Commission scolaire des Phares c. Commission des lésions professionnelles

2007 QCCS 1875

        JB3141

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

RIMOUSKI

 

N° :

100-17-000616-062

 

DATE :

 25 avril 2007

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

GILLES BLANCHET, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

COMMISSION SCOLAIRE DES PHARES

 

Demanderesse

c.

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

et

 

CLAUDE-ANDRÉ DUCHARME

 

Défendeurs

et

 

LINDA BEAULIEU

 

Mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFICATIF

______________________________________________________________________

 

[1]                Deux erreurs matérielles se sont glissées dans un jugement prononcé en l'instance par le soussigné le 23 avril 2007.  À l'avant dernière ligne du paragraphe 39, d'une part, le soussigné référait au commissaire Simard, et non au commissaire Renaud.  De même, à la troisième ligne du paragraphe 55, le soussigné référait à madame De Champlain, et non à madame Bourdages.

[2]                Le présent jugement a pour seul objet de rectifier ces deux erreurs matérielles.

[3]                PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[4]         RECTIFIE le jugement rendu en l'instance le 23 avril 2007, cela de telle manière que les paragraphes 39 et 55 de ce jugement se lisent comme suit:

[39]   Dans ce contexte, le rôle de la Cour supérieure est maintenant de se pencher sur la dernière des décisions, celle du commissaire Ducharme, et de se poser en principe à son sujet une question à deux volets, savoir: était-il déraisonnable pour ce commissaire (1) de rejeter la requête en irrecevabilité de l'employeur pour se saisir de l'affaire et (2) de révoquer la décision antérieure du commissaire Simard au motif qu'elle était entachée d'un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider?

[55]  Ce lien de cause à effet, le commissaire Renaud le dégage d'une trame factuelle à laquelle les affidavits de l'employeur ne peuvent rien changer : la personnalité particulière de madame Beaulieu, et peut-être aussi celle de madame De Champlain, engendrent entre elles une inimitié qui les amène à porter plainte l’une contre l'autre.  Ensuite, l'employeur engage une enquête qui suscite chez madame Beaulieu l'impression, fondée ou non, qu'on lui a injustement préféré sa protagoniste.  Cette impression s'accentue lors de la rencontre du 12 octobre 1998, où on lui apprend sa suspension temporaire et l'imminence d'une sanction plus grave. S'ensuit aussitôt une tentative de suicide et, dès le lendemain, un diagnostic de dépression majeure.   

[5]         SANS FRAIS.

 

 

GILLES BLANCHET, j.c.s.

 

Me Jean-Claude Girard

POTHIER, DELISLE

Avocats de la demanderesse

 

Me Marie-France Bernier

LEVASSEUR VERGE

Avocats de la mise en cause

Commission des lésions professionnelles

 

Me Jean Laroche

PÉPIN ROY

Avocats de la mise en cause

Linda Beaulieu


Commission scolaire des Phares c. Commission des lésions professionnelles

2007 QCCS 1875

        JB3141

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

RIMOUSKI

 

N° :

100-17-000616-062

 

DATE :

 23 avril 2007

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

GILLES BLANCHET, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

COMMISSION SCOLAIRE DES PHARES, personne morale de droit public, ayant son siège social au 435, avenue Rouleau, Rimouski (Québec) G5L 8V4

 

Demanderesse

c.

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES, tribunal institué par la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, ayant un bureau régional au 355, boul. St-Germain Ouest, 2ème étage, Rimouski (Québec) G5L 3N2

 

et

 

CLAUDE-ANDRÉ DUCHARME, en sa qualité de commissaire de la Commission des lésions professionnelles, 355, boul. St-Germain Ouest, 2ème étage, Rimouski (Québec) G5L 3N2

 

Défendeurs

et

 

LINDA BEAULIEU, domiciliée et résidant au 1141, rue Beaudet, Mont-Joli (Québec) G5H 3Y6

 

Mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE

EN RÉVISION JUDICIAIRE

______________________________________________________________________

 

[1]    Préposée à la bibliothèque d’une école polyvalente de la Commission scolaire des Phares, Linda Beaulieu a subi une dépression majeure, qu’elle attribue au harcèlement dont elle aurait été l'objet dans le cadre de son travail entre avril 1997 et le 13 octobre 1998.  À la CSST, sa réclamation est d’abord rejetée, tant à l'étape initiale qu'à celle de la révision administrative, mais son appel devant la Commission des lésions professionnelles est maintenu et on la reconnaît victime d’une lésion professionnelle.

[2]                L'employeur se pourvoit alors en révision interne à la CLP et a gain de cause, mais une deuxième demande de révision, cette fois par la travailleuse, renverse de nouveau la situation, d'où la requête de l’employeur en révision judiciaire devant cette Cour.

Contexte

[3]                Linda Beaulieu, à l'emploi de la Commission scolaire des Phares depuis 1987, est affectée en 1997 comme agent de bureau au Centre de documentation de la polyvalente Le Mistral, à Mont-Joli.  Le 24 mai 1998, elle écrit à son supérieur pour se plaindre du climat de travail tendu qui prévaut à la bibliothèque et de ses rapports très difficiles avec la technicienne du service, Huguette DeChamplain.  Peu de temps après, la technicienne DeChamplain se voit contrainte à un arrêt de travail pour cause de maladie et, le 16 juin, elle dépose contre madame Beaulieu une plainte de harcèlement. 

[4]                La direction de l'établissement entreprend alors une enquête à laquelle le syndicat est appelé à participer.  Dans le cadre de cette démarche, la directrice des ressources humaines, Hélène Bourdages, convoque madame Beaulieu à son bureau, le 12 octobre 1998, pour recueillir sa version des faits.  Au terme de cet entretien, elle l’avise de sa suspension immédiate, avec solde, cela dans l'attente d'une décision du Conseil des commissaires, qui doit bientôt se réunir pour statuer sur son cas.

[5]                Dans la nuit qui suit, madame Beaulieu tente de mettre fin à ses jours par ingestion d'une surdose de médicaments.  Un diagnostic de dépression majeure est posé dès le lendemain 13 octobre. Madame Beaulieu, à compter de ce moment, ne travaillera jamais plus.

[6]                C'est le 25 mai 1999, seulement, que madame Beaulieu soumet sa réclamation à la CSST.   Deux jours plus tard, elle est avisée par lettre du refus de sa demande:

Il ne s'agit pas d'une maladie professionnelle, comme je vous l'ai précisé lors de notre conversation téléphonique.  De plus, vous n'avez pas démontré que cette maladie est caractéristique du travail que vous exerciez ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

[7]                S'autorisant de l'article 358 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (LATMP)[1], madame Beaulieu réclame la révision administrative de la décision, mais sa demande est rejetée au motif que sa réclamation initiale à la CSST a été déposée après l'expiration des délais impartis.  Dans l'avis de refus qui lui est expédié le 3 décembre 1998, la responsable de la révision ajoute:

Subsidiairement, la Révision administrative a analysé la réclamation de la travailleuse et, selon la preuve soumise au dossier, nous n'avons pas de preuve prépondérante à l'effet que celle-ci est victime d'un accident du travail en fonction de microtraumatismes dus au harcèlement que (sic) la travailleuse déclare être victime face à sa collègue de travail.

[8]                Les trois décisions qui suivront, dont celle sous étude, font suite à une contestation déposée par madame Beaulieu auprès de la Commission des lésions professionnelles.

Les décisions de la CLP

[9]                L'article 359 LATPM permet à la personne qui se croit lésée par une décision de la CSST rendue en révision administrative de la contester devant la Commission des lésions professionnelles (CLP).  En l'espèce, la contestation de la travailleuse est confiée au commissaire Michel Renaud, qui entreprend l'instruction à Rimouski le 4 juin 2001.  Au terme de cette première journée, la continuation de la séance est fixée au 6 juillet, date à laquelle certains témoins de l'employeur, toutefois, ne seront pas disponibles.

[10]           Désireux de compléter l'instruction à la date prévue, le commissaire Renaud suggère alors le dépôt d’affidavits.  De fait, à la reprise de l'audience, le 6 juillet, les parties s'entendent sur le dépôt des affidavits de trois témoins, dont Huguette DeChamplain, et ce pour valoir au même titre que des dépositions rendues à l'audience.  La partie syndicale, de ce fait, renonce à son droit au contre-interrogatoire.

La décision Renaud (le premier commissaire)

[11]           Dans une décision déposée le 4 février 2002, le commissaire Renaud pose d’abord en ces termes l'objet de la contestation:

La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision de la CSST et de déclarer que le trouble d'adaptation avec humeur anxio-dépressive a dégénéré en dépression majeure à cause du contexte dans lequel elle a été placée par son employeur entre avril 1997 et le 13 octobre 1998.

[12]           De là, le commissaire livre un compte rendu très détaillé de la preuve offerte à l'audience, sans relater toutefois le contenu des affidavits produits par l’employeur le 6 juillet, soit ceux de Huguette DeChamplain, Micheline Roy et Jacques Poirier.  Ces trois déclarations, pour l'essentiel, relatent divers incidents vécus dans l’entourage de madame Beaulieu sur les lieux de son emploi et tendent à démontrer que la travailleuse affiche depuis longtemps une propension marquée à fomenter le conflit avec ses collègues de travail.

[13]           Pour des motifs sur lesquels nous reviendrons, le commissaire Renaud retient que la dépression vécue par madame Beaulieu constitue une lésion professionnelle au sens de la Loi, puisqu’un lien direct de cause à effet existe entre son environnement de travail à la polyvalente Le Mistral et la pathologie constatée le 13 octobre 1998.

·             La décision Simard (le second commissaire)

[14]           L'article 429.56 LATMP dispose que la CLP peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision qu'elle a rendue, cela dans les cas suivants:

 1°  lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

[15]           C'est de cette disposition que s'autorise l'employeur pour demander à la CLP, le 21 mars 2002, de réviser ou révoquer la décision du commissaire Renaud, laquelle serait entachée de trois vices de fond de nature à l'invalider.  Pour l'essentiel, selon la requête, le commissaire Renaud aurait (1) mis de côté, de manière flagrante, une grande partie de la preuve, (2) dénaturé les témoignages reçus de manière biaisée et partiale et (3) omis de motiver sa décision comme le lui impose la loi.  

[16]           En août 2002, le commissaire Pierre Simard entend les représentations des parties sur dossier et entreprend un délibéré qui se prolongera sur plus de deux ans.  Au terme de l’exercice, le commissaire dépose une décision de 571 paragraphes, couvrant 110 pages de texte, par laquelle il révise la décision du commissaire Renaud et déclare que madame Beaulieu n'a pas subi de lésion professionnelle en octobre 1998.

·             La décision Ducharme (le troisième commissaire)

[17]           L'article 429.56, comme nous l'avons vu, permet de réclamer de la CLP la révision ou révocation d'une décision qu'elle a rendue, cela dans trois cas précis, mais sans autre réserve quant à la possibilité que la décision en révision puisse elle-même faire l’objet d’une demande de révision ou révocation fondée sur l’un ou l’autre des trois motifs prévus à cette même disposition.  L'article 429.58, par ailleurs, dispose qu'une décision de la CLP a un caractère obligatoire et que, sur dépôt au greffe de la Cour supérieure, elle devient exécutoire comme un jugement final et sans appel de cette Cour.

[18]           Devant la décision du commissaire Simard, qui avait comme effet de la ramener à la case départ, madame Beaulieu avait donc le choix entre la demande de révision à la CLP en vertu de l'article 429.56 ou la requête en révision judiciaire devant la Cour supérieure (article 33 C.p.c).  Elle opte alors pour la révision ou révocation à la CLP, ce qui donné lieu de la part de l'employeur à un moyen préliminaire, d'abord, de la nature de la requête en irrecevabilité, puis à une contestation sur le fond.

[19]           Dans une décision déposée le 24 février 2006, le troisième commissaire, Claude-André Ducharme, se penche d'abord sur le moyen d'irrecevabilité de l'employeur, selon lequel la décision de son prédécesseur, le second commissaire, aurait épuisé la compétence de la CLP en vertu de l'article 429.56.

[20]           S'appuyant sur deux précédents émanant de la CLP[2], le commissaire conclut que la décision rendue en révision sous l'empire de l'article 429.56 peut elle-même donner ouverture à une demande au même effet, cela à la condition qu'il ne s'agisse pas pour l’une des parties de faire valoir de nouveau un moyen qu'elle aurait déjà tenté sans succès d'invoquer lors de la première révision.

[21]           Ainsi, bien que la décision en révision de la CLP soit finale et sans appel, elle pourra être sujette à révision ou révocation, par exemple, si elle est elle-même affectée d'un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider, comme le soutenait en l'instance la travailleuse.

[22]           Le commissaire Ducharme rejette donc le moyen d'irrecevabilité de l’employeur et s'engage sur le débat de fond.  Avant d'exposer les motifs de sa décision, il souligne que les deux membres chargés de le conseiller concluent comme lui au rejet du moyen de non-recevabilité de l'employeur et, sur le fond, au maintien de la requête en révision de la travailleuse.  De façon unanime, donc, on retient que le commissaire Simard a commis un vice de fond fatal en s’appropriant la preuve soumise devant le commissaire Renaud pour la réapprécier, ce qu'il ne pouvait faire dans le contexte d'une demande en révision selon l'article 429.56 LATMP.

[23]           Pour l'essentiel, le commissaire Ducharme décide que si le vice de fond ou de procédure visé à l'article 429.56 peut consister en une erreur manifeste de fait ou de droit, cette erreur, toutefois, ne doit pas concerner l'appréciation de la preuve ou l'interprétation d'une règle de droit, puisque le réviseur, dans un tel contexte, ne siège pas en appel de la décision de son collègue. 

[24]           Sur ce principe, le commissaire Ducharme s'autorise de deux arrêts de la Cour d'appel[3] qui invitent la C.L.P. à la plus grande retenue dans l'exercice du pouvoir de révision et de révocation prévu à l'article 429.56 LATMP.  Dans le plus récent de ces arrêts, C.S.S.T. c. Fontaine, le juge Morissette écrit:

(51)  En ce qui concerne la raison d'être de la révision pour un vice de fond de cette ordre, la jurisprudence est univoque.  Il s'agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d'être décrites.  Il ne saurait s'agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première

(Notre soulignement)

[25]           Analysant la décision de son collègue Simard sous l'éclairage de ce principe, le commissaire Ducharme conclut que ce dernier y a dérogé en décidant que le premier commissaire, Michel Renaud, n'avait pas suffisamment motivé sa décision.  Celui-ci, en effet, n'avait pas l'obligation de rapporter en détail tous et chacun des éléments de preuve, ni de discuter à fond de tous les arguments soumis de part et d'autre, et il lui suffisait d'expliquer en termes compréhensibles les bases de sa décision.  Or, ici, contrairement à l'absence totale de motifs qui avait justifié l'intervention de la Cour supérieure dans Société des services Ozaram inc. c. Commission municipale du Québec et al,[4] le raisonnement du premier commissaire ressortait de sa décision d'une manière tout à fait compréhensible.  Le troisième commissaire écrit à ce sujet:

[80]     En effet, on comprend qu’il en vient à celle conclusion parce qu’il considère que la lésion psychique qu’elle a subie est reliée aux conflits qu’elle a vécus avec sa collègue du centre de documentation, au fait que l’employeur n’a pas traité de manière équitable la plainte qu’elle a logée en mai 1998 et à la suspension qu’il lui a imposée, lors de la rencontre du 12 octobre I998 à la suite d’une enquête qu’il juge viciée.

[81]       Par ailleurs, il retient que la présence d’une condition psychique personnelle chez madame Beaulieu ne s’opposait pas à la reconnaissance d’une lésion professionnelle.

[82]    À la lecture de la décision, il ressort que le premier commissaire accorde une      valeur probante au témoignage de madame Beaulieu, qu’il ne fait pas la même lecture de la preuve que l’employeur et qu’il rejette la thèse de ce dernier, comme il l’indique à divers endroits.

[83]       Les raisons qu’il énonce demeurent succinctes, mais elles sont suffisamment exposées pour qu’on comprenne son raisonnement et, dans ce contexte, on ne peut certainement pas conclure que la décision comporte une absence totale de motivation.

[26]           Pour conclure, le troisième commissaire ajoute que devant le premier, les affidavits produits par l'employeur ne devaient pas être tenus pour avérés dans leur intégralité, comme le soutenait l’employeur, puisqu'ils étaient au moins en partie contredits.  Dans ce contexte, dit-il, l'appréciation de la force probante relative de ces affidavits, au regard de la preuve, appartenait au premier commissaire et le second n'avait pas à intervenir dans le cadre de la demande de révision pour cause prévue à l'art. 429.56.  Enfin, le commissaire Ducharme juge sans importance l'erreur commise par le premier commissaire en rapport avec les demandes passées de madame Beaulieu auprès de la C.S.S.T., puisque sa décision ne reposait pas sur ce constat erroné.  Ici encore, dit-il, le second commissaire aurait dû s'abstenir de toute intervention.

Discussion et décision

[27]           Dans un premier temps, le Tribunal doit déterminer la norme de contrôle à laquelle il lui faudra s'astreindre dans son examen de la décision sous étude, c'est-à-dire le degré plus au moins grand de réserve judiciaire dont il devra faire montre dans cet exercice de révision.  Cela fait, il lui faudra s’en tenir à cette norme de contrôle à l’égard de la décision du commissaire Ducharme, étant précisé que la norme pourrait n'être pas la même pour l'un et l'autre des deux volets de cette décision visés par la contestation, soit (1) le moyen d'irrecevabilité soumis à ce commissaire et (2) la décision rendue par ce dernier sur le fond.

[28]           Dans le cadre de cet exercice, et en s'imposant le degré prescrit de retenue, le Tribunal sera appelé à se pencher sur la norme de contrôle à laquelle étaient eux-mêmes assujettis les commissaires Renaud (2) et Ducharme (3) dans l'exercice du pouvoir de révision et de révocation auquel ils ont été conviés tour à tour en application de l'article 429.56 LATMP 

·             Détermination de la norme de contrôle judiciaire

[29]           Pour ce qui est de la décision rendue sur le fond par le troisième commissaire, la détermination de la norme de contrôle imposée à la Cour supérieure ne soulève aucune difficulté.  Dans sa requête, en effet, l'employeur soumet que la norme applicable serait celle de la décision raisonnable simpliciter, à laquelle nous réfèrent aussi la C.L.P. et la travailleuse.

[30]           De fait, l'analyse dite pragmatique et fonctionnelle, à laquelle nous convie la Cour suprême[5] en cette matière, conduit à cette norme de contrôle dans le cas d'une décision rendue par la CLP selon l'article 429.56 de la loi.  Le degré élevé de spécialisation de cet organisme, pris isolément, aurait pu dicter la norme plus contraignante de la décision manifestement déraisonnable, mais le type et la nature des décisions impliquées, qui font appel à l'application de règles de droit, accordent aux tribunaux de droit commun une latitude plus étendue.  Par conséquent, le niveau de réserve applicable à la décision sur le fond correspond à la norme intermédiaire de la décision raisonnable simpliciter. [6]

[31]           Sur le volet premier de la contestation, toutefois, lié au moyen d'irrecevabilité soumis par l'employeur à l'ouverture de l'audience devant le troisième commissaire, il y a divergence de vues.  Dans sa requête, en effet, l'employeur suggère que la norme de contrôle applicable ici serait celle de la décision correcte, donc la plus rigoureuse, puisque le commissaire Ducharme, à cette étape du processus, décidait de sa compétence à se saisir de la contestation et à en disposer.  La CLP et la travailleuse, pour leur part, font valoir que la norme serait encore ici celle de la décision raisonnable simpliciter.

[32]           La position de l'employeur à ce chapitre s'appuie sur un jugement rendu en 1996 par le juge Pierre Dalphond, alors à la Cour supérieure, dans Sivaco Québec c. C.A.L.P. & als[7].  Ce jugement s’autorisait lui-même de l’arrêt rendu la même année par la Cour d'appel dans Épiciers unis Metro-Richelieu c. Régie des alcools, des courses et des jeux[8], mais ces précédents sont antérieurs aux arrêts de principe de la Cour suprême qui imposent maintenant aux cours supérieures de jauger leur pouvoir de révision (donc leur devoir de réserve) en fonction de l'analyse dite pragmatique et fonctionnelle.

[33]           Or, depuis l'instauration de cette méthode d'analyse, qui fait maintenant autorité au pays, le niveau de déférence dû à bon nombre d'organismes décisionnels soumis au pouvoir de surveillance et de contrôle des cours supérieures a été précisé, de telle sorte que l'exercice en quatre étapes de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, dans le cas de ces organismes, n'a plus à être répété de fois en fois.  Ainsi, lorsque la CLP du Québec décide de sa compétence à entendre et à disposer d'une demande en révision ou révocation de l'une de ses décisions, cela en application de l'article 429.56 LATMP, il est maintenant acquis que la norme de contrôle imposée à la Cour supérieure est celle de la décision raisonnable simpliciter.[9]  Cette norme de contrôle mitoyenne, en conséquence, trouvera application à chacune des deux étapes de l'analyse.

·             La décision raisonnable simpliciter

[34]           Au plan pratique, selon les enseignements de la Cour suprême, l’analyse assujettie à la norme de la décision raisonnable simpliciter doit se coller de près aux motifs exprimés dans la décision sous révision, et non aux motifs qui, de l’avis du réviseur, seraient les bons.  Voici comment le juge Iacobucci, dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan[10], situe la norme dans son application concrète :

(47)       La teneur d’une norme de contrôle est essentiellement définie par la question que la cour doit se poser quand elle examine une décision administrative. La norme de la décision raisonnable consiste essentiellement à se demander «si, après un examen assez poussé, les motifs donnés, pris dans leur ensemble, étayent la décision». C’est la question qu’il faut se poser chaque fois que l’analyse pragmatique et fonctionnelle décrite dans Pushpanathan, précité, dicte l’application de la norme de la décision raisonnable. La déférence requise découle de la question puisqu’elle impose à la cour de révision de déterminer si la décision est généralement étayée par le raisonnement du tribunal ou de l’instance décisionnelle, plutôt que de l’inviter à refaire sa propre analyse.

[35]           Dans cet exercice, le juge Iacobucci suggère de garder à l’esprit la définition de la décision raisonnable simpliciter  que propose l’arrêt Southam:

Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. [11]

[36]           Or, précise t-il :

(55)       La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement  amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait.  Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu’une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision.

[37]           Et le juge met par ailleurs en garde contre la tentation de scruter trop à fond une décision en dehors du cadre précis des motifs qui y sont exprimés :

(56)       Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. Une cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit toujours évaluer si la décision motivée a une base adéquate, sans oublier que la question examinée n’exige pas un résultat unique précis. De plus, la cour ne devrait pas s’arrêter à une ou plusieurs erreurs ou composantes de la décision qui n’affectent pas la décision dans son ensemble.

·             Application de la norme en l’espèce

[38]           La demande d'indemnisation de la travailleuse Linda Beaulieu, rappelons-le, aura fait l'objet à ce jour de cinq (5) décisions.  Les deux premières, rendues par la CSST sur dossier, l'ont rejetée.  La troisième, en appel à la CLP, l'a accueillie suite à une audition tenue en vertu de l'article 359 de la Loi.  Enfin, les deux dernières, rendues sur dossier suite à des demandes de révision ou révocation selon l'article 429.56, ont conduit tour à tour au rejet, puis au maintien de la réclamation.

[39]           Dans ce contexte, le rôle de la Cour supérieure est maintenant de se pencher sur la dernière des décisions, celle du commissaire Ducharme, et de se poser en principe à son sujet une question à deux volets, savoir: était-il déraisonnable pour ce commissaire (1) de rejeter la requête en irrecevabilité de l'employeur pour se saisir de l'affaire et (2) de révoquer la décision antérieure du commissaire Renaud au motif qu'elle était entachée d'un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider?

[40]           Au stade de la révision judiciaire devant la Cour supérieure, toutefois, le premier volet de cette question devient sans objet puisque le troisième commissaire a disposé de l’irrecevabilité et du fond dans une seule et même décision.  Or, si la seconde demande de révision devant ce commissaire était à l’origine irrecevable en droit, elle était à plus forte raison non fondée sur le fond et devrait être révisée.  Par ailleurs, au regard de la norme de contrôle applicable, le rejet du moyen de recevabilité de l’employeur, tel que motivé par le commissaire Ducharme, n’était de toute manière certes pas déraisonnable, eu égard aux précédents constants en cette matière.[12]  C’est donc à la décision de fond qu’il y a lieu de s’arrêter à ce stade, comme l’a d’ailleurs fait lui-même le procureur de l’employeur lors de l’audience.

[41]           La norme de la décision raisonnable simpliciter, selon l’arrêt Southam, dicte comme nous l’avons vu une analyse « assez poussée » des motifs exprimés par le décideur.  Dès lors, en l’espèce, il nous faudra poser un regard assez attentif sur les trois décisions de la CLP, puisque chacune d’elles a révoqué la précédente.  Dans cette démarche, un premier constat s'impose à ce stade: des cinq décideurs appelés à se prononcer à ce jour sur le cas de madame Beaulieu, un seul, le commissaire Renaud, l'a fait après avoir tenu une audition au cours de laquelle il a entendu les témoins, ordinaires et experts, des deux parties directement impliquées, en l'occurrence la travailleuse et l'employeur.

[42]           Or, à l'examen des dispositions pertinentes de la Loi, on voit ressortir de façon très claire l'intention du législateur de conférer à la Commission des lésions professionnelles une compétence qui, à des fins d'accessibilité, d'équité et de cohérence institutionnelle, devrait pouvoir s’exercer à l'abri de toute ingérence extérieure indue, notamment par les tribunaux de droit commun.  Ainsi, l'article 369 prévoit que la CLP statue, dans les matières prévues par la loi, « à l'exclusion de tout autre tribunal ».  En vertu de l'article 377, par ailleurs, la CLP a le pouvoir de décider « de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence » et l'article 429.49 dispose que cette décision est « finale et sans appel ».  Comme si pareille exclusivité ne suffisait pas, l'article 429.58 confère à la décision de la CLP « un caractère obligatoire », tout en précisant que cette décision sera exécutoire « comme un jugement final et sans appel de la Cour supérieure » et qu'elle en aura « tous les effets ».  Enfin, l'article 429.59 exclut entre autres le recours en révision judiciaire à la Cour supérieure, sauf sur une question de compétence.  Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a ici clause privative parfaite.

[43]           Dans cet environnement législatif très étanche, face à une première décision de la CLP favorable à la travailleuse, celle du commissaire Renaud, le seul et unique recours de l'employeur était d'invoquer l'article 429.56, qui permet à la CLP elle-même de se réviser dans trois cas précis et limitatifs: ou bien on est en présence de faits nouveaux, ou bien on n'a pu se faire entendre devant le premier décideur, ou bien la décision, comme on la soumis ici, « est affectée d'un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider ».

[44]           Selon une jurisprudence constante, le vice de fond envisagé à l’article 429.56 (3) de la Loi peut consister en « une erreur manifeste, de faits ou de droit, qui est déterminante sur l'issue du litige »[13].  Ainsi, la première question qui se pose, à l'examen des décisions antérieures, est celle de savoir si le second commissaire, Simard, pouvait conclure comme il l’a fait à l'existence d'un tel vice de fond dans la décision Renaud.  Qu’en est-il ?

[45]           Aux paragraphes 55 et suivants, après avoir correctement identifié sa marge de manœuvre restreinte en vertu de l’article 429.56  (3) LATMP, le commissaire Simard énonce comme suit les raisons pour lesquelles il lui faut procéder à une étude détaillée et attentive de l'ensemble de la preuve soumise devant le commissaire Renaud:

[51]   La Commission des lésions professionnelles doit conclure que le premier commissaire, à sa section  «Les motifs de la décision» a énoncé une série de conclusions, de constats sur son appréciation aussi bien de la preuve factuelle que médicale ainsi que sur la crédibilité relative de chacune des personnes qui furent appelées à témoigner ou à offrir un affidavit.

[52]     Ces constats ont tous leur importance puisqu'ils définissent une lecture de la preuve documentaire et testimoniale qui retient le premier commissaire pour sous-tendre les conclusions juridiques où il parvient.

[53]     Or, c'est à cette lecture de la preuve que s'attaque la présente requête en révision dans tous les éléments qu'elle soulève en ce que le premier commissaire commet plusieurs erreurs manifestes et déterminantes résultant en une lecture qui ignore, de façon non motivée, les éléments essentiels de la preuve offerte par l'employeur.

[54]    Comme le premier commissaire, à sa section « Les motifs de la décision » , ne rattache pas ses constats et ses conclusions sur la lecture du dossier à une étude approfondie des éléments de preuve qui lui furent offerts, tout particulièrement sur les contradictions existantes entre les différentes versions, la Commission des lésions professionnelles n'a pas d'autre choix que de procéder à une étude détaillée et attentive de l'ensemble de la preuve offerte au premier commissaire ainsi que des éléments factuels qu'il retient à sa section « Les faits », pour décider s'il a commis effectivement des erreurs manifestes et déterminantes, le tout en corrélation avec les reproches que lui adresse l'employeur par le biais de sa requête en révision.

(Les soussignés sont du Commissaire).

[46]           De là, aux paragraphes 57 à 320 (pages 32 à 71), le Commissaire Simard dissèque un à un tous les témoignages, tous les affidavits et tous les rapports médicaux produits au dossier.  L'exercice s'accomplit de manière on ne peut plus soigneuse et exhaustive, avec une précision chirurgicale.  Aucune contradiction, aucune discordance, aucune imprécision ni erreur matérielle, même anodine, n'échappe à l'analyse du réviseur, qui s'applique à les mettre en relief avec la plus grande minutie.

[47]           Au terme de cette analyse, le commissaire Simard en vient à conclure que son collègue Renaud a «évacué de sa lecture»[14] les affidavits produits par l'employeur et que cette omission suffit à justifier son intervention en vertu de l'article 429.56 LATMP.  De là, il procède à un réexamen complet de la preuve dans son ensemble et en dégage comme conclusion que madame Beaulieu n’a pas subi de lésion professionnelle indemnisable en octobre 1998, son état résultant plutôt d’une condition personnelle préexistante.

[48]           Or, qu’en était-il en réalité de la décision Renaud au plan de l’appréciation de la preuve, de l’énoncé des motifs et de l’exposé de la conclusion ?  Après un exposé de la preuve, le premier commissaire s'engage dans une analyse approfondie des opinons médicales présentes au dossier, sous forme de rapports ou de témoignages à l'audience, puis il reproduit la presque totalité des notes écrites soumises par les représentants des parties.  Cela fait, il aborde la décision en posant d'emblée que l’interprétation des faits proposée par l'employeur ne résiste pas à l’analyse sous plusieurs rapports et qu’elle n'est pas raisonnable.  Puis il enchaîne:

[42] (…)  La plainte logée par la travailleuse devait être traitée en toute justice et équité par l'employeur.  De plus, considérant le contexte, il n'est pas possible de prendre pour acquis toutes les affirmations qui apparaissent à l'affidavit de madame DeChamplain pour contredire le témoignage, précis et concordant de la travailleuse.

[43]     Parallèlement, les témoignages de madame Boileau et de madame Roy n'ajoute rien à la preuve.  L'enquête de madame Bourdages est, en ce qui nous concerne, viciée dans sa forme depuis le début. Elle ignore la lettre de la travailleuse et donne suite à la plainte de madame DeChamplain.  Elle avise la travailleuse de son enquête, seulement, le 21 septembre 1998.  Elle collaborait avec le mandataire de madame DeChamplain entre juillet et septembre.  Par ailleurs, la prémisse de la rencontre du 12 octobre 1998 est claire pour madame Bourdages et elle ne se préoccupe pas des conséquences pour la travailleuse : «Je l'informe que nous sommes dans une situation où nous n'avons pas le choix d'agir et qu'il y aura une recommandation à la réunion des commissaires du 26 octobre.  Je lui dis qu'on ne peut replacer Huguette dans la même situation à la bibliothèque». 

[49]           Pour une intelligence convenable du litige et de la discussion qui va suivre, il paraît nécessaire de reproduire ici l'extrait de sa décision dans lequel le commissaire Renaud expose sa compréhension du lien de causalité qui existe entre l’environnement de travail vécu à la bibliothèque de la polyvalente Le Mistral, la conduite de l'employeur et l'état dépressif qui a conduit la travailleuse à une tentative de suicide, au cours de la nuit du 12 au 13 octobre 1998.  C’est ici, en effet, que se trouvent les bases véritables de la décision du premier commissaire :

[48]       En conjuguant l’analyse de la preuve médicale et la preuve factuelle, nous retenons qu’il est impossible de nier l’importance des conflits organisationnels et des tensions associées au milieu de travail dans l’exacerbation de la symptomatologie.  De plus, la tentative de suicide dans la nuit du 12 au 13 octobre 1998 à une cause immédiate, maintenant bien connue. C’est, à notre avis, le contexte qui s’est développé entre mars et octobre 1998 et dont la travailleuse a pris, brusquement conscience lors de cette malheureuse réunion du 12 octobre 1998 qui est, selon nous, l’événement imprévu et soudain survenu sur les lieux du travail qui est la cause immédiate de la lésion professionnelle, au sens de l’article 2 de la LATMP. Il n’est pas possible de retenir la thèse actuelle de l’employeur à l’effet que cette rencontre visait à susciter une prise de conscience de la part de la travailleuse. La réunion est d’abord et avant tout planifiée pour assurer le retour au travail de madame DeChamplain, et ce, à ses conditions. Le témoignage de la présidente du syndicat confirme que les objectifs de cette réunion ont clairement dépassé ce qui avait été convenu.

[49]       Au plan légal, il n’est pas possible de conclure que la travailleuse a été exposée « à des problèmes administratifs auxquels tous les salariés peuvent s’attendre d’être confrontés. » Il n’est pas non plus possible de conclure que la seule personnalité de la travailleuse explique la crise dans laquelle elle a été plongée. À ce chapitre, nous faisons nôtre l’appréciation du Dr Poulin à l’effet « que quelqu’un qui a un trouble de la personnalité n’aurait jamais traversé tout ce que madame a traversé sans avoir de passage à l’acte, que ce soit envers elle ou envers les autres, ce qui témoigne à quel point madame n’a pas une personnalité pathologique au point où on a tenté de le démontrer.»

[50]           Le Commissaire cite ensuite plusieurs précédents jurisprudentiels ayant reconnu l'admissibilité d'une réclamation à la CSST en dépit d'une condition préexistante ou d'une prédisposition antérieure.  Puis il écrit:

[67]   En la présente, l'employeur a insisté sur l'importance de la condition personnelle de la travailleuse pourtant la travailleuse n'avait pas eu de crises avant d'être à son emploi.  La prise en charge par la CSST pour des troubles d'adaptation avec humeur anxio-dépressive pour les périodes du 19 mars au 27 avril 1992 et du 6 septembre 1996 au 6 janvier 1997 la rendait vulnérable à des rechutes, récidives et/ou aggravations, au sens de la LATMP.  L'employeur se devait, en conséquence, d'être encore plus prudent dans la façon de gérer les activités de la travailleuse. Le Dr Côté constate que l'employeur était mal équipé pour gérer ce contexte particulier et qu'il a failli à la tâche. Il est évident que cette travailleuse ne pouvait servir de monnaie d'échange dans ce qui paraît avoir été un curieux troc entre le syndic et la directrice du personnel de la Commission scolaire.  D'ailleurs, madame Castonguay, la présidente du syndicat, confirme qu'elle n'aurait jamais accepté un congé sans solde.  Elle a été surprise des décisions.

[51]           Ce passage, notons-le, comporte une erreur qui ne manquera pas d'être soulignée aux étapes suivantes de révision devant la CLP.  Les troubles antérieurs d'adaptation et d'humeur anxio-dépressive chez madame Beaulieu, en effet, avaient bien donné lieu à réclamation auprès de la CSST, mais il n'y avait pas eu prise en charge par l'organisme puisque la demande d’indemnisation, pour chacune des périodes concernées, avait été rejetée.  Mais cette erreur, pour manifeste qu’elle soit, n’a pas la moindre incidence sur le fond du présent débat.

[52]           Avant de conclure et de maintenir la réclamation de la travailleuse, le commissaire Renaud souligne l'obligation de prudence accrue à laquelle devait s'astreindre l'employeur en raison, justement, des prédispositions pathologiques affectant madame Beaulieu.  Il en dégage ce qui suit en rapport avec la rencontre fatidique du 12 octobre 1998: 

[68]   Les conséquences médicales d'un événement de gérance mal planifié et dont les conséquences n'avaient pas été encadrées sont connues et la jurisprudence établit clairement que l'employeur ne peut être excusé des dommages physiques ou psychiques causés par ses agents.  Cette conclusion est véridique même lorsque les mandataires de l'employeur agissent à l'intérieur de leur mandat.  Il y a un prix à payer pour les attitudes, les comportements et les décisions prises, en la présente.  Il est évident que la travailleuse ne doit pas être la seule victime d'une situation qu'elle n'a pas voulue et dont elle vit les conséquences, depuis trop longtemps.

[53]           Le raisonnement du Commissaire se termine sur une référence à la plainte que madame Beaulieu avait elle-même adressée à son supérieur immédiat, en mai 1998, et dont l'employeur aurait choisi de ne pas tenir compte, dit-il, suite à la plainte subséquente de madame Bourdages:

[69]    La démarche entreprise par madame Beaulieu le 24 mai 1998 apparaît légitime et dans le meilleur intérêt de l'employeur.  Ce n'est pas la suite que l'employeur a choisi de donner aux demandes de la travailleuse.  L'employeur doit en assumer les conséquences.

[54]           Pour peu que l'on se donne la peine de lire ces extraits de la décision Renaud avec attention et bonne foi, on comprend qu’il conclut comme il le fait non pas en ignorant les affidavits produits par l'employeur, mais bien plutôt en dépit des incidents et du contexte qui y sont décrits.  En d'autres termes, comme il le suggère en particulier aux paragraphes 48 et 67, reproduits plus haut, la propension antérieure de madame Beaulieu aux conflits interpersonnels, telle que relatée dans les affidavits de l'employeur, ne suffit pas à mettre de côté le lien de cause à effet que le commissaire Renaud identifie entre l'environnement de travail, d'une part, et d’autre part une lésion professionnelle qui a pris ici la forme d'une dépression.

[55]           Ce lien de cause à effet, le commissaire Renaud le dégage d'une trame factuelle à laquelle les affidavits de l'employeur ne peuvent rien changer : la personnalité particulière de madame Beaulieu, et peut-être aussi celle de madame Bourdages, engendrent entre elles une inimitié qui les amène à porter plainte l’une contre l'autre.  Ensuite, l'employeur engage une enquête qui suscite chez madame Beaulieu l'impression, fondée ou non, qu'on lui a injustement préféré sa protagoniste.  Cette impression s'accentue lors de la rencontre du 12 octobre 1998, où on lui apprend sa suspension temporaire et l'imminence d'une sanction plus grave. S'ensuit aussitôt une tentative de suicide et, dès le lendemain, un diagnostic de dépression majeure.

[56]           Le commissaire Renaud, qui œuvre ici au cœur même de sa compétence, dans un exercice qui constitue son quotidien, conclut que la toile de fond dévoilée devant lui par l'employeur, à travers les affidavits de trois anciens supérieurs ou collègues de travail, ne permet pas d’ignorer le lien de cause à effet qui se dégage par ailleurs de l'ensemble de la preuve.

[57]           Eu égard au caractère parfaitement intelligible de ce raisonnement, le commissaire Simard n’avait pas à intervenir en révision selon l'article 429.56 de la loi, puisqu'il ne se trouvait aucunement en présence d'un vice de fond ou de procédure qui soit de nature à invalider la décision finale et sans appel de son collègue.  En substituant son appréciation des faits à celle du commissaire Renaud, malgré les balises strictes que lui imposait la Loi, il s’est arrogé un pouvoir qu’il ne possédait pas et a lui-même prêté le flanc à révision pour vice de fond.  Saisi de cette demande en révision, le commissaire Ducharme y a fait droit après une analyse exhaustive du dossier et les motifs qui l’y ont amené, nous venons de le voir, n’ont certes rien de déraisonnable au regard de la norme de contrôle applicable en l’espèce.

[58]           PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[59]            REJETTE la requête en révision judiciaire de la demanderesse ;

[60]            AVEC DÉPENS.

 

 

 

GILLES BLANCHET, j.c.s.

 

 

Me Jean-Claude Girard

POTHIER, DELISLE

Avocats de la demanderesse

 

Me Marie-France Bernier

LEVASSEUR VERGE

Avocats de la mise en cause

Commission des lésions professionnelles

 

Me Jean Laroche

PÉPIN ROY

Avocats de la mise en cause

Linda Beaulieu

 

Date d’audience :

17 octobre 2006

 



[1]     L.R.Q., c. A-3.001.

[2]     Rivard c. C.L.S.C. des Trois Vallées, C.L.P. 137-750-64-0005-R, 31 juillet 2001, S. Di Pasquale; Philippe and Bowater c.  Pâtes et Papiers (Gatineau), C.L.P. 217109-07-0309, 18 octobre 2005, L. Nadeau.

[3]     Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, C.A. Montréal 500-09-011014-016, 28 août 2003, jj. Mailhot, Rousseau-Houle et Rayle; C.S.S.T. c. Fontaine, (2005) C.L.P. 626 (C.A.).

[4]     C.S. Montréal 500-05-011300-934, 7 janvier 1994, D. Grenier, j.c.s.

[5]     Voir d’abord U.E.S., local 298 c. Bibeault, (1988) 1 R.C.S. 1048, puis Pushpanathan c. Canada, (1998) 1 R.C.S. 982 et Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, (2003) 1 R.C.S. 226 .

[6]     Bourassa c C.L.P. et Hydro-Québec, (2003) C.L.P. 601 (C.A., Mailhot, Rousseau-Houle, Rayle); Voir aussi Lagarde c. C.L.P. et Blanchard, (2004) C.L.P. 1846 (j. Dufresne, j.c.s.).

[7]     C.S. Montréal 500-05-035213-972, 16 juin 1998.

[8]     (1996) R.J.Q. 608 .

[9]     C.S.S.T C. Fontaine et C.L.P., supra, note 3;  Amar c. C.L.P., (2003) C.L.P. 606 (C.A.); T.A.Q. c. Godin, (2003) R.J.Q. 2490 (C.A.).

[10]    (2003) 1 R.C.S. 247 .

[11]    (1997) 1 R.C.S. 748 .

[12]    Supra, note 2, p. 5.; voir aussi Tremblay et Service de réadaptation Sud-Ouest, (1993) C.A.L.P. 1377 ;

[13]    Produits forestiers Donohue inc. & Villeneuve, (1998) C.L.P. 733 ;  Franchellini & Sousa, (1998) C.L.P. 783 .

[14]    Décision Simard, par. 337, p. 79

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