Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Unidindon inc. et Djuma

 

 

2013 QCCLP 1402

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

4 mars 2013

 

Région :

Montérégie

 

Dossiers :

449791-62-1109     482800-62B-1209     483150-62-1209

 

Dossier CSST :

137006607

 

Commissaire :

Alain Vaillancourt, juge administratif

 

Membres :

Robert Dumais, associations d’employeurs

 

Stéphane Brodeur, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

449791, 482800

483150

 

 

Unidindon inc.

Omar Djuma

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Omar Djuma

Unidindon inc.

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

Commission de la santé et de la sécurité du travail

 

Commission de la santé et de la sécurité du travail

Partie intervenante

Partie intervenante

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 449791-62-1109

 

[1]           Le 23 septembre 2011, Unidindon inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 19 septembre 2011 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 19 juillet 2011. Elle déclare que le diagnostic de hernie discale L4-L5 est en relation avec l’événement du 2 novembre 2010 et que monsieur Omar Djuma, le travailleur, a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) pour ce diagnostic.

Dossier 482800-62B-1209

[3]           Le 19 septembre 2012, l’employeur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 24 août 2012 à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST déclare nulle la décision du 14 juin 2012, parce qu’il s’agit d’une reconsidération irrégulière, et rétablit celle du 28 mai 2012 qui concluait que le travailleur était capable d’exercer son emploi depuis le 13 juillet 2011 et qu’il n’avait plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date.

[5]           De plus, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 26 juillet 2012 et déclare qu'elle était justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 25 juillet 2012.

Dossier 483150-62-1209

[6]           Le 27 septembre 2012, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste lui aussi la décision de la CSST rendue le 24 août 2012 à la suite d’une révision administrative.

[7]           Le travailleur et l’employeur sont présents et représentés à l'audience du 30 janvier 2013 à Saint-Hyacinthe. Le dossier a été pris en délibéré le 12 février 2013 sur réception des documents demandés par le tribunal à l'audience et des arguments des représentants des parties à l’égard de ces documents.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

[8]           Le travailleur demande de rétablir la décision du 14 juin 2012 statuant qu’il a droit aux indemnités jusqu’à ce que la CSST se prononce sur sa capacité de travail. Il demande également de conclure que la CSST n’aurait pas dû suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu et qu’elle aurait dû reprendre le versement des indemnités dans la mesure où il n’a pas la capacité de refaire son emploi.

[9]           L’employeur demande de confirmer la décision rendue en révision administrative annulant celle du 14 juin 2012 et rétablissant celle du 28 mai 2012. Le cas échéant, il demande de déclarer que le travailleur était redevenu capable d’exercer son emploi le 1er mars 2012 et que la CSST était justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 25 juillet 2012.

[10]        Si le tribunal en arrive à la conclusion que le rapport complémentaire n’est pas liant, il demande de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle entérine l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale. Par ailleurs, il allègue que la preuve est prépondérante pour conclure que le travailleur n'a pas subi une hernie discale le 2 novembre 2010.

LES FAITS

[11]        Le travailleur est préposé aux réfrigérateurs, c’est un travail qui implique le soulèvement ou la manipulation de charges pouvant atteindre 50 kg. Le travailleur nie tout antécédent de douleurs au dos à son accident du travail du 2 novembre 2010, date à laquelle, il se blesse dans les circonstances ainsi rapportées à sa réclamation du 16 novembre 2010 :

Je pilais de boite, en faisant descendre la palette elle a voulu me tomber deçu, je l’ai bloqué sur ma poitrine elle m’a fait reculé en arrière et j’ai senti une douleur au dos. [sic]

 

 

[12]        Le 3 novembre 2010, il obtient un arrêt de travail pour une entorse lombaire. Le 10 novembre 2010, il est dirigé en physiothérapie pour cette condition. Les traitements débutent le 17 novembre 2010. Un diagnostic d’entorse lombaire est posé à nouveau le 18 novembre 2010.

[13]        Le 18 novembre 2010, le travailleur passe une radiographie du rachis lombosacré qui est interprétée comme révélant une minime ébauche de prolifération ostéophytique marginale antérieure et postérieure au niveau L4-L5.

[14]        Le 1er décembre 2010, le médecin note que la lombalgie persiste.

[15]        Le 2 décembre 2010, la CSST reconnait que le travailleur a subi un accident du travail dont le diagnostic est entorse lombaire.

 

 

[16]        Le 14 décembre 2010, le travailleur est examiné par le docteur Maynard à qui il déclare des symptômes neurologiques nouveaux depuis quelques jours, une incontinence urinaire et une diminution de la force dans le membre inférieur droit. Après examen, le médecin conclut à des symptômes sensitivomoteurs aux racines L4-L5-S1 droit, sans évidence clinique de symptômes de queue de cheval actuellement. Il prescrit une tomodensitométrie.

[17]        Cet examen est effectué le 17 décembre 2010 et est interprété comme révélant un complexe disco-ostéophytique aux niveaux L4-L5 et L5-S1 entraînant un léger effet de sténose spinale au niveau L4-L5 et potentiellement en contact avec les racines S1 droite et gauche au niveau L5-S1. Le radiologiste suggère de compléter avec une imagerie par résonance magnétique.

[18]        L’imagerie par résonance magnétique est réalisée le 28 décembre 2010 et est interprétée comme révélant une discopathie dégénérative en L4-L5 et L5-S1 avec des hernies discales à large rayon de courbure à ces deux niveaux, le tout ne créant pas de sténose spinale ni foraminale significative. À corréler aux données cliniques.

[19]        Le 4 janvier 2011, le travailleur est examiné par le docteur Mario Séguin, neurochirurgien, auquel il avait été recommandé par le docteur Mayrand pour une hernie discale L4-L5 droite et une sténose spinale L4-L5. Le médecin note que les myotomes sont discordants avec l’imagerie et l'examen sensitif. Il conclut qu’il n'y a pas d’évidence de syndrome de la queue de cheval, qu’il y a une discordance clinico-radiologique et il prescrit un électromyogramme.

[20]        Le 27 janvier 2011, la CSST décide qu’il n'y a pas de relation entre l’événement du 2 novembre 2010 et le diagnostic de sténose spinale posé par le docteur Mayrand.

[21]        Le 1er février 2011, le docteur Jocelyn Blanchard, neurochirurgien, diagnostique une lombosciatalgie.

[22]        Le 15 avril 2011, le docteur Léo Berger, neurologue, examine le travailleur et procède à un électromyogramme. Le tribunal considère à propos de citer les passages suivants de son rapport :

HISTOIRE : Il s’agit d’un patient qui a eu un accident de travail au mois de novembre dernier lorsqu’il a tenté de retenir des palettes qui tombaient vers lui, au dessus de sa tête. Il a développé une douleur lombaire intense et un diagnostic d’entorse lombaire a été posé mais il a par la suite ressenti une sensation paresthésique au niveau des deux jambes quoique avec traitement de physiothérapie, les symptômes au niveau des membres inférieurs ont disparu. Il a encore des douleurs lombaires cependant. Les examens d’imagerie lombaire ont apparemment montré une hernie discale.

 

EXAMEN : À l’examen, il s’agit d’un patient costaud. La masse musculaire, les forces segmentaires sont normales aux deux membres inférieurs. Les réflexes ostéo-tendineux sont le + symétriques aux genoux et chevilles. L’examen sensitif et moteur est normal.

 

CONDUCTIONS NERVEUSES : L’étude des nerfs SPE et tibial moteurs gauches ainsi que SPE et sural sensitifs gauches est normale.

 

L’électromyographie du tibialis antérieur et gastrocnemius droits et gauches a été normale.

 

L’électromyographie du tibialis antérieur et gastrocnemius droits et gauches a été normale.

 

IMPRESSION : Étude électrodiagnostique du système nerveux périphérique des membres inférieurs normale. Pas d’évidence de radiculopathie aux membres inférieurs.

 

 

[23]        Le 30 juin 2011, le docteur Séguin diagnostique une hernie discale L4-L5 médiane, une compression durale et indique qu’il y a un plafond en physiothérapie. Il mentionne qu’il n’y a pas d’indication chirurgicale et donne son congé au travailleur tout en prescrivant une épidurale et en indiquant qu’il y a des limitations fonctionnelles permanentes à prévoir.

[24]        Le 13 juillet 2011, le travailleur est examiné à la demande de l’employeur par le docteur Jules Boivin, orthopédiste, lequel conclut ainsi sur la question du diagnostic :

Absence de pathologie organique identifiable. En effet, si Monsieur Djuma a présenté en cours d’évolution des signes cliniques évocateurs d’une entorse lombaire, il n’en demeure aucun stigmate au moment de la présente évaluation. Personnellement, il m’est également impossible de soutenir le diagnostic d’hernie discale et ce, en l’absence de signes cliniques évocateurs d’une telle pathologie sur le plan clinique.

 

 

[25]        Compte tenu d’éléments discordants et incohérents, il est d’avis de consolider la lésion le jour de son examen sans nécessité de soins ou traitements supplémentaires et à son avis, il n’y a pas de limitations fonctionnelles ni d’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur.

[26]        Le 19 juillet 2011, la CSST reconnaît la relation entre le nouveau diagnostic de hernie discale L4-L5 et l’événement du 2 novembre 2010. L’employeur a demandé la révision de cette décision, laquelle a été confirmée en révision administrative le 19 septembre 2011 d’où la requête dans le dossier 449791.

[27]        Le 15 août 2011, le docteur Séguin, à qui l’employeur a transmis le rapport de son médecin, le docteur Boivin, remplit un rapport complémentaire dans lequel il pose un diagnostic de hernie discale L4-L5 avec contact dural. Il mentionne que le travailleur doit subir une épidurale et que la lésion sera consolidée ensuite.

[28]        Le travailleur est pris en charge par le docteur Paul Sader à compter du 27 août 2011 pour une hernie discale L4-L5.

[29]        Le 2 septembre 2011, le docteur Marc Filiatrault procède à une épidurale caudale qui tourne mal, le travailleur présentant une réaction toxique. Il s’en est suivi un épisode de parésie aux membres inférieurs pour lequel le travailleur a été hospitalisé du 3 au 16 septembre 2011.

[30]        Le 30 septembre 2011, le travailleur passe à nouveau une imagerie par résonance magnétique où le radiologiste fait les observations suivantes

À L4-L5, on retrouve toujours une hernie centrale modérément volumineuse, associée avec de la déchirure radiaire. Elle déprime l’aspect antérieur du fourreau dural et cause secondairement une légère sténose spinale. Ceci est mis en évidence sur la séquence axiale : le fourreau dural mesurant environ 7 mm vis-à-vis la hernie. Il y a déplacement donc de plusieurs racines nerveuses, ce qui peut expliquer à la rigueur les paresthésies sur les territoires de L5 ou de S1. Il n’y a toutefois pas d’extension foraminale, les racines sortantes de L4 paraissent libres.

 

À L5-S1, il y a aussi une discrète hernie centrale, mais beaucoup plus discrète et ne montrant pas de compression radiculaire. Il n’y a pas de sténose spinale non plus à ce niveau.

 

[31]        Le radiologiste conclut ainsi :

Pas de complication aiguë évidente dans les colonnes dorsale ou lombaire.

 

Spécifiquement, pas d’hématome ou de compression médullaire. On revoit une hernie à L4-L5 qui était déjà connue qui pourrait expliquer les symptômes radiculaires sur les territoires de L5 ou de S1 droit et gauche.

 

 

[32]        Le 6 octobre 2011, le docteur Sader réfère le travailleur à la clinique de la douleur, il diagnostique un trouble d’adaptation.

[33]        Le 8 novembre 2011, le travailleur est vu chez NOCI Clinique pour une évaluation intégrée à deux volets (condition psychologique et capacités fonctionnelles).

[34]        Le 29 novembre 2011, le docteur Sader diagnostique une hernie discale L4-L5 et un trouble de l’adaptation.

[35]        Le 26 janvier 2012, le docteur Sader diagnostique une hernie discale L4-L5 et un trouble d’adaptation et indique que les traitements de physiothérapie se poursuivent. Il revoit le travailleur le 29 février 2012.

[36]        Le 12 mars 2012, madame Manon Houle, psychologue clinicienne chez NOCI Clinique, conclut qu’elle n'a relevé aucun symptôme psychologique cliniquement significatif et qu’elle n’a pas cru bon d’entamer une démarche thérapeutique vu ce qui suit :

Au cours de cette implication en réadaptation, plusieurs éléments sont mis en relief pour éliminer l’hypothèse de l’hystérie de conversion des diagnostics plausibles pour expliquer la symptomatologie de monsieur.

 

1. Sa symptomatologie fluctue de manière dramatique en fonction de ses besoins pyschosociaux.

 

2. Sa capacité fluctue de manière dramatique en fonction de ses besoins d’obtenir ou pas la coopération de la physiothérapeute dans son dossier CSST.

 

3. Monsieur tient des propos incohérents pour expliquer ses nombreuses absences ou ses retards. À plusieurs reprises, il fournit une excuse à une intervenante et une autre excuse à une autre ou il invente des excuses non plausibles. Ce type de comportement relève de la sphère consciente et ne peut être réconcilié avec un diagnostic d’hystérie de conversion.

 

De plus, au cours de la démarche en réadaptation, les plans de monsieur étaient de créer une entreprise et d’obtenir une subvention pour son projet. Il s’impliquait dans ce projet de manière active.

 

 

[37]        Le 21 mars 2012, le travailleur est revu par le médecin désigné par l’employeur, le docteur Boivin, qui rédige alors un nouveau rapport d’expertise médicale où il conclut ce qui suit :

Conclusions :

 

1. Est-ce que vos constats sur le plan clinique sont superposables à ceux retenus lors de votre évaluation 2011, quant au diagnostic, la nécessité, la suffisance de traitements, la date de consolidation, l’atteinte permanente, les limitations fonctionnelles.

 

Sur le plan clinique, l’examen de ce jour montre une fois de plus certaines discordances et incohérences qui rendent impossible l’interprétation de la réalité clinique. Dans un tel contexte, il m’est impossible de mettre en évidence une pathologie organique identifiable sur le plan musculosquelettique. Par conséquent, la date de consolidation peut être fixée rétrospectivement au 13 juillet 2011, sans nécessité de soins ou de traitements additionnels, sans atteinte permanente à l’intégrité physique et sans limitation fonctionnelle.

 

2. Quelles sont les plaintes et les limitations fonctionnelles rapportées par le travailleur ?

 

Capacité du travailleur à exercer ses activités de la vie quotidienne telles que :

 

-           Se déplacer en marchant, avec ou sans aides techniques tel que :

-           Monter et descendre des escaliers;

-           Conduire son véhicule automobile ou se déplacer en véhicule automobile sans effectuer la conduite;

-           Se laver;

-           S’habiller;

-           Tâches d’entretien du domicile;

-           Tâches relatives aux soins des enfants.

 

Activités auxquelles s’adonne le travailleur au cours d’une journée;

 

-           Sorties à l’extérieur de sa résidence;

-           Commissions, magasinage.

 

En réponse à cette question, je vous réfère à l’item plaintes subjectives et plus spécifiquement à l’énumération des activités de la vie quotidienne.

 

3. Est-ce qu’il y a concordance entre les allégations subjectives et les constatations objectives ?

 

Les plaintes subjectives alléguées par Monsieur Djuma débordent le cadre objectif, tout comme les résultats de l’investigation.

 

4. Quelles sont vos observations d’ensemble quant à la capacité fonctionnelle de Monsieur ?

 

Personnellement, je suis d’avis que Monsieur Djuma ne présente pas d’incapacité fonctionnelle proprement dite pour ce qui est de l’aspect musculosquelettique.

 

 

[38]        Le 29 mars 2012, le travailleur revoit le docteur Séguin qui remplit un rapport final où il note que le travailleur n’a pas été pas soulagé par l’épidurale et qu’il y a un plafonnement en physiothérapie à laquelle il met fin. Il consolide la lésion le jour même tout en indiquant que la lésion entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles. Il ne produira pas le Rapport d'évaluation médicale.

[39]        Le travailleur revoit le docteur Sader le 2 avril 2012  qui note qu’il a été évalué en neurochirurgie, que la lésion est consolidée et que les traitements de physiothérapie sont cessés.

[40]        Le 16 avril 2012, le médecin désigné par l’employeur, le docteur Boivin, rédige un rapport complémentaire à la suite d'informations additionnelles qui lui sont communiquées par l’employeur, dont un rapport de filature. Il conclut ainsi :

Considérant tout ce qui précède, je mentionnerai, dans un premier temps, que les informations additionnelles qui m’ont été fournies confirment mon impression clinique concernant la nette discordance entre les plaintes subjectives alléguées par le travailleur et les activités auxquelles s’adonne réellement M. Djuma. Sur toutes les séquences vidéo que j’ai visualisées, à l’exception des deux séquences du 11 avril 2012, j’ai constaté que M. Djuma se déplaçait avec aisance, sans hésitation apparente, de façon harmonieuse et sans jamais utiliser d’aide technique, ce qui va totalement à l’encontre des observations rapportées par Mme Stéphanie Paré lors de sa rencontre avec M. Djuma le 11 avril 2012 et mes propres observations provenant des deux séquences d’une vidéo de surveillance du 11 avril 2012.

 

Je compléterai ma réflexion sur ce dossier en mentionnant qu’eu égard aux plaintes subjectives alléguées par M. Djuma, il n’existe aucune corrélation entre ses allégations et les activités observées sur les séquences de filature et les observations rapportées par Mme Stéphanie Paré.

 

 

[41]        Le 17 avril 2012, le travailleur se rend à l'usine à la demande de l’employeur, il est alors confronté à certaines informations voulant qu’il n’ait pas les incapacités qu’il prétend. Il est suspendu pour analyse de son dossier.

[42]        Le 19 avril 2012, le travailleur revoit le docteur Sader. Il se dit de mieux en mieux, il est plus actif, il s’occupe et fait des exercices légers. Il est inquiet pour la douleur. Le médecin note qu’il est essentiel de faire de l’activité et qu’il est normal que la douleur fluctue. Il indique qu’au plan physique le travailleur semble connaître une évolution positive.

[43]        Le 26 avril 2012, le travailleur est convoqué à nouveau chez l’employeur où une lettre de congédiement lui est lue et remise.

[44]        Le 30 avril 2012, le docteur Sader remplit un premier rapport complémentaire après que l’employeur lui eut transmis le rapport du 21 mars 2012 de son médecin désigné, le docteur Boivin. Le docteur Sader y écrit ceci :

J’ai révisé le rapport du Dr Boivin portant sur l’évaluation du 21 mars 2012.

 

J’ai rencontré une première fois M. Djuma le 27 août 2011. Il me parlait d’hernie discale et avait rendez-vous prévu pour le 2 sept. 2011 afin de procéder à une épidurale avec le Dr Filiatrault, physiatre. J’ai revu M. Djuma à quelques reprises depuis cette visite initiale. En effet, la clinique semble être parfois très discordante à ce qu’exprime M. Djuma.

 

Je suis de l’avis que M. Djuma a fait une dépression suite à sa condition physique, il y avait même des éléments laissant croire à une pathologie psychiatrique telle hystérie de conversion. J’ai demandé une évaluation en psychiatrie afin de mieux définir cette pathologie et la traiter si elle était pour évoluer.

 

Au plan physique je suis en accord avec les conclusions du Dr Boivin.

 

 

[45]        Le 25 mai 2012, le travailleur est informé par la CSST que le docteur Sader a entériné les conclusions du médecin de l’employeur à savoir que la lésion est consolidée sans déficit anatomo-physiologique ni limitations fonctionnelles et que l’indemnité de remplacement du revenu prend fin vu que la lésion psychologique est refusée.

 

[46]        Le 26 mai 2012, le docteur Sader revoit le travailleur, il diagnostique une lombalgie avec dépression secondaire et indique que le travailleur est en attente d’un rendez-vous en psychiatrie. Il mentionne que le travailleur est apte à un travail léger. Il indique qu’il va discuter avec la CSST à la demande du travailleur afin d’évaluer les limitations. Le travailleur lui dit qu’on la lâché. Le médecin note qu’au dernier rendez-vous il lui donnait l’impression que son état était en voie d’amélioration.

[47]        Le 28 mai 2012, le docteur Sader rédige une notre dans laquelle il demande à la CSST de le contacter pour discuter du dossier du travailleur « + rapport médical du neurochirurgien il n’y pas eu de consolidation ».

[48]        Le 28 mai 2012, la CSST rend une décision où elle décide que le travailleur est capable rétroactivement au 13 juillet 2011 d’exercer son emploi et l’informe que l’indemnité de remplacement du revenu qui lui a été versée du 13 juillet 2011 au 25 mai 2012 ne lui sera pas réclamée puisqu’il n’avait pas été informé qu’il était capable d’exercer son emploi.

[49]        Le 4 juin 2012, le docteur Sader discute avec un médecin du bureau médical de la CSST qui retient ceci de leur conversation :

Appel au Dr Sader à sa demande :

 

Le Dr Sader veut savoir où nous en sommes dans le processus légal et s’il doit continuer son suivi.

 

Je lui rappelle qu’il a entériné l’expertise du Dr Jules Boivin orthopédiste et ce, sur tous les points. Il me demande si c’est lui le médecin traitant.

 

Je lui réponds que selon les critères définissant le médecin traitant nous devons considérer que c’est lui puisqu’il a assumé la majeure partie du suivi.

 

Il me confie qu’il suit le travailleur au sans rendez-vous, qu’il s’agit d’un suivi très difficile car il n’a pas toutes les informations en main (il n’a jamais eu aucun document de neurochirurgien de Sherbrooke qui aurait aussi suivi le travailleur ni ceux de son hospitalisation au CH Pierre-Boucher), et que le travailleur présente une problématique psychiatrique qu’il a de la difficulté à cerner et pour laquelle il a demandé une consultation en psychiatrie.

Le travailleur n’a cependant pas été vu encore.

 

Je lui explique qu’étant donné sa réponse au rapport complémentaire, la lésion est consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles et que la CSST n’a plus d’obligation légale envers le travailleur. Il me demande s’il peut reconsidérer sa réponse au rapport complémentaire car il croit que le travailleur aurait à tout le moins des limitations fonctionnelles. Il est cependant d’accord avec la consolidation.

 

Je lui ferai parvenir les documents qu’il lui manque afin qu’il puisse rendre une opinion éclairée et lui demande de nous faire parvenir s’il y a lieu un nouveau rapport final en nous indiquant :

 

1. le diagnostic retenu

2. la date de consolidation

3. s’il y a atteinte permanente (en fonction du diagnostic retenu)

4. s’il y a limitations fonctionnelles

 

Je lui explique que s’il ya litige entre ses conclusions et celles du Dr Boivin, nous acheminerons le dossier au Bureau d'évaluation médicale.

 

 

[50]        Le 8 juin 2012, l’agent d’indemnisation de la CSST avise le travailleur que ses indemnités de remplacement du revenu seront reprises à compter du 26 mai 2012 :

J’explique au travailleur que suite à notre conversation avec son médecin traitant, Docteur Sader, il y a lieu de reprendre ses indemnités de remplacement du revenu à partir du 2012-05-26 puisque celui-ci nous a confirmé qu’il n’était pas en accord avec tous les points de l’expertise 209 faite en mars dernier.

 

Il nous a mentionné être d’accord avec la consolidation, mais il croit que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles.

 

Travailleur me répond que c’est ce que son médecin lui a dit lors de sa dernière rencontre avec lui la semaine dernière.

 

Je lui relate que son médecin nous a demandé de lui faire parvenir des documents médicaux qui lui manquait, soit les notes cliniques de son hospitalisation ainsi que les notes du Dr. Séguin, ce qui a été fait en début de semaine.

 

J’indique au travailleur que j’aimerais qu’il revoit son médecin traitant la semaine prochaine afin que celui-ci lui remette, son RMF en nous indiquant s’il conserve de l’APIPP et des limitations fonctionnelles afin de clarifier ces informations au dossier.

 

Par la suite, je lui indique qu’il sera probablement convoqué en expertise pour l’évaluation de ses séquelles physiques.

 

 

[51]        Le 12 juin 2012, le docteur Sader remplit un rapport final où il consolide la lésion au 29 mars 2012 tout en indiquant que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur et des limitations fonctionnelles. Il ne produira pas le Rapport d'évaluation médicale. Il inscrit aussi qu’après révision du dossier, dont il lui manquait une bonne partie, il est d’avis que le travailleur présente une hernie discale et qu’il conserve des limitations fonctionnelles.

[52]        Le 14 juin 2012, la CSST décide qu’ « en vertu de l’article 365, 1er alinéa de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, il y a lieu de reconsidérer la décision du 28 mai 2012 concernant votre capacité à exercer votre emploi. Compte tenu du rapport final du 12 juin 2012 précisant l’existence de limitations fonctionnelles, il y a lieu de modifier la décision. En conséquence, vous conservez votre droit aux indemnités jusqu’à ce que nous nous soyons prononcés sur votre capacité de travail ».

[53]        L’employeur a demandé la révision de la décision du 14 juin 2012. Le 24 août 2012, la CSST, à la suite d’une révision administrative, a annulé la décision du 14 juin 2012 et rétablit celle du 28 mai 2012. Le travailleur a déposé une requête à l’encontre de cette décision (dossier 483150).

[54]        Le 15 juillet 2012, le docteur Sader remplit un second rapport complémentaire où il indique ce qui suit :

J’ai révisé le rapport du Dr Boivin portant sur l’évaluation du 21 mars 2012. De plus, j’ai revu le dossier de M. Djuma dont il me manquait une grande partie lorsque j’ai rempli le rapport complémentaire (date du 2012-4-30).

 

En effet, il semble avoir une discordance importante et variable entre la clinique et la radiologie. Avec la présentation initiale de M. Djuma, l’imagerie et les évaluations du Dr Séguin je suis de l’avis que le diagnostic d’hernie discale doit être gardé. L’évolution plutôt lente ainsi que la variabilité et les inconsistances dans la présentation clinique de M. Djuma sont possiblement en lien avec une pathologie psychologique sous-jacente.

 

Je suis de l’avis que M. Djuma est resté avec des limitations fonctionnelles suivant sa blessure.

 

 

[55]        Par ailleurs, la CSST a été avisée par l’employeur de l’existence de vidéos de filature le 30 avril 2012. Les vidéos ont été transmises à l’agent au dossier le 4 juillet 2012 qui en a pris connaissance le 23 juillet 2012. Le travailleur a été rencontré le 24 juillet 2012 et le 25 juillet 2012, la CSST a suspendu le paiement des indemnités pour les motifs suivants consignés aux notes évolutives complétées ce jour-là :

Considérant les éléments observables dans la filature qui a été faite à la demande de l’employeur les 1er -2-5-20 et 21 mars ainsi que le 13 avril que nous avons visionné ainsi que les 3 extraits vidéos démontrant le travailleur lorsqu’il est convoqué chez son employeur, soit le 11, le 17 et le 26 avril 2012 et le discours du travailleur concernant son état au cours des mêmes périodes.

 

Considérant que ces vidéos démontrent le travailleur en train de se déplacer en véhicule et effectuer plusieurs va et vient dans divers endroits publics alors que le travailleur jusqu’au 2012-02-27 se déplaçait en taxi pour se rendre chez Noci-clinic. Que le travailleur n’a pas avisé la CSST de sa capacité à prendre son véhicule pour se rendre à ses traitements.

 

Considérant que le 2012-02-28 le travailleur a communiqué avec la conseillère en réadaptation pour lui faire part de ses douleurs importantes l’obligeant à se rendre à l’urgence et à s’absenter du programme de développement des capacités en cours.

 

Considérant que lors de cette conversation le travailleur avait précisé avoir des douleurs importantes depuis le week-end et que les techniques de gestions de douleurs données par la physiothérapeute ne donnaient rien.

 

 

Considérant que la vidéo du 2012-03-01, prise seulement 2 jours après son appel de douleur, nous permet de constater que le travailleur se déplace avec aisance sans démontrer de signe non verbal de douleur. Considérant que le travailleur part de son domicile très tôt le matin et retourne à la maison seulement en fin de journée et ce, 2 journées consécutives soit le 1er et 2 mars 2012.

 

Considérant que dans ces vidéos nous pouvons voir le travailleur monter et descendre des escaliers, entrer et sortir de son véhicule et parfois même faire des pas rapides pour traverser un boulevard.

 

Considérant que ces vidéos nous démontrent une discordance très importante entre les propos rapportés par le travailleur et ce que nous pouvons observer.

 

Considérant que le travailleur nous a dit avoir eu un épisode douloureux important 2 semaines après avoir reprit ses activités normales et qu’il aurait passé presque 3 semaines à ne rien faire en raison de cette douleur.

 

Considérant que le travailleur a été filé le 20 et 21 mars et que nous pouvons observer sur les vidéos que le travailleur peut vaquer à ses occupations encore une fois sans démontrer de signe de douleur.

 

Considérant que le T nous a dit avoir consulté son médecin traitant par rapport à des inquiétudes reliées à l’augmentation de ses douleurs suite à la reprise de ses activités normales seulement le 2012-04-09 et que le travailleur nous dit que ce dernier lui a suggéré de reprendre ses activités normales malgré la douleur, ce que le travailleur nous dit avoir fait.

 

Considérant que dans les extraits vidéos pris chez l’employeur le 2012-04-11, le 2012-04-17 et le 2012-04-26 nous pouvons voir le travailleur se rendre dans les bureaux de son employeur avec sa canne et se déplaçant très péniblement dans les escaliers.

 

Considérant que dans la vidéo de filature datée du 2012-04-13, nous pouvons voir le travailleur se déplacer sans aide technique et conduire son véhicule sans démontrer de signe de douleur.

 

Considérant ces faits, nous pouvons constater une discordance entre ce qui est observé et les faits rapportés par le travailleur.

 

Considérant que le travailleur ne peut apporter d’explications satisfaisantes concernant cette discordance observable.

 

Il ya lieu de suspendre les indemnités de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de LARMP pour avoir fourni des renseignements inexacts à la CSST.

 

 

[56]        La CSST n'a jamais repris le versement des indemnités.

[57]        Le travailleur et l’employeur ont demandé la révision de la décision de la CSST suspendant l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 25 juillet 2012. Cette décision a été confirmée en révision administrative et les deux parties l’ont contestée (dossiers 482800 et 483150).

[58]        Les vidéos de filature ont été transmises par la suite au docteur Sader qui en a discuté avec un médecin du bureau médical de la CSST le 9 août 2012. Le médecin de la CSST retient alors ceci de leur conversation :

Appel du Dr Sader :

 

Il a visionné les vidéos fournis par l’employeur. Il n’est pas prêt à dire que le travailleur n’a pas de limitations fonctionnelles en raison de sa lésion mais aussi parce qu’on ne le voit pas soulever des charges, il ne démontre donc pas sa capacité à le faire.

 

Par contre, il constate un écart important entre l’état du travailleur lors des visites chez l’employeur vs lors de ses sorties personnelles au cours desquelles il a une démarche normale peut entrer et sortir du véhicule normalement et ne démontre aucun signe de souffrance.

 

Il convient qu’il y a de l’exagération de la part du travailleur et s’en dit déçu.

 

À son avis s’il y avait des limitations fonctionnelles elles seraient minimales ex : classe 1.

 

 

[59]        Le 31 août 2012, le travailleur est examiné par le docteur Daniel Shedid, neurochirurgien et membre du Bureau d'évaluation médicale, suite à une divergence d’opinions entre les conclusions du médecin désigné par l’employeur, le docteur Boivin, dans son rapport du 21 mars 2012 et celles du médecin qui a charge du travailleur, le docteur Sader, apparaissant au rapport final du 12 juin 2012.

[60]        Le docteur Shedid diagnostique une hernie discale L4-L5 droite. Il est d’avis de consolider la lésion le 29 mars 2012. ll établit le déficit anatomo-physiologique à 2 % et identifie des limitations fonctionnelles de classe 1 de l’IRSST.

[61]        Le 2 novembre 2012, le docteur Michel Gauthier remplit un Rapport d'évaluation médicale où il pose un diagnostic de hernie discale L4-L5 et identifie des limitations fonctionnelles de classe l selon l’IRSST. Il établit le déficit anatomo-physiologique à 6%.

L’AVIS DES MEMBRES

[62]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que le travailleur n’avait plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 13 juillet 2011 vu qu’il était redevenu capable d’exercer son emploi à cette date. Le docteur Sader a entériné les conclusions du docteur Boivin dans son rapport du 30 avril 2011 et ce rapport liait la CSST et lie le tribunal. Les autres contestations sont donc sans objet.

[63]        Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’infirmer les décisions rendues par la CSST le 24 août 2012 à la suite d’une révision administrative.

[64]        Le premier rapport complémentaire du docteur Sader n’avait pas un caractère liant vu que ce médecin n’avait pas en sa possession les rapports du docteur Séguin lorsqu’il a rempli ce rapport. La CSST était donc justifiée de reconsidérer sa décision du 28 mai 2012 après que le docteur Sader eut indiqué qu’il ne partageait pas l’opinion du docteur Boivin. Le travailleur avait toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

[65]        Selon le membre issu des associations syndicales la CSST aurait dû reprendre le versement des indemnités lorsque le docteur Sader a confirmé que le travailleur conservait des séquelles après avoir visionné la vidéo. Il est d’avis que le dossier devrait être retourné à la CSST pour qu’elle rende une décision suite à l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale et il est d’avis de suspendre son avis dans le dossier 449791.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[66]        Le tribunal est saisi d’une contestation de la décision du 24 août 2012 dans laquelle la CSST décide, à la suite d’une révision administrative, que la décision du 14 juin 2012 constitue une reconsidération irrégulière de la décision du 28 mai 2012.

[67]        Le tribunal rappelle que la décision du 14 juin 2012 a été rendue en vertu du premier alinéa de l’article 365 de la loi. L’article 365 de la loi prévoit ceci :

365.  La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.

 

Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.

 

Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.

__________

1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1996, c. 70, a. 43; 1997, c. 27, a. 21.

 

 

[68]        La CSST a reconsidéré sa décision concernant la capacité du travailleur à exercer son emploi lorsque le médecin qui a charge du travailleur, le docteur Sader, l’eut avisé qu’après avoir pris connaissance des rapports du docteur Séguin, il n’était pas du même avis que le médecin désigné par l’employeur, le docteur Boivin, sur différentes questions.

 

[69]        Le 12 juin 2012, soit une semaine à peine après avoir pris connaissance des rapports du docteur Séguin et plus particulièrement de celui du 29 mars 2012, le docteur Sader a complété un rapport final consolidant la lésion au 29 mars 2012. Il y réitère alors le diagnostic de hernie discale et le fait que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles. Il prévoit également une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur.

[70]        Le docteur Sader a confirmé ces conclusions dans son second rapport complémentaire du 15 juillet 2012 et le dossier a été dirigé au Bureau d'évaluation médicale afin d’obtenir un avis sur le diagnostic, la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion, l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur et l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

[71]        Le membre du Bureau d'évaluation médicale a examiné le travailleur le 31 août 2012, mais le médecin n’a signé son rapport que le 20 septembre 2012, date à laquelle il a été transmis aux parties.

[72]        La CSST n’a jamais donné suite à l’avis du Bureau d'évaluation médicale en raison des décisions qui ont été rendues entre-temps.

[73]        En effet, le 24 août 2012, la CSST en révision administrative avait déclaré nulle sa décision du 14 juin 2012 parce qu’elle constituait une reconsidération irrégulière et elle avait rétablit celle du 28 mai qui concluait que le travailleur était capable d’exercer son emploi depuis le 13 juillet 2011 et qu’il n'avait plus droit à l'indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date.

[74]        Se pose alors la question du caractère liant ou non, qu’avait le premier rapport complémentaire remplit par le docteur Sader le 30 avril 2012.

[75]        L’employeur a fait examiner le travailleur par son médecin, le docteur Boivin, dont le rapport du 21 mars 2012 infirmait les conclusions du docteur Sader consignées dans son rapport médical d’évolution du 26 janvier 2012.

[76]        Lorsque le rapport du médecin désigné par l’employeur infirme les conclusions du médecin qui a charge quant à l’un ou plusieurs des sujets prévus à l’article 212 de la loi, le médecin qui a charge peut fournir à la CSST un rapport complémentaire en vue d’étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport motivé.

 

[77]        C’est dans ce contexte que le 30 avril 2012, le docteur Sader a rempli un premier rapport complémentaire où il indique que sur le plan physique il partage les conclusions émises par le docteur Boivin dans son rapport du 21 mars 2012 or, le docteur Boivin était d’avis que le travailleur n’avait pas de pathologie organique indentifiable sur le plan musculo-squelettique, que la lésion était consolidée le 13 juillet 2011 sans nécessité de soins ou traitements, ni atteinte permanente ou limitations fonctionnelles.

[78]        Le tribunal note qu’avant le 30 avril 2012, le docteur Sader avait toujours posé un diagnostic de hernie discale, qu’il n’avait pas encore consolidé la lésion physique et qu’il ne s’était pas encore prononcé sur l’existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur et de limitations fonctionnelles. Au surplus, les notes de consultation ne révèlent pas d’examen physique récent du travailleur.

[79]        Dans l’affaire, Lussier et Berlines RCL inc.[2], une décision souvent citée, le tribunal en est arrivé à la conclusion que le fait que le médecin n’ait pas examiné la travailleuse avant d'émettre son accord avec les conclusions du médecin désigné par la CSST, n’invalidait pas son accord vu que le médecin la suivait depuis plusieurs années, qu’elle l'avait dirigée vers différents médecins, avait pris connaissance de l'avis des spécialistes consultés, avait en main les résultats des différents examens radiologiques, avait pris connaissance de façon rigoureuse de l'examen du médecin désigné par la CSST et avait discuté avec la travailleuse avant d'émettre son accord.

[80]        Même si la réponse du médecin qui a charge n’était pas une opinion étayée et motivée ni un rapport de consultation motivé on a considéré, dans les circonstances, que sa réponse à l'avis du médecin désigné par la CSST ne pouvait être considérée comme nulle pour ce motif, compte tenu du fait que le médecin de la travailleuse avait été contacté à plusieurs reprises par la CSST au sujet de ses conclusions et qu'il avait discuté avec sa patiente.

[81]        Dans Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault[3] le tribunal rappelle que le travailleur est lié par les conclusions du médecin l'ayant pris en charge et qu’il n'existe aucune disposition législative lui permettant de les contester. On souligne que pour donner une opinion valable sur les questions médicales, le médecin doit avoir en main toutes les informations pertinentes, ce qui n'était pas le cas dans ce cas-là car le médecin qui a charge n’avait pas obtenu le dossier médical antérieur du travailleur lorsqu'il a rempli le rapport médical complémentaire. Ainsi, il ne pouvait connaître avec précision le résultat des examens par imagerie effectués et il ignorait totalement les observations et le résultat des examens cliniques des deux médecins ayant suivi le travailleur auparavant. Le tribunal a conclu que trop d'éléments étaient manquants pour qu'il puisse exprimer une opinion éclairée sur les points identifiés au formulaire.

[82]        Récemment dans l’affaire Guitard et Peinture G. & R. Lachance inc.[4] la Commission des lésions professionnelles rappelle que le médecin qui a charge est libre de modifier son opinion professionnelle, mais qu’il doit motiver son retournement d’opinion vu que ses nouvelles conclusions sont lourdes de conséquences parce que le travailleur ne peut les contester. Elle indique également que le médecin doit exercer son jugement professionnel de manière responsable :

[19]      Bien que la jurisprudence du tribunal reconnaisse que le médecin qui a charge du travailleur est parfaitement libre de modifier son opinion professionnelle et d’accepter les conclusions du médecin désigné par la CSST ou par l’employeur1, il reste que, lorsque comme en l’espèce, le médecin contredit ses propres conclusions antérieures, il doit motiver son retournement d’opinion, ce qu’il n’a pas fait à l’égard de la description des limitations fonctionnelles2.

 

[20]      La nécessité pour le médecin qui a charge d’étayer ses nouvelles conclusions se justifie par le fait qu’elles sont lourdes de conséquence, puisque le travailleur ne peut les contester.

 

[21]      L’article 358 de la loi prévoit en effet ce qui suit :

 

358.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

 

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .

 

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.

           

[Nos soulignements]

           

[22]      La jurisprudence exige donc que le rapport du médecin qui a charge doit être clair, qu’il ne présente pas d’ambiguïté et qu’il ne porte pas à interprétation3. La soussignée partage ce point de vue maintenant bien établi. La nécessité de protéger l’intégrité et la liberté de jugement du médecin qui a charge est soulignée par le tribunal dans l’affaire Multi-Marques inc. et Massé4.

 

[23]      L’exigence développée par la jurisprudence permet de s’assurer que le médecin qui a charge a modifié son opinion en toute connaissance de cause, en considérant toutes les données pertinentes et après avoir sérieusement réfléchi à la question. Son jugement professionnel doit être exercé de manière responsable.

 

[24]      Dans le présent cas, il est tout à fait raisonnable de croire que les examens réalisés par le docteur Lavallée jusqu’à la consolidation de la lésion étaient orientés vers le traitement de la lésion. Jusqu’à ce moment, il n’était en effet d’aucune utilité pour le travailleur ou le médecin de connaître même sommairement l’ampleur de l’atteinte permanente et la description précise des limitations fonctionnelles.

 

[25]      L’évaluation de l’atteinte permanente et la description des limitations fonctionnelles impliquent une revue détaillée de l’histoire, un examen complet et une certaine appréciation de la fonction. Ce genre d’examen n’est pas réalisé dans le cadre de la pratique médicale courante.

 

[26]      Faute du moindre examen spécifiquement orienté vers la question, le tribunal ne voit pas comment le docteur Lavallée pouvait émettre une opinion éclairée sur le quantum de l’atteinte permanente et sur la description des limitations permanentes dont le travailleur en particulier est porteur. Il semble qu’il ait choisi de s’en remettre à l’évaluation faite par le docteur Beaupré.

 

[27]      La Commission des lésions professionnelles considère que le docteur Lavallée n’a pas exercé de manière responsable le rôle très important qui est conféré au médecin qui a charge par la loi. Il serait injuste que le travailleur soit empêché de contester  son opinion.

 

[28]      La Commission des lésions professionnelles conclut que le rapport complémentaire du 12 mai 2010 ne lie pas la CSST. Le remède à apporter peut être celui prévu à l’article 221 de la loi :

 

221.  Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

 

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.

______________________________

1              Cheaumont et Ferme Bernex inc., 2010 QCCLP 2749 ; Lachance et Québecor World St-Romuald, C.L.P. 281998-31-0602, 26 février 2007, G. Tardif; Paquet et Aménagements forestiers L.F., C.L.P. 246976-08-0410, 6 juillet 2005, J.-F. Clément.

                2              Sifomios et Circul - Aire inc., 2007, QCCLP 4440; Les aliments O Sole Mio inc. et Abu-Eid, 2007 QCCLP 4317 ; Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault et C.S.S.T., C.L.P. 276152-09-0511, 31 mars 2006, R. Arsenau; Ouellet et Métallurgie Noranda inc., C.L.P. 190453-08-0209, 9 septembre 2003, M. Lamarre.

3           Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault et C.S.S.T., précitée note 2; Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes, C.L.P. 247398-71-0411, 24 février 2006, C. Racine, révision rejetée [2007] CLP 508 , requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-17-038220-0778, 7 octobre 2008, j. Marcelin.

4           C.L.P. 296035-61-0608, 1er mars 2007, G. Morin.

 

[83]        Dans l’affaire Mazda Chatel et Arsenault[5] la même commissaire discute à nouveau du jugement professionnel du médecin et traite de la situation où un médecin se contredit suite aux pressions de son patient :

[68]      Lorsque le revirement d’opinion du médecin qui a charge n’est pas étayé, on peut se demander si son jugement professionnel a indûment été influencé par le rapport d’un autre médecin.

 

[69]      Il en va d’ailleurs de même lorsque le médecin qui a charge se contredit en produisant un rapport à la suite de la pression exercée sur lui par son patient. Or, en pareil cas, la jurisprudence a depuis longtemps établi que le rapport plus favorable au travailleur ne lie pas la CSST, à moins qu’il ne soit motivé par une erreur antérieurement commise ou par une modification imprévue de la condition de santé du travailleur.16

 

[70]      La nécessité pour le médecin qui a charge d’étayer ses nouvelles conclusions est une variante du même principe.

_______________________________

16         Lab Chrysotile inc. et Dupont [1996] C.A.L.P. 132 ; Promotions sociales Tayler-Thibodeau et Basttista [1998] C.L.P. 418 (décision accueillant en partie requête en révision); Couture et Ferme Jacmi Senc, C.L.P. 1620226-03B-0105, 16 novembre 2001, G. Marquis; Teinturerie Perfection Canada inc. et Mbokila, C.L.P. 167421-72-0108, 23 mai 2002, V. Lévesque (02LP-45); Larocque c. C.L.P., C.S. Hull, 550-05-0111759-027, 25 juin 2002, j. Isabel (02LP-55); Lévesque et C. H. Robert-Giffard, C.L.P. 250754-32-0412, 13 octobre 2005, L. Langlois (05LP-160); Gérald Paquet entrepreneur électricien & associés et Gauthier, C.L.P. 237681-64-0406, 11 mai 2006, J.-F. Martel; Vallières et Muga Fab inc., C.L.P. 296947-64-0608, 3 juillet 2007, F. Poupart; Théroux et Fer & Métaux américains S.E.C., C.L.P. 376049-31-0904, 30 septembre 2009, J.-L. Rivard (09LP-130).

           

 

[84]        Finalement, la jurisprudence du tribunal est à l’effet qu’au moment où il complète le rapport, les connaissances du médecin qui a charge doivent être récentes[6].

[85]        En l’espèce, il ne fait aucun doute que le docteur Sader était le médecin qui a charge du travailleur à l’époque pertinente, le travailleur était sous ses soins depuis le mois d’août 2011 et il le rencontrait sur une base régulière.

[86]        Selon la jurisprudence précitée, le médecin qui a charge doit avoir une connaissance suffisante de l’état du travailleur lorsqu’il remplit un rapport complémentaire. Sa connaissance doit être récente et complète.

 

[87]        Or, la preuve révèle que le docteur Sader n’a pris connaissance des rapports du neurochirurgien Séguin qu’après le 30 avril 2012, soit le 4 juin 2012 selon la preuve. Il savait que le médecin avait consolidé la lésion et mis fin aux traitements de physiothérapie, mais il ignorait que le docteur Séguin était d’avis, le 29 mars 2012, que le travailleur conservait une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles. Ce rapport datait de moins d’un mois et il était postérieur à celui du médecin désigné par l’employeur, le docteur Boivin.

[88]        Ainsi, de l’avis du tribunal, il manquait un élément important au docteur Sader lorsqu’il a remplit son premier rapport complémentaire et cet élément était susceptible d’influencer ses conclusions. Le docteur Sader s’est d’ailleurs rangé aux conclusions du docteur Séguin par la suite.

[89]        Compte tenu que les conclusions du médecin qui a charge sont liantes et ne peuvent être contestées par le travailleur, il est important que le médecin ait pris connaissance des conclusions des spécialistes avant de se prononcer.

[90]        Dans le présent cas, le tribunal est d’avis que le docteur Sader, même s’il était au dossier depuis un certain temps, n’avait pas une connaissance complète lorsqu’il a rempli son rapport premier rapport complémentaire du 30 avril 2012 de sorte que ce premier rapport complémentaire n’avait pas un caractère liant.

[91]        Il y a plus, le tribunal apprécie que l’avis du docteur Sader n'est pas motivé et que le médecin n’a pas exercé de façon responsable son jugement professionnel lequel a alors, selon toute vraisemblance, été indûment influencé par le rapport du médecin désigné par l’employeur, le docteur Boivin.

[92]        En effet, le docteur Sader n’explique pas pourquoi il renonce au diagnostic de hernie discale L4-L5, il entérine même une date de consolidation antérieure au premier examen qu’il a lui-même réalisé alors que le travailleur est sous ses soins depuis huit mois et il conclut à l’absence de séquelles sans avoir examiné récemment le travailleur.

[93]        Il est patent que le docteur Sader était d’avis qu’au 30 avril 2012 la lésion était consolidée mais il est peu probable, qu’en faisant siennes les conclusions du médecin désigné par l’employeur, le docteur Boivin, il considérait que la lésion était consolidée avant même que le travailleur ne soit son patient.

[94]        Il s’agit d’un élément supplémentaire permettant de conclure que le premier rapport complémentaire complété par le docteur Sader le 30 avril 2012 n’était pas liant pour la CSST.

 

[95]        Le tribunal convient avec le représentant de l’employeur qu’il n’y a pas eu d’évolution inattendue de l’état du travailleur, mais simplement un changement de position du médecin après qu’il eut pris connaissance de rapports importants dont il aurait dû connaître le contenu avant de donner son avis, ce qui est suffisant dans les circonstances du présent dossier pour conclure que le rapport complémentaire du 30 avril n'est pas liant.

[96]        Le tribunal n’est pas sans constater que le travailleur a fait pression sur son médecin pour qu’il remplisse des rapports médicaux, mais dans la mesure où le médecin fait siennes les conclusions du docteur Séguin dont il n’avait pas les rapports, le tribunal ne peut conclure que ce sont les pressions du travailleur qui justifient le changement de position du médecin.

[97]        De l’avis du tribunal, la CSST pouvait et devait reconsidérer sa décision du 28 mai 2012 dans la mesure où c’est par erreur qu’elle s’est sentie liée à ce moment-là par le premier rapport complémentaire du docteur Sader et que par la suite, le docteur Sader l’a avisée que le travailleur conservait des séquelles après qu’il eut pris connaissance des rapports du docteur Séguin. De plus, elle s’est reconsidérée dans les 90 jours de la décision du 28 mai 2012.

[98]        Le tribunal rétablit donc la décision du 14 juin 2012 déclarant que le travailleur bénéficie du droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST statue sur sa capacité de travail.

[99]        L’employeur n’a pas démontré que cette dernière décision n’était pas bien fondée au fond. La preuve soumise n’a pas convaincu le tribunal que le travailleur était redevenu capable d’exercer son emploi à cette date-là ou même avant.

[100]     En effet, le tribunal ne peut conclure que les activités observées sur les vidéos de filature, des déplacements à pied et en automobile, sont telles que l’on puisse conclure que le travailleur était redevenu capable, par exemple, d’exercer son emploi prélésionnel le 1er mars 2012, date de la première vidéo de filature.

[101]     La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si la CSST était justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur à compter du 25 juillet 2012.

[102]     L’article 142 de la loi prévoit ceci :

 

 

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

1° si le bénéficiaire :

 

a)  fournit des renseignements inexacts;

 

b)  refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

 

b)  pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

d)  omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;

 

f)  omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

[103]     La CSST a suspendu le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur parce qu’il avait fourni des renseignements inexacts en regard de sa situation médicale.

[104]     L’article 143 de la loi prévoit ceci :

143.  La Commission peut verser une indemnité rétroactivement à la date où elle a réduit ou suspendu le paiement lorsque le motif qui a justifié sa décision n'existe plus.

__________

1985, c. 6, a. 143.

 

 

[105]     Le travailleur allègue que la CSST aurait dû reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu dans la mesure où il est toujours incapable de refaire son emploi et que le motif qui a justifié la décision de la CSST n’existe plus.

[106]     Le tribunal a pu voir lors de l’audience les vidéos de filature et celles qui ont été tournées par les caméras de surveillance chez l’employeur. Le tribunal conclut qu’ils révèlent que le travailleur a fourni des renseignements inexacts à la CSST, à son employeur et aux médecins qui l’ont examiné quant à sa capacité physique et à son emploi du temps.

[107]     La démarche du travailleur est nettement différente lorsqu’il est chez son employeur par rapport à celle qu’il a lorsqu’il se déplace pour ses activités personnelles. Chez son employeur il utilise une canne, il marche très lentement, il met les deux pieds sur chaque marche pour monter l’escalier intérieur de l’usine alors qu’en d’autre temps il n’utilise pas de canne, le rythme est nettement meilleur et il monte les escaliers de façon normale sans même tenir la rampe et ce, l’hiver.

[108]     Le travailleur explique les différences par le fait que sa condition varie d’une journée à l’autre, qu’il a des bonnes et des mauvaises journées.

[109]     De l’avis du tribunal cette explication est peu crédible et elle ne tient pas la route. Le travailleur a de toute évidence fourni de fausses informations de façon à bénéficier d’indemnités auxquelles il n'aurait peut-être pas eu droit. La CSST était justifiée de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur.

[110]     Par la suite, la CSST a communiqué avec le médecin qui a charge du travailleur, qui a pris connaissance des vidéos et confirmé, le 9 août 2012, qu’à son avis le travailleur conservait tout de même des limitations fonctionnelles malgré ses exagérations.

[111]     Procédant à rendre la décision qui aurait dû être rendue, le tribunal considère qu’à compter de cette date-là, le 9 août 2012, le motif qui justifiait la suspension n’existait plus, le médecin qui a charge du travailleur ayant confirmé que malgré la vidéo il était d’avis que le travailleur conservait des limitations fonctionnelles. La CSST aurait alors dû reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

[112]     Le tribunal doit finalement décider s’il y a une relation entre l’événement du 2 novembre 2010 et la hernie discale L4-L5 du travailleur.

[113]     Or, le dossier a été dirigé au Bureau d'évaluation médicale, mais la CSST n'a pas encore entériné l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale ce qui justifie le tribunal de lui retourner le dossier pour qu’elle rende une décision à la suite de cet avis.

[114]     Dans les circonstances, le tribunal suspend sa décision sur la relation entre le diagnostic de hernie discale et l’événement compte tenu que la question du diagnostic est en litige au Bureau d'évaluation médicale.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossiers 482800 et 483150

ACCUEILLE la requête de monsieur Omar Djuma, le travailleur;

REJETTE la requête de Unidindon inc., l’employeur;

INFIRME la décision rendue le 24 août 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE nulle la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 28 mai 2012;

RÉTABLIT la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 14 juin 2012;

DÉCLARE qu’au 28 mai 2012 le travailleur avait toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu;

DÉCLARE que la CSST était justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu le 25 juillet 2012;

DÉCLARE que la CSST doit reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 9 août 2012;

RETOURNE le dossier à la CSST pour qu’elle rende une décision à la suite de l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale le 20 septembre 2012;

Dossier 449791

SUSPEND sa décision dans le dossier 449791;

RECONVOQUERA les parties dans le dossier 449791.

 

 

__________________________________

 

Alain Vaillancourt

 

 

 

 

Me Yves Deslauriers

ROY ÉVANGÉLISTE, AVOCATS

Représentant du travailleur

 

 

Me Louis Ste-Marie

CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS

Représentant de l’employeur

 

 

Me Lucie Rouleau

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c.A-3.001.

[2]           C.L.P. 122844-05-9908, 21 septembre 2000, L. Boudreault.

[3]           C.L.P. 276152-09-0511, 31 mars 2006, R. Arseneau.

[4]           2011 QCCLP 2731 .

[5]           2011 QCCLP 1880

[6]           Meubles Lorenz et D’angelo, 2011 QCCLP 1491 ; Lapointe et CSSS de Papineau, C.L.P. 296034-07-0607, 21 décembre 2007 (07-LP-249).

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