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[1] Le 26 juin 2003, madame Émilia Langlais (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 juin 2003 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 25 février 2003 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 4 octobre 2002 et n’a pas droit aux prestations prévues par la loi.
[3] L’audience s’est tenue à Gaspé en deux temps, soit les 2 septembre et 29 novembre 2004. La travailleuse était alors présente avec son procureur, alors que le Centre hospitalier de Chandler (l’employeur) avait mandaté madame Doris Smith et était également représenté par son procureur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle le ou vers le 4 octobre 2002.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête de la travailleuse devrait être rejetée. Il considère plus particulièrement que le milieu de travail dans un bloc opératoire est difficile et exigeant en soi, tout comme l’arrivée dans une nouvelle équipe de travail, ce qui ne constitue ni un risque particulier ni un événement imprévu et soudain au sens de la loi, et que la travailleuse, par une attitude rigide, a contribué à sa non-intégration.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête de la travailleuse devrait être accueillie. Il considère plus particulièrement les témoignages des collègues de la travailleuse qui confirment les propos de cette dernière quant à l’hostilité et au rejet systématique dont elle a fait l’objet sur une période prolongée, ce qui déborde du cadre normal du travail, dans un contexte déjà stressant d’intégration dans une nouvelle équipe, avec de nouvelles tâches.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La travailleuse, actuellement âgée de 59 ans, est infirmière pour l’employeur à compter de 1978. Elle travaille essentiellement au département de soins de longue durée jusqu’à ce qu’il y ait abolition de son poste en octobre 2001. La travailleuse exerce alors son droit de supplantation et obtient un poste au bloc opératoire à compter de novembre 2001.
[8] Selon la preuve clairement établie, la travailleuse n’est pas la bienvenue dans ce département : le personnel et les médecins viennent de former à ce poste pendant trois ans une infirmière avec laquelle ils comptent bien travailler pendant plusieurs années. Infirmière dont la travailleuse vient occuper le poste par l’effet de la supplantation.
[9] Or, de par la nature du travail qui y est effectué, le bloc opératoire est un milieu de travail particulièrement exigeant, voire stressant, où tout le monde doit pouvoir compter sur tout le monde rapidement, et où il n’y a particulièrement pas place à l’erreur.
[10] Les membres du personnel et les médecins se voient donc « ravir » l’infirmière qu’ils ont formée, qui est maintenant fiable et efficace et sur laquelle ils espéraient pouvoir compter à long terme. Par une infirmière alors âgée de 55 ans, qui prendra donc sa retraite d’ici quelques années et dont l’essentiel de l’expérience est à mille lieues de celle d’un bloc opératoire.
[11] C’est donc dans ce contexte particulier que la travailleuse débute l’exercice de ses fonctions, alors dans un contexte de formation, le 8 novembre 2001. En outre, la travailleuse relate avoir déjà eu un différend professionnel important avec le conjoint de l’infirmière qui devient sa chef d’équipe.
[12] La travailleuse doit cesser de travailler le 14 mars 2002. Elle reçoit alors des prestations pour congé de maladie. Après un retour au travail progressif à compter du 20 mai 2002, elle doit à nouveau quitter le 7 octobre 2002. C’est alors qu’elle décide de soumettre une réclamation pour lésion professionnelle à la CSST, ce qu’elle fait le 14 octobre 2002. Le diagnostic alors posé par son médecin est celui de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive.
[13] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le ou vers le 4 octobre 2002.
[14] La notion de « lésion professionnelle » est ainsi définie dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1]
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable a toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[15] Le diagnostic posé en l’instance, soit celui de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive, en est un de maladie plutôt que de blessure. Ce diagnostic est en outre reconnu dans le DSM-IV[2], ouvrage de référence en matière de diagnostic de troubles psychiques.
[16] Selon la définition même de lésion professionnelle, une maladie est considérée être une lésion professionnelle si elle « survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail » ou si elle est une maladie professionnelle.
[17] La « maladie professionnelle » et « l’accident du travail » sont quant à eux définis comme suit dans la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;,
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[18] Après étude de la preuve, des textes de loi applicables et de la jurisprudence élaborée sur le sujet, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse a démontré de façon prépondérante les éléments constitutifs tant de l’accident du travail que de la maladie professionnelle, le tribunal privilégiant cependant en l’instance cette seconde notion.
[19] La travailleuse allègue en effet une série d’événements attestant d’un climat de travail qui a fini par entraîner chez elle une lésion psychique. La Commission des lésions professionnelles aborde ce genre de situations tant sous l’angle de l’accident du travail[3] que sous celui de la maladie professionnelle[4].
[20] Quoi qu’il en soit, dans l’un et l’autre des cas, la travailleuse doit démontrer :
· Dans le cas de l’accident du travail ; un événement ou une succession d’événements pouvant paraître bénins lorsque considérés isolément, mais devenant significatifs par leur superposition et pouvant alors s’assimiler à un événement imprévu et soudain[5] ;
· Dans le cas de la maladie professionnelle ; la présence au travail de risques particuliers de développer la maladie en cause[6].
[21] Indépendamment de l’approche retenue par le tribunal, l’étude de la jurisprudence révèle que l’appréciation de la preuve rejoint essentiellement les mêmes principes et critères, surtout dans un cas où ce n’est pas un événement unique qui est allégué. Ainsi, il est généralement reconnu que :
1o       La loi n’établit pas de distinction entre les lésions physiques et les lésions psychiques, lesquelles doivent par conséquent être abordées de la même façon[7] ;
2o       Le travailleur ne bénéficie pas de présomption légale.
           La présomption édictée à l’article
           La présomption édictée à l’article
3o       La preuve des éléments constitutifs d’une lésion professionnelle, tant de l’accident du travail que de la maladie professionnelle, doit être faite par le travailleur, par prépondérance de preuve[10] ;
4o       La preuve de harcèlement ne constitue pas un élément requis pour conclure à une lésion psychique professionnelle, la loi ne référant d’aucune façon à cette notion[11]. Il s’agit cependant d’un élément qui peut évidemment être pris en considération ;
5o       La preuve d’une condition personnelle préexistante et prédisposante n’empêche pas la reconnaissance d’une lésion psychique et n’en modifie pas les critères d’admissibilité, quoique l’examen du caractère objectif des faits allégués être un événement imprévu et soudain ou constituer des risques particuliers, ainsi que leur relation avec la lésion diagnostiquée, sera alors particulièrement rigoureux[12] ;
6o       La preuve de l’événement imprévu et soudain ou des risques particuliers implique celle de leur caractère objectif. Il faut ainsi dépasser la perception, les attentes ou les exigences du travailleur (par définition subjectives) et retrouver une situation qui déborde véritablement du cadre normal, habituel ou prévisible de ce à quoi l’on peut s’attendre dans le monde du travail[13] ;
7o       La preuve de la relation causale entre la suite d’événements ou les risques particuliers et la lésion psychique implique, comme dans le cas des lésions physiques, la prise en compte de la preuve médicale, de la concomitance entre les faits traumatiques et les symptômes, de la présence ou non d’une condition personnelle prédisposante et du caractère plus ou moins traumatique de l’événement ou des risques allégués[14].
[22] Se sont opposées en l’instance deux thèses. Celle défendue par la travailleuse, selon laquelle une succession d’événements, un climat de travail malsain et l’absence de soutien de la direction, de façon prolongée, ont constitué une situation débordant du cadre normal du travail et ont entraîné sa lésion psychique. Et celle défendue par l’employeur qui soutient quant à lui essentiellement que les faits allégués par la travailleuse ne présentaient pas de caractère objectivement traumatisant et que le problème a plutôt résidé dans la perception et la réaction de la travailleuse.
[23] Or, la preuve prépondérante soumise au tribunal révèle en effet une attitude quelque peu rigide de la part de la travailleuse qui n’a sans doute pas aidé à faire évoluer favorablement la situation, mais tout de même une situation débordant objectivement du cadre normal de ce à quoi l’on peut raisonnablement attendre d’un milieu de travail, particulièrement à notre époque, dans notre société.
[24] Il s’avère ainsi que la travailleuse a dû faire face à une quasi absence de communication avec sa chef d’équipe, à une formation ne correspondant pas à ce à quoi elle était normalement en droit de recevoir, notamment en raison du manque d’effectifs et des contraintes organisationnelles, mais, surtout, à une situation d’isolement, d’exclusion, de rejet et d’hostilité de la part de ses collègues de travail et des médecins avec lesquels elle était appelée à travailler, le tout dans un contexte de nouveau travail et de formation et sans soutien véritable de la part de l’employeur. Ce dernier a en effet laissé évoluer défavorablement la situation sur une période de plusieurs mois sans intervention efficace de sa part.
[25] Le tribunal constate par ailleurs que la preuve n’a révélé la présence d’aucune condition personnelle significative, que la travailleuse a toujours œuvré sur le marché du travail sans problématique particulière, qu’elle ne présente aucun antécédent de nature psychique et qu’elle n’en a plus présenté non plus à la suite de son retrait de ce milieu de travail et de son transfert dans une autre unité.
[26] Le tribunal retient plus particulièrement les éléments de preuve suivants pour conclure au caractère objectivement anormal de la situation vécue par la travailleuse et, ainsi, à la présence de risques particuliers de développer une lésion psychique telle qu’un trouble d’adaptation :
· La chef d’équipe, madame Laura Lambert, reconnaît qu’il y avait un mur entre elle et la travailleuse et que, particulièrement à compter de l’été 2002, elle a tenté d’éviter la travailleuse et qu’elle ne voulait pas former la travailleuse en chirurgie majeure parce qu’elle craignait de manquer d’objectivité. Elle déclare également que personne d’autre dans le département ne voulait se charger de cette formation, une infirmière déclarant lors d’une réunion tenue le 4 octobre 2002 que personne ne voulait former la travailleuse et ainsi se mettre les médecins à dos, ceux-ci ne voulant pas de la travailleuse dans la salle d’opération ;
· Une collègue de travail, madame Suzanne Duguay, infirmière chez l’employeur depuis 1990, témoigne du fait qu’à l’époque de l’initiation de la travailleuse, il manquait du personnel et que cela a affecté la formation de la travailleuse, laquelle a été menée très différemment de la douzaine d’autres qu’elle a observées. Elle déclare également qu’en novembre 2001, elle est allée voir la supérieure hiérarchique pour lui demander de trouver une solution par rapport au fait que la travailleuse ne pouvait être initiée en salle de chirurgies majeures parce que les chirurgiens n’en voulaient pas. Elle atteste également du fait que la travailleuse n’était pas la bienvenue dans le département et qu’on la traitait véritablement comme une intruse, ce qu’elle avait été à même de constater presque quotidiennement. Elle explique que la travailleuse était venue supplanter une infirmière bien formée et intégrée dans l’équipe depuis janvier 1999 et que cela n’avait particulièrement pas été apprécié par les médecins ;
· Un autre collègue de travail, monsieur Robert Smith, infirmier chez l’employeur depuis 20 ans, dont dix ans au bloc opératoire, témoigne également. Il a été responsable de la formation de la travailleuse, bien que cela soit généralement du ressort de la chef d’équipe et qu’il n’ait quant à lui pas été libéré pour ce faire. Cela s’ajoutait donc à ses tâches régulières. Il reconnaît également que la formation de la travailleuse a dû être entrecoupée faute de personnel et n’a pas non plus respecté l’ordre de formation habituel. Mais surtout, il déclare que l’atmosphère au bloc opératoire était déjà mauvaise lors de l’arrivée de la travailleuse, mais que cela a été nettement pire pour elle : il évoque le fait que les gens l’ignoraient, qu’elle était « comme un pot de fleurs », qu’elle avait beau tenter de s’intégrer, cela ne donnait rien, que les médecins ne s’adressaient qu’à lui, ignorant littéralement la présence de la travailleuse, qu’on ne tolérait aucune erreur de la part de la travailleuse, pourtant en formation, la moindre erreur de sa part étant traitée comme « une catastrophe », et que la formation qu’il a reçue à son arrivée par rapport à celle reçue par la travailleuse était comme « le jour et la nuit », qu’il avait quant à lui été épaulé, soutenu, etc. En outre, le 4 octobre 2002, réunis en assemblée, il a été clairement exprimé que personne ne voulait travailler avec la travailleuse et encore moins la former, parce que les médecins en chirurgie n’en voulaient pas et que cela rendait le travail plus lourd et difficile. Personne n’a alors dit à la chef d’équipe que c’était son travail de le faire et la réunion s’est terminée sans qu’aucune solution ne soit trouvée. Il évoque même le fait qu’il a lui-même vécu un peu cette situation de rejet du fait qu’il avait accepté de former la travailleuse : lors de son évaluation de la travailleuse devant sept collègues de travail, on lui a notamment dit : « Toi, si on est encore pognés avec elle, c’est de ta faute ! »(sic) ;
· Une autre collègue de travail, madame Aurore Comeau, également infirmière au bloc opératoire chez l’employeur, témoigne du fait que ses collègues et elles ont refusé, lorsqu’on le leur a demandé, le 4 octobre 2002, de former la travailleuse en chirurgie majeure. Elle explique que cela n’aurait rien donné, les chirurgiens ne voulant pas de la travailleuse. Elle atteste également du fait que tout le monde fuyait la travailleuse, que personne ne la saluait et que si elle-même la saluait, elle subissait ensuite la froideur de ses collègues en guise de représailles. Elle précise que ces comportements hostiles ont débuté dès l’arrivée de la travailleuse, mais qu’ils ont perduré, d’autant que la formation de la travailleuse a été étirée sur un an environ alors qu’elle dure normalement environ huit à dix semaines ;
· Les deux témoins de l’employeur, mesdames Marlène Parisé, chef de service administratif au bloc opératoire à compter de janvier 2002, et Doris Smith, cadre du service de santé physique, confirment l’essentiel de la teneur de la réunion du 4 octobre 2002, mais surtout, confirment l’impression se dégageant de l’ensemble de la preuve : la situation et les plaintes de la travailleuse ont été considérées par la direction comme un simple problème de relation et de communication entre la travailleuse et sa chef d’équipe et il n’a pas été jugé utile de s’en mêler outre mesure, d’intervenir plus directement et de trouver une solution viable.
[27] La travailleuse a bien sûr également témoigné et relaté avec force détails de nombreux faits et événements illustrant le climat de travail ayant selon elle entraîné l’état psychique dans lequel elle s’est graduellement retrouvée et ayant entraîné ses arrêts de travail. Les témoins de l’employeur ont quant à eux donné leur version de ces « événements » qui n’en étaient effectivement pas nécessairement tous vraiment.
[28] Il s’avère en premier lieu qu’à la lumière de l’ensemble de la preuve, mais sans qu’il ne soit jugé utile d’élaborer plus longuement sur cette question qui n’est pas au cœur du litige de l’avis du tribunal, le tribunal ne peut conclure qu’il y a preuve prépondérante de harcèlement de la part de la chef d’équipe de la travailleuse à l’égard de cette dernière.
[29] On pourrait en effet considérer, comme l’employeur, qu’il était professionnel de la part de madame Lambert de se tenir en retrait par rapport à la travailleuse envers qui elle sentait qu’elle ne pourrait faire preuve d’objectivité. Et que l’attitude de la travailleuse n’a pas aidé à établir une meilleure relation entre les deux. Mais, dès lors, l’employeur devait exercer non seulement son droit, mais son devoir de gestion. Il ne pouvait laisser la travailleuse, nouvelle arrivée dans un département difficile de surcroît, sans véritable chef d’équipe.
[30] En fait, indépendamment du détail des nombreux incidents commentés par la travailleuse et les témoins de l’employeur, indépendamment de l’attitude un peu rigide de la travailleuse et indépendamment des difficultés d’adaptation professionnelle qu’elle a pu éprouver dans ses nouvelles tâches, il s’avère que rien de tout cela ne peut justifier l’attitude hostile et le rejet systématique dont la travailleuse a été victime dans ce département et l’absence d’intervention efficace de la part de l’employeur au fil des mois, hostilité, rejet et absence de soutien ressortant de façon prépondérante de l’ensemble des témoignages entendus, mais de façon plus particulièrement éloquente de ceux des autres infirmiers(ères) du département.
[31] Le tribunal souligne d’ailleurs qu’il ne pouvait s’agir d’un seul problème de perception de la part de la travailleuse : ses collègues attestent avec emphase de leur malaise et du rejet constaté de la part d’autres collègues et surtout de médecins du bloc opératoire, l’ensemble de ce malaise s’étant cristallisé en étant clairement verbalisé lors de la réunion du département du 4 octobre 2002.
[32] L’employeur allègue par ailleurs en avoir beaucoup fait pour la travailleuse, lui avoir donné beaucoup de chances, etc. Il apparaît cependant évident qu’il n’a pas fait ce qu’il fallait : s’il considérait la travailleuse incapable d’exercer ce travail, il ne fallait pas étirer le supplice pendant un an. S’il considérait qu’il y avait un problème de relation et de communication dans l’équipe, il fallait le régler. En d’autres termes, il devait éviter que la situation perdure sur une si longue période et qu’elle dégénère, sans soutien, ni intervention efficace de sa part, la travailleuse étant celle qui faisait particulièrement les frais de ce laxisme.
[33] En résumé, la situation vécue par la travailleuse à compter de son entrée en fonction au bloc opératoire en novembre 2001 comptait de nombreux risques de développer une lésion psychique, risques objectifs et, dans leur ensemble, débordant du cadre normal, habituel du travail. Ainsi, plus particulièrement :
· Une nouvelle affectation, de surcroît dans une équipe de travail où le climat de travail était déjà difficile et où le travail est stressant ;
· Une arrivée dans une équipe de travail qu’elle « brisait » du fait même de son arrivée, d’où une réaction d’emblée négative à son endroit ;
· Une relation difficile, voire conflictuelle, avec sa chef d’équipe ;
· Des agissements hostiles et une forme évidente et persistante d’exclusion, de rejet de la part de collègues de travail et de médecins avec lesquels elle était appelée à travailler ;
· Une formation quelque peu déficiente du fait du manque d’effectifs, entraînant notamment une discontinuité au niveau de sa formation, un ordre inversé de formation et un formateur qui n’est pas libéré de ses autres tâches ;
· Une situation d’isolement, la travailleuse étant la seule à être confrontée à cette situation de rejet et n’ayant pas d’alliances véritables dans l’équipe du fait de son arrivée récente ;
· Une prolongation sur une période de quelques mois de la situation décrite, du fait d’une certaine inaction de l’employeur ou à tout le moins, d’absence d’action efficace.
[34] En outre, le tribunal constate que la lésion psychique de la travailleuse s’est manifestée de façon concomitante à cette situation vécue au travail, que tous les médecins intervenus dans le dossier font état d’un diagnostic de trouble d’adaptation en référant au travail, que la travailleuse ne présente ni antécédents de même nature ni condition personnelle la prédisposant à développer une telle lésion et que, finalement, la situation invoquée apparaît, à sa face même, de nature à engendrer une lésion telle que celle diagnostiquée chez la travailleuse.
[35] La travailleuse ayant démontré de façon prépondérante avoir été atteinte d’une maladie, en l’occurrence un trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive, reliée directement aux risques particuliers du travail qu’elle a exercé de novembre 2001 à octobre 2002, le tribunal conclut que cette lésion constitue une lésion professionnelle.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la travailleuse, madame Émilia Langlais ;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 juin 2003 à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 4 octobre 2002.
[1] Â Â Â Â Â Â Â Â Â L.R.Q., c. A-3.001
[2]          AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION, DSM-1V : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4e éd., Paris, Masson, 1996, 1008 p.
[3] Â Â Â Â Â Â Â Â Â Gougeon et Restaurants Wendy
du Canada inc.,
[4]          Lavoie et Récupération
Grand-Portage inc.,
[5] Â Â Â Â Â Â Â Â Â Gougeon et Restaurants Wendy
du Canada inc., précitée, note 3; Genest et Revenco (1991)
inc., précitée, note 3; Pelletier et La Commission scolaire de L'Estuaire, précitée, note 3; Gagné et Ville
de Princeville, précitée, note 3; Trépanier et C.P.E La Maison des enfants, précitée, note 3; Paré et Château Bromont,
précitée, note 3; La Petite Maison de la Miséricorde et Barrette; Boivin et DRHC Direction Travail,
précitée, note 3; Lacasse et Service correctionnel du Canada,
précitée, note 3; Laflamme et Centre de jour Feu vert inc.,
précitée, note 3; Monsieur C. et Celanese Canada (Div. Drummond),
précitée, note 3; Ranger et Régie Sécurité publique Lasalle-Verdun,
précitée, note 3; Landry et Jeno Neuman & Fils inc.,
précitée, note 3; Auger et Bois Blanchet inc., précitée, note
3; Violette et Pauline Violette psychologue, précitée, note 3; Tremblay
et Clinique vétérinaire de Charlevoix, précitée, note 3; Cromp
et Hôtel des Gouverneurs Île Charron, précitée, note 3; Franz et
C.H.U.M. (Pavillon Notre-Dame), précitée, note 3; Michaud et Restaurant
Les Étoiles Ville-Émard, précitée, note 3; Delisle et Commission
scolaire de la Seigneurie des
Mille-îles, précitée, note 3; Tapp et Centre Jeunesse Gaspésie-Les
Îles, précitée, note 3; Houle et Ville de Montréal,
[6]          Lavoie et Récupération Grand-Portage inc., précitée, note 4; Bisson et Poissonnerie Bari ltée, précitée, note 4; Thibault et DRHC -- Direction de travail, précitée, note 4;  Blanchet et Autobus Transco 1988 inc., précitée, note 4; Rondou et Administration régionale Kativik, précitée, note 4;   Tanguay et Prospection inc., précitée, note 4; Viger et Magasin Laura PV inc., précitée, note 4; Belleau et Agence canadienne d'inspection des aliments D.R.H.C. Direction Travail, précitée, note 4; Bilodeau et Commission scolaire des Navigateurs, précitée, note 4; St-Pierre et Borden (Division Catelli), précitée, note 4.
[7] Â Â Â Â Â Â Â Â Â Chartier et Wal-Mart Canada
inc.,
[8] Â Â Â Â Â Â Â Â Â Menuiserie Mont-Royal
inc. et
Gingras,
[9]          Gahéry et Service de police
de la Communauté urbaine de Montréal,
[10]        Gervais et Le Groupe GMP international inc., précitée, note 7; Boivin et CLSC Villeray, précitée, note 7; Plourde et Syndicat copropriétaires Terr. du Fleuve, précitée, note 7;  Wilhelmy et Cogeco Radio-Télévision inc., précitée, note 7; Beaulieu et Commission scolaire des Phares, précitée, note 7.
[11]        G.-M.P. et Société
Radio-Canada,
[12] Â Â Â Â Â Â Â Lavoie et CUM,
[13]        Rhéaume et CSST,
[14] Â Â Â Â Â Â Â Dufour et Corporation
Urgence-santé,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.