Métra Aluminium inc. et Goyer |
2008 QCCLP 960 |
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[1] Le 8 mars 2007, l’employeur, Métra Aluminium inc., dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 février 2007.
[2]
Par cette décision, la CSST accueille la plainte déposée par le
travailleur, monsieur Mario Goyer, en vertu de l’article
[3] Les parties sont présentes et représentées à l’audience qui s’est tenue à Laval le 20 décembre 2007.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande de déclarer que monsieur Goyer n’a pas été victime
d’une mesure prohibée par l’article
[5] Concernant la mesure prohibée dont monsieur Goyer prétend aussi avoir été victime en 2006, l’employeur soumet, de façon préalable, que la plainte faite à cet égard est irrecevable au motif qu’elle est prématurée.
[6]
De manière subsidiaire, il demande de déclarer que cette plainte n’est
pas non plus fondée et ce, compte tenu de l’interprétation qu’il faut faire de
l’article
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que la requête de l’employeur doit en partie être accueillie.
[8]
Ils estiment que la plainte déposée par monsieur Goyer le 21 novembre
2005 en vertu de l’article
[9]
Ils sont toutefois d’avis que l’employeur est justifié de prétendre que
la plainte du 21 novembre 2005 est irrecevable en regard de cette même mesure
dont monsieur Goyer allègue avoir été de nouveau l’objet en 2006 et ce, parce
qu’elle est prématurée. Ils estiment que c’est d’une nouvelle mesure distincte
de celle survenue en 2005 dont monsieur Goyer prétend qu’il a été victime en
2006 et que ce denier devait donc, si telle était son intention, dénoncer
celle-ci au moyen d’une nouvelle plainte déposée à l’intérieur du délai prévu
par l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[10]
La Commission des lésions professionnelles doit décider si monsieur Goyer a été l’objet d’une mesure
prohibée au sens de l’article
32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.
Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253 .
__________
1985, c. 6, a. 32.
[11]
Dans l’affirmative, la Commission des lésions
professionnelles doit, comme le prévoit l’article
255. S'il est établi à la satisfaction de la Commission que le travailleur a été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans l'article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d'une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice de ce droit.
Dans ce cas, il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou cette mesure à l'égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante.
__________
1985, c. 6, a. 255.
[12] La mesure prohibée dont monsieur Goyer prétend avoir été l’objet consiste en le refus de son employeur de lui verser, en 2005 et en 2006, la paie et la prime de vacances auxquelles il aurait eu droit n’eût été de la lésion professionnelle dont il a été victime en 2003.
[13] Monsieur Goyer travaille comme opérateur de scie pour le compte de l’employeur et il est victime d’un accident du travail le 4 décembre 2003 au cours duquel il se blesse à la main droite.
[14] Son médecin traitant conclut à la consolidation de la lésion en date du 19 avril 2005, avec une atteinte permanente à l’intégrité physique, mais sans limitations fonctionnelles. Étant donné cette conclusion, la CSST décide, le 10 mai 2005, que monsieur Goyer est capable de reprendre son emploi, ce que ce dernier fait le 11 mai suivant.
[15] Toutefois, à la suite d’une reconsidération de cette décision, la CSST reprend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 2 juin 2005 et ce, parce que le médecin traitant de monsieur Goyer modifie son opinion première pour conclure que ce dernier demeure avec des limitations fonctionnelles.
[16] Le 28 octobre 2005, la CSST rend une nouvelle décision par laquelle elle détermine que monsieur Goyer est capable d’exercer son emploi malgré ses limitations fonctionnelles et ce, à compter du 21 novembre 2005.
[17]
C’est vraisemblablement quelques jours avant cette dernière date que
monsieur Goyer reprend définitivement son emploi puisque ce dernier déclare à
l’audience que c’est en recevant sa paie du 16 novembre 2005 qu’il a constaté
qu’on ne lui versait pas la paie et la prime vacances auxquelles il estimait
avoir droit pour l’année débutant le 1er mai 2005 tel que prévu par
sa convention collective. Le témoignage de monsieur Goyer à ce sujet n’est pas
contredit, de sorte que la plainte que ce dernier a présentée à la CSST le 21
novembre 2005 l’a été dans le délai prévu par l’article
253. Une plainte en vertu de l'article 32 doit être faite par écrit dans les 30 jours de la connaissance de l'acte, de la sanction ou de la mesure dont le travailleur se plaint.
Le travailleur transmet copie de cette plainte à l'employeur.
__________
1985, c. 6, a. 253.
[18] En 2005, monsieur Goyer avait accumulé au moins 20 ans de service continu, de sorte que, lors de son retour au travail en novembre 2005, ce sont les articles 11.6 et 11.8 de sa convention collective qui trouvaient application aux fins de déterminer la période de vacances à laquelle il avait droit pour l’année débutant le 1er mai 2005, mais aussi le montant qui lui était dû à titre de paie et de prime de vacances :
11.6 Le salarié qui, le 1er mai, a accumulé au moins vingt (20) ans de service continu, est éligible à un maximum de vingt-cinq (25) jours ouvrables de vacances et à une paie de vacances équivalent à dix pour cent (10 %) des gains qu’il a accumulés pendant l’année précédente de calendrier.
[…]
11.8 Les salariés réguliers visés par les dispositions des articles 11.2, 11.3, 11.4, 11.5, 11.6 et 11.7 sont éligibles en outre à une prime de vacances de quinze pour cent (15 %) de leur paie de vacances.
[19] Lors de son témoignage, monsieur Éric Rivard, directeur des ressources humaines chez l’employeur, indique que la paie de vacances à laquelle a droit le salarié au 1er mai de chaque année est calculée en tenant compte des gains accumulés par ce dernier au cours de l’année précédente de calendrier, soit entre les 1er janvier et 31 décembre.
[20] Le tribunal retient donc de ce qui précède que, lorsque monsieur Goyer a repris son emploi en novembre 2005, l’employeur a considéré qu’il n’avait pas droit à une paie et une prime de vacances pour l’année débutant le 1er mai 2005 parce qu’il n’avait pas accumulé de gains au cours de la période du 1er janvier au 31 décembre 2004, celui-ci ayant plutôt reçu durant toute cette période une indemnité de remplacement du revenu en raison de sa lésion professionnelle survenue le 4 décembre 2003.
[21]
Tout comme il l’a fait auprès de la CSST, monsieur Goyer prétend
toutefois qu’en adoptant cette position, l’employeur contrevenait aux
dispositions de l’article
242. Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.
Le travailleur qui occupe un emploi convenable a droit de recevoir le salaire et les avantages liés à cet emploi, en tenant compte de l'ancienneté et du service continu qu'il a accumulés.
__________
1985, c. 6, a. 242.
[22] Pour sa part, l’employeur soumet qu’il n’a pas imposé à monsieur Goyer une mesure prohibée par la loi lors de son retour au travail puisqu’il s’est tout simplement conformé aux dispositions de la convention collective, lesquelles prévoient qu’un travailleur a droit, au 1er mai de chaque année, à une paie et une prime de vacances dont les montants sont établis sur la base du salaire gagné durant l’année précédente. Puisque monsieur Goyer n’a pas travaillé au cours de la période du 1er janvier au 31 décembre 2004 en raison de sa lésion professionnelle, ce dernier ne pouvait donc pas prétendre avoir droit à ces avantages pour l’année débutant le 1er mai 2005.
[23] De plus, il soumet que l’article 242 ne permet pas de conclure autrement puisque, bien qu’il existe une position contraire, plusieurs décisions du tribunal sont plutôt à l’effet que cette disposition n’impose pas à un employeur de transformer en heures travaillées et rémunérées celles qui ne l’ont pas été en raison d’une lésion professionnelle.
[24] Tout comme le fait le tribunal dans l’affaire Lefebvre et Centre hospitalier de l’Université de Montréal-Pavillon Notre-Dame[2], la Commission des lésions professionnelles constate que la jurisprudence est effectivement partagée quant à l’interprétation qu’il faut faire des dispositions de l’article 242 :
[30] Tant la Commission d'appel en matière de lésions
professionnelles que la Commission des lésions professionnelles ont eu
l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur cette question. La
jurisprudence qui en découle est partagée sur l’interprétation à donner à
l’article
[31] Une interprétation jurisprudentielle s’attarde aux
termes utilisés par le législateur. Cette approche analyse le libellé de
l’article
[…]
[20] […] aurait pour effet de conférer une rétroactivité au texte de loi, laquelle ne peut se présumer, mais doit plutôt faire l’objet d’un texte clair de la part du législateur […].
[32] Une autre interprétation de l’article
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4 C.L.P.
[25] Toutefois, comme le note également le tribunal dans cette affaire, il importe de retenir qu’au-delà de cette apparente controverse, les deux positions jurisprudentielles se rejoignent sur un aspect primordial, soit qu’il ne saurait être question d’interpréter l’article 242 de manière à lui donner une portée rétroactive :
[33] Bien que l’application du raisonnement développé dans
chacune de ces interprétations mène à des résultats différents sur une question
de même nature, il n’en demeure pas moins que les tenants de chacune des
interprétations considèrent qu’il n’y a pas lieu de conférer une portée
rétroactive à l’article
[34] Sur ce point, les deux interprétations se rejoignent en
ce qu’elles considèrent que l’article
[26] Le tribunal rappelle ainsi la position adoptée à ce sujet dans l’affaire Noël-Fontaine et Société d’aluminerie Reynolds (Canada) limitée[3] :
[35] La revue de la jurisprudence relative à l’interprétation
de l’article
[36] Rappelons que dans cette affaire, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles devait décider si le refus de reporter des congés facultatifs acquis par accumulation d’un certain nombre d’heures de travail, tel que prévu à la convention collective, constituait une mesure discriminatoire à l’encontre de la travailleuse :
[…]
Malgré la non-rétroactivité de l’article 242, il ne faut toutefois pas perdre de vue que le premier alinéa de cette disposition de la loi impose, à certains égards, une fiction qui implique une transformation du passé : il faut faire, malgré son absence, comme si le travailleur avait continué à exercer son emploi pendant son absence. Cette fiction n’a toutefois d’impact qu’à compter du retour au travail, et par la suite; c’est ce que le professeur Pierre-André Côté appelle l’effet immédiat et prospectif à la page 107 de son ouvrage Interprétation des lois (Les Editions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1982) :
Une loi qui ne prétend pas régir le passé, mais uniquement l’avenir, ne peut donc être considérée comme rétroactive à moins qu’on emploie ce terme d’une manière "inexacte" ou "impropre". Il faut distinguer la rétroactivité et l’atteinte, pour l’avenir, à des droits acquis dans le passé. Il faut distinguer l’effet rétroactif de la loi de son effet immédiat et prospectif."
La fiction imposée au premier alinéa de l’article 242 implique donc, de l’avis de la Commission d’appel, qu’il faille à certains égards, à compter du retour au travail et pour l’avenir, faire comme si le travailleur avait travaillé pendant son absence; à certaines fins, et non pour verser du salaire au travailleur pour sa période d’absence, l’article 242 impose ainsi de considérer comme travaillées des heures d’absence du travail en raison d’une lésion professionnelle.
Mais à quelles fins appliquer cette fiction? À toutes fins utiles, de l’avis de la Commission d’appel, pour éviter qu’un travailleur ne soit, en matière de salaire et d’avantages à compter de son retour au travail et par la suite, pénalisé ou désavantagé du fait qu’il ait été absent du travail pendant un certain temps en raison d’une lésion professionnelle.
[…]
La Commission d’appel ne voit, dans
le libellé du premier alinéa de l’article
[…]
La Commission d’appel apprécie donc qu’en édictant le premier alinéa de l’article 242, le législateur a voulu que le travailleur qui reprend son travail ne soit pas désavantagé, à compter de ce moment, par rapport à ce qu’aurait été sa situation en termes de salaire et d’avantages n’eût été de sa lésion professionnelle et de l’absence y reliée. S’il faut à cette fin, en regard du salaire et des avantages, ainsi que des taux et conditions afférents, faire comme s’il avait continué à exercer son emploi pendant son absence, c’est ce que le législateur prescrit de faire; s’il faut considérer comme du temps travaillé du temps qui ne l’a pas été, c’est aussi ce qu’il faut faire en raison de la fiction imposée par le législateur.
[…]
(Notre soulignement)
[27] De plus, le tribunal s’exprime comme suit au sujet des circonstances dans lesquelles il est permis de considérer, par fiction, du temps travaillé qui ne l’a pas été en raison d’une lésion professionnelle pour les fins de l’application de l’article 242 :
[37] Si l’on retient l’interprétation de l’article
[38] Cette fiction permet donc d’utiliser des données
relatives à la période de référence, soit la période d’absence pour lésion
professionnelle, aux fins de calculer ou d’établir un taux, une condition, un
nombre, etc. Cet exercice ne fait pas de la période de référence une période à
indemniser et ne permet pas de récupérer du salaire ou des avantages rattachés
à la période d’absence pour lésion professionnelle. La jurisprudence établit
clairement que l’article
[39] Dans l’affaire Bombardier Aéronautique et Fregeau-Corriveau6,
la commissaire Vaillancourt a bien exprimé en quoi ce raisonnement s’accordait
mieux avec l’énoncé de l’article
[…]
[48] D’une part, rappelons que
l’article
[…]
___________
6
[28] Notons qu’il s’agissait dans cette affaire Lefebvre du cas d’une travailleuse qui réclamait à l’employeur, à la suite d’une sentence arbitrale, le versement d’un montant forfaitaire correspondant à une compensation monétaire pour perte de droits acquis et ce, pour une période durant laquelle elle était absente du travail en raison d’une lésion professionnelle. L’employeur lui avait versé ce montant uniquement à compter de son retour au travail.
[29] Une position identique est adoptée dans l’affaire Marier et Brasserie Labatt ltée[4] à laquelle s’est référé l’employeur et ce, dans le contexte d’une situation où il s’agissait de décider si le travailleur pouvait réclamer, lors de son retour au travail en 2003, l’indemnité de vacances à laquelle il aurait eu droit en 2002 n’eût été de son absence du travail durant toute cette année en raison de sa lésion professionnelle. La Commission des lésions professionnelles décide ainsi que cette réclamation n’est pas fondée :
[48] L’article
[49] C’est donc dire que l’article 242 ne peut avoir pour effet de permettre au travailleur de se faire payer le salaire et les avantages perdus durant son année d’absence en raison de sa lésion professionnelle. Durant cette année d’absence, le travailleur a été indemnisé en fonction des dispositions de la loi.
[50] La soussignée partage ainsi l’opinion de la commissaire Vaillancourt, dans la décision Bombardier Aéronautique et Frégeau-Corriveau11, à l’effet que la portée de l’article 242 ne peut être rétroactive. Cette commissaire, après avoir fait une revue de la jurisprudence sur le sujet, n’en concluait pas moins qu'il faut dans certains cas, en créant une fiction, considérer des heures d’absence pour lésion professionnelle comme des heures travaillées. La commissaire s’exprime ainsi :
[…]
[52] La soussignée estime qu’en l’espèce, la demande du travailleur vise à être compensée pour les vacances qu’il n’a pu prendre en 2002, en raison de son accident du travail. Sa demande ne vise donc pas à calculer le nombre de semaines de vacances auquel il aura droit, lors de son retour au travail et pour le futur. Il s’agit donc d’une situation différente de celle rencontrée dans l’affaire Marin, où une fiction était nécessaire pour calculer le nombre de jours de vacances auquel le travailleur avait droit à son retour au travail. On établissait une fiction, en tenant compte du passé, mais pour le futur. La présente situation diffère également de celle rencontrée dans l’affaire Bombardier.
[…]
[54] La soussignée estime que dans certains cas, il faut effectivement, pour donner un plein effet à l’article 242, considérer comme des heures travaillées, les heures où un travailleur a été absent en raison de sa lésion professionnelle. Mais ce n’est pas dans tous les cas.
[…]
[57] Lorsque le but recherché par le travailleur est de se faire payer, à son retour au travail, ce qu’il aurait eu droit, dans le passé, n’eut été de sa lésion professionnelle, on peut penser qu’il s’agit là d’une situation où la fiction proposée par l’affaire Marin ne doit pas être faite puisque la situation à laquelle on veut remédier est couverte par une autre disposition de la loi soit, en l’espèce, l’article 67. Le travailleur a droit, durant son absence pour lésion professionnelle, à une indemnité de remplacement du revenu calculée selon les dispositions de cet article de la loi. Cette indemnité est fonction d’un revenu brut annualisé qui peut tenir compte des vacances et autre bonis.
[58] L’article 242 n’a pas pour effet de permettre au travailleur de recevoir les sommes qu’il aurait reçues autrement durant son absence n’eut été de sa lésion professionnelle. L’article 242 vise à procurer au travailleur, lors de son retour au travail, les mêmes avantages que ceux auxquels il aurait eu droit, pour le futur, n’eut été de sa lésion professionnelle. Ce qui est fort différent.
[59] La soussignée constate que la convention collective prévoit le droit à un certain nombre de semaines de vacances selon l’ancienneté.
[60] Dans certains cas, la fiction proposée dans la décision Marin doit être faite afin de permettre au travailleur de recevoir, à son retour au travail, les mêmes avantages que ceux auxquels il aurait pu prétendre n’eut été de son absence pour lésion professionnelle. Mais on ne peut, de l’avis de la soussignée, s’appuyer sur cet article 242 et sur la fiction proposée dans l’affaire Marin pour se faire payer des vacances qui auraient dû être prises durant la période d’absence pour lésion professionnelle. En l’espèce, les vacances auraient dû être dépensées dans l’année en question, soit en 2002. Comme les vacances ne pouvaient être transférées l’année suivante et comme le travailleur recevait une indemnité de remplacement du revenu durant toute la période de référence, laquelle prenait en compte un montant pour vacances, il ne peut donc, en s’appuyant sur les dispositions de l’article 242, réclamer le paiement de ces semaines de vacances de l’année 2002. La fiction demandée par le travailleur ne peut être appliquée en l’espèce pour les vacances de l’année 2002.
[61] Il en aurait été tout autrement si le travailleur avait prétendu que l’employeur n’avait pas tenu compte de l’année 2002, dans le calcul des semaines de vacances auxquelles il aurait droit en 2003. Dans ce dernier cas, la soussignée estime que la fiction proposée par le commissaire Perreault aurait pu être faite.
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[30] Ainsi, en application des principes posés dans les affaires Lefebvre et Marier, la Commission des lésions professionnelles estime que monsieur Goyer avait droit, conformément aux dispositions de l’article 242, de réclamer lors de son retour au travail en novembre 2005 une paie et une indemnité de vacances dont le montant est établi en tenant compte, par fiction, des heures de travail qu’il aurait effectuées au cours de l’année 2004 n’eût été de sa lésion professionnelle.
[31] Contrairement à la situation rencontrée dans l’affaire Marier, monsieur Goyer ne réclame pas, lors de son retour au travail en novembre 2005, la paie et la prime de vacances auxquelles il aurait eu droit au 1er mai 2004 s’il n’avait pas été absent du travail à cette époque en raison de sa lésion professionnelle. Il réclame plutôt de pouvoir bénéficier d’un avantage lié à son emploi, dont le droit était acquis depuis le 1er mai 2005 et dont il pouvait toujours se prévaloir lors de son retour au travail en novembre 2005 ou dans les mois suivants et ce, aux mêmes taux et conditions que s’il avait travaillé durant toute l’année précédente.
[32] Il ne s’agit donc pas d’une situation où l’application de l’article 242 serait faite en lui conférant une portée rétroactive, ce qui, si tel était le cas, irait alors à l’encontre du principe unanimement retenu par la jurisprudence.
[33] Dans plusieurs autres décisions du tribunal il a été décidé que la fiction imposée par l’article 242 impliquait dans certains cas, à compter du retour au travail du travailleur, de considérer comme ayant été travaillées des heures qui ne l’ont pas été en raison d’une lésion professionnelle. De plus, une lecture attentive de certaines d’entre elles permet de constater que l’application de ce principe compte tenu des faits propres à chaque cas n’a pas eu pour effet de régir le passé en permettant au travailleur de recevoir un avantage auquel il aurait eu droit à cette époque s’il ne s’était pas absenté du travail[5].
[34] La soussignée adhère à cette approche parce qu’elle estime qu’elle est davantage compatible avec l’objectif recherché par l’article 242, soit de faire en sorte que le travailleur qui reprend son travail après s’en être absenté en raison d’une lésion professionnelle ne soit pas désavantagé ou pénalisé du fait de cette absence.
[35]
Selon la jurisprudence constante du tribunal, une contravention à une
disposition de la loi, dont le fait de priver un travailleur d’un avantage au
sens de l’article 242, doit être considéré comme constituant une mesure
prohibée au sens de l’article
[36] Par ailleurs, c’est dès l’exercice de son droit de retour au travail en novembre 2005 que monsieur Goyer a su que l’employeur n’entendait pas tenir compte de sa période d’absence du travail en 2004 aux fins du calcul de la paie et de la prime de vacances auxquelles il avait droit à compter du 1er mai 2005, de sorte que la présomption prévue par l’article 255 trouve application.
[37] Il incombait donc à l’employeur de démontrer, par une preuve prépondérante, que cette façon de faire l’a été pour une cause juste et suffisante.
[38] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette preuve ne lui a pas été faite. Compte tenu de l’interprétation qu’il faut faire de l’article 242, le fait pour l’employeur de prétendre qu’il s’est conformé aux dispositions de la convention collective ne peut constituer une telle cause.
[39]
Comme l’indique la Commission des lésions
professionnelles dans l’affaire Bombardier Aéronautique
et Frégeau-Corriveau[7], une cause juste dans le
contexte de l’article 255 doit en être une qui est licite. Puisque la loi est
d’ordre public et qu’une convention collective ne peut contrevenir aux
dispositions de l’article 242, le respect d’une telle convention ne peut
constituer une cause juste et suffisante. L’article
4. La présente loi est d'ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
__________
1985, c. 6, a. 4.
[40] La Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que monsieur Goyer a été l’objet d’une mesure prohibée par l’article 32 lors de son retour au travail en novembre 2005 et que l’employeur n’a pas démontré que cette mesure a été prise à l’égard de ce travailleur pour une cause juste et suffisante.
[41]
Le montant auquel a droit monsieur Goyer à titre de paie et de prime de
vacances pour l’année 2005 ne porte pas à débat puisque les parties ont reconnu
en début d’audience que, dans l’hypothèse où la requête de l’employeur était
rejetée, celui-ci devait être établi à 4 298,77 $ et non pas à 4 581,60 $
comme l’a décidé la CSST. Elles ont aussi reconnu que monsieur Goyer avait
droit au paiement d’un intérêt sur ce montant qui lui est dû et ce,
conformément aux dispositions de l’article
261. Lorsque la Commission ordonne à l'employeur de verser au travailleur l'équivalent du salaire et des avantages dont celui-ci a été privé, elle peut aussi ordonner le paiement d'un intérêt, à compter du dépôt de la plainte ou de la demande d'intervention, sur le montant dû.
Le taux de cet intérêt est déterminé suivant les règles établies par règlement. Cet intérêt est capitalisé quotidiennement.
__________
1985, c. 6, a. 261; 1993, c. 5, a. 4.
[42] Monsieur Goyer prétend qu’il a été l’objet d’une autre mesure prohibée au sens de l’article 32 en mai 2006 parce que, à cette époque, il a appris qu’il aurait droit pour l’année 2006 à une paie et à une prime de vacances dont les montants seraient établis sur la seule base des gains qu’il a pu accumuler entre les 1er janvier au 31 décembre 2005 à la suite de son retour au travail en mai et en novembre 2005 et donc, en faisant abstraction de ceux qu’il n’a pu obtenir durant cette période en raison de sa lésion professionnelle.
[43] Dans sa décision du 27 février 2007, la CSST conclut que la plainte de monsieur Goyer du 21 novembre 2005 est aussi valable pour cette indemnité de vacances réclamée pour l’année 2006. De plus, elle conclut au bien-fondé de cette plainte en regard de cette indemnité et elle ordonne à l’employeur de verser à monsieur Goyer celle dont il a été privé pour l’année 2006 en plus de celle dont il a été privé pour l’année 2005.
[44] L’employeur soumet toutefois que monsieur Goyer ne peut pas prétendre que sa plainte du mois de novembre 2005 est valable pour une seconde sanction qui serait survenue en 2006 puisque la situation visée par cette sanction n’était pas encore née au moment où cette plainte a été déposée. Sa plainte de 2005 doit donc être déclarée irrecevable en regard de la sanction alléguée de 2006 au motif qu’elle est prématurée.
[45] La Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que cette prétention de l’employeur est bien fondée.
[46]
En effet, selon l’article 253 précité, une plainte en vertu de l’article
[47] Or, lorsqu’il a déposé sa plainte le 21 novembre 2005, monsieur Goyer connaissait la position adoptée par l’employeur eu égard au calcul de sa paie et de sa prime de vacances pour l’année 2005, mais il n’existait aucun litige à ce sujet concernant l’année 2006. Le droit de monsieur Goyer à des vacances pour l’année 2006 est né seulement le 1er mai 2006 et c’est uniquement à cette époque que ce dernier a appris quel était le montant que l’employeur lui verserait à titre d’indemnité de vacances pour cette année et qu’il a réalisé que celui-ci ne correspondait pas à celui auquel il considérait avoir droit en application de sa convention collective.
[48] Dans sa décision du 27 février 2007, la CSST conclut que la plainte du mois de novembre 2005 est recevable en regard de l’indemnité de vacances réclamée par monsieur Goyer pour l’année 2006 et ce, parce que la Commission des lésions professionnelles a déjà décidé qu’une plainte faite en vertu de l’article 32 valait non seulement pour le passé, mais aussi pour l’avenir.
[49] Dans l’affaire Crown Cork Metal Packaging et Lapointe[8], la soussignée s’est effectivement exprimée en ce sens, mais dans le contexte de faits forts différents de ceux impliqués dans la présente affaire.
[50] En effet, il s’agissait d’un travailleur assigné temporairement à un autre emploi en raison d’une lésion professionnelle et qui, le 12 mars 2004, déposait une plainte en vertu de l’article 32 dans le but de réclamer le paiement des heures supplémentaires de travail qu’il aurait normalement effectuées n’eût été de cette lésion. L’employeur prétendait toutefois que cette plainte était irrecevable en regard des heures supplémentaires réclamées pour la période postérieure à la date de la plainte au motif qu’elle était prématurée. Il faisait valoir au soutien de cette prétention que la plainte du travailleur ne pouvait pas être assimilée à un grief continu et qu’elle ne pouvait donc pas valoir pour l’avenir et, en conséquence, que le travailleur devait déposer une nouvelle plainte à chaque fois où, en recevant sa paie, il prenait connaissance du fait que ses heures supplémentaires ne lui étaient pas payées. La soussignée dispose ainsi de cette prétention :
[54] En effet, cette notion de « grief continu » a été développée par la jurisprudence propre au droit du travail en matière d’arbitrage de griefs et la Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’y a pas lieu d’importer celle-ci aux fins de l’application de la présente loi et d’y référer dans la présente affaire.
[55] La loi prévoit spécifiquement à l’article 253 qu’une plainte en vertu de l’article 32 doit être faite dans les 30 jours de la connaissance de l’acte, de la sanction ou de la mesure dont le travailleur se plaint et c’est ce seul critère qui sert à décider de sa recevabilité.
[56] Si la plainte déposée par le travailleur est recevable à cet égard, la Commission des lésions professionnelles estime qu’elle vaut non seulement pour le passé, mais également pour l’avenir dans la mesure où la situation dénoncée par cette plainte en est une qui continue de se reproduire de manière répétitive.
[57] Conclure dans le sens recherché par le représentant de l’employeur irait non seulement à l’encontre des dispositions de l’article 253, mais conduirait à une situation trop formaliste et qui ne rencontrerait pas les objectifs poursuivis par la justice administrative, puisque cela aurait pour conséquence d’imposer aux travailleurs placés dans la même situation que monsieur Lapointe l’obligation de déposer une plainte à chaque paye pendant toute la durée de leur assignation temporaire.
[58] Dans la présente affaire, la plainte de monsieur Lapointe vise une situation née le 11 février 2004, mais qui a continué de se reproduire après cette date, soit le fait pour l’employeur de ne pas lui payer, durant son assignation temporaire, les heures supplémentaires qu’il aurait normalement effectuées n’eût été de sa lésion professionnelle. La Commission des lésions professionnelles estime donc que cette plainte vaut pour toute la période au cours de laquelle monsieur Lapointe a été en assignation temporaire.
[51] La situation dénoncée par la plainte de ce travailleur était donc née à un moment précis, mais elle continuait de se reproduire de manière répétitive durant une période déterminée. C’est donc dans ce contexte bien particulier qu’il a été décidé que la plainte du travailleur était valable pour l’avenir, non pas pour toute situation identique susceptible de se produire à différents moments dans le temps, mais seulement pour la période durant laquelle le travailleur était en assignation temporaire et où l’employeur maintenait son refus de lui payer des heures supplémentaires.
[52] Les faits en cause dans la présente affaire sont forts différents et ils ne permettent pas d’en venir à la même conclusion.
[53] En effet, la situation dénoncée par la plainte de monsieur Goyer du 21 novembre 2005 en est une qui s’est concrétisée à un moment précis dans le temps, soit quelques jours avant cette date, et qui, en raison de sa nature, n’a pas continué de se reproduire au cours d’une période donnée suivant le dépôt de la plainte. Le refus de l’employeur en mai 2006 de verser à monsieur Goyer la paie et la prime de vacances auxquelles il croyait avoir droit pour cette année constituait une nouvelle décision distincte de la première et ce, même si ce refus se fondait sur les mêmes motifs que ceux fournis en 2005.
[54]
Ainsi, si monsieur Goyer croyait que ce nouveau refus de l’employeur
pour l’année 2006 n’était pas justifié compte tenu des dispositions de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de l’employeur, Métra Aluminium inc.;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 février 2007;
DÉCLARE bien fondée la plainte déposée le 21
novembre 2005 par le travailleur, monsieur Mario Goyer, en vertu de l’article
DÉCLARE que monsieur Mario Goyer a droit à un montant de 4 298,77 $ représentant l’équivalent de l’indemnité de vacances dont il a été privé pour l’année 2005;
DÉCLARE que monsieur Goyer a droit, conformément aux
dispositions de l’article
ORDONNE à l’employeur, Métra Aluminium inc., de verser à monsieur Mario Goyer ce montant de 4 298,77 $ plus intérêts; et
DÉCLARE irrecevable la plainte déposée le 21
novembre 2005 par monsieur Goyer en vertu de l’article
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Ginette Morin |
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Commissaire |
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Me Pierre-Yves Arsenault |
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DUNTON RAINVILLE |
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Représentant de la partie requérante |
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Monsieur Donald Noël |
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SYNDICAT DES MÉTALLOS |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2]
[3] [1991] C.A.L.P. 615 .
[4]
[5] Voir notamment : Fraser et Onyx
Industries inc., C.L.P.
[6] Voir notamment : Centre hospitalier St-Augustin et Boiteau,
[7]
[8] C.L.P. 252275-61-501, 2 février 2006, G. Morin; au même effet, Crown Cork & Seal Canada et Lajoie,
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