Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

20 mai 2004

 

Région :

Outaouais

 

Dossier :

225409-07-0401

 

Dossier CSST :

096516257

 

Commissaire :

Simon Lemire, avocat

 

Membres :

Raymond Groulx, associations d’employeurs

 

Gérald Dion, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Benoit Guilbault

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

CLSC - CH - CHSLD des Forestiers

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 23 janvier 2004, monsieur Benoit Guilbault (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 janvier 2004 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme une décision rendue en première instance le 12 septembre 2003 et déclare que le travailleur n’a pas droit à l’application des dispositions de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]                L’audience s’est tenue à Gatineau le 27 avril 2004. Le travailleur est présent et représenté. CLSC - CH - CHSLD des Forestiers (l’employeur), quoique dûment convoqué, n’est pas présent à l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la révision administrative rendue le 7 janvier 2004 et de déclarer qu’il a droit à l’application des dispositions de l’article 116 de la loi.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Conformément à l’article 429.50 de la loi, le commissaire soussigné a obtenu l’avis des membres sur la question faisant l’objet de la contestation.

[6]                Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête du travailleur doit être rejetée, puisqu’en aucun temps il n’a manifesté l’intention de poursuivre le versement des prestations de retraite, tel que prévu à l’article 116 de la loi, et ce n’est qu’en 1998 qu’il manifeste cette intention. Malgré qu’il n’y ait pas de délai prévu dans la loi, le travailleur, en ne participant pas dès le début au versement des prestations ne peut, par sa propre négligence, plus de 10 ans après la lésion professionnelle, faire une demande pour recevoir l’application de l’article 116 de la loi.

[7]                Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête en contestation, puisqu’il n’y a pas de délai prévu dans la loi pour demander l’application de cette disposition, que le travailleur a manifesté rapidement son intention de bénéficier des dispositions de l’article 116 de la loi et qu’il a des problèmes au niveau cognitif en raison de ses limitations fonctionnelles, ce qui explique les délais pour se manifester et demander l’application de l’article 116 de la loi.

LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[8]                Dans sa prise de décision, la Commission des lésions professionnelles a tenu compte de l’avis de ses membres et a étudié l’ensemble de la preuve documentaire qui apparaît au dossier ainsi que les documents déposés à l’audience.

[9]                La Commission des lésions professionnelles s’est aussi instruite du témoignage du travailleur et a considéré son argumentation.

[10]           La Commission des lésions professionnelles, en motivant sa décision, se réfère aux éléments de la preuve tant documentaire que testimoniale qu’elle considère pertinente à la détermination des questions en litige.

[11]           Le travailleur a subi une lésion professionnelle le 20 mars 1987 qui a entraîné une atteinte permanente évaluée à 18,19 % et le diagnostic d’encéphalopathie a été reconnu comme une maladie professionnelle.

[12]           Le 10 février 1996, le docteur Jean Chatelois, neuropsychologue, reconnaît que le travailleur conserve les limitations fonctionnelles suivantes :

2.       Limitations fonctionnelles

 

Les limitations fonctionnelles au plan neuropsychologique se traduisent par une instabilité significative de l’attention avec une vulnérabilité nette à l’interférence qui est susceptible d’empêcher le travailleur de répondre aux exigences de n’importe quel emploi dans lequel les capacités attentionnelles doivent être utilisées.

 

À cause du trouble de mémoire que présente M. Guilbeault, il éprouverait de la difficulté à faire de nouveaux apprentissages impliquant la rétention de consignes multiples ou complexes, l’apprentissage de nouvelles matières ou informations propres à la spécialisation à l’intérieur d’un domaine (ex : mise à jour d’informations à partir de documents écrits, apprentissage de données techniques, formation continue par le biais de conférences, etc). Compte tenu de sa vulnérabilité à l’interférence au plan de l’attention, il serait sujet en plus à oublier facilement des détails, des consignes, dans différentes tâches même simples.

 

Le problème des douleurs chroniques, de fatigue, manque d’endurance, la vulnérabilité au stress, peuvent avoir des implications importantes au plan du fonctionnement cognitif et ainsi accentuer les symptômes et les déficits existants.

 

3.       Aptitudes à un emploi

 

Comme tenu des données de l’évaluation neuropsychologique et des limitations fonctionnelles qui accompagnent, compte tenu des limitations qui ont été décrites au plan physique dans différents rapports d’expertise médicale, compte tenu particulièrement de l’hypersensibilité aux solvants et autres produits similaires qui a été mentionnée par le Dr Auger, le travailleur est non seulement dans l’incapacité d’effectuer un emploi de "pompiste" mais également il est à mon avis inapte à tout emploi à temps plein comme à temps partiel.

 

 

[13]           Ces limitations fonctionnelles et l’opinion concernant la capacité d’emploi permettent de déclarer que le travailleur est inemployable et, en plus, il a des difficultés au niveau de la compréhension et des limitations même dans ses activités quotidiennes.

[14]           La preuve démontre aussi qu’une première demande a été présentée le 18 octobre 1994, le travailleur ayant demandé à ce que les dispositions de l’article 116 de la loi soient appliquées pour lui. Le travailleur est revenu à la charge auprès de la CSST le 11 novembre 1995 où il demande à ce que l’article 116 de la loi soit appliqué à sa situation. Toutefois, la CSST ne rendra jamais de décision sur cette question, mais indiquera au travailleur que, si jamais il se qualifiait selon les dispositions de l’article 93 de la loi, la CSST donnerait suite à sa réclamation.

[15]           Le travailleur, en vertu de sa convention collective, était exonéré du paiement des primes pour une période de deux ans. Selon lui, cette exonération de prime était valable tant qu’il était en invalidité et ce n’est qu’au cours des années 1993 et 1994 qu’il a été informé que son régime de retraite ne versait plus de cotisations, compte tenu des dispositions de la convention collective qui lui étaient applicables.  La disposition de la convention collective est déposée au tribunal.

[16]           Le 10 avril 1996, la CSST émet une décision reconnaissant qu’il est impossible de déterminer un emploi convenable pour le travailleur, celui-ci étant incapable d’exercer un emploi à plein temps, et en conséquence détermine qu’il a droit aux prestations jusqu’à l’âge de la retraite.

[17]           Le 23 janvier 2003, le travailleur demande de nouveau l’application de l’article 116 de la loi et la CSST, en première instance, déclare que le travailleur ne rencontre pas les critères d’admissibilité prévus à l’article 93 de la loi qui prévoit

93. Une personne atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée est considérée invalide aux fins de la présente section.

 

Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

 

Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.

__________

1985, c. 6, a. 93.

 

 

[18]           L’article 93 de la loi précise qu’une invalidité est prolongée si elle rend le travailleur incapable de détenir un emploi véritablement rémunérateur, ce qui est le cas en l’espèce, la CSST ayant reconnu l’impossibilité de déterminer un emploi convenable dans sa décision du 10 avril 1996.  En effet, dès l’événement initial, les conséquences prévisibles de l’atteinte du travailleur étaient qu’elles devaient durer indéfiniment, ce qui a été confirmé par la suite et que la décision a entériné dès 1996. Il reste maintenant à déterminer l’application de l’article 116 de la loi qui prévoit :

116. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est atteint d'une invalidité visée dans l'article 93 a droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l'établissement où il travaillait au moment de sa lésion.

 

Dans ce cas, ce travailleur paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, et la Commission assume celle de l'employeur, sauf pendant la période où ce dernier est tenu d'assumer sa part en vertu du paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 235.

__________

1985, c. 6, a. 116.

[19]           Le travailleur a donc droit de continuer de bénéficier et de participer au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion. Le travailleur était un employé du Centre hospitalier de Maniwaki et participait au régime de la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances (CARRA) qui est maintenant devenu le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP). Le travailleur rencontre donc les dispositions de l’article 93 de la loi ainsi que de l’article 116.

[20]           À l’audience, le travailleur a indiqué qu’il était disposé à payer les cotisations exigibles pour son régime de retraite et qu’il demande à ce que la CSST verse la partie qui reviendrait à l’employeur, tel que prévu aux dispositions de l’article 116 de la loi.

[21]           La révision administrative, dans sa décision, quant à elle, prévoit que le travailleur n’a pas droit au versement des cotisations pour les années 1989 à 1997, au moment où il prend sa retraite à 60 ans, puisqu’il n’a pas respecté les délais qui sont prévus aux articles 235 et suivants de la loi.

[22]           La révision administrative commet une erreur de droit importante en se référant aux dispositions de l’article 235 de la loi qui sont prévues au chapitre VIII de la loi concernant le droit de retour au travail et les droits qui sont préservés et garantis par la loi alors que les dispositions de l’article 116 de la loi sont au chapitre III de la loi intitulé « Indemnité » et « Indemnité de remplacement du revenu ». D’ailleurs, l’article 116 de la loi, au deuxième paragraphe, mentionne clairement que les dispositions de l’article 116 s’appliquent et que, dans ce cas, le travailleur paie sa part de cotisation exigible s’il y a lieu et la CSST assume celle de l’employeur sauf pendant la période où ce dernier est tenu d’assumer sa part en vertu du deuxième paragraphe de l’alinéa 235. Donc, la loi fait une distinction nette entre ces deux droits. On ne peut inventer un délai qui n’est pas prévu par la loi, d’autant plus que, dans le présent dossier, le travailleur était justifié par une condition médicale de ne pas être à même de suivre et de comprendre de façon efficace le fonctionnement administratif de la loi, qu’il a dès 1994 fait des démarches afin que soient appliquées les dispositions de l’article 116, demande qu’il a réitérée en 1995 et à laquelle la CSST n’a jamais donné suite, ni par une décision ni par de l’information au travailleur, alors que la CSST s’était engagée à réexaminer la demande du travailleur s’il rencontre les exigences de l’article 93 de la loi malgré qu’en 1996 la CSST reconnaît que le travailleur ne peut occuper un emploi vraiment rémunérateur.

[23]           Le travailleur est donc justifié de demander l’application de l’article 116 de la loi et les éléments au dossier ainsi que la preuve ont démontré qu’il rencontrait les exigences de l’article 93 et les dispositions de l’article 116. Il y a donc lieu d’ordonner à la CSST d’envoyer une ordonnance au régime de retraite RREGOP, qui a remplacé le régime de retraite de la CARRA, afin que l’employeur établisse les cotisations et les prestations qui sont payables, de verser les cotisations équivalant à celles que l’employeur aurait dû verser et le travailleur devra verser, lorsqu’il recevra l’avis de cotisation, les montants des prestations à verser.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en contestation de monsieur Benoit Guilbault;

INFIRME la décision rendue par la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 janvier 2004;

DÉCLARE que le travailleur a droit à l’application des dispositions de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail d’envoyer un avis au régime de retraite de l’employeur, le Centre hospitalier Maniwaki, afin de l’aviser d’émettre un avis de cotisation pour que la Commission de la santé et de la sécurité du travail verse la part des cotisations à son régime de retraite pour la période de mars 1989 jusqu’au moment où il a décidé de prendre sa retraite, la Commission de la santé et de la sécurité du travail assumant la part de l’employeur et monsieur Benoit Guilbault, sa propre part.

 

 

__________________________________

 

Simon Lemire

 

Commissaire

 

 

 

 

Monsieur Yves Sicotte

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]          L.R.Q., c. A - 3.001

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