Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Chouinard et Régie intermunicipale de police Thérèse-de-Blainville

2016 QCTAT 4006

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

568629-64-1503

 

Dossier CNESST :

143200673

 

 

 

Saint-Jérôme,

le 4 juillet 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Michel Lalonde

______________________________________________________________________

 

 

 

Jo-Annie Chouinard

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Régie intermunicipale de police Thérèse-De Blainville

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 24 mars 2015, madame Jo-Annie Chouinard (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 13 mars 2015 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 30 janvier 2015 et déclare que la travailleuse n’est pas admissible au retrait préventif pour allaitement.

[3]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.

[4]           De plus, depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) assume les compétences autrefois dévolues à la CSST.

[5]           Une audience est tenue à Saint-Jérôme les 26 avril et 9 juin 2016. La travailleuse est présente et représentée par Me Michel Morissette. Monsieur Jacques Caza est présent pour l’employeur, Régie intermunicipale de police Thérèse-De Blainville, qui est représenté par Me Jean Beauregard.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           La travailleuse demande de déclarer qu’elle a droit à un retrait préventif de la travailleuse qui allaite. Elle invoque particulièrement que les interventions lors d’incendies peuvent constituer un danger pour son enfant allaité en raison des nombreux gaz qui peuvent s’y retrouver.

[7]           Elle considère qu’elle a droit à un retrait préventif pour allaitement pour la période du 5 janvier au 23 février 2015, date à laquelle elle est retournée à son travail.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           Le Tribunal administratif du travail doit déterminer si la travailleuse a droit au retrait préventif pour allaitement.

[9]           L’article 46 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[2] (la LSST) prévoit le droit pour une travailleuse de demander d’être affectée à des tâches qui ne comportent pas de dangers pour l’enfant qu’elle allaite :

46.  Une travailleuse qui fournit à l'employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers pour l'enfant qu'elle allaite peut demander d'être affectée à des tâches ne comportant pas de tels dangers et qu'elle est raisonnablement en mesure d'accomplir.

La forme et la teneur de ce certificat sont déterminées par règlement et l'article 33 s'applique à sa délivrance.

__________

1979, c. 63, a. 46.

[10]        La travailleuse est policière pour l’employeur et a accouché le 13 février 2014.

[11]        Le 24 décembre 2014, la docteure France Duquette produit un premier Certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite. Elle indique que la travailleuse est en congé parental, mais que son retour au travail est prévu le 4 janvier 2015. Elle recommande un retrait du travail en raison « de contacts avec des suspects ». Toutefois, elle ne semble pas avoir consulté le médecin désigné par le directeur de santé publique de la région et aucune évaluation des risques n’a été produite quant à ce certificat.

[12]        Le 29 décembre 2014, la travailleuse remet une copie de ce certificat à la CSST.

[13]        Néanmoins, une demande au Programme de maternité sans danger est ouverte par la CSST le 7 janvier 2015 et une étude de poste est réalisée par le CLSC Jean-Olivier Chénier. La travailleuse invoque alors d’autres risques, soit une exposition à la fumée, poussières et gaz lors d’incendies. Le Tribunal retient ceci de ce rapport :

La travailleuse mentionne qu’elle peut être exposée à différents contaminants chimiques lors d’intervention tel qu’accident automobile-feu-déversement ainsi qu’au monoxyde de carbone et gaz de combustion dû aux véhicules en fonction. [sic]  

[14]        Le 15 janvier 2015, un deuxième certificat visant le retrait préventif est produit par la docteure Duquette qui retient qu’il y a des risques chimiques de contamination du lait maternel.

[15]        Une évaluation du poste de travail est réalisée par l’équipe Service au travail du CLSC Jean-Olivier Chénier qui ne recommande pas un retrait préventif pour allaitement en fonction des facteurs de risque mentionnés par la travailleuse. Ce rapport est signé le 22 janvier 2015 par la docteure Mélanie Dionne, médecin désignée par le directeur de la santé publique de la région. Il y a lieu de retenir ceci de cet avis :

Il n’y a aucun facteur de risque ou agresseur pour lequel l’affectation ou le retrait préventif est recommandé.

Les interventions policières lors d’incendie ne présentent pas de risques pour la travailleuse allaitante si les consignes habituelles d’entrée dans un milieu sécurisé sont respectées.

Le(s) facteur(s) de risque ou agresseur(s) suivants n’ont pas été retenus:

• Facteurs de risque chimique : Fumée, poussières et gaz divers d’incendie (Source de l’exposition : produits chimique-produits de combustion) [sic]  

[16]        La CSST rend une décision le 30 janvier 2015 et informe la travailleuse qu’elle n’est pas admissible à un retrait préventif pour allaitement étant donné qu’elle considère qu’il n’y a pas de danger pour l’enfant allaité.

[17]        Le 13 mars 2015, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative et confirme celle rendue le 30 janvier 2015. Elle déclare que la travailleuse n’est pas admissible au retrait préventif pour allaitement.

[18]        Lors de l’audience, la travailleuse mentionne qu’elle occupe un poste de fonction supérieure pour l’employeur depuis janvier 2006. Ainsi, quand un sergent est absent, elle le remplace et fait la gestion de la patrouille. Elle est alors dans une auto-patrouille et se déplace lors d’appels. Elle doit couvrir les municipalités de Lorraine, Rosemère, Boisbriand et Ste-Thérèse.

[19]        Elle a recensé les divers événements reliés à des incendies où elle est intervenue depuis son entrée en fonction. Elle ajoute que lors d’une évacuation, elle doit s’assurer que les personnes ne soient plus à proximité de l’événement tandis qu’elle met en place un périmètre de sécurité après l’évacuation. Lorsqu’elle est la première arrivée, elle doit faire une intervention et aller directement sur les lieux de l’événement. Elle entre parfois à l’intérieur d’un bâtiment incendié afin de vérifier si des personnes sont toujours à l’intérieur.

[20]        Elle mentionne que lors de la remise du certificat, en janvier 2015, il n’y a pas de pompiers présents 24 heures par jour au poste de pompiers. Il y a une équipe en service durant les jours de la semaine tandis que les autres pompiers partent de leur domicile lors d’un appel. Elle ajoute que ce sont habituellement les policiers qui sont les premiers arrivés sur les lieux d’un incendie.

[21]        Lorsqu’elle agit à titre de fonction supérieure, elle se positionne à côté du chef incendie au poste de commandement, qui peut être, par exemple, de l’autre côté de la rue d’une maison en flammes. Elle estime que l’arrivée des pompiers survient de cinq à dix minutes après celle des policiers.

[22]        Lorsqu’elle agit comme patrouilleuse, elle peut se déplacer sur les lieux d’un incendie. Elle demeure sur place au moins deux heures dans le cas d’une résidence et plusieurs heures dans le cas d’une usine. Elle mentionne qu’elle respire de la fumée lors d’un incendie et a déjà eu la gorge irritée. Elle n’a jamais fait de réclamation à la Commission en raison d’une intoxication à la fumée, à des gaz ou à des liquides biologiques. Elle a à sa disposition des gants en nitrile et des gants de cuir ou en kevlar. Elle a aussi des lunettes de protection ainsi qu’un masque en papier de type chirurgical.

[23]        Elle relate le cas de l’usine Polyval en août 2006 où plusieurs résidences ont dû être évacuées sur plusieurs centaines de mètres. Elle fait aussi mention de ses diverses interventions lors d’incendies.

[24]        Elle a été en retrait préventif de la travailleuse enceinte à compter du 6 juin 2013, puis a eu un congé de maternité du 19 janvier 2014 au 3 janvier 2015.

[25]        Monsieur Van Hiep Nguyen témoigne à la demande de la travailleuse. Il est ingénieur-mécanique et agit à titre d’expert en qualité de l’air et hygiène industrielle. Il mentionne que lorsqu’il y a des odeurs, c’est un signe de la présence de contaminants. Toutefois, il peut arriver que certains contaminants, comme le gaz carbonique, n’aient pas d’odeur.

[26]        Il a produit une expertise le 26 novembre 2015 et a tenu compte du répertoire toxicologique de la Commission. Il mentionne que certains contaminants se retrouvent dans le lait maternel chez l’humain ou les animaux, d’autres se retrouvent dans les graisses tandis que d’autres peuvent avoir des effets cancérogènes.

[27]        Il commente le tableau 4-1 de son expertise qui porte sur les divers contaminants lors de feux ordinaires. Ces feux sont les incendies d’un véhicule, d’une résidence, d’une école, etc. Il indique que le benzène n’a pas d’odeur avant 3 ppm alors qu’il est dangereux à partir de 1 ppm. Il explique également le tableau 4-2 qui traite des contaminants qui se retrouvent dans les usines de Boisbriand.

[28]        Il mentionne qu’il est possible d’estimer la quantité de fumée de quelques matériaux courants. Ainsi, un feu ordinaire de quatre pneus en caoutchouc peut générer environ 100 000 m3 de fumée.

[29]        Il considère que des tâches réalisées par la travailleuse peuvent l’exposer à la fumée et considère qu’elle peut être exposée à des contaminants qui se retrouveraient dans son lait maternel. Il ajoute que ce ne sont pas tous les feux qui peuvent être dangereux pour l’enfant allaité et donne l’exemple d’un feu d’un barbecue.

[30]        Il ne peut préciser la concentration des contaminants lorsque la travailleuse est exposée lors d’un incendie ni préciser la durée de son exposition.

[31]        Il mentionne que les produits les plus courants lors d’un feu ordinaire sont les solvants, le formaldéhyde (se retrouve dans le contreplaqué et le bois), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), le chrome hexavalent et VI, le cadmium (dans les piles), le benzène (voitures, pétrole, essence), le plomb (vieille peinture) et le toluène. Il ajoute que, lors d’une exposition, une partie des contaminants se retrouve dans le lait maternel.

[32]        Enfin, il ajoute qu’il n’y a pas de norme d’exposition pour un bébé en bas âge.

[33]        Monsieur Jacques Caza témoigne à la demande de la travailleuse. Il est inspecteur-chef à la surveillance du territoire pour l’employeur. Il doit superviser la travailleuse. Il ajoute qu’à Ste-Thérèse, il n’y a pas de pompiers de nuit. Lors d’un appel de nuit, les pompiers partent de leur demeure et se dirigent vers la caserne. Ensuite, ils vont ensemble sur les lieux de l’incendie. Seul le chef d’équipe a un véhicule d’urgence et se rend directement sur les lieux de l’événement. Il ajoute qu’il y a une moyenne de neuf minutes entre un appel d’urgence et l’arrivée du premier pompier.

[34]        Pour Rosemère, il mentionne qu’il n’y a pas de pompiers de nuit ni durant la fin de semaine et que la municipalité de Lorraine est couverte par le poste de Rosemère.

[35]        Pour ce qui est de Boisbriand, il n’y a pas de pompiers durant la nuit et il n’est pas certain s’il y en a durant la fin de semaine.

[36]        Il indique qu’il n’a pas participé à une rencontre avec la travailleuse en préparation de son retour au travail. Il ajoute que de toute façon, lors d’un retrait préventif, les travailleuses ne sont pas au travail, car il n’y a pas de tâches possibles en quantité suffisante.

[37]        Monsieur François Boies témoigne à la demande de la travailleuse. Il est sergent chez l’employeur depuis 1994. Il mentionne qu’un patrouilleur doit intervenir lors d’incendies. Lorsque le policier arrive sur les lieux d’un incendie, il est possible de consulter des cartes d’appels sur l’ordinateur de bord afin d’en savoir plus sur les contaminants présents.

[38]        Enfin, les parties admettent que les substances du tableau 4-2 de l’expertise de monsieur Nguyen se retrouvent sur le territoire desservi par l’employeur. Le Tribunal rappelle que ce tableau porte sur les contaminants des usines de Boisbriand qui ont au moins un des trois critères toxiques pour l’enfant allaité.

[39]        Le Tribunal doit analyser si la travailleuse a droit à un retrait préventif pour allaitement.

[40]        Pour avoir droit à un retrait préventif pour allaitement, la travailleuse doit démontrer que ses conditions de travail comportent des dangers pour l’enfant qu’elle allaite.

[41]        La Commission des lésions professionnelles s’est penchée sur la notion de danger prévue par la loi dans la décision Centre hospitalier de St. Mary et Iracani[3] rendue par un banc de trois commissaires :

[92]      La Commission des lésions professionnelles conclut que pour constituer un « danger », les risques doivent être réels. Un risque virtuel, une crainte ou une inquiétude n’est pas suffisant pour conclure à un « danger ». La preuve doit démontrer que le risque est réel, que malgré tous les efforts faits pour le contrôler ou l’éliminer, il demeure présent et peut entraîner des conséquences néfastes pour la travailleuse enceinte ou pour l’enfant à naître. Enfin, pour qu’il constitue un « danger physique » au sens de l’article 40 de la LSST, ce risque doit présenter une probabilité de concrétisation qui est non négligeable.

[93]      Chaque cas est un cas d’espèce et doit faire l’objet d’une évaluation. La nature des risques, la probabilité de concrétisation des risques identifiés dans le milieu de travail et la gravité des conséquences sont les éléments déterminants pour décider si les conditions de travail comportent des « dangers physiques » pour la travailleuse enceinte ou pour l’enfant à naître.

[42]        Il s’agissait alors d’un retrait préventif pour une travailleuse enceinte, mais les principes s’adaptent tout à fait au retrait préventif pour l’enfant allaité[4]. Dans ce dernier cas, le danger peut provenir de l’allaitement par du lait contaminé par le milieu de travail et le risque est la probabilité que cette contamination survienne[5].

[43]        La travailleuse doit démontrer, par prépondérance de preuve, quels étaient les risques présents dans son milieu de travail et quelle est l’importance de ces risques afin de déterminer s’il y a un danger de contaminer l’enfant par le lait maternel.

[44]        Dans l’affaire Racine et Logifem inc.[6], la Commission des lésions professionnelles a réitéré qu’il s’agit de rendre une décision selon la prépondérance de la preuve :

[29]      La jurisprudence3 largement majoritaire de la Commission des lésions professionnelles veut que lorsqu’il y a divergence entre l’opinion du médecin traitant et celle du médecin de la direction de la Santé publique quant à l’existence d’un danger pour la femme enceinte ou qui allaite, la Commission des lésions professionnelles doit décider en fonction de la prépondérance de la preuve.

[30]      À prime abord, aucune des deux opinions n’a une valeur probante plus élevée uniquement en raison du rôle que joue son auteur.

________

3. Dionne et Clinique dentaire Laroche, C.L.P. 171978-32-0110, 14 avril 2002, L. Langois; Cusson Leduc et Ambulance Demers inc., C.L.P. 390816-62A-0910, 7 juin 2010, D. Rivard; Trudel et CH Affilié universitaire de Québec, C.L.P. 127684-32-9911, 16 mars 2000, M.-A. Jobidon; Ferland et CLSC du Richelieu Centre Rouville, C.L.P. 196986-62A-0212, 17 novembre 2003, J. Landry; Tremblay et Complexe Hospitalier de la Sagamy, C.L.P. 201767-02-0303, 12 mars 2004, C. Bérubé; Bonneau et Centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont, C.L.P. 314065-71-0704, 12 février 2008, M. Zigby.

[45]        Dans le présent cas, la docteure Duquette, médecin de la travailleuse, indique dans le certificat de retrait préventif du 15 janvier 2015 que la travailleuse peut être exposée à des contaminants chimiques en raison d’interventions de la travailleuse lorsqu’il y a des feux.

[46]        La docteure Dionne du CLSC Jean-Olivier Chénier retient dans son rapport qu’il n’y a pas de facteur de risques pour lequel l’affectation ou le retrait préventif est recommandé. Elle indique que la fumée, les poussières et les divers gaz d’incendie ne constituent pas des facteurs de risque.

[47]        La preuve démontre que la travailleuse, lorsqu’elle intervient dans le cas d’un incendie, est souvent la première répondante sur place avant l’arrivée des pompiers. Elle n’a pas à sa disposition de masque lui permettant de respirer de façon autonome. Tout au plus, elle peut porter un masque de type chirurgical fourni par son employeur.

[48]        Le Tribunal retient aussi que la travailleuse est exposée en moyenne à neuf feux par année. Les feux ordinaires sont les feux qui sont les plus communs. Selon la preuve, il s’agit de feux d’habitations ou de véhicules.

[49]        Le Tribunal considère qu’à ce stade-ci, il n’y a pas lieu de s’attarder aux incendies dans des industries puisque la preuve prépondérante démontre que la travailleuse est exposée beaucoup plus souvent à des feux ordinaires.

[50]        Le tableau 4.1 du rapport d’expertise de la travailleuse produit par monsieur Nguyen fait mention des contaminants des feux ordinaires qui ont au moins un des trois critères toxiques pour l’enfant allaité. Ainsi, il y est indiqué les contaminants qui se retrouvent dans le lait maternel en cas d’exposition, qui sont cancérogènes ou qui sont solubles dans la graisse. Il y a lieu de reproduire ce tableau :

Tableau 4-1 : Contaminants des feux ordinaires qui ont au moins un (1) des trois (3) critères toxiques pour l’enfant allaité (selon le répertoire toxicologique de la CSST)

 

Contaminants

(No. D’identification CAS)

Cancérogène

(1)

Soluble

dans la

graisse

Retrouvé

dans le lait maternel

 1

ACÉTALDÉHYDE                                         (75-07-0)

2A

-

-

 2

AMIANTE                                                (12001-29-5)

C1

-

-

 3

AMMONIAC                                            (7664-41-7)

-

-

Oui

 4

BENZÈNE                                                    (71-43-2)

C1

Oui

Oui

 5

BENZO (A) PYRÈNE                                  (50-32-8)

C1

-

Oui

 6

BPC                                                         (53469-21-9)

C1

Oui

Oui

 7

CADMIUM                                               (7440-43-9)

C2

-

Oui

 8

CARBOFURANE                                       (1563-66-2)

-

-

Oui

 9

CHROME HEXAVALENT                                -

-

-

Oui

10

CHROME VI                                                     -

C1

-

-

11

DIÉSEL                                                    (68334-30-5)

A3

-

-

12

DIOXYDE DE SOUFRE                            (7446-09-5)

-

-

Oui

13

ESSENCE                                                  (8006-61-9)

2B

-

-

14

FORMALDÉHYDE                                     (50-00-0)

C1/A2

-

-

15

HYDROCARBURES AROMATIQUES POLYCYCLIQUES

(HAP)                                                               -

C1

-

-

16

PLOMB                                                   (7439-92-1)

2B

-

-

17

TOLUÈNE                                                 (108-88-3)

-

Oui

Oui

18

XYLÈNE                                                  (1330-20-7)

-

Oui

Oui

 

        (1)  Le numéro 1 désigne une substance cancérogène démontrée chez l’humain.

Le numéro 2 désigne une substance cancérogène soupçonnée chez l’humain.

Le numéro 3 désigne une substance cancérogène démontrée chez l’animal.

Les lettres A, B et C désignent les codes des organismes qui ont fait la classification.

Les détails des trois (3) critères de toxicologie de chacun de ces contaminants dans le tableau 4-1 se retrouvent à l’annexe 1.

[51]        Dans la même expertise, monsieur Nguyen expose les effets des contaminants chimiques sur la santé de l’enfant allaité. Il y a lieu de reproduire un extrait de ce document :

Effet cancérogène

Les contaminants cancérogènes ne font l’objet d’aucun seuil d’exposition sans risque pour les adultes. C’est pour cette raison que le « Règlement sur la santé et la sécurité du travail » exige que les concentrations des cancérogènes soient réduites au minimum même si elles rencontrent les normes d’air du Règlement pour les travailleurs.

Donc, pour les enfants et nourrissons, il faudra réduire encore plus ces contaminants cancérogènes parce qu’ils n’ont pas de système de protection pleinement développé.

Effet neurotoxique

Certains contaminants, comme le plomb et les BPC, ont un potentiel neurotoxique bien connu chez les enfants exposés, même à des niveaux très faibles dans le sang.

Expositions multiples et exposition à des mélanges de substances

Lorsqu’une personne ou un enfant est exposé à des expositions de multiples contaminants en même temps ou à des mélanges de contaminants, comme les fumées des incendies, les effets à la santé sont additifs et même synergétiques. Par exemple, beaucoup de composés organiques volatils (COV), comme le benzène, le xylène et le toluène, ont des effets additifs reconnus par le « Règlement sur la santé et la sécurité du travail » pour les adultes.

Effets de bioaccumulation et de bioconcentration

Les contaminants dans les vapeurs d’essence sont très lipophiles et se retrouvent facilement dans le lait maternel et sont bioaccumulables. Par exemple, le facteur de bioconcentration du toluène (un (1) des composants de l’essence) dans le lait maternel est de 4,79, ce qui signifie que la concentration accumulée augmente de 4,79 fois par rapport à la concentration initiale.

Effets de transformation métabolite

La transformation métabolite implique que la substance mère (substance absorbée) est modifiée dans l’organisme par des enzymes qui favorisent sa dégradation et son excrétion. Dans certains cas, la transformation de la substance mère en produits dégradés (ou métabolites) amène plutôt une activation toxique parce que certains métabolites ont un potentiel toxique plus élevé que la substance mère. C’est le cas de plusieurs cancérogènes, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).

À l’heure actuelle, il n’y a pas de normes d’exposition pour les enfants naissants qui, de plus, n’ont pas les mêmes capacités de défense qu’un adulte. La prévention consiste donc à éliminer toute exposition aux contaminants cancérogènes, liposolubles ou qui sont connus pour être présents dans le lait de la travailleuse exposée. [sic]  

[52]        La travailleuse peut être exposée à des contaminants chimiques lorsqu’elle intervient lors d’incendies. Parmi ses tâches, elle peut entrer dans un lieu où il y a un incendie, procéder à une évacuation de personnes, éteindre avec un extincteur un véhicule en feu et établir un périmètre de sécurité.

[53]        Lors de feux ordinaires, la travailleuse peut notamment être exposée à de l’ammoniac, du benzène, du benzo(a)pyrène, du BPC, du cadmium, du carbofurane, du chrome hexavalent, du dioxyde de soufre, du plomb, du toluène et du xylène qui sont toutes des substances qui peuvent être retrouvées dans le lait maternel. Certaines de ces substances sont cancérigènes ou sont soupçonnées de l’être.

[54]        L’employeur a produit une étude, de décembre 2003, provenant de l’Institut national de santé publique du Québec qui avait pour objectif de développer une grille d’analyse de risque de transfert dans le lait maternel d’un contaminant chimique présent en milieu de travail[7].

[55]        Il y est noté que les études épidémiologiques concernant la contamination du lait maternel par des substances chimiques sont rares. De plus, il y a très peu de données sur les effets d’une contamination chimique du lait maternel sur le nouveau-né. Il y a lieu de retenir ceci de ce document :

En conclusion, les études épidémiologiques recensées ici viennent confirmer le fait que plusieurs contaminants chimiques présents en milieu de travail ont la capacité d’être excrétés dans le lait maternel. Le tableau 12 présente la synthèse des études épidémiologiques qui ont été analysées. Les faiblesses méthodologiques inhérentes à la plupart des études, notamment l’absence d’ajustement pour les autres sources d’exposition aux contaminants étudiés, ne permettent pas d’isoler la contribution spécifique du milieu de travail à la contamination du lait maternel. Enfin, les effets de la contamination du lait maternel sur la santé de l’enfant allaité, si l’on tient compte de la nature du contaminant, de sa concentration dans le lait maternel et de la durée de l’exposition (durée de l’allaitement) ont été très peu documentés. Le tableau 13 décrit les effets potentiels chez l’humain de la contamination du lait maternel par les substances chimiques qui ont été présentées dans la recension des écrits. Pour certaines de ces substances, l’EPA a proposé une norme pour l’eau potable. À la lecture de ce tableau, on peut effectivement constater que très peu de données relatives aux effets sur la santé des enfants et encore moins sur celle des nouveau-nés, sont disponibles. [sic]  

[56]        Toutefois, le Tribunal considère que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas ou peu d’études sur la contamination du lait maternel par des produits chimiques qu’il n’y a pas d’effets sur la santé de l’enfant allaité.

[57]        L’expert de la travailleuse, monsieur Nguyen, indique dans son témoignage et dans son rapport qu’il peut y avoir de grands risques de contamination du lait maternel et que certains contaminants sont cancérigènes et peuvent avoir des effets sur la santé de l’enfant dont le système immunitaire est peu développé. Il y a lieu de retenir ceci de son rapport :

Ø  Durant les interventions dans les feux ordinaires (résidences, voitures, industries et bâtiments), la travailleuse est exposée à au moins:

o   dix (10) contaminants qui sont reconnus pour être retrouvés dans le lait maternel, selon le répertoire toxicologique officiel de la CSST;

o   quatre (4) contaminants qui sont liposolubles et susceptibles de se retrouver dans le lait maternel;

o   douze (12) contaminants qui sont cancérogènes.

Ø  Durant les interventions dans les fuites de gaz, les feux ou les autres événements dans les usines, la travailleuse est susceptible d’être exposée à:

o   vingt-quatre (24) contaminants qui sont reconnus pour être retrouvés dans le lait maternel selon le répertoire toxicologique de la CSST;

o   dix (10) contaminants qui sont liposolubles et susceptibles de se retrouver dans le lait maternel;

o   seize (16) contaminants qui sont cancérogènes.

Ø  Certains de ces contaminants qui se retrouvent dans le lait maternel et par la suite dans l’enfant allaité ont des effets cancérogènes, des effets neurotoxiques, des effets additifs, de bioaccumulation et de bioconcentration et de transformation en métabolite plus dangereux, ce qui a pour effet d’augmenter les effets néfastes à la santé pour l’enfant qui n’a pas encore un système de défense développé.

Ø  Les tâches effectuées par la travailleuse, comme l’entrée en force dans un bâtiment en fumée, l’extinction des feux avec un extincteur portatif, l’évacuation des occupants et la sécurisation d’un périmètre, font exposer la travailleuse aux fumées et aux fuites de gaz. Il a été montré que la travailleuse est intervenue dans neuf (9) feux et deux (2) fuites en moyenne par an pour accomplir ces tâches. [sic]  

[58]        Dans l’affaire Dupuis et Terrapure[8], le Tribunal administratif du travail était saisi d’une contestation de la travailleuse d’une décision refusant un retrait préventif pour allaitement alors qu’elle était exposée à des produits chimiques. La travailleuse exerçait son travail dans une usine de récupération et de recyclage de déchets et elle ne pouvait pas identifier les produits nocifs. Il y a lieu de retenir ceci de cette décision :

[84]      De plus, la grande variabilité des produits reçus et traités par l’employeur et les substances connues et inconnues ou imprévisibles auxquelles la travailleuse peut être exposée appellent à la prudence et militent en faveur d’un retrait préventif afin d’éviter une contamination de l’enfant allaité et les effets néfastes reliés à celle-ci.

[59]        De même, dans l’affaire Caron et Corporation des techniciens ambulanciers de la Montérégie (C.E.T.A.M.)[9], la Commission des lésions professionnelles a déterminé que des techniciennes ambulancières ont des conditions de travail qui comportent des dangers de nature chimique et biologique pour l’enfant allaité. Le Tribunal retient ceci de cette décision[10] :

[549]    Il faut comprendre que les techniciennes ambulancières n’exercent pas leur profession en vase clos, mais dans toutes sortes de milieux et avec toutes sortes de personnes. Il est donc impossible de cibler avec précision tous les types d’exposition et toutes les substances auxquelles elles peuvent être confrontées.

 

[550]    En effet, la grande quantité de situations variées auxquelles elles doivent faire face, les substances connues et inconnues ou imprévisibles auxquelles elles peuvent être exposées et les contacts fréquents avec des liquides biologiques appellent à la prudence et militent en faveur d’un retrait préventif afin d’éviter une contamination de l’enfant allaité et les effets néfastes reliés à celle-ci.

[60]        Le Tribunal considère que la preuve prépondérante démontre la présence d’un danger pour l’enfant allaité de la travailleuse. La preuve prépondérante démontre que la travailleuse était exposée à des produits chimiques lors d’incendies. Elle est habituellement la première répondante lors d’incendies et doit intervenir directement afin de sécuriser les lieux, de procéder à une évacuation ou tenter d’éteindre, avec un extincteur, un feu d’un véhicule par exemple. De plus, lorsqu’elle agit à titre de fonction supérieure, elle se positionne à côté du chef incendie au poste de commandement qui est situé relativement près de l’incendie.

[61]        Cette proximité avec un incendie fait en sorte qu’il y a des risques réels de contamination du lait maternel qui présentent une probabilité de concrétisation qui est non négligeable.

[62]        L’employeur n’a pas prévu que la travailleuse n’ait pas à intervenir lors d’incendies et n’a pas mis en place une procédure particulière afin de s’assurer que la travailleuse ne soit pas exposée à des produits chimiques dans ces situations.

[63]        L’employeur n’a pas établi une telle procédure qui aurait permis à la travailleuse de continuer son travail tout en s’assurant que son enfant allaité ne soit pas contaminé par diverses substances chimiques. Il n’a pas tenté de réaffecter la travailleuse de façon à lui éviter d’intervenir lors d’incendies.

[64]        Dans les circonstances, le Tribunal retient que la preuve prépondérante démontre l’existence d’un danger pour l’enfant allaité. Le Tribunal est en accord avec le témoignage de l’expert de la travailleuse, monsieur Nguyen, sur cette question.

[65]        Il y a donc lieu de conclure que la travailleuse est admissible au retrait préventif de la travailleuse qui allaite et qu’elle a droit aux indemnités prévues par la LSST étant donné que l’employeur n’a pas proposé de réaffectation.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE la requête de madame Jo-Annie Chouinard, la travailleuse, du 24 mars 2015;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 13 mars 2015 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse est admissible au retrait préventif de la travailleuse qui allaite;

DÉCLARE que la travailleuse a droit aux indemnités prévues par la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

 

 

__________________________________

 

Michel Lalonde

 

 

 

Me Michel Morissette

POUDRIER BRADET, AVOCATS

Pour la partie demanderesse

 

Me Jean Beauregard

BÉLANGER SAUVÉ

Pour la partie mise en cause

 

 

Date de la dernière audience :      9 juin 2016

 



[1]          RLRQ, c. T-15.1.

[2]           RLRQ, c. S-2.1.

[3]           [2007] C.L.P. 395.

[4]           Dupuis et Terrapure, 2016 QCTAT 868.

[5]           Aubé et Ministère de la Sécurité publique, [2007] C.L.P. 656.

[6]           2013 QCCLP 2163.

[7]           Lise GOULET et al., Recension des écrits sur la contamination du lait maternel par des substances chimiques présentes en milieu de travail : proposition d'une grille d'analyse de risque de transfert d'un contaminant chimique dans le lait maternel, [S.l.], Institut national de santé publique du Québec, 2004.

[8]           Précitée, note 4.

[9]           2013 QCCLP 4324.

[10]         C.L.P. 338449-61-0801, 9 juillet 2008, S. Di Pasquale (08LP-116).

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