Les Courageuses c. Rozon |
2018 QCCS 2089 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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(Action collective) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-06-000892-170 |
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DATE : |
22 mai 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
Donald Bisson, J.C.S. |
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LES COURAGEUSES |
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Demanderesse |
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c. |
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GILBERT ROZON |
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Défendeur |
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JUGEMENT SUR DEMANDE D’AUTORISATION D’EXERCER UNE ACTION COLLECTIVE |
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[1] La demanderesse Les Courageuses saisit le Tribunal d’une Demande pour autorisation d’exercer une action collective pour le groupe suivant, duquel elle allègue que la membre désignée Mme Patricia Tulasne est membre :
« Toutes les personnes agressées et/ou harcelées sexuellement par Gilbert Rozon »[1]
[2] La demanderesse entend exercer pour le compte de la membre désignée et des membres du groupe une action en responsabilité civile extracontractuelle pour dommages-intérêts compensatoires et dommages-intérêts punitifs à l’encontre du défendeur M. Gilbert Rozon au motif que ce dernier aurait agressé et harcelé sexuellement de nombreuses femmes adultes et mineures pendant des décennies.
[3] En défense, M. Rozon conteste vigoureusement la demande et prétend que trois des quatre conditions permettant l’autorisation d’une action collective ne sont pas présentes, ni de près, ni de loin, en ce que :
- Il n’y a aucune apparence de droit pour les allégations d’agression sexuelle à l’encontre de la membre désignée, puisque cette dernière n’allègue aucun élément de preuve spécifique et se contredit dans le cadre d’une entrevue donnée à Radio-Canada le 19 octobre 2017[2]. Il n’y a pas non plus d’apparence de droit pour ce qui est des allégations d’agression sexuelle envers les autres membres du groupe, ces allégations ne reposant sur aucun élément de preuve permettant d’en démontrer le sérieux. De plus, le recours de la membre désignée est prescrit et ses allégations d’impossibilité d’agir sont insuffisantes;
- À supposer qu’il existerait une apparence de droit, le dossier comporte uniquement des questions individuelles, et ne comporte aucune question identique, similaire ou connexe permettant de faire avancer le dossier des membres du groupe. Chaque agression sexuelle alléguée doit être étudiée individuellement, sans aucun fil conducteur entre elles, l’analyse à faire étant éminemment personnelle et subjective à chacune des membres du groupe proposé, notamment quant au consentement. Au surplus il y a une disparité potentielle des membres du groupe eu égard à la question de la prescription;
- L’existence d’un groupe n’est pas démontrée et, s’il en existait un, il dépend de l’issue du procès au mérite et il n’est pas composé d’assez de membres pour justifier une action collective.
[4] M. Rozon ne conteste pas la représentation de la demanderesse Les Courageuses.
[5] Dans son plan d’argumentation, M. Rozon soumet en terminant un « argument final » selon lequel le recours proposé dans la Demande d’autorisation, en plus de ne pas respecter les critères d’autorisation, est disproportionné en ce qu’il rend nécessaire l’analyse individuelle de la situation de chaque membre avant toute possibilité d’analyse commune, pour des gestes commis par un seul défendeur sur une période indéfinie, contrevenant ainsi à l’article 18 du Code de procédure civile[3] (le « Cpc »).
[6] On trouvera une table des matières à la fin du présent jugement.
[7] L’article 575 Cpc exige que quatre conditions soient réunies pour que le Tribunal puisse accueillir une demande d’autorisation d’une action collective :
575. Le tribunal autorise l'exercice de l'action collective et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que :
1. les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;
2. les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;
3. la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des règles sur le mandat d'ester en justice pour le compte d'autrui ou sur la jonction d'instance;
4. le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres.
[8] Le Tribunal note[4] qu’il n’existe pas de « cinquième critère » et que la règle de la proportionnalité énoncée à l’article 18 Cpc ne constitue pas une cinquième condition indépendante en matière de demande d’autorisation d’exercer une action collective. Ainsi, l’« argument final » de M. Rozon ne peut être étudié de façon séparée de l’analyse des critères de l’article 575 Cpc. Compte tenu de son libellé, cet argument porte sur une contestation de l’article 575(1) Cpc.
[9] Rappelons qu’en 2014, la Cour suprême du Canada[5] résume l’état du droit selon lequel le véhicule procédural qu’est l’action collective poursuit plusieurs objectifs, dont, entre autres, la facilitation de l’accès à la justice, la modification des comportements préjudiciables et l’économie des ressources judiciaires. En 2017, la Cour d’appel[6] est venue préciser ainsi l’application de ces principes dans le cadre d’action collective en matière de responsabilité pour sévices sexuels :
- Il n’existe aucune raison susceptible d’entraver l’efficacité de l’action collective en matière de responsabilité pour sévices sexuels;
- Le double objectif poursuivi par cette procédure que sont la dénonciation et l’indemnisation commande une approche contextualisée basée sur des conditions propices à l’émergence de la vérité;
- Si l’action collective vise plusieurs victimes pour des gestes posés sur une longue période de temps, le nombre possiblement élevé de victimes potentielles, bien qu’inconnu au début des procédures, justifie pleinement l’exercice d’une action collective;
- Au départ, il se peut qu’une seule victime se manifeste, et qu’elle décide d’exercer une action collective en son nom et au nom de toutes les autres victimes. Il importe peu que cinq, dix, cinquante ou cent victimes se joignent à l’action collective une fois qu’elle est autorisée. Bien qu’au départ, ce nombre ne puisse être déterminé, l’action collective devrait être autorisée pour favoriser l’accessibilité à la justice aux victimes de violence sexuelle, qui doivent déjà surmonter d’énormes difficultés dans l’exercice de leurs recours individuels. D’ailleurs, certains tribunaux canadiens ont même conclu que l’action collective est susceptible d’aider les victimes, qui sont particulièrement vulnérables;
- Pour les victimes, s’il y a une possibilité que leur identité soit dévoilée, il y a un grand risque qu’elles ne présentent pas de réclamation, ce qui serait contraire à l’objectif social de l’action collective qui est de permettre l’accès à la justice.
[10] La particularité du présent dossier est que la demande ne vise pas une institution au sein de laquelle travaillait l’agresseur allégué, mais bien uniquement l’agresseur allégué seul. Malgré cette particularité, le Tribunal ne voit pas pourquoi les principes directeurs énoncés par la Cour d’appel et reproduits au paragraphe précédent ne s’appliqueraient pas ici. L’identité et l’âge des victimes n’ont pas d’influence sur ces principes, qui sont universels.
[11] Le Tribunal va donc aborder en ordre les sept questions suivantes :
1) Y a-t-il apparence de droit?
2) Y a-t-il des questions identiques, similaires ou connexes?
3) La composition du groupe justifie-t-elle l’exercice de l’action collective?
4) La représentation par la demanderesse est-elle adéquate?
5) Quels doivent être les paramètres du groupe et des questions identiques, similaires ou connexes?
6) Quels sont les paramètres de l’avis d’autorisation et la période d’exclusion?
7) Quel est le district judiciaire dans lequel l’action collective doit s’exercer?
[12] Il est à propos de débuter[7] l’analyse par la question de l’apparence de droit (article 575(2) Cpc), bien que ce critère soit le deuxième dans l’énumération de l’article 575 Cpc. En effet, avant de se demander si les recours individuels des membres présentent un caractère collectif, il convient d'en analyser d'abord le fondement apparent, sans lequel la demande serait de toute manière vouée à l'échec.
[13] L’article 575(2) Cpc prévoit la condition suivante : « les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées ». La Cour d’appel résume ainsi l’état du droit sur ce critère dans l’arrêt Charles c. Boiron Canada Inc.[8] :
« [43] En somme, cette condition sera remplie lorsque le demandeur est en mesure de démontrer que les faits allégués dans sa demande justifient, prima facie, les conclusions recherchées et qu’ainsi, il a une cause défendable. Toutefois, des allégations vagues, générales ou imprécises ne suffisent pas pour satisfaire ce fardeau. En d’autres mots, de simples affirmations sans assise factuelle sont insuffisantes pour établir une cause défendable. Il en sera de même pour les allégations hypothétiques et purement spéculatives. Selon l’auteur Shaun Finn, en cas de doute, les tribunaux penchent en faveur du demandeur sauf si, par exemple, les allégations sont manifestement contredites par la preuve versée au dossier. »
[14] Dans l’arrêt récent Asselin c. Desjardins Cabinet de services financiers Inc.[9], la Cour d’appel réitère les éléments suivants quant à l’analyse de l’apparence de droit :
· Au stade de l’autorisation, le requérant doit seulement présenter une cause soutenable, c’est-à-dire ayant une chance de réussite, sans qu’il ait à établir une possibilité raisonnable ou réaliste de succès;
· S’il est vrai que l’on ne doit pas se satisfaire du vague, du général et de l’imprécis, l’on ne peut pour autant fermer les yeux devant des allégations qui ne sont peut-être pas parfaites, mais dont le sens véritable ressort néanmoins clairement. Il faut donc savoir lire entre les lignes;
· Il ne s’agit donc pas d’exiger de celui qui demande l’autorisation d’intenter une action collective le menu détail de tout ce qu’il allègue ni celui de la preuve qu’il entend présenter au soutien de ces allégations dans le cadre du procès sur le fond;
· Le juge autorisateur doit se garder d’examiner sous toutes leurs coutures les éléments produits par l’une et l’autre des parties, au risque de transformer la nature d’un débat qui ne doit ni empiéter sur le fond, ni trancher celui-ci prématurément, ni porter sur les moyens de défense de l’intimé;
· les faits allégués doivent être tenus pour avérés, à moins que leur fausseté ne se révèle de manière flagrante. Cela peut se produire, par exemple, lorsque les allégations de la demande d’autorisation sont irréductiblement contradictoires à leur face même ou encore quand la preuve - limitée - produite par les parties en montre à l’évidence - c’est-à-dire d’une manière qui s’impose à l’esprit avec une incontestable certitude - la fausseté ou la vacuité;
· La possibilité que la preuve au mérite soit difficile à faire n’est pas un motif de ne pas autoriser une action collective.
[15] Rappelons qu’ici, dans un cas où la demanderesse est une personne morale au sens de l’alinéa 3 de l’article 571 Cpc, l’apparence de droit doit être analysée à la lumière du cas personnel de la membre désignée, et non pas à la lumière des cas de tout le groupe.
[16] Dans la Demande d’autorisation, la demanderesse présente les allégations suivantes quant à la situation personnelle de la membre désignée, qu’il convient de reproduire au long[10] :
2.10. De fait, au printemps 1998, Rozon a non seulement été accusé d’agression sexuelle sur une jeune femme de 19 ans, mais aussi de voies de fait et de séquestration sur une autre femme de 31 ans;
2.11. En novembre 1998, Rozon a plaidé coupable à l’accusation d’agression sexuelle, mais la Couronne a retiré les accusations de séquestration et de voies de fait. Ces faits sont relatés dans un article du journal Le Devoir du 1er décembre 1998, pièce R-4;
2.12. Plaidant qu’il s’agissait d’une première offense et qu’un casier judiciaire serait gênant pour ses importantes activités internationales, Rozon a porté en appel sa sentence, qui consistait à payer une amende de 1 100$, avec succès. Une copie du jugement de la Cour supérieure accordant une absolution inconditionnelle à Rozon pour l’agression sexuelle dont il s’était avoué coupable est produite comme pièce R-5;
2.13. Or, Rozon n’en était pas à sa première agression sexuelle en 1998, ayant déjà à ce moment violé, brutalisé et harcelé de nombreuses femmes qui étaient dans l’impossibilité de le dénoncer et de le rechercher en justice;
2.14. Rozon a profité du silence, de la crainte, de la honte et de l’impossibilité d’agir de ses victimes pour continuer sa prédation sans jamais cesser de grandir en prestige et popularité;
2.23. La membre désignée, Madame Patricia Tulasne, est une des membres fondatrices de Les Courageuses. Elle a été agressée sexuellement par Rozon à l’été 1994 alors qu’elle avait 35 ans;
2.24. À cette époque, Madame Tulasne, qui est comédienne, avait eu un rôle dans la pièce Le dîner de cons;
2.25. En août 1994, il y a eu un souper avec les acteurs de la pièce pour souligner la dernière représentation et Rozon s’est joint à l’équipe. Il s’agissait de la première fois que Madame Tulasne rencontrait Rozon;
2.26. Lors du souper, Rozon ne lui avait pas particulièrement parlé ou porté d’attention de sorte que Madame Tulasne ne s’est pas méfiée lorsque Rozon lui a proposé de la reconduire à la maison, les deux habitant à Outremont;
2.27. Arrivé chez Madame Tulasne, alors qu’elle s’apprêtait à sortir du véhicule, Rozon lui demande s’il peut monter chez elle. Madame Tulasne, qui n’avait aucun désir de passer du temps avec Rozon et qui d’ailleurs était en relation, lui répond que non et qu’elle doit promener son chien et se lever tôt le lendemain;
2.28. Rozon impose néanmoins sa présence pour accompagner Madame Tulasne dans sa promenade avec son chien. La promenade s’est alors éternisée, car Rozon ne voulait pas partir;
2.29. Après avoir fait le tour du bloc plusieurs fois, Madame Tulasne se tanne et lui dit qu’elle doit absolument rentrer se coucher. Rozon l’a suivie, contre son gré;
2.30. Le comportement de Rozon a alors radicalement changé. Il s’est introduit de force dans son appartement, a plaqué Madame Tulasne contre le mur, s’est jeté sur elle et s’est mis à déboutonner sa robe et à l’embrasser de force;
2.31. Madame Tulasne était figée, en choc et avait extrêmement peur. Rozon a baissé son pantalon et à froid, sans mettre de condom, l’a agressée sexuellement;
2.32. Après avoir éjaculé, Rozon a remonté son pantalon et est parti;
2.33. Madame Tulasne était dégoûtée et tremblait de peur;
2.34. Quelques années plus tard, Madame Tulasne répétait pour un sketch lorsqu’elle voit Rozon. Elle portait alors un costume rose et celui-ci s’est écrié d’un ton arrogant et méprisant « T’as l’air d’une grosse pute rose ». Ce commentaire, venant de la personne qui l’avait agressée, a profondément humilié Madame Tulasne qui tremblait et retenait ses larmes;
2.35. Ce que Madame Tulasne ne comprenait pas à l’époque, mais réalise aujourd’hui depuis la vague de dénonciations #moiaussi, est que les conséquences de l’agression ont été dévastatrices pour elle et ont complètement chamboulé sa vie;
2.36. Après l’agression sexuelle de l’été 1994, Madame Tulasne est tombée en profonde dépression. Elle pleurait constamment et avait des idées noires. Elle a délaissé son appartement à Montréal pour vivre en campagne puisqu’elle voulait être seule et ne voulait pas avoir de contact avec qui que ce soit;
2.37. Elle a laissé son conjoint, sans jamais lui révéler qu’elle avait été agressée sexuellement, se sentant incapable d’en parler;
2.38. Madame Tulasne est célibataire depuis ce temps. Elle n’a jamais eu de relation amoureuse sérieuse depuis l’agression sexuelle, étant incapable de faire confiance aux hommes. Elle n’a donc jamais fondé de famille et elle vit seule avec ses chiens et ses chats;
2.39. Madame Tulasne a également perdu intérêt pour sa carrière et avait beaucoup de difficulté à être productive et à aller chercher des rôles, ayant perdu toute confiance en elle;
2.40. Elle vivait, et continue encore aujourd’hui à vivre beaucoup de culpabilité, croyant à tort que l’agression devait être de sa faute. Elle a honte, se sent sale, dénigrée, manipulée et a le sentiment qu’elle ne vaut rien;
2.41. Avant octobre 2017, soit lorsque plusieurs victimes de Rozon ont eu le courage de le dénoncer, Madame Tulasne n’avait jamais discuté des détails de l’agression sexuelle;
2.42. Avant octobre 2017, Madame Tulasne n’aurait jamais été capable de dénoncer Rozon. Il était inimaginable pour elle de le dénoncer puisqu’il était une personnalité publique très puissante tant dans l’industrie artistique, que dans la sphère politique et sociale. Elle le voyait comme un être idéalisé et intouchable;
2.43. Madame Tulasne avait peur de l’opprobre social, soit qu’on l’accuse d’avoir consenti à l’agression, qu’elle ne soit pas crue, qu’on la traite de séductrice, et que le public se mette contre elle pour oser accuser un homme aussi vénéré dans la société québécoise;
2.44. La vague de dénonciation #moiaussi a été l’élément déclencheur qui a fait remonter sa propre histoire d’abus qu’elle tentait jusqu’alors de refouler;
2.45. Grâce au courage des autres femmes qui se sont manifestées en octobre 2017, Madame Tulasne a senti une obligation morale et sociale de dénoncer pour la première fois Rozon, afin d’aider les autres victimes et mettre fin à son comportement;
2.46. Avant octobre 2017, Madame Tulasne n’avait jamais fait le lien entre tous les problèmes dans sa vie et l’agression sexuelle de Rozon. Elle avait refoulé l’histoire, et elle était incapable de s’avouer à elle-même qu’elle avait été victime d’agression sexuelle. Or, depuis la dénonciation, elle pleure sans cesse, tremble, revit l’agression, souffre beaucoup d’anxiété et a très peur;
2.47. Même lorsqu’elle a accordé une entrevue aux journalistes, elle n’était pas capable d’admettre avoir été violée, ayant peur d’être jugée puisqu’elle a été psychologiquement incapable de résister ou de se démener contre Rozon;
2.48. Elle réalise aujourd’hui qu’elle a été victime d’agression sexuelle, de violence, de manipulation et que Rozon en est entièrement responsable;
4.1. Les personnes victimes de sévices sexuels ont énormément de difficulté à dénoncer ces gestes, surtout lorsque l’agresseur est une personne idéalisée et hautement estimée dans la société, de sorte qu’il est pratiquement certain que plusieurs victimes ne se sont pas encore fait connaitre;
[17] Selon M. Rozon, ces allégations ne démontrent aucune apparence de droit puisque la demanderesse n’allègue aucun élément de preuve spécifique au soutien des allégations relatives aux actes d’agression sexuelle et de harcèlement prétendument commis par M. Rozon à l’endroit de la membre désignée. Selon lui, cette dernière s’est au surplus contredite. Enfin, selon lui, le recours de la membre désignée est prescrit et il y a insuffisance d’allégations concernant l’impossibilité d’agir.
[18] Le Tribunal est en désaccord. Voici pourquoi.
[19] Concernant la suffisance des allégations, de l’avis du Tribunal, les allégations reproduites sont factuelles et ne constituent pas des opinions, ni des déductions insoutenables, ni des éléments hypothétiques ou purement spéculatifs. Ces allégations factuelles sont tenues pour avérées, à moins que leur fausseté ne se révèle de manière flagrante, notamment par la preuve déposée par M. Rozon.
[20] Or, M. Rozon n’a pas formellement tenté de nier ces évènements ni ne les a formellement niés[11]. C’est plutôt leur interprétation qu’il a remise en cause, ainsi que la prescription du recours de la membre désignée et l’insuffisance des allégations concernant l’impossibilité d’agir.
[21] De l’avis du Tribunal, il n’était pas requis que la membre désignée allègue des éléments spécifiques supplémentaires outre sa version des faits. Sa version des faits, telle que contenue aux allégations reproduites ci-haut, n’est pas une simple affirmation, mais elle constitue en soi une preuve des faits, constituée d’allégations de faits particuliers précis et des circonstances spécifiques. C’est ce que la Cour d’appel exige en matière de sévices sexuels[12] et c’est ce que la membre désignée a allégué. Il est irréaliste de demander que la membre désignée fournisse une preuve matérielle ou un aveu de son prétendu agresseur, deux éléments qui de toute façon ne sont pas disponibles, surtout plus de vingt ans après les faits. Autrement dit, la conséquence de ce que M. Rozon exige est qu’aucune action collective pour agression sexuelle et préjudice moral ne pourrait être autorisée sans élément de preuve autre que la version personnelle des faits des victimes. Le Tribunal est en désaccord avec cette position qui réduit à néant la version des faits des victimes.
[22] De plus, dans l’arrêt J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, les allégations factuelles de base du représentant J.J. étaient basées uniquement sur sa version personnelle des faits. La Cour d’appel mentionne ceci à l’égard de l’apparence de droit requise :
« [89] [...] En matière d’agression sexuelle, l’explicite est l’exception et la quête de faits concrets se heurte souvent à l’incapacité morale de la victime de dénoncer son agresseur. Ce sont pour ces raisons qu’une approche flexible et généreuse doit prévaloir en matière d’action collective si l’on souhaite atteindre les objectifs de dénonciation et d’indemnisation que poursuit cette procédure à vocation sociale.
[...]
[92] Bref, la nature même des sévices, le statut des agresseurs présumés et la vulnérabilité des victimes constituaient des éléments pertinents (le contexte) qui devaient être pris en compte au moment d’appliquer la bonne norme juridique aux conditions de l’article 575 C.p.c.
[93] Toujours concernant la suffisance des faits allégués, j’estime, outre ce qui précède, que les éléments suivants énoncés dans la demande d’autorisation fondaient l’exercice de l’action collective :
1) la preuve de l’émission « Enquête » de Radio Canada du 30 septembre 2010 qui discute notamment de la connaissance par les autorités des congrégations religieuses des activités délictuelles de leurs membres;
2) la version révélée lors de cette émission de Wilson Kennedy, ancien frère de St-Croix venu affirmer que la Congrégation était au fait des agressions sexuelles commises par ses membres; et
3) le tableau des victimes faisant état de noms de certains religieux en situation d’autorité. »
[23] Ces propos s’appliquent ici puisque :
- La version des faits de la membre désignée est suffisante, particulièrement précise et comportant des circonstances très spécifiques;
- Un article du journal Le Devoir rapporte que neuf femmes ont raconté à ce journal et à la station de radio 98,5 FM les agressions qu’elles ont subies de la part de M. Rozon.
[24] Comme le souligne la Cour d’appel en matière d’agression sexuelle, l’explicite est l’exception.
[25] Sur ce même argument, M. Rozon argumente oralement à l’audience que le fait de charmer en utilisant son pouvoir n’est pas en soi une faute. De plus, selon lui, il faut se questionner sur le consentement des victimes alléguées, qui est un élément qui se passe dans la tête de ces dernières et pour lequel il n’est pas responsable. Le Tribunal rejette ces arguments car :
- Ils ne correspondent pas aux allégations factuelles de la membre désignée, qui n’a pas été « charmée par son patron ». Au contraire, M. Rozon a imposé sa présence pour accompagner la membre désignée dans sa promenade avec son chien, il l’a suivie contre son gré, il s’est introduit de force dans son appartement, il l’a plaqué contre le mur, il s’est jeté sur elle, il s’est mis à déboutonner sa robe et à l’embrasser de force, il a baissé son pantalon et à froid, sans mettre de condom, il l’a agressée sexuellement, il a éjaculé, il a remonté son pantalon et il est parti;
- Il n’y a donc pas eu de consentement, selon les allégations de la Demande d’autorisation;
- Le cas de la membre désignée ne correspond aucunement à la banalisation grossière et déformée que présente M. Rozon;
- Au surplus, M. Rozon a harcelé la membre désignée plusieurs années plus tard avec des paroles[13].
[26] Concernant les prétendues contradictions, M. Rozon prétend en effet que les propos de la membre désignée sont contradictoires et enlèvent toute apparence de droit à sa version de son histoire. Selon M. Rozon, dans une entrevue donnée à Radio-Canada le 19 octobre 2017[14], la membre désignée a indiqué que, lors de la prétendue agression sexuelle par M. Rozon d’août 1994, elle avait consenti à cet acte, il y a eu une relation sexuelle qu’elle ne désirait pas et M. Rozon n’a pas été violent. Selon M. Rozon, la membre désignée a parlé d’une relation sexuelle avec consentement et a donc nié la violence et le viol, d’où absence d’apparence de droit d’agression sexuelle et de harcèlement.
[27] Voici la portion pertinente de la transcription libre de cette entrevue :
Interviewer : « Moi je vous demandais la relation vous la qualifiez comment? Est-ce qu’on peut dire que c’est un viol c’est une agression… comment vous qualifiez tout ça? »
Tulasne : « Ouf! C’est difficile. C’est difficile, sur le coup j’lai pas vécu comme un viol… heu… à proprement parler puisque, en quelque part j’avais … j’avais consenti cet acte-là. Mais agression oui certainement, y a eu … y a eu envahissement de mon espace privé, y a eu un … une relation que je ne désirais pas… y a eu heu… y a eu heu… il n’a pas été violent, mais il y a eu … y a eu très nettement il voulait, il voulait arriver à son but et … heu il y est arrivé quoi, donc c’est certainement pas une relation… moi j’en garde pas un bon souvenir, ça c’est certain. »
[…]
Intervieweur : « Est-ce que vous avez déjà pensé à porter plainte? »
Tulasne : « Jamais. »
Intervieweur : « Et maintenant? »
Tulasne : « Non. … Je porterais pas plainte…parce que … parce que… hum… si… si y m’avait réellement violée là mettons, si… si… si un inconnu me viole dans une ruelle, c’est évident que je vais porter plainte… mais je sais pas pourquoi… quelque part-là, c’est épouvantable de dire ça, pis là ça… ça relève de la psychanalyse, mais… c’est… je ressens que probablement le même syndrome que les gens qui connaissent leur agresseur là… et qui veulent pas forcément le dénoncer, je sais pas. »
[…] »
[28] Le Tribunal est en désaccord avec cet argument de M. Rozon, puisque :
- La Demande d’autorisation elle-même explique cette prétendue contradiction qui n’en est finalement pas une. En effet, selon la Demande d’autorisation :
2.47 Même lorsqu’elle a accordé une entrevue aux journalistes, elle n’était pas capable d’admettre avoir été violée, ayant peur d’être jugée puisqu’elle a été psychologiquement incapable de résister ou de se démener contre Rozon;
2.48 Elle réalise aujourd’hui qu’elle a été victime d’agression sexuelle, de violence, de manipulation et que Rozon en est entièrement responsable;
- Ces allégations de la Demande d’autorisation répondent donc à l’argument de M. Rozon et viennent le contrecarrer;
- Le débat à savoir qui dit vrai sera fait au mérite de l’action collective, avec toute la preuve pertinente. Ce type d’argument doit être décidé au mérite, et non pas de façon préalable;
- Le caractère contradictoire des allégations de la membre désignée provient selon M. Rozon des paroles de cette dernière, et donc d’une interprétation des mots employés et de leur contexte. Le Tribunal note que cet argument ne provient pas d’une déclaration de M. Rozon lui-même, faite dans le cadre de la présente procédure, mais plutôt d’un élément de preuve[15]. Donc, a fortiori, ce genre de débat est pour le mérite;
- Bref, la fausseté des allégations factuelles de la membre désignée ne se révèle de manière flagrante.
[29] Concernant la prescription et l’impossibilité d’agir, M. Rozon présente un argument selon lequel le recours de la membre désignée est prescrit depuis longtemps et, de toute façon, cette dernière n’a pas allégué de façon adéquate l’impossibilité d’agir.
[30] Selon M. Rozon, la modification à l’article 2905 du Code civil du Québec (le « CcQ ») et l’ajout de l’article 2926.1 CcQ par les articles 6 et 7 de Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, la Loi visant à favoriser le civisme et certaines dispositions du Code civil relatives à la prescription[16] ( la « Loi de 2013 ») n’ont aucun impact sur le recours de la membre désignée, qui est prescrit depuis longtemps à la lumière des dispositions transitoires de cette loi. Ces dispositions transitoires sont les articles 12, 13 et 14 de la Loi de 2013, qui se lisent ainsi :
12. La suspension de la prescription prévue à l’article 2905 du Code civil du Québec, édictée par l’article 6 de la présente loi, n’est applicable aux situations juridiques en cours qu’à partir de l’entrée en vigueur de cet article 6.
13. Les délais de prescription prévus à l’article 2926.1 du Code civil, édicté par l’article 7 de la présente loi, sont applicables aux situations juridiques en cours en tenant compte du temps déjà écoulé. Les dispositions de ce même article 2926.1 du Code civil qui concernent le point de départ du délai de prescription sont déclaratoires.
14. La présente loi entre en vigueur le 23 mai 2013.
[31] Selon M. Rozon, la prescription applicable au recours de la membre désignée est celle de trois ans prévue à l’article 2925 CcQ; l’article 2926.1 CcQ ne lui est d’aucun secours. Selon lui, toute réclamation dont le délai de prescription de trois ans était acquis au 23 mai 2013, date d’entrée en vigueur de l’article 2926.1 CcQ., ne peut « revivre » du fait de cette modification législative, qui n’est pas rétroactive vu les termes de l’article 13, selon l’auteur Daniel Gardner[17]. Ainsi, les droits d’action découlant d’actes commis au plus tard le 22 mai 2010 sont éteints, ce qui est le cas de la membre désignée dont les allégations visent les années 90.
[32] M. Rozon continue et ajoute que, de toute façon, la membre désignée n’a pas allégué de façon adéquate l’impossibilité d’agir, ce qui vient faire échec à son recours. Selon lui, la Demande d’autorisation se limite à l’exposé de la situation particulière de la membre désignée et à son appréciation subjective de ce qu’elle pouvait et ne pouvait pas faire, et ne contient même pas d’allégation générale quant aux raisons plus larges expliquant l’impossibilité d’agir des autres membres du groupe proposé. Selon lui, l’impossibilité d’agir requiert[18] d’établir l’existence d’une crainte qui soit subjectivement déterminante telle qu’il soit psychologiquement ou physiquement impossible d’avoir recours aux tribunaux, ce qui n’est pas allégué ici.
[33] Le Tribunal est en désaccord avec ces arguments pour les raisons suivantes :
- Les questions de la prescription et de l’impossibilité d’agir de la membre désignée sont des éléments complexes qui nécessitent une preuve et qui donc, par définition, ne peuvent être tranchées à l’autorisation, à moins d’être flagrant, ce qui n’est pas le cas ici de l’avis du Tribunal[19];
- Cela est d’autant vrai que ces questions devront être analysées à la lumière du nouvel article 2926.1 du Code civil du Québec (le « CcQ ») et de l’article 2905 CcQ également modifié, qui se lisent ainsi :
2926.1. L’action en réparation du préjudice corporel résultant d’un acte pouvant constituer une infraction criminelle se prescrit par 10 ans à compter du jour où la victime a connaissance que son préjudice est attribuable à cet acte. Ce délai est toutefois de 30 ans si le préjudice résulte d’une agression à caractère sexuel, de la violence subie pendant l’enfance, ou de la violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint.
En cas de décès de la victime ou de l'auteur de l'acte, le délai applicable, s'il n'est pas déjà écoulé, est ramené à trois ans et il court à compter du décès.
2905. La prescription ne court pas contre l’enfant à naître.
Elle ne court pas, non plus, contre le mineur ou le majeur sous curatelle ou sous tutelle à l’égard des recours qu’ils peuvent avoir contre leur représentant ou contre la personne qui est responsable de leur garde, ou à l’égard des recours qu’ils peuvent avoir contre quiconque pour la réparation du préjudice corporel résultant d’un acte pouvant constituer une infraction criminelle.
- Les questions de la rétroactivité de ces nouvelles dispositions et de l’interprétation des dispositions transitoires de la Loi de 2013 sont des questions qui nécessitent un contexte factuel mis en preuve de façon formelle, ce qui ne peut être qu’au stade du mérite et non à l’autorisation. Le point de départ de la prescription et son délai ne peuvent être décidés qu’au mérite;
- De toute façon, la Demande d’autorisation contient des allégations suffisantes qui sous-tendent la position d’impossibilité d’agir de la membre désignée. Les paragraphes 2.10 à 2.14 et 4.1 de la demande d’autorisation visent l’impossibilité d’agir puisqu’ils portent notamment sur le résultat judiciaire d’accusations d’agression sexuelle, de voies de fait et de séquestration portées en 1998 à l’encontre de M. Rozon. Les paragraphes 2.35 à 2.48 font état spécifiquement d’une impossibilité d’agir de la part de la membre désignée. Ils contiennent une démonstration suffisante de l’existence d’une crainte qui soit subjectivement déterminante telle qu’il soit psychologiquement ou physiquement impossible d’avoir recours aux tribunaux. Le débat complet se fera au mérite.
[34] Le Tribunal est donc avis que ces allégations factuelles démontrent la cause défendable suivante : la commission d’une faute extracontractuelle de la part de M. Rozon à l’encontre de la membre désignée, sous la forme : 1) d’une agression sexuelle et 2) de harcèlement antérieurement à cette agression et postérieurement à cette agression.
[35] Bien sûr, au mérite, tous ces éléments devront être mis en preuve par la demanderesse et la membre désignée. On peut présumer que M. Rozon aura alors plusieurs éléments factuels à prouver en défense et arguments juridiques à en tirer. Nous n’en sommes pas là cependant.
[36] La demanderesse prétend que la personne désignée et les membres du groupe ont subi des préjudices moraux et pécuniaires à la suite directe des agissements de M. Rozon. Dans le cas de la membre désignée, les paragraphes 2.33 à 2.48 de la Demande d’autorisation reproduits plus haut font état des dommages moraux et pécuniaires qu’elle allègue avoir subis. En plus, le paragraphe 2.54 fait état des multiples conséquences néfastes de la faute de M. Rozon, incluant des troubles sexuels, physiques, psychologiques, relationnels ou sociaux, dont notamment : dysfonction sexuelle, dépression, anxiété, isolement, craintes de l’intimité, idéations suicidaires, symptôme de stress post-traumatique, abus de drogue ou d’alcool.
[37] La demanderesse évalue à 200,000 $ les dommages moraux subis par la membre désignée et à 200,000 $ les dommages pécuniaires subis par cette dernière. La demanderesse ne peut chiffrer le quantum des dommages moraux et pécuniaires des autres membres du groupe, dont elle demande en conséquence le recouvrement individuel.
[38] Enfin, aux paragraphes 2.54 et 2.55 de la Demande d’autorisation, la demanderesse fait état du lien causal entre les dommages et la faute.
[39] De l’avis du Tribunal, ces allégations de la part de la demanderesse sont suffisantes pour établir l’apparence de droit à des dommages moraux et pécuniaires et à la causalité entre faute et dommage. Il n’était pas requis de détailler davantage. C’est l’enseignement de la Cour d’appel : la partie demanderesse n’a pas à tout alléguer en menu détail et il faut lire entre les lignes.
[40] De plus, comme l’écrit la juge en chef adjointe Eva Petras dans la décision Centre de la communauté sourde du Montréal métropolitain c. Institut Raymond-Dewar[20], dès qu'il y a preuve des agressions sexuelles sur des membres du groupe, il y a automatiquement préjudice. Le Tribunal ajoute qu’il y a également automatiquement causalité.
[41] M. Rozon n’a d’ailleurs présenté aucun argument spécifique sur la question de l’apparence de droit des dommages compensatoires et de la causalité.
[42] Dans ces circonstances, le Tribunal conclut qu’il y a apparence de droit aux dommages réclamés et à la causalité.
[43] Finalement, dans sa Demande d’autorisation, la demanderesse requiert des conclusions en dommages punitifs au montant de 10,000,000 $ pour violation au droit à la sûreté, à l’intégrité et à la dignité de la personne, en vertu des articles 1 et 49 la Charte des droits et libertés de la personne[21] (la « Charte »), lesquels se lisent ainsi :
1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.
[...]
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[44] Une atteinte illicite et intentionnelle au droit à la sûreté et à la liberté de la personne peut donner lieu à des dommages punitifs.
[45] La demanderesse demande le recouvrement collectif des dommages punitifs.
[46] Dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St- Ferdinand[22], la Cour suprême du Canada, sous la plume de Mme le juge Claire L’Heureux-Dubé, a défini comme suit ce que veulent dire les termes « atteinte illicite et intentionnelle » prévue à l’article 49 de la Charte :
« [121] En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère. »
[47] Les allégations de la Demande d’autorisation sur les dommages punitifs sont les suivantes :
Paragraphe introductif non numéroté : Le temps où les hommes de pouvoir agressent et harcèlent sexuellement les femmes de leur entourage en toute impunité est révolu. Gilbert Rozon est un homme de pouvoir qui a agressé et harcelé sexuellement de nombreuses femmes pendant des décennies. Certaines de ses victimes étaient mineures. La présente action demande une compensation juste pour les victimes, mais aussi une condamnation à des dommages punitifs réellement exemplaires afin non seulement de punir l’auteur et de dissuader un comportement similaire, mais pour signifier l’intensité avec laquelle notre société dénonce un tel comportement.
2.50. L’agression sexuelle et le harcèlement sexuel constituent également une atteinte intentionnelle aux droits des victimes à l’intégrité et à la sûreté, ainsi qu’à la dignité de leur personne. À ce titre, les victimes ont droit de recevoir des dommages punitifs;
2.51. Comme mentionné, les dommages punitifs doivent être réellement exemplaires en l’espèce. En effet, Rozon a agi avec un mépris pour les droits de ses victimes qui mérite la dénonciation la plus claire qui soit;
2.52. Par ailleurs, tel que mentionné, une accusation criminelle émanant de faits presque identiques aux cas de nombreuses victimes n’a manifestement pas dissuadé Rozon de continuer à empoisonner la vie de nouvelles victimes;
2.58. La demanderesse demandera également au tribunal de condamner le défendeur à payer la somme 10 000 000 $ à titre de dommages punitifs, à être recouvré collectivement;
[48] De plus, une des questions identiques, similaires ou connexes proposées par la demanderesse porte sur l’octroi de dommages punitifs pour violation des droits à la sûreté et à la liberté de la personne.
[49] Que décider?
[50] En matière d’autorisation de demandes de dommages punitifs, la Cour d’appel a indiqué récemment le test à suivre dans l’arrêt Union des consommateurs c. Bell Mobilité Inc.[23] :
« [42] S’il est vrai que le juge autorisateur doit s’assurer que la demande d’autorisation énonce les faits qui justifient les conclusions recherchées, il demeure qu’il doit le faire en gardant à l’esprit le critère établi par la Cour suprême dans Vivendi, c’est-à-dire le fardeau peu onéreux de démontrer l’existence d’une cause défendable. Il doit donc être satisfait que la procédure comporte suffisamment d’allégations de faits pour donner ouverture aux conclusions recherchées en dommages punitifs. Dans les circonstances, les reproches de manquement à la L.P.C. qui sont détaillés à la requête apparaissent susceptibles de donner ouverture à une réclamation en dommages-punitifs et il n’appartenait pas au juge d’autorisation de les rejeter à ce stade. Ce n’est qu’après avoir entendu la preuve qu’il sera en mesure d’apprécier le comportement de l’intimée (avant et après la violation alléguée), tel que le soulignait la Cour suprême dans Richard c. Time inc. : » (Italiques dans l’original - soulignements ajoutés)
[51] Ainsi, la Demande d’autorisation comporte-t-elle suffisamment d’allégations de faits pour donner ouverture aux conclusions recherchées en dommages punitifs? Rappelons que le Tribunal doit également savoir lire entre les lignes.
[52] Le Tribunal est d’avis que les allégations reproduites ci-haut (soit le paragraphe introductif non numéroté et les paragraphes, 2.50, 2,51, 2,52 et 2,58) sont amplement suffisantes pour justifier l’apparence de droit aux dommages punitifs. Au présent stade des procédures, le Tribunal conclut que l’agression sexuelle et le harcèlement sexuel constituent une atteinte intentionnelle aux droits de la personne désignée et des membres du groupe à l’intégrité et à la sûreté, ainsi qu’à la dignité de leur personne.
[53] M. Rozon n’a d’ailleurs présenté aucun argument spécifique sur l’apparence de droit des dommages punitifs.
[54] Il y a donc apparence de droit aux dommages punitifs réclamés.
[55] Le Tribunal décide donc que la demanderesse a une apparence de droit à réclamer tous les dommages demandés.
[56] Quant à l’article 575(1) Cpc, la jurisprudence est à l’effet que la présence d’une seule question de droit ou de fait identique, similaire ou connexe est suffisante, pourvu que son importance soit susceptible d’influencer le sort du recours[24]. Elle n’a cependant pas à être déterminante pour la solution du litige ; il suffit en fait qu’elle permette l’avancement d’une part non négligeable des réclamations, sans une répétition de l’analyse juridique.
[57] Il est fort possible que la détermination des questions identiques, similaires ou connexes ne constitue pas une résolution complète du litige, mais qu’elle donne plutôt lieu à de courts procès à l’étape du règlement individuel des réclamations. Cela ne fait pas obstacle à une action collective.
[58] Comme la Cour d’appel le mentionne[25], il n’est donc pas nécessaire pour la partie demanderesse de démontrer à l’étape initiale que la réponse à la question posée apporte à elle seule une solution complète de l’ensemble du litige, tout comme il n’est pas obligatoire que la question proposée soit inévitablement commune à tous les membres du groupe. Comme la loi le prévoit, elle peut aussi n’être que « connexe ».
[59] Bref, la demanderesse a ici le fardeau de démontrer qu’une fois obtenue la ou les réponse(s) à une ou des questions communes, les parties auront réglé une part non négligeable du litige.
[60] Enfin, le Tribunal ne doit pas anticiper des moyens de défense afin de décider du caractère identique, similaire ou connexe des questions proposées[26].
[61] Dans le cadre d’actions collectives en matière de responsabilité pour sévices sexuels, la Cour d’appel écrit ceci[27] :
« [54] Au stade de la demande d’autorisation, J.J. pouvait se contenter de ne proposer qu’une seule question de droit ou de fait identique, connexe ou similaire pour l’ensemble des membres du groupe. La réponse à cette question n’avait qu’à favoriser le règlement du litige de manière non négligeable. Il n’était donc pas nécessaire que chacune des questions proposées conduise à une solution complète du contentieux ni qu’elles soient toutes d’une pertinence équivalente.
[55] J’estime que les objections énoncées par le Juge sur cette première condition ne sont pas fondées, du moins pas au point de conduire au rejet de la demande d’autorisation. Tout d’abord, l’argument retenu par le Juge relatif à la possibilité de tenir plusieurs petits procès à l’intérieur de l’instance principale n’est pas dirimant :
[23] Il est fort possible que la détermination des questions communes ne constitue pas une résolution complète du litige, mais qu’elle donne plutôt lieu à des petits procès à l’étape du règlement individuel des réclamations. Cela ne fait pas obstacle à un recours collectif. »
[62] Dans la Demande d’autorisation, les allégations factuelles concernant l’aspect collectif des allégations de faute de M. Rozon sont les suivantes :
Paragraphe introductif non numéroté : [...] Le temps où les hommes de pouvoir agressent et harcèlent sexuellement les femmes de leur entourage en toute impunité est révolu. Gilbert Rozon est un homme de pouvoir qui a agressé et harcelé sexuellement de nombreuses femmes pendant des décennies. Certaines de ses victimes étaient mineures. [...]
2.5. Rozon est un homme âgé de 63 ans qui a agressé et harcelé sexuellement de nombreuses femmes et filles sur une période s’échelonnant sur un minimum de 34 ans, de sorte qu’il mérite la qualification de prédateur sexuel;
2.6. Rozon a systématiquement abusé de sa position de pouvoir et d’influence dans la sphère artistique, politique et sociale afin d’agresser les membres du groupe avec l’expectative que ses victimes n’auraient pas le courage de le dénoncer et/ou craindraient ne pas être crues si elles osaient l’accuser de la sorte;
2.7. Avocat de formation, Rozon est un producteur et homme d’affaires connu dans l’industrie du spectacle et de l’humour. Il a fondé Juste pour rire en juillet 1983;
2.8. Rozon est un habitué des cercles du pouvoir et de l’influence au Québec. Comme l’écrivait un auteur dans le Voir en 2002, « Rozon est un homme d’influence, un homme riche, quelqu’un qui a réussi et qui peut se permettre d’inviter des décideurs à sa table. » Une copie de l’article du Voir est produite comme pièce R-2;
2.13. Or, Rozon n’en était pas à sa première agression sexuelle en 1998, ayant déjà à ce moment violé, brutalisé et harcelé de nombreuses femmes qui étaient dans l’impossibilité de le dénoncer et de le rechercher en justice;
2.14. Rozon a profité du silence, de la crainte, de la honte et de l’impossibilité d’agir de ses victimes pour continuer sa prédation sans jamais cesser de grandir en prestige et popularité;
2.15. De plus, son expérience avec le système de justice pénale ne l’a manifestement pas dissuadé de continuer à agresser des femmes de son entourage;
2.21. Neuf femmes ont raconté les agressions qu’elles ont subies de la part de Rozon au journal Le Devoir ainsi qu’à la station radio 98,5 FM (pièce R-7);
2.22. Parmi les cas connus jusqu’à maintenant par la demanderesse, soit au moins 20, les agressions sexuelles ont été commises entre 1982 et 2016. Il est manifeste que les victimes connues actuellement ne représentent que la pointe de l’iceberg;
3.1. Tous les membres du groupe ont été victimes d’agression sexuelle ou de harcèlement sexuel par Rozon ayant occasionné un préjudice;
[63] De l’avis du Tribunal, ces éléments sont des allégations factuelles et ne constituent pas des opinions, ni des déductions insoutenables, ni des éléments hypothétiques ou purement spéculatifs. Ces allégations factuelles sont tenues pour avérées, à moins que leur fausseté ne se révèle de manière flagrante, notamment par la preuve déposée par M. Rozon. Aucune telle preuve n’a été déposée. M. Rozon s’est contenté d’argumenter que ces allégations sont fausses. Or, cet argument ne peut être retenu : sans preuve contradictoire, la fausseté de ces allégations ne se révèle pas de manière flagrante. Le Tribunal réfère également à ce qui est expliqué précédemment dans la section 2.1.1.
[64] Donc, contrairement à ce que prétend M. Rozon, les allégations reliées à l’abus de pouvoir de ce dernier sont suffisantes et ne constituent pas des opinions. Il faudra évidemment en faire la preuve au mérite.
[65] Cependant, ces allégations sont-elles suffisantes pour que le Tribunal y décèle la présence de questions identiques, similaires ou connexes au sens de l’article 575(1) Cpc?
[66] M. Rozon le conteste, en argumentant que tout est individuel dans le présent dossier : chaque agression sexuelle alléguée doit être étudiée individuellement, sans aucun fil conducteur entre elles. Selon lui, le dossier ne comporte aucune question identique, similaire ou connexe permettant de faire avancer de façon non négligeable le dossier des membres du groupe. De plus[28], le Tribunal ne peut autoriser l’action collective puisque les questions communes proposées comportent des défis tels que la nécessité que le Tribunal se prononce sur les questions individuelles avant d’examiner les questions communes. Selon lui, le consentement de chaque victime est central et empêche toute action collective.
[67] M. Rozon résume poursuit sa position dans son plan d’argumentation :
« 36. Or, dans les cas où l’on a estimé que le critère des questions communes était respecté, les agressions sexuelles alléguées avaient été commises dans un contexte spécifique, par exemple par des employés ou des membres d’organisations dans l’exercice de leurs fonctions;
37. Aucun tel élément de contexte n’est proposé en l’espèce : la représentante souhaite poursuivre le défendeur pour le compte de « toutes les personnes agressées et/ou harcelées sexuellement », laissant au tribunal la tâche d’analyser si ces gestes ont réellement été posés par le défendeur et si le défendeur a ainsi commis une faute civile eu égard aux circonstances de chaque cas, en plus de devoir considérer notamment les éléments suivants :
a) s’il y a eu consentement à une relation sexuelle;
b) le contexte dans lequel l’agression présumée s’est déroulée;
c) la nature de la relation avec le défendeur;
d) la prescription du recours ainsi que les éléments pouvant expliquer l’impossibilité d’agir;
38. En fait, le groupe que la demanderesse désire représenter n’est pas circonscrit de façon précise ni par des éléments contextuels (lieux, type de rapport ou de relation entre les membres proposées et le défendeur) ni par des éléments temporels (période correspondant à un moment défini);
[...]
42. Au contraire, dans la majorité des décisions répertoriées faisant état de la responsabilité civile pour des actes d’agression à caractère sexuel, les employeurs ou surveillants, en plus des individus, font l’objet d’une réclamation en vertu du principe de la responsabilité du commettant;
43. Dans ces cas, la question des fautes commises par l’employeur dans le cadre de la surveillance de ses employés constitue donc à l’évidence un facteur commun, et une restriction de l’étendue du groupe proposé;
[...]
45. Dans un contexte analogue, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a refusé d’autoriser l’exercice d’une action collective à l’encontre du défendeur seul, un gardien de prison, en raison notamment de l’absence de questions réellement communes;
Lakes v. MacDougall, 2011 BCSC 1273, par. 18 et 19;
[...]
46. Par ailleurs, dans une autre décision, une cour ontarienne a conclu que la question de savoir si un défendeur avait sexuellement agressé chaque requérante entraînait nécessairement une analyse individuelle de chaque cas, ce qui était par ailleurs incompatible avec le critère des questions communes tel qu’interprété par la Cour suprême [du Canada] :
Fehringer v. Sun Media Corp., [2002] O.J. no. 4110 (Ont. SCJ) (confirmé par 2003 O.J. no. 3918), par. 16 et 17, 21 et 26; [...] »
[68] En outre, selon M. Rozon[29], toute la portion du recours basé sur le harcèlement sexuel demande une interprétation hautement subjective et tributaire des circonstances ce qui rend l’analyse nécessairement individuelle à chaque membre du groupe proposé.
[69] Finalement, M. Rozon argumente la présence d’une grande disparité potentielle entre les membres du groupe eu égard aux questions de la prescription, de son point de départ et de l’impossibilité d’agir. Ceci est hautement individuel selon lui.
[70] Dans sa Demande d’autorisation, la demanderesse propose les questions suivantes comme étant identiques, similaires ou connexes :
1) Le défendeur Rozon a-t-il systématiquement commis des agressions sexuelles et/ou du harcèlement sexuel à l’endroit de filles et de femmes?
2) Le défendeur Rozon a-t-il abusé de son pouvoir et de sa position d’influence afin de commettre des agressions sexuelles et/ou du harcèlement sexuel?
3) Est-ce que le défendeur Rozon s’est comporté d’une manière abusive similaire à l’endroit des filles et des femmes?
4) Quels sont les types de dommages, préjudices et séquelles communs aux victimes d’agressions sexuelles et/ou de harcèlement sexuel?
5) Est-ce que le fait d’être victime d’agressions sexuelles et/ou de harcèlement sexuel occasionne des dommages en soi?
6) Quels sont les facteurs communs aux membres du groupe relativement à l’impossibilité en fait d’agir?
7) Le défendeur Rozon a-t-il intentionnellement porté atteinte au droit à la sûreté, l’intégrité et à la dignité des membres du groupe?
8) Le défendeur Rozon doit-il payer des dommages punitifs?
9) Quel est le montant de dommages punitifs auquel Rozon devrait être condamné, collectivement, le tout afin de punir et dissuader son comportement?
[71] Qu’en est-il?
[72] Le Tribunal est d’avis que, en fonction des allégations factuelles tenues pour avérées à ce stade les questions proposées sont identiques, similaires ou connexes au sens de la jurisprudence examinée plus haut puisque :
- La demanderesse reproche à M. Rozon un modus operandi similaire pour toutes les agressions sexuelles et le harcèlement sexuel allégués : M. Rozon aurait commis plusieurs agressions sexuelles visant des victimes ciblées dans son entourage et dans la sphère artistique, politique et sociale alors qu’il jouissait d’une position de pouvoir et d’influence, commettant ainsi des abus de pouvoir systématiques depuis au moins 34 ans. Cet élément est soutenu par des allégations factuelles non contredites. Il est donc commun à tous les membres du groupe et bénéficiera d’une preuve commune. Cet élément sera également mis en preuve avant la preuve individuelle détaillée du cas de chaque victime, faisant en sorte que cet élément, s’il est prouvé, permettra l’avancement d’une part non négligeable des réclamations, sans une répétition de l’analyse juridique et factuelle à cet égard. Il est évident que, cependant, plusieurs victimes devront témoigner de leur cas personnels afin de tenter de prouver ce modus operandi. Cela ne rend pas impossible l’exercice de l’action collective;
- La question de l’impossibilité d’agir est également commune puisqu’elle émane soit du statut de M. Rozon lui-même dans son milieu par rapport à ses victimes ou des résultats des accusations criminelles portées à son encontre en 1998. Ces éléments bénéficieront d’une preuve commune, et le résultat permettra l’avancement d’une part non négligeable des réclamations, sans une répétition de l’analyse juridique et factuelle à cet égard;
- Le point de départ de la prescription des membres du groupe, notamment à la lumière de l’article 2926.1 CcQ, et l’analyse de cet article possèdent également des éléments communs, dont entre autres sur la connaissance des victimes et du rôle de M. Rozon dans la réalisation de cette connaissance;
- La demande de condamnation à des dommages moraux et pécuniaires est également d’une nature commune, puisqu’une preuve commune éclairera sûrement le Tribunal au mérite sur les types de séquelles généralement causées chez les victimes d’agressions sexuelles ou de harcèlement sexuel ainsi que sur les difficultés que ces victimes éprouvent à venir de l’avant. Encore ici, cet élément permettra l’avancement d’une part non négligeable des réclamations, sans une répétition de l’analyse juridique et factuelle à cet égard;
- La demande de condamnation à des dommages punitifs repose également sur une preuve commune reliée au caractère intentionnel allégué des agressions sexuelles alléguées. Une preuve commune permettra également au Tribunal d’apprécier au mérite la gravité alléguée des gestes justifiant l’octroi de dommages punitifs. Encore ici, cet élément permettra l’avancement d’une part non négligeable des réclamations, sans une répétition de l’analyse juridique et factuelle à cet égard.
[73] Bref, les questions proposées sont au minimum connexes et elles font toutes avancer d’une façon non négligeable le dossier de chacun des membres, même si elles ne sont peut-être pas toutes déterminantes pour la solution du litige, incluant l’octroi final d’un quantum défini de dommages punitifs.
[74] De plus, au niveau des questions identiques, similaires ou connexes, les questions de la prescription et la nécessité de prouver individuellement l'impossibilité d'agir ne constituent pas un obstacle au stade de l'autorisation du recours.
[75] Les aspects individuels identifiés par M. Rozon ne sont pas un obstacle à l’autorisation. Le Tribunal note que le consentement de chaque victime sera analysé un par un, au moment opportun, en fonction des déterminations factuelles pertinentes.
[76] Le critère de l’article 575(1) est donc satisfait. Le Tribunal reviendra plus bas sur la formulation des questions qu’il va autoriser.
[77] Quant à l’aspect collectif du dossier, le Tribunal ajoute qu’il est reconnu que l’accès à la justice pour les victimes d’agressions sexuelles est parsemé d’embûches. Les victimes ont énormément de difficultés à dénoncer les agressions notamment en raison de la honte, des séquelles psychologiques qui en découlent, du tabou, de la peur de ne pas être crues, de la crainte de confronter l’agresseur qui est souvent une personne de prestige dans la société, comme c’est précisément le cas ici selon les allégations de la demande, et aussi, car la victime croit souvent, à tort, être seule et que l’agression était de sa faute.
[78] Ainsi, une action collective comme la présente permet à toutes les victimes de comprendre qu’elles ne sont pas seules, que les agressions ne sont pas de leur faute et que si elles ont le courage de venir de l’avant pour dénoncer les sévices sexuels commis à leur égard, elles rendront plus vraisemblables les récits des autres victimes. Ainsi, l’action collective permettra au mérite une preuve commune qui bénéficiera à toutes les victimes membres du groupe.
[79] Cela rejoint donc les objectifs généraux de l’action collective identifiés par la Cour suprême du Canada et précisés par la Cour d’appel en matière de responsabilité pour sévices sexuels, que le Tribunal a énoncés précédemment dans la section 1.
[80] Lors du procès au mérite, le juge saisi du dossier pourra aménager la preuve et les séquences de preuve afin de pouvoir gérer le dossier et en disposer. De même, son jugement éventuel contiendra diverses déterminations juridiques et factuelles qui auront une influence sur le sort des cas individuels et sur le type et la mécanique du processus de recouvrement[30].
[81] En vertu de l’article 575(3) Cpc, il faut que la composition du groupe rende difficile ou peu pratique l'application des règles sur le mandat d'ester en justice pour le compte d'autrui ou sur la jonction d'instance, c’est-à-dire les articles 88, 91, 143 Cpc (anciennement les articles 59 et 67 Cpc d’avant 2016).
[82] À l’article 575(3), le Cpc ne mentionne pas « impossible », mais plutôt « difficile ou peu pratique »[31]. Les articles 88, 91 et 143 Cpc prévoient les possibilités de mandat lorsque plusieurs personnes ont un intérêt commun dans un litige et la jonction de plusieurs parties demanderesses dans une même demande en justice.
[83] Les critères applicables sont encore ceux exposés par Me Yves Lauzon dans son ouvrage Le recours collectif publié en 2001[32] et portant sur l’ancien article 1003 Cpc d’avant 2016, et sont les suivants :
· le nombre probable de membres;
· la situation géographique des membres;
· l'état physique ou mental des membres;
· la nature du recours entrepris;
· les aspects financiers du recours tels les divers coûts impliqués, le montant en jeu pour chaque membre, les risques associés aux dépens en cas d'insuccès et l'aide financière disponible; et
· les contraintes pratiques et juridiques inhérentes à l'utilisation du mandat et de la jonction des parties en comparaison avec le recours collectif.
[84] Le nombre de membres est évidemment un facteur important sans toujours être à lui seul déterminant, voire suffisant. Il n’y a pas de formules mathématiques reliées au nombre de membres du groupe. Dans le cadre d’action collective en matière de responsabilité pour sévices sexuels, la Cour d’appel[33] a précisé qu’un groupe composé d’aussi peu que cinq membres peut être valide.
[85] La jurisprudence est aussi à l’effet qu’en cas de doute sur l'importance du groupe, ce doute doit profiter aux requérants[34]. Enfin, c’est à la partie demanderesse de fournir un minimum d’information sur la taille et les caractéristiques essentielles du groupe pour permettre au Tribunal de vérifier l’application de cette disposition[35].
[86] La demanderesse allègue ce qui suit dans la Demande d’autorisation :
2.21. Neuf femmes ont raconté les agressions qu’elles ont subies de la part de Rozon au journal Le Devoir ainsi qu’à la station radio 98,5 FM (pièce R-7);
2.22. Parmi les cas connus jusqu’à maintenant par la demanderesse, soit au moins 20, les agressions sexuelles ont été commises entre 1982 et 2016. Il est manifeste que les victimes connues actuellement ne représentent que la pointe de l’iceberg;
4.1. Les personnes victimes de sévices sexuels ont énormément de difficulté à dénoncer ces gestes, surtout lorsque l’agresseur est une personne idéalisée et hautement estimée dans la société, de sorte qu’il est pratiquement certain que plusieurs victimes ne se sont pas encore fait connaitre;
4.2. Considérant l’aisance et la liberté avec laquelle Rozon agressait et harcelait les femmes, la demanderesse estime qu’il soit fort probable que le groupe soit composé de plusieurs dizaines de victimes dont elle ignore pour le moment l’identité;
4.3. Les agressions ont eu lieu au cours de plusieurs années, et à l’endroit de personnes qui ne se connaissent pas;
4.4. Il est ainsi impossible pour la demanderesse de contacter tous les membres et à plus forte raison d’obtenir un mandat de tous les membres;
4.5. La demanderesse souhaite représenter les victimes qui ne sont pas encore prêtes à s’identifier et à dénoncer Rozon, mais qui ont clairement des droits à faire valoir;
[87] Selon M. Rozon, cela est insuffisant car la demanderesse n’a pas fourni un minimum d’information sur la taille et les caractéristiques essentielles du groupe. Selon M. Rozon, il est impossible de connaître avec exactitude la taille réelle du groupe, la demanderesse se contentant de souligner qu’il y a au moins vingt cas connus et que les victimes connues actuellement ne représentent que la pointe de l’iceberg, ce qui est une approximation ne respectant pas le fardeau qu’impose l’article 575(3) Cpc. Enfin, selon M. Rozon, la démarche de la demanderesse est plutôt de la nature d’une commission d’enquête publique dont l’unique objectif est de punir, ce qui n’est pas permis.
[88] Le Tribunal est en désaccord.
[89] En l’espèce, la Demande d’autorisation fait état d’un groupe d’au moins vingt personnes connues, et de potentiellement plusieurs dizaines présentement inconnues, qui auraient tous subi des dommages semblables et pour lesquels la ou les fautes commises par M. Rozon et la responsabilité en résultant seraient identiques à l’égard de chacun d’eux. La demanderesse mentionne qu’elle n’a pas accès aux coordonnées de toutes ces personnes et que, de toute façon, il est impossible pour elle d’obtenir un mandat ou une procuration de chacun des membres.
[90] Ceci est davantage que le minimum d’information requis. La demanderesse n’a pas à démontrer la taille exacte ou finale du groupe. Dans le cadre d’action collective en matière de responsabilité pour sévices sexuels, la Cour d’appel[36] a accepté un groupe dont la taille finale était totalement inconnue : dans ce cas, seules 41 victimes potentielles sur plusieurs centaines étaient identifiées, ce qui a été jugé suffisant. La situation est encore meilleure ici : la demanderesse fait état de dix cas[37], incluant le sien, sur une possibilité d’au moins vingt.
[91] De plus, la protection de l’anonymat des victimes par l’exercice d’une action collective, contrairement aux mécanismes du mandat d'ester en justice pour le compte d'autrui ou de la jonction d'instance, milite ici en faveur de l’utilisation de l’action collective. Les victimes voulant protéger leur identité ne peuvent pas être décrites comme ayant une possibilité réelle d’ester en justice autrement que par la présente action collective.
[92] Dans ces circonstances, le Tribunal est d’avis que le critère de la composition du groupe est satisfait.
[93] Le Tribunal va étudier plus bas à la section 2.5. les arguments de M. Rozon quant à la définition du groupe.
[94] M. Rozon ne conteste pas ce critère. Le Tribunal doit quand même décider s’il est ou non rempli.
[95] Le représentant doit rencontrer trois exigences pour satisfaire l’article 575(4) Cpc : intérêt, compétence et absence de conflit d’intérêts. Le représentant est ici la demanderesse, et non pas la personne désignée.
[96] Quant à la personne désignée, l’article 571 Cpc exige qu’elle ait un recours valide, qu’elle soit membre du groupe et que son intérêt soit relié aux objets pour lesquels la personne morale représentante a été constituée. Ici, ces trois conditions sont rencontrées, en ce que :
- la personne désignée a l’apparence de droit requise, comme expliqué plus haut;
- la personne désignée est membre du groupe, qui se définit ainsi : « Toutes les personnes agressées et/ou harcelées sexuellement par Gilbert Rozon »;
- l’intérêt de la personne désignée est clairement relié aux objets de la demanderesse, qui sont les suivants[38] :
o Représenter, dans le contexte d’une action collective, les intérêts des victimes de Gilbert Rozon;
o Défendre les intérêts des victimes d’agression, d’abus ou de harcèlement sexuel;
o Contribuer à la prévention des agressions sexuelles par tous moyens appropriés.
[97] Passons donc au cas de la demanderesse. Rappelons[39] que la demanderesse Les Courageuses est une personne morale sans but lucratif fondée dans le but de représenter les victimes alléguées de M. Rozon, notamment dans le contexte de la présente action collective. La demanderesse a pris de nom de « Les Courageuses » parce que, selon elle, dénoncer une agression sexuelle est un acte de courage. Elle s’est constituée dans le but de regrouper des personnes avec des réclamations similaires en raison d’agression et/ou de harcèlement sexuel qu’aurait commis M. Rozon.
[98] Donc, trois conditions sont requises pour la représentation par la demanderesse. Premièrement, le membre désigné par la demanderesse doit posséder un intérêt personnel à rechercher les conclusions qu’elle propose, ce qui est le cas ici pour la membre désignée. Deuxièmement, la demanderesse doit être compétente, c’est-à-dire avoir le potentiel d’être mandataire de l’action, si elle avait procédé en vertu de l’article 91 Cpc. Troisièmement, il ne doit pas exister de conflit entre les intérêts de la demanderesse et ceux des membres du groupe. La Cour d’appel reprend ces trois critères dans l’arrêt Charles c. Boiron Canada Inc.[40], arrêt qui fait jurisprudence en la matière et qui vient en quelque sorte tempérer tous les autres arrêts et décisions précédents.
[99] En effet, dans ce même arrêt, la Cour d’appel ajoute ceci, aux paragraphes 65 et 66 :
« [65] [...] Or, la situation personnelle de l'appelante, sur le plan factuel, est l'exemple même de celle des membres du groupe en question (d'où son intérêt juridique); elle n'est pas en situation de conflit d'intérêts avec les autres membres du groupe; elle s'est par ailleurs suffisamment investie dans l'affaire pour qu'on puisse envisager de lui reconnaître le statut qu'elle sollicite.
[66] Sur ce dernier point, rappelons-le, la loi n'exige pas de la personne qui souhaite entreprendre un recours collectif qu'elle soit une activiste de la cause qu'elle entend défendre, qu'elle s'y consacre quotidiennement avec ardeur, soit constamment dans les premières lignes du combat judiciaire, le supervise dans ses moindres détails ou en tienne étroitement les rênes, que ce soit stratégiquement ou autrement. L’on ne saurait exiger du représentant davantage qu'un intérêt pour l'affaire (au sens familier de ce terme, c'est-à-dire le contraire de l'indifférence), une compréhension générale de ses tenants et aboutissants et, par conséquent, la capacité de prendre, au besoin et en connaissance de cause, les décisions qui s'imposent au bénéfice de l'ensemble du groupe et autrement que dans une perspective égotiste. Il est par ailleurs normal que, tout en portant attention au cheminement du recours, il s'en remette aux avocats qui le représentent, comme le font du reste la plupart des justiciables ordinaires agissant par l'intermédiaire d'un membre du Barreau. » (soulignements ajoutés)
[100] Dans l’arrêt Martel c. Kia Canada Inc.[41], la Cour d’appel précise que le niveau de recherche que doit effectuer un représentant dépend essentiellement de la nature du recours qu’il entend entreprendre et de ses caractéristiques. Si, de toute évidence, il y a un nombre important de personnes qui se retrouvent dans une situation identique, il devient moins utile de tenter de les identifier. Encore ici, cet arrêt fait jurisprudence en la matière et vient en quelque sorte tempérer tous les autres arrêts et décisions précédents.
[101] Bref, quant à la représentation, il s’agit d’une exigence « minimale »[42]. Comme le souligne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Infineon[43], « [a]ucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement. ».
[102] Quant à la demanderesse, pour ce qui est de la compétence et de l’absence de conflit d’intérêts, elle allègue les éléments suivants à la Demande d’autorisation, non contestés par M. Rozon :
11.1. La demanderesse a été mise sur pied à l’initiative des victimes de Rozon et ses statuts l’obligent à agir dans l’intérêt des membres ;
11.2. Les membres de la demanderesse, y compris les membres de son conseil d’administration, sont disposées à investir tout le temps et les efforts requis à l’avancement de la présente action collective;
11.3. Quelques membres du groupe se sont rencontrées et se sont entendues afin que la demanderesse demande le statut de représentante du groupe et désigne Madame Tulasne comme personne désignée;
11.4. La demanderesse, les membres de son conseil d’administration et la personne désignée agissent de bonne foi dans le but de permettre aux victimes de Rozon de rechercher une justice qui, autrement, ne leur serait pas accessible;
11.5. La demanderesse et la personne désignée ont consacré beaucoup d’heures à discuter de la présente cause, ont participé à la rédaction de la présente procédure et ont l’intention d’être impliquées dans la présente procédure, notamment en communiquant avec les membres du groupe afin de les appuyer et en se présentant aux audiences devant la Cour;
11.6. La demanderesse a retenu les services d’avocats possédant une grande expérience en matière d’actions collectives;
11.7. Elle a collaboré et s’est engagée à collaborer avec les procureurs à toutes les étapes du dossier pour assurer l’avancement de la présente action collective;
11.8. Elle est disposée à entreprendre les démarches nécessaires pour le financement de l’action collective;
11.9. Les membres du conseil d’administration de la demanderesse souhaitent faciliter l’accès à la justice aux membres du groupe et ont choisi de constituer une organisation sans but lucratif afin d’intenter la présente action collective, bien qu'elles auraient pu déposer des poursuites individuelles qui ne bénéficieraient pas aux autres membres du groupe;
11.10. Elle souhaite permettre aux membres du groupe de se manifester en toute confidentialité;
11.11. Il n’existe aucun conflit d’intérêts entre la demanderesse et les membres du groupe;
11.12. La demanderesse agit de bonne foi;
[103] De l’avis du Tribunal, les allégations de la demanderesse démontrent amplement la compétence et l’absence de conflit d’intérêts.
[104] Dans ces circonstances, le Tribunal décide que la demanderesse rencontre les critères de l’article 575(4) Cpc.
[105] Ainsi, le Tribunal a maintenant conclu que les quatre critères de l’article 575 Cpc sont satisfaits par la Demande d’autorisation de la demanderesse. L’action collective doit être en principe autorisée. Aux termes de l’article 576 Cpc, il faut maintenant déterminer si le groupe proposé et les questions identiques, similaires ou connexes proposées sont conformes aux faits allégués et à la jurisprudence et, sinon, ce que peut ou doit faire le Tribunal en conséquence.
[106] La définition du groupe. La définition du groupe doit être objective, être limitée dans le temps et dans l’espace et correspondre à la preuve contenue au dossier au stade de l’autorisation[44].
[107] Ici, la demanderesse propose le groupe suivant : « Toutes les personnes agressées et/ou harcelées sexuellement par Gilbert Rozon ».
[108] M. Rozon prétend que cette définition est non seulement inappropriée, mais qu’aucune définition n’est somme toute possible, d’où la conséquence : l’autorisation doit être refusée. Selon lui, la définition du groupe est circulaire et dépend de l’issue du litige, contrairement aux exigences de la Cour d’appel dans l’arrêt George c. Procureur général du Québec[45].
[109] M. Rozon fait référence à la décision de 2009 A.K. c. Kativik School Board[46] en matière d’action collective pour sévices sexuels, dans laquelle la Cour supérieure était saisie de la définition suivante du groupe :
« All students of the Respondent who were the victims of the sexual, emotional and mental abuse perpetrated by the Respondent's employee, servant, or agent Roger Garceau. »
[110] La Cour supérieure, en application de l’arrêt George c. Procureur général du Québec, a indiqué qu’elle aurait modifié la définition du groupe pour qu’il se lise ainsi, si elle avait autorisé l’action collective :
« All former students of the Respondent who claim to have been the victims of the sexual, emotional and mental abuse perpetrated by the Respondent's employee, servant, or agent Roger Garceau. »
[111] Selon M. Rozon, la définition proposée par la demanderesse ne peut être ainsi reformulée et, de toute façon, elle fait appel à une caractérisation hautement subjective et circonstancielle des actes prétendument posés par lui et du préjudice allégué subi par chacune des membres du groupe proposé, ce qui fait obstacle à l’autorisation. Enfin, M. Rozon soumet qu’en décrivant le groupe d’une manière aussi large dans le temps et dans l’espace, n’importe quelle femme ayant pu être en contact avec lui à n’importe quel moment, peu importe l’endroit ou le contexte, pourrait considérer avoir un droit d’action, ce qui ne fait aucun sens.
[112] Que décider?
[113] Dans l’arrêt J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal[47], la Cour d’appel adopte la définition suivante du groupe pour l’action collective autorisée :
« Toutes les personnes physiques résidant au Québec, qui ont subi des sévices sexuels de la part de membres de la Province canadienne de la Congrégation de Sainte-Croix, dans tout établissement d’enseignement, résidence, camp d’été, ou tout autre endroit situé au Québec, ainsi qu’à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, à l’exception des personnes ayant fréquenté le Collège Notre-Dame du Sacré-Coeur durant la période du 1er septembre 1950 au 1er juillet 2001, le Collège de Saint-Césaire durant la période du 1er septembre 1950 au 1er juillet 1991, et l’école Notre-Dame de Pohénégamook durant la période du 1er janvier 1959 au 31 décembre 1964; »
[114] Le Tribunal est d’avis que cette définition constitue la norme de définition de groupe en matière d’actions collectives pour sévices sexuels, même si elle se trouve à renverser quelque peu les arrêts et décisions précédents ou à les moduler.
[115] Compte tenu de ce précédent, la définition ici proposée est la bonne. Elle répond aux critères applicables et à la preuve au dossier. Comme le dit la Cour d’appel au paragraphe 96 de l’arrêt J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, l’absence de preuve portant sur les emplacements où sont survenues les agressions ainsi que l’absence d’enquête sérieuse portant sur le nombre de victimes ne constituent pas des facteurs dirimants contre l’action collective ou contre la définition proposée.
[116] De plus, encore comme le souligne la Cour d’appel dans le même arrêt, le juge saisi du fond pourra toujours à l’occasion de la gestion du dossier, et même après, revoir la composition du groupe en vue d’assurer la viabilité de l’action collective.
[117] Quant aux paramètres temporels, la définition du groupe doit aussi généralement avoir une date de fermeture, le groupe ne pouvant rester « ouvert indéfiniment » et ne pouvant généralement prendre fin à une date postérieure au jugement qui le définit.
[118] Or, dans le présent dossier, la situation est assez inusitée, en ce qu’une grande partie des membres du groupe est dans une situation d’impossibilité d’agir. De plus, plusieurs membres du groupe sont encore inconnus et la date de leurs agressions alléguées est également inconnue. Dans ces circonstances, il s’agit ici d’un cas où il n’est pas souhaitable de déterminer d’avance dès maintenant un point de départ et un point de fermeture pour le groupe. Ce sera au juge du mérite de le faire, et cela seulement au procès, pas avant.
[119] Donc, le Tribunal conclut que la définition suggérée du groupe est suffisamment précise.
[120] Le Tribunal retient donc la définition suivante du groupe, en français :
« Toutes les personnes agressées et/ou harcelées sexuellement par Gilbert Rozon ».
[121] Les questions identiques, similaires ou connexes. Le Tribunal accepte telle quelle la formulation des questions proposées par la demanderesse. Il n’est pas besoin de les reformuler.
[122] Le recouvrement. Finalement, dans les conclusions de sa Demande d’autorisation, la demanderesse demande le recouvrement collectif des dommages punitifs réclamés. Personne n’a contesté cette demande, que le Tribunal accorde donc à ce stade. La preuve au procès permettra de déterminer s’il doit ou non y avoir recouvrement collectif à cet égard et, si oui, quel est le montant total de ces dommages.
[123] Le Tribunal reporte à plus tard l’analyse de ces questions et sa décision. La question de la traduction anglaise de l’avis sera réglée en même temps.
[124] Le Tribunal indique cependant en passant que la jurisprudence majoritaire[48] est à l’effet que le coût de publication des avis d’autorisation fait partie des frais de justice et doit être à la charge de la partie défenderesse à l’encontre de qui l’action collective est autorisée. Cependant, le Tribunal reporte à plus tard la décision à cet égard.
[125] Aux termes de l’article 576 Cpc, le Tribunal détermine que le district de Montréal sera le district judiciaire dans lequel l’action collective sera introduite. En effet, les événements à la base de l’action collective se sont déroulés dans le district de Montréal. De plus[49], M. Rozon réside dans ce district, les avocats de la demande y résident également, la demanderesse y a son siège et le Tribunal suppose que la majorité des membres du groupe réside également dans ce district.
[126] Le Tribunal va autoriser l’exercice de l’action collective proposée par la demanderesse. Dans le passé[50], le véhicule procédural de l’action collective a démontré son efficacité dans les dossiers d’agressions sexuelles, puisqu’il a permis à des centaines de victimes d’avoir accès à la justice au Québec. Si la demanderesse n’était pas autorisée à intenter la présente action collective, il est fort probable que de très nombreuses victimes seraient privées de l’exercice de leurs droits en justice.
[127] Le Tribunal ajoute en terminant qu’il va ordonner l’utilisation de pseudonymes pour l’identification des membres du groupe dans les procédures, pièces et tout autre document produit au dossier de la Cour, afin de protéger leur identité[51].
[128] ACCUEILLE la Demande pour autorisation d’exercer une action collective et pour être représentante;
[129] AUTORISE l’exercice de l’action collective suivante :
Action en responsabilité civile extracontractuelle pour dommages-intérêts compensatoires et dommages-intérêts punitifs;
[130] ATTRIBUE à la demanderesse Les Courageuses le statut de représentant aux fins d’exercer cette action collective pour le compte du groupe suivant :
« Toutes les personnes agressées et/ou harcelées sexuellement par Gilbert Rozon »
[131] IDENTIFIE comme suit les principales questions de faits ou de droit qui seront traitées collectivement :
1) Le défendeur Rozon a-t-il systématiquement commis des agressions sexuelles et/ou du harcèlement sexuel à l’endroit de filles et de femmes?
2) Le défendeur Rozon a-t-il abusé de son pouvoir et de sa position d’influence afin de commettre des agressions sexuelles et/ou du harcèlement sexuel?
3) Est-ce que le défendeur Rozon s’est comporté d’une manière abusive similaire à l’endroit des filles et des femmes?
4) Quels sont les types de dommages, préjudices et séquelles communs aux victimes d’agressions sexuelles et/ou de harcèlement sexuel?
5) Est-ce que le fait d’être victime d’agressions sexuelles et/ou de harcèlement sexuel occasionne des dommages en soi?
6) Quels sont les facteurs communs aux membres du groupe relativement à l’impossibilité en fait d’agir?
7) Le défendeur Rozon a-t-il intentionnellement porté atteinte au droit à la sûreté, l’intégrité et à la dignité des membres du groupe?
8) Le défendeur Rozon doit-il payer des dommages punitifs?
9) Quel est le montant de dommages punitifs auquel Rozon devrait être condamné, collectivement, le tout afin de punir et dissuader son comportement?
[132] IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées qui s’y rattachent :
ACCUEILLIR l’action collective de la demanderesse ;
CONDAMNER le défendeur Rozon à payer à la personne désignée, Madame Patricia Tulasne, une somme de 200,000 $ à titre de dommages-intérêts moraux et la somme de 200,000 $ à titre de dommages-intérêts pécuniaires, incluant pour sa perte de productivité et capacité de gains, majorée de l’intérêt au taux légal et de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, depuis la signification de la Demande pour autorisation d’exercer une action collective et pour être représentante ;
CONDAMNER le défendeur Rozon à payer à chaque membre du groupe une somme à titre de dommages-intérêts moraux et pécuniaires à être déterminée selon des paramètres tenant compte de la nature des gestes et des dommages et séquelles subis, majorée de l’intérêt au taux légal et de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, depuis la signification de la Demande pour autorisation d’exercer une action collective et pour être représentante et à être recouvrée individuellement ;
CONDAMNER le défendeur Rozon à payer 10 millions de dollars à titre de dommages-intérêts punitifs, à être recouvré collectivement ;
LE TOUT avec frais de justice, y compris les frais d’avis, les frais d’administration et les frais d’experts ;
[133] DÉCLARE qu’à moins d’exclusion, les membres du groupe seront liés par tout jugement à intervenir sur l’action collective de la manière prévue par la loi;
[134] REPORTE à une audition subséquente la fixation du délai d’exclusion et de son point de départ;
[135] ORDONNE la publication d’un avis aux membres selon des modalités à être déterminées par le Tribunal dans une audition subséquente;
[136] DÉTERMINE que l’action collective sera exercée dans le district judiciaire de Montréal;
[137] PERMET l’utilisation de pseudonymes pour l’identification des membres du groupe dans les procédures, pièces et tout autre document produit au dossier de la Cour, le tout afin de protéger leur identité;
[138] LE TOUT avec frais de justice en faveur de la demanderesse, excluant cependant pour l’instant toute décision relative aux frais de publication des avis.
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__________________________________Donald Bisson, j.c.s. |
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Me Bruce W. Johnston et Me Gabrielle Gagné |
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Trudel Johnston & Lespérance |
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Avocats de la demanderesse |
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Me Robert Kugler et Me Pierre Boivin |
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Kugler Kandestin S.E.N.C.R.L. |
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Avocats de la demanderesse |
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Me Raymond Doray, Me Bernard Larocque, Me Jonathan Lacoste-Jobin et Me Myriam Brixi |
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Lavery, De Billy s.e.n.c.r.l. |
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Avocats du défendeur |
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Date d’audience : |
14 mai 2018 |
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1. LE CONTEXTE ET LES QUESTIONS EN LITIGE
2.1 Y a-t-il apparence de droit?
2.1.1 Fautes extracontractuelles alléguées
2.1.2 Dommages compensatoires et causalité allégués
2.1.3 Dommages punitifs allégués
2.1.4 Conclusion générale sur l’apparence de droit
2.2 Y a-t-il des questions identiques, similaires ou connexes?
2.3 La composition du groupe justifie-t-elle l’exercice de l’action collective?
2.4 La représentation par la demanderesse est-elle adéquate?
2.5 Quels doivent être les paramètres du groupe et des questions identiques, similaires ou connexes?
2.6 Quels sont les paramètres de l’avis d’autorisation et quelle est la période d’exclusion?
2.7 Quel est le district judiciaire dans lequel l’action collective doit s’exercer?
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[1] Voir par. 1 de la Demande pour autorisation d’exercer une action collective et pour être représentante (la « Demande d’autorisation ») datée du 27 novembre 2017.
[2] Voir Pièce R-1 de M. Rozon, copie vidéo de l’entrevue et transcription. Cette pièce porte la cote « R-1 » mais ne doit pas être confondue avec les pièces de la Demande d’autorisation, portant également la cote « R ». Lors de l’audition, pour éviter la confusion, la demanderesse produit cet élément de preuve sous la cote R-8.
[3] RLRQ, c. C-25.01.
[4] Comme le rappelle la Cour d’appel dans l’arrêt J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, 2017 QCCA 1460 (C.A.), aux par. 44 et 45 (demande d’autorisation d’appel accueillie par la Cour suprême du Canada, no. 37855, 29 mars 2018), et comme le souligne lui-même M. Rozon dans son plan d’argumentation.
[5] Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, au par. 1.
[6] J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, précité, note 4, aux par. 48, 49 et 51.
[7] Lambert (Gestion Peggy) c. Écolait Ltée, 2016 QCCA 659 (C.A.), au par. 28. Voir également par exemple : Gaudet et Lebel c. P. & B. Entreprises Ltée, 2011 QCCS 5867 (C.S.), par. 41.
[8] 2016 QCCA 1716 (C.A.), au par. 43 (demande d’autorisation d’appel rejetée par la Cour suprême du Canada, 4 mai 2017, no. 37366). Voir au même effet : Belmamoun c. Ville de Brossard, 2017 QCCA 102 (C.A.), aux par. 73 à 83.
[9] 2017 QCCA 1673 (C.A.), aux par. 27 à 45, 91 et 104.
[10] Certains de ces paragraphes visent l’ensemble des membres du groupe mais incluent le cas de la membre désignée et sont donc pertinents.
[11] Par exemple par voie d’une déclaration sous serment.
[12] J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, précité, note 4, aux par. 89 à 93.
[13] À cet égard, de l’avis du Tribunal, il appert que devront être revus sous la loupe contemporaine de 2018 les propos de l’arrêt Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, 1999 CanLII 13338 (C.A., aux pp. 10 et 11), sur la notion de harcèlement par des paroles.
[14] Pièce R-1 de M. Rozon ou Pièce R-8 de la demande.
[15] Au contraire, dans un communiqué fait sur sa page Facebook en octobre 2017 (et reproduit à la Pièce R-7), M. Rozon a indiqué ceci : « À toutes celles et ceux que j’ai pu offenser au cours de ma vie, j’en suis sincèrement désolé ». La portée de ses commentaires et leur impact sur la responsabilité extracontractuelle potentielle de M. Rozon sont des questions pour le mérite. On constate cependant que, prima facie, en octobre 2017, M. Rozon n’a pas formellement nié les allégations alors à son encontre.
[16] LQ 2013, c. 8.
[17] Daniel GARDNER, Le préjudice corporel, 4e éd., Éd. Yvon Blais, Montréal, 2016, no. 32, aux pp. 50 et 51.
[18] Selon l’arrêt Gauthier c. Beaumont, [1998] 2 R.C.S. 3, au par. 73.
[19] Il existe même un vieux précédent selon lequel la prescription du recours du membre désigné ne peut jamais être soulevée à l’autorisation : Option Consommateurs c. Service aux marchands détaillants Ltée (Household Finance), J.E. 2001-1018 (C.S.), à la p. 5.
[20] 2012 QCCS 1146, au par. 75.
[21] RLRQ, c. C-12.
[22] [1996] 3 R.C.S. 211, au par. 121.
[23] 2017 QCCA 504 (C.A.), au par. 42.
[24] Collectif de défense des droits de la Montérégie (CDDM) c. Centre hospitalier régional du Suroît du Centre de santé et de services sociaux du Suroît, 2011 QCCA 826 (C.A.), par. 22 (demande d’autorisation d’appel refusée par la Cour suprême du Canada, 1er mars 2012, no. 34377), repris par la Cour suprême du Canada dans les deux arrêts Infineon Technologies AG c. Option Consommateurs, 2013 CSC 59, au par. 72, et Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, précité, note 5, au par. 58.
[25] Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copibec) c. Université Laval, 2017 QCCA 199 (C.A.), au par. 51.
[26] Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copibec) c. Université Laval, précité, note précédente, aux par. 67 à 74.
[27] J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, précité, note 4, aux par. 54 et 55.
[28] Se basant sur les décisions Dupuis c. Canada (Procureur général), 2014 QCCS 3997, aux par. 255 et 261 à 263, et Ohana c. Apple Canada Inc., 2015 QCCS 4748, aux par. 40 à 44.
[29] Citant l’arrêt Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, aux pp. 31, 32 et 36.
[30] Comme par exemple divers types de présomptions factuelles et/ou juridiques, comme cela a été fait dans plusieurs actions collectives antérieures, dont notamment dans la décision Tremblay c. Lavoie, 2014 QCCS 3185, aux par. 305 à 320, sur l’impossibilité d’agir en matière de sévices sexuels. M. Rozon argumente à l’autorisation que toutes ces présomptions seront inutiles aux membres, mais il argumente en fonction d’une preuve non encore présentée et analysée. Son argument est prématuré.
[31] Morin c. Bell Canada, 2011 QCCS 6166 (C.S.), au par. 89 : « Les Requérants n'ont pas à démontrer que l'application des articles 59 et 67 C.p.c. est impossible; ils doivent plutôt démontrer que l'application de ces articles est difficile ou peu pratique. »
[32] Yves LAUZON, Le recours collectif, Éd. Yvon Blais, Cowansville, 2001, aux pp. 38, 39 et 42. Ces critères ont été repris avec approbation par la Cour supérieure dans la décision Brière c. Rogers Communications, 2012 QCCS 2733 (C.S.), au par. 71 et 72.
[33] J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, précité, note 4, au par. 49.
[34] Carrier c. Québec (Procureur général), 2011 QCCA 1231 (C.A.), au par. 78.
[35] Del Guidice c. Honda Canada Inc., 2007 QCCA 922 (C.A,), au par. 33.
[36] J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, précité, note 4, au par. 94 et 95.
[37] Pièce R-7.
[38] Voir lettres patentes de la demanderesse, Pièce R-1.
[39] Voir les par. 2.1 à 2.3 de la Demande d’autorisation, ainsi que les lettres patentes, Pièce R-1.
[40] Précité, note 8, au par. 55.
[41] 2015 QCCA 1033 (C.A.), au par. 29.
[42] J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, précité, note 4, au par. 46.
[43] Précité, note 24, au par. 149.
[44] Sur les exigences de la définition du groupe (temps et espace) et sur les pouvoirs du Tribunal à cet égard, voir l’analyse détaillée faite à la décision Kennedy c. Colacem Canada Inc., 2015 QCCS 222 (C.S.), aux par. 209 à 219.
[45] 2006 QCCA 1204, au par. 40.
[46] 2009 QCCS 4152, aux par. 40 et 41.
[47] Précité, note 4, aux par. 96 à 102
[48] Voir la décision Kennedy c. Colacem Canada Inc., précitée, note 44, aux par. 257 à 260, et jurisprudence citée.
[49] Voir les paragraphes 12.1 à 12.3 de la Demande d’autorisation.
[50] On verra notamment les décisions et arrêts suivants : Sebastian c. English Montreal School Board (Protestant School Board of Greater Montreal), 2007 QCCS 2107; Tremblay c. Lavoie, 2010 QCCS 5945; Centre de la communauté sourde du Montréal métropolitain c. Institut Raymond-Dewar, précité, note 20 ; X c. Thibault, 2016 QCCS 389; A c. Frères du Sacré-Cœur, 2017 QCCS 5394; Association des jeunes victimes de l'église c. Harvey, 2016 QCCS 2252; J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, précité, note 4 ; Association des amis du Patro Lokal de St-Hyacinthe c. Trudel, 2017 QCCS 3965.
[51] Comme cela fut fait, par exemple, dans la décision Tremblay c. Lavoie, précitée, note précédente, au par. 73.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.