Stratos Pizzeria (1992) inc. c. Galarneau |
2015 QCCS 2353 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TROIS-RIVIÈRES |
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N° : |
400-17-003516-149 |
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DATE : |
8 mai 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JACQUES BLANCHARD, j.c.s. |
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STRATOS PIZZERIA (1992) INC. |
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et |
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9261-6424 QUÉBEC INC. |
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Demanderesses |
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c. |
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GINETTE GALARNEAU, es qualité de présidente de l’Office de la protection du consommateur |
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Défenderesse |
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et |
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OFFICE DE LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR |
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Mis en cause |
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JUGEMENT sur requête en jugement déclaratoire |
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Introduction
[1] 9261-6424 Québec inc. (9261) est une compagnie franchisée qui opère un restaurant Stratos Pizzéria à Saint-Tite.
[2] Le 7 février 2014, l’Office de la protection du consommateur (OPC) transmet un avis de non-conformité à 9261.
[3] Par cet avis, l’OPC prétend que 9261 ne respecte pas les dispositions relatives au prix tout inclus prévues dans la Loi sur la protection du consommateur[1] (L.p.c.) puisque lors d’une livraison d’un repas, si le client opte de payer sa commande via le mode de paiement Interac, le restaurateur exigera un frais additionnel de 0,75 $ sur le prix indiqué au menu.
[4] Le 6 mars 2014, le franchiseur de 9261, Stratos Pizzéria (1992) inc. (Stratos), fait part de sa position à l’OPC.
[5] Contrairement à l’OPC, Stratos est d’avis que l’article 224 c) de la L.p.c. ne l’empêche pas, ainsi que ses franchisés, d’imputer un frais de service de 0,75 $ non inclus dans le prix affiché sur ses menus, et ce, dans la mesure où le client est informé à l’avance lorsqu’il acquitte sa commande par Interac.
[6] Le 21 mai 2014, l’OPC informe les procureurs de Stratos qu’elle maintient sa position et réitère que les frais d’utilisation d’Interac doivent être inclus dans le prix total affiché. Agir autrement, selon le mis en cause, va à l’encontre de l’article 224 c) de la L.p.c.
[7] Le 16 juin 2014, les demanderesses signifient une requête introductive d’instance en jugement déclaratoire dont les conclusions principales se lisent ainsi :
DÉCLARER que les demanderesses respectent l’article 224 c) de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c. P-40.1, en imposant un frais de service de SOIXANTE-QUINZE CENTS (0,75 $) à la clientèle utilisant le mode de paiement par Interac à domicile lors de la livraison, alors que la clientèle est expressément informée de ce frais de service;
DÉCLARER que cette pratique commerciale n’est pas interdite aux termes de l’article 277 de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c. P-40.1;
Le contexte
[8] Stratos est le franchiseur d’une chaîne de restaurant connue sous le nom de Stratos Pizzeria.
[9] Stratos opère elle-même six restaurants alors que 9261 est l’un de ses vingt franchisés.
[10] Depuis 1992, Stratos et ses franchisés offrent le service de livraison à domicile.
[11] Le service de livraison représente 60 % du chiffre d’affaires des franchisés.
[12] Lors d’une livraison à domicile d’un repas, Stratos et ses franchisés offrent à leur clientèle la possibilité d’acquitter leur facture par le mode de paiement Interac.
[13] Ainsi, si le client opte pour ce mode de paiement, sa facture sera majorée d’un montant de 0,75 $.
[14] Par ailleurs, cette somme ne sera pas ajoutée sur la facture si le client l’acquitte en argent comptant ou par carte de crédit.
[15] Le contrôleur de Stratos, monsieur Luc Lefebvre, souligne que le frais de service de 0,75 $ est exigé compte tenu du coût d’acquisition des terminaux, des frais de location et d’utilisation.
[16] Monsieur Lefebvre indique également que les paiements réalisés par Interac sont transférés du compte bancaire du client au compte bancaire du restaurant par un intermédiaire.
[17] D’autre part, la preuve révèle que le montant de 0,75 $ n’est pas inclus dans les prix affichés sur les menus pour la livraison.
[18] Cependant, le frais de 0,75 $ est indiqué sur la page frontispice desdits menus[2] ainsi que sur les feuillets publicitaires[3] de Stratos et ses franchisés.
[19] Enfin, lors de la prise d’une commande pour la livraison d’un repas, monsieur Lefebvre mentionne que si un client envisage de payer par Interac, on l’informe que des frais de 0,75 $ s’ajouteront sur sa facture.
La position des demanderesses
[20] Essentiellement, les demanderesses plaident que l’application d’un frais de service de 0,75 $ lors d’un paiement par Interac représente un service qu’elles offrent à leurs clients qui est distinct de l’obtention d’un bien, soit le repas.
[21] Ainsi, dans la mesure où les clients sont informés au préalable du coût exigé de 0,75 $ pour le service de paiement direct lorsqu’ils l’utilisent suivant une livraison, les demanderesses soutiennent qu’il ne peut s’agir d’un prix supérieur à celui annoncé pour l’achat d’un repas (obtention d’un bien).
La position du mis en cause
[22] L’OPC plaide que le paragraphe c) de l’article 224 de la L.p.c. interdit aux commerçants d’exiger, par quelque moyen que ce soit, un prix supérieur à celui qui est annoncé.
[23] Le dernier alinéa de l’article 224 de la L.p.c. exige que le prix annoncé doit comprendre le total des sommes que le consommateur devra débourser pour l’obtention d’un bien ou d’un service.
[24] Enfin, le mis en cause soutient que le paiement est un mode d’exécution de l’obligation et non pas un contrat de service et dans les circonstances, un consommateur ne peut renoncer à un droit conféré par la L.p.c. et ce, même par une convention particulière.
Analyse
1. Article 224 de la L.p.c.
[25] Le 30 juin 2010, le projet de loi no 60 entre en vigueur[4].
[26] Par cette loi, le législateur québécois apporte certaines modifications à la L.p.c., qui touchent, entre autres, l’article 224.
[27] Ainsi, l’article 224 de la L.p.c. est modifié par l’insertion de l’alinéa c) :
224. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit : a) accorder, dans un message publicitaire, moins d'importance au prix d'un ensemble de biens ou de services, qu'au prix de l'un des biens ou des services composant cet ensemble; b) sous réserve des articles 244 à 247, divulguer, dans un message publicitaire, le montant des paiements périodiques à faire pour l'acquisition d'un bien ou l'obtention d'un service sans divulguer également le prix total du bien ou du service ni le faire ressortir d'une façon plus évidente; c) exiger pour un bien ou un service un prix supérieur à celui qui est annoncé. Aux fins du paragraphe c du premier alinéa, le prix annoncé doit comprendre le total des sommes que le consommateur devra débourser pour l'obtention du bien ou du service. Toutefois, ce prix peut ne pas comprendre la taxe de vente du Québec, ni la taxe sur les produits et services du Canada. Le prix annoncé doit ressortir de façon plus évidente que les sommes dont il est composé. |
[28] L’article 224 de la L.p.c se trouve sous le Titre II qui régit diverses pratiques de commerce jugées inappropriées par le législateur.
[29] Récemment, la Cour d’appel dans l’arrêt Union des consommateurs c. Air Canada[5] a eu l’opportunité de discuter des objectifs visés par l’amendement législatif à l’article 224 :
[53] Comme les notes explicatives du projet de loi no 60 l’indiquent, la modification intervient « pour obliger le commerçant à divulguer le coût total du bien ou du service offert ». Le but est clair et les débats parlementaires indiquent aussi que c’est la pratique de la décomposition du prix que l’on veut contrer, en forçant le commerçant à annoncer dès le départ le bon prix et à mettre fin à la pratique d’ajouter des frais, souvent indiqués en petits caractères, au moment de passer à la caisse. Le but est de permettre au consommateur de comparer adéquatement le prix des biens qu’il achète.
[54] La pratique interdite établie à l’article 224 c) est tempérée par le Règlement d’application qui précise que le commerçant est exempté d’inclure les droits exigibles en vertu d’une loi fédérale ou provinciale, lorsque, en vertu de cette loi, ces droits doivent être perçus directement du consommateur pour être remis à une autorité publique :
91.8 Le commerçant, le fabricant ou le publicitaire est exempté de l’obligation, découlant du deuxième alinéa de l’article 224 de la Loi, d’inclure dans le prix annoncé les droits exigibles en vertu d’une loi fédérale ou provinciale lorsque, en vertu de cette loi, ces droits doivent être perçus directement du consommateur pour être remis à une autorité publique.
(soulignements du Tribunal)
[30] Suivant les propos de la Cour d’appel, par son amendement, le législateur a fait le choix de contraindre les commerçants d’annoncer au consommateur, et ce, dès le départ, le coût total du bien ou du service offert afin d’enrayer cette pratique dénoncée lors des débats parlementaires, soit celle d’ajouter des frais.
[31] Par ailleurs, il importe peu de savoir si le consommateur a été informé ou non par les demanderesses qu’une somme supplémentaire sera ajoutée au prix annoncé en raison du mode de paiement par Interac puisque c’est objectivement qu’il faudra déterminer si un commerçant a commis la pratique interdite stipulée à l’article 224 c) de la L.p.c. :
[73] (…) C’est de façon objective que la question de la contravention se pose et nul n’est besoin d’évaluer si le consommateur a bien compris de quoi est composé le véritable prix ni même s’il a été induit en erreur. (…)[6]
(soulignement du Tribunal)
2. Frais utilisation de la carte débit
[32] Les demanderesses soutiennent que les frais de 0,75 $ exigés pour le paiement par carte de débit suivant la livraison d’un repas constituent l’obtention d’un service distinct de celui de l’obtention d’un repas.
[33] Dans les circonstances, puisque les frais de 0,75 $ représentent le coût total pour un service offert pour le paiement avec une carte de débit suite à une livraison, cette somme n’a pas à être incluse dans le prix total annoncé pour l’obtention d’un repas.
[34] Le paiement effectué par le débiteur constitue le mode normal d’extinction de son obligation puisqu’il représente l’exécution de l’obligation elle-même.
[35] À cet effet, l’article 1553 C.c.Q. stipule :
Art. 1553. Par paiement, on entend non seulement le versement d’une somme d’argent pour acquitter une obligation, mais aussi l’exécution même de ce qui est l’objet de l’obligation.
[36] Les auteurs Jobin et Vézina[7] sont d’avis, suivant le 2e alinéa de l’article 1564 C.c.Q., qu’un débiteur pourra acquitter sa dette au moyen d’une carte de débit si le créancier est en mesure de l’accepter :
Art. 1564. Le débiteur d'une somme d'argent est libéré par la remise au créancier de la somme nominale prévue, en monnaie ayant cours légal lors du paiement.
Il est aussi libéré par la remise de la somme prévue au moyen d'un mandat postal, d'un chèque fait à l'ordre du créancier et certifié par un établissement financier exerçant son activité au Québec ou d'un autre effet de paiement offrant les mêmes garanties au créancier, ou, encore, si le créancier est en mesure de l'accepter, au moyen d'une carte de crédit ou d'un virement de fonds à un compte que détient le créancier dans un établissement financier.
[37] En l’espèce, la preuve révèle que les demanderesses acceptent un tel mode de paiement et que les sommes transigent d’un compte bancaire du client au compte bancaire du restaurant.
[38] La possibilité que les demanderesses offrent à leurs clients de payer par Interac n’est qu’une simple modalité de paiement.
[39] Cette modalité de paiement ne constitue pas, de l’avis du Tribunal, un service comme le soutiennent les demanderesses.
[40] En effet, par le paiement, le consommateur exécute son obligation et entraîne sa libération à l’égard du commerçant. L’exécution de son obligation lorsque ce dernier utilise le mode de paiement Interac ne donne pas naissance à un contrat de service.
[41] D’ailleurs, en utilisant ce mode de paiement, le consommateur n’obtient ni bien ni service supplémentaire du commerçant par rapport à l’achat initial de son repas.
[42] De plus, le Tribunal est d’opinion que la situation, telle que soumise devant lui, doit être examinée globalement et non en la décortiquant comme le suggèrent les demanderesses.
[43] En effet, il ne saurait y avoir deux contrats successifs comme le prétendent les demanderesses, soit l’obtention d’un bien (repas) et l’obtention d’un service (modalité de paiement par Interac).
[44] En l’espèce, il y a lieu de conclure que le consommateur acquiert un bien, soit un repas et ce dernier sera libéré de son obligation en payant le commerçant.
[45] Enfin, la mention que l’on retrouve sur les menus pour la livraison[8] et les feuillets publicitaires[9] des demanderesses que des frais de 0,75 $ s’ajouteront aux prix annoncés ne pallie pas au non-respect de l’article 224 de la L.p.c.
[46] Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis que les frais d’utilisation de la carte de débit doivent être inclus dans le prix annoncé puisque la pratique interdite établie à l’article 224 c) de la L.p.c. empêche les demanderesses d’ajouter un frais quelconque non inclus dans les prix annoncés, sauf les exceptions prévues au Règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur[10].
3. Art. 277 de la L.p.c.
[47] Les demanderesses requièrent du Tribunal qu’il déclare que leur pratique n’est pas interdite aux termes de l’article 277 de la L.p.c.
[48] Considérant la conclusion à laquelle le Tribunal en arrive quant aux frais d’utilisation de la carte de débit, ce dernier est d’opinion que de ne pas les inclure dans le prix annoncé pour l’obtention d’un repas constitue une pratique commerciale interdite au sens de la L.p.c.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[49] DÉCLARE que les demanderesses ne respectent pas l’article 224 c) de la Loi sur la protection du consommateur lorsqu’elles imposent un frais de soixante-quinze cents, en sus du prix annoncé, à la clientèle qui utilise le mode de paiement par Interac à domicile suite à la livraison d’un repas;
[50] LE TOUT, avec dépens contre les demanderesses.
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__________________________________ JACQUES BLANCHARD, j.c.s. |
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Me Alex Hamelin Bélanger, Sauvé Procureurs des demanderesses |
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Me Marc Migneault et Me Michèle Milhomme-Drouin Allard, Renaud et Associés Procureurs pour la défenderesse et le mis en cause |
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Date d’audience : |
24 novembre 2014 |
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[1] RLRQ, c. P-40.1, art. 224 c).
[2] Pièce P-3.
[3] Pièce P-4.
[4] PL 60, Loi modifiant la Loi sur la protection du consommateur et d’autres dispositions législatives, 1er sess, 39e lég, Québec, 2009 (sanctionné le 4 décembre 2009), L.Q. 2009, c. 51.
[5] 2014 QCCA 523, paragr. 53.
[6] Ibid.
[7] Les Obligations, 7e édition, Cowansville, Yvon Blais, 2013, pp. 767 et 768.
[8] Pièce P-3.
[9] Pièce P-4.
[10] R.R.Q., 1981, c. P-40.1, r.3, art. 91.8.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.