Dumas sur les capacités réelles du travailleur n’est pas retenu.
[159] Par ailleurs, il n’apparaît pas que le docteur Chartrand a prescrit une chaise roulante. De surcroît, lorsqu’il a signé le rapport pour la Régie des rentes du Québec, il écrit que le travailleur se déplace avec une canne ou des béquilles. Il s’en est remis au rapport du Bureau d’évaluation médicale sur les limitations fonctionnelles lequel ne mentionne pas que le travailleur ne peut plus marcher ou qu’il doive éviter de la faire. On comprend que la contre-indication s’applique à la marche pendant une certaine période (marcher longtemps).
[160] Considérant la preuve prépondérante, le tribunal confirme la décision de la CSST voulant que l’état du travailleur ne justifie pas qu’on lui fournisse une chaise roulante.
[161] Nous en venons maintenant au droit du travailleur de recevoir une allocation pour aide personnelle à domicile.
[162] Cette mesure de réadaptation sociale est prévue à l’article 158 de la loi, lequel se lit ainsi :
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
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1985, c. 6, a. 158.
[163] Le travailleur soumet l’évaluation de l’ergothérapeute Dumas pour appuyer sa demande quant à son incapacité de prendre soin de lui-même et à effectuer sans aide les tâches domestiques.
[164] Le tribunal a déjà écarté l’avis de cette professionnelle qui repose notamment sur les allégations du travailleur quant à ses capacités physiques. Le tribunal constate que ce qui est retenu par l’ergothérapeute Dumas vient en contradiction avec ce que le docteur Legendre a observé aux tests croisés lors de l’examen clinique quant à la mobilité du travailleur, sans compter ce que révèlent les images de la filature. Pour ces motifs, son opinion n’est pas jugée probante. Il en est de même de l’opinion de l’ergothérapeute Curadeau qui évalue les besoins du travailleur à partir des plaintes de celui-ci.
[165] Reste les limitations fonctionnelles que le Bureau d’évaluation médicale retient. Le tribunal est lié par cette opinion. Toutefois, cette recommandation n’est pas suffisante pour conclure que le travailleur n’est pas en mesure de prendre soin de lui-même et qu’il a besoin d’aide pour les tâches domestiques, d’autant qu’il peut contrôler lui-même les activités et fonctionner à son rythme. De surcroît, la CSST lui a déjà fourni des aides techniques et elle a déjà subventionné l’adaptation de son domicile. En toute vraisemblance, ces mesures doivent faciliter la réalisation des activités personnelles et domestiques du travailleur au-delà de ce qu’il affirme.
[166] Dans le présent dossier, malgré les lourdes limitations fonctionnelles du travailleur, le tribunal ne dispose pas d’une preuve prépondérante voulant que le travailleur soit incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques. Bien sûr le travailleur témoigne dans ce sens, mais ses affirmations ne sont pas crédibles.
[167] Le travailleur maintient qu’il est dans un état tel qu’il a besoin d’aide à tous les niveaux et pourtant à l’automne 2008 des images le montrent marchant de manière tout à fait autonome. À l’audience, il fournit des excuses invraisemblables pour s’expliquer son gain de capacité momentanée. Comment peut-il indiquer que la médication n’est pas efficace et plus tard affirmer qu’en prenant une double dose, il parvient à se mobiliser sans aide? Son témoignage n’est pas crédible.
[168] Conséquemment, la CSST juge que le travailleur n’a pas droit à une allocation pour une aide personnelle à domicile.
Dossier 388198-63-0909
[169] On en vient maintenant aux demandes du travailleur qui concernent le second dossier, soit la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu et la reconnaissance d’une rechute, récidive ou aggravation le 27 janvier 2009.
[170] D’abord, le tribunal constate qu’au moment de la demande du travailleur quant à la reprise du versement de son indemnité de remplacement du revenu, il était toujours en défaut de fournir des informations justes sur sa capacité physique. Il donnait à l’ergothérapeute Dumas et au docteur Legendre des renseignements contraires à ce qui était démontré sur la vidéo issue de l’enquête.
[171] D’ailleurs, après le visionnement des images, le docteur Legendre a indiqué qu’il y avait une forte discordance entre les capacités du travailleur observées sur cette vidéo et ce qui lui avait été expliqué par lui au moment de l’évaluation médicale. Il concluait à une simulation sans aucun fondement médical. Il a repris son explication dans son témoignage que le tribunal retient comme preuve prépondérante.
[172] Ainsi, à la fin de février 2009, les conditions d’application de l’article 142 de la loi étaient toujours satisfaites de sorte que la suspension pouvait encore opérer. Il est faux de prétendre que le rapport du docteur Legendre décrivait la juste situation du travailleur et qu’il permettait de remédier aux manquements du travailleur.
[173] L’article 143 de la loi qui permet la reprise du versement d’une indemnité lorsque le motif qui justifie la décision n’existe plus ne pouvait donc être appliqué par la CSST. Celle-ci était tout à fait justifiée de refuser de reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Sa décision est bien fondée.
[174] Le 3 février 2009, le travailleur a fait une réclamation pour rechute, récidive ou aggravation. À l’appui de sa demande, il soumet les rapports médicaux du docteur Chartrand lesquels mentionnent les diagnostics de trouble de l’adaptation et de dysfonction érectile. La CSST a refusé d’indemniser le travailleur pour ces conditions médicales.
[175] Rappelons brièvement le sens de l’expression rechute, récidive ou aggravation qui est comprise dans la notion de lésion professionnelle définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[176] On comprend qu’il y a donc trois formes de lésion professionnelle : la lésion causée par un accident du travail, la maladie professionnelle et la rechute, récidive, aggravation d'une lésion professionnelle antérieure.
[177] Le travailleur soutient que les lésions constatées par le docteur Chartrand sont reliées à ses douleurs chroniques qui elles-mêmes sont des conséquences d’une lésion professionnelle déjà reconnue pas la CSST. De ce fait, elles constitueraient une rechute, récidive ou aggravation.
[178] Le Tribunal doit donc analyser la preuve soumise en rapport avec les éléments qui permettent d'établir l'existence d'une rechute, récidive, aggravation.
[179] La loi ne définit pas la rechute, récidive, aggravation autrement qu'en précisant qu'elle est comprise dans la notion de lésion professionnelle. La Commission des lésions professionnelles retient le sens courant, à savoir une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d'une lésion ou de ses symptômes. Ainsi, la rechute, récidive, aggravation alléguée doit être la manifestation ou la complication d’une lésion professionnelle antérieure.
[180] Intéressons-nous d’abord à la dysfonction érectile. Le docteur Chartrand pose ce diagnostic à la première visite du 27 janvier 2009. Il ne le mentionne plus par la suite. Il ne relate pas de problème à ce niveau dans son rapport pour la Régie des rentes du Québec, que ce soit au chapitre des problèmes actuels ou à celui des diagnostics et pronostics.
[181] Le tribunal croit que le travailleur reste avec des douleurs chroniques. Il est donc plausible que celles-ci puissent avoir entraîné des difficultés sexuelles passagères. Expliquons-nous.
[182] Il faut d’abord remarquer que le travailleur n’a pas fait remplir l’ordonnance du docteur Chartrand pour du Levita, une « pilule d’impuissance ». De surcroît, il ne s’est pas plaint au docteur Chartrand de problème d’ordre sexuel à la suite de la reprise de la vie commune avec sa conjointe. Il n’apparaît pas non plus de la liste des médicaments obtenue de la pharmacie que la prescription pour un médicament contre l’impuissance a été exécutée, du moins le tribunal n’en a pas la preuve.
[183] La Commission des lésions professionnelles retient donc que la dysfonction érectile est une rechute, récidive ou aggravation passagère liée aux douleurs chroniques du travailleur.
[184] En ce qui concerne, le trouble de l’adaptation, condition que le docteur Chartrand diagnostique également le 27 janvier 2009, le tribunal juge que la preuve prépondérante ne démontre qu’il s’agit d’une rechute, récidive ou aggravation reliée aux douleurs chroniques du travailleur. Voici les motifs qui sous-tendent cette conclusion.
[185] D’abord, le diagnostic psychique est posé juste après que la CSST a suspendu le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Le travailleur l’a affirmé, il s’est senti piégé. Même le docteur Chartrand note que le travailleur perçoit une manœuvre injuste basée sur des ouï-dire.
[186] De manière concomitante, le travailleur éprouve également des problèmes conjugaux. Le psychiatre Major indique qu’en janvier 2009 le travailleur a souffert d’irritabilité dans le cadre de la relation conjugale.
[187] Le tribunal retient que les problèmes conjugaux sont survenus après l’enquête de la CSST. Avant décembre 2008, le travailleur a toujours présenté ou mentionné sa conjointe sans indiquer qu’ils étaient séparés ou en voie de l’être. Son témoignage sur les circonstances de la séparation n’est pas retenu puisqu’il n’est pas conforme à ses déclarations contemporaines.
[188] Bien que les conséquences de la filature soient rattachées à l’administration du dossier du travailleur à la CSST, on ne peut retenir qu’il s’agit d’un problème qui découle de la lésion professionnelle déjà reconnue ou de ses conséquences. Les douleurs chroniques sont présentes depuis plusieurs mois. Or, en 2008 et en 2009, le travailleur ne s’est jamais plaint de problème psychique. Il savait pourtant que la CSST pouvait le supporter à cet égard puisqu‘il avait déjà bénéficié du soutien psychologique en 2007.
[189] De surcroît, le travailleur n’a pas mentionné ses problèmes aux médecins et professionnels qui l’ont vu à la clinique de la douleur. À tout le moins, le tribunal n’en a pas la preuve.
[190] Ce qui est déterminant dans le dossier, ce sont ses problèmes avec la CSST et les difficultés relationnelles.
[191] Certes le travailleur a vécu un choc lorsqu’il a rencontré la CSST en décembre 2008 et connu des difficultés par la suite. Il faut cependant constater que la CSST a appliqué la loi. Les conséquences de cette situation sont difficiles à accepter pour le couple, le tribunal en convient. Toutefois, elles sont issues de l’application des règles édictées par le législateur. Elles ne sauraient être reconnues comme une lésion professionnelle d’autant qu’elles sont, en fin de compte, la résultante du comportement élusif du travailleur.
[192] Par ailleurs, l’avis du docteur Major sur les stresseurs présents dans la vie du travailleur n’est pas convaincant. Le médecin retient que tout a basculé après l’accident du travail. Or les faits révèlent plutôt que tout a basculé après que la CSST a coupé le versement de l’indemnité de remplacement du revenu et la fourniture de certaines prestations.
[193] Auparavant, le travailleur ne se plaignait pas de troubles psychiques bien qu’il ressentait de terribles douleurs comme il l’a affirmé à quelques reprises. Celui-ci indique d’ailleurs au psychiatre que les médicaments ont eu peu d’effets et qu’il se sent encouragé par ce qui se passe à la CSST et que ses problèmes conjugaux sont rentrés dans l’ordre. Ces affirmations tendent à démontrer que ce qui cloche est bel bien lié aux conséquences de la filature et du trouble conjugal vraisemblablement secondaire.
[194] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le trouble de l’adaptation diagnostiqué par le docteur Chartrand n’est pas une rechute, récidive ou aggravation ou une autre forme de lésion professionnelle.
Dossier 392306-63-0910
[195] Le tribunal constate que le droit du travailleur à une indemnité de remplacement du revenu lui est acquis. Dans la décision qu’il attaque la CSST le confirme. Elle écrit que le travailleur a droit à une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi, étant donné que la lésion est consolidée avec limitations fonctionnelles.
[196] La question en l’espèce concerne plutôt le maintien de la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Autrement dit, à la suite de l’obtention de l’avis du Bureau d’évaluation médicale, la CSST pouvait-elle maintenir la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour une période illimitée .
[197] Dans un cas similaire[3], en retenant que la suspension ne peut être appliquée indéfiniment, la Commission des lésions professionnelles a mis fin à la suspension à partir du moment où les renseignements inexacts fournis par le travailleur n’avaient plus d’impacts sur la détermination de la capacité du travailleur. Cette solution est raisonnable et convient au présent dossier.
[198] Le tribunal retient ainsi que l’obtention d’un avis liant du Bureau d’évaluation médicale sur les limitations fonctionnelles permet à la CSST de se prononcer sur la capacité du travailleur de reprendre son emploi sans égard aux déclarations du travailleur sur ses capacités physiques et sa mobilité. Rappelons que l’opinion du Bureau d’évaluation médicale à cet égard, lie la CSST.
[199] En attendant, la décision de la CSST sur la capacité de travail à l’égard se son emploi, un emploi équivalent ou un emploi convenable, décision qui n’a pas encore été rendue, le travailleur a droit à une indemnité de remplacement du revenu dont le versement n’a plus à être suspendu considérant que le comportement passé du travailleur n’est plus un obstacle à la poursuite du traitement de son dossier.
[200] Le travailleur demande que le présent tribunal déclare qu’il a droit à la réadaptation. Ce droit ne lui a pas été nié ni accordé par la CSST laquelle n’a pas encore rendu de décision à cet égard. Il y a donc lieu de lui retourner le dossier pour qu’elle poursuive le processus d’indemnisation, notamment par l’élaboration, le cas échéant, d’un plan de réadaptation.
[201] Il faut également se rappeler que dans l’éventualité où le travailleur omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation ou se place à nouveau dans une situation prévue à l’article 142 de la loi, il risque la réduction ou suspension du paiement de ses indemnités.
[202] Quoi qu’il en soit, en l’espèce à partir du 24 août 2009, la CSST doit cesser d’appliquer la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 375048-63-0904
REJETTE la contestation de monsieur N... R..., le travailleur;
CONFIRME la décision rendue le 3 avril 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était bien fondée de suspendre les versements de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 15 décembre 2008;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit à une allocation pour une aide personnelle à domicile à compter du 15 décembre 2008;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit à la fourniture d’une chaise à compter du 15 décembre 2008.
Dossier 388198-63-0909
ACCUEILLE en partie la contestation du travailleur, monsieur N... R...;
MODIFIE la décision rendue le 2 septembre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que La CSST était justifiée de refuser de reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu;
DÉCLARE que la dysfonction érectile diagnostiquée par le docteur Chartrand le 27 janvier 2009 constitue une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que le trouble de l’adaptation diagnostiquée par le docteur Chartrand le 27 janvier 2009 ne constitue pas une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
Dossier 392306-63-0910
ACCUEILLE en partie la contestation du travailleur monsieur N... R...;
MODIFIE la décision rendue le 19 octobre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative en ce qui a trait à la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu ;
DÉCLARE qu’à compter du 24 août 2009, la CSST n’est plus justifiée de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit ;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle en poursuive le traitement.
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Michèle Juteau |
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Me Steve Marsan |
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P.M. Consultants inc. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Guy-François Lamy |
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Affaires juridiques [Compagnie A] |
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Représentant de la partie intéressée
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Me Myriam Sauviat Vigneault, Thibodeau, Bergeron Représentante de la partie intervenante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.