Dietrich et Électrolux Canada Corporation |
2014 QCCLP 1499 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Joliette |
7 mars 2014 |
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Région : |
Lanaudière |
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Dossier CSST : |
135940146 |
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Commissaire : |
Pierre Arguin, juge administratif |
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Membres : |
Luc Dupéré, associations d’employeurs |
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Robert P. Morissette, associations syndicales |
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Partie requérante |
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Et |
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Électrolux Canada Corporation |
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Partie intéressée |
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[1] Le 3 juillet 2013, monsieur Otto Dietrich (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 juin 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 26 avril 2013, et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement pour le cordage du bois de chauffage et le ramonage de la cheminée de son domicile.
[3] Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue le 4 décembre 2013 à Joliette. Électrolux Canada Corporation (l’employeur) n’y est pas représenté. L’affaire est mise en délibéré le 7 janvier 2014, soit après que le travailleur eût transmis de la documentation complémentaire.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de déclarer qu’il a droit au remboursement des travaux de cordage de bois et de ramonage de la cheminée de son domicile pour l’année 2013.
LES FAITS
[5] Le 4 février 2010, le travailleur subit une lésion professionnelle dont les diagnostics retenus sont ceux d’entorse lombaire, de lombosciatalgie gauche et de protrusion foraminale au niveau L5 gauche. Cette lésion est consolidée le 5 juin 2012 avec une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique évaluée à 21,60 % et des limitations fonctionnelles de classe IV.
[6] Le 25 avril 2013, la CSST rend une décision en vertu de laquelle elle accepte de rembourser les frais suivants d’entretien du domicile : la tonte de la pelouse, le ratissage du terrain, le taillage des arbustes et des haies, le déneigement, les travaux de grand-ménage annuel, ainsi que les travaux de peinture intérieure et extérieure.
[7] Toutefois, le lendemain, soit le 26 avril 2013, la CSST refuse de rembourser les frais de cordage du bois et de ramonage de la cheminée pour le motif que le travailleur n’a pas démontré qu’il chauffe principalement son domicile au bois. Cette décision est confirmée par une décision rendue par la CSST le 17 juin 2013, à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[8] Lors de son témoignage, le travailleur mentionne qu’il habite une maison unifamiliale à deux niveaux (split-level) qui comporte cinq pièces et demie. Chacune des pièces dispose d’une plinthe électrique. Le travailleur combine le chauffage électrique et le chauffage au bois depuis quelques années. Toutefois, avant son accident du travail, il achetait environ trois cordes de bois, tandis qu’il en achète environ cinq depuis ce temps. Selon le travailleur, il chauffe davantage au bois maintenant, car cela permet de mieux chasser l’humidité, alors que celle-ci affecte ses douleurs.
[9] À cet égard, les factures d’électricité attribuables au domicile du travailleur entre 2007 et 2013, produites en l’espèce, montrent une faible augmentation de sa consommation d’électricité au cours de l’hiver par rapport aux autres saisons.
[10] Le travailleur témoigne n’avoir jamais coupé son bois aux fins de son approvisionnement. Toutefois, avant son accident, il cordait lui-même le bois qu’il achetait et le déposait sur le côté de sa maison. Il ajoute qu’il ne peut se pencher ou lever des charges depuis son accident du travail, de sorte qu’il n’est plus en mesure de corder lui-même son bois. Depuis l’événement accidentel, il a donc fait appel à un ami afin que celui-ci effectue cette tâche, y compris en 2013. Ce dernier entre également le bois dans la maison environ deux fois par semaine.
[11] Le travailleur rapporte également qu’avant son accident, il ramonait lui-même sa cheminée deux fois par an, soit à la fin de l’hiver et à l’automne. Il précise qu’il le faisait deux fois par année, car il lui arrivait de faire du feu vers la fin de l’été et qu’il craignait la présence de nids d’oiseaux dans la cheminée. Depuis l’accident, c’est son ami qui ramone sa cheminée deux fois par année, y compris en 2013, car le travailleur témoigne être incapable de monter dans une échelle ou d’effectuer les mouvements nécessaires au ramonage.
[12] L’ami du travailleur, monsieur Patrick D’Amour, témoigne que depuis l’accident, il a cordé le bois de chauffage et ramoné la cheminée du domicile du travailleur, y compris en 2013. Il a également accompli d’autres travaux pour le bénéfice de ce dernier. Ce témoin ajoute toutefois avoir accompli tous ces travaux par amitié pour le travailleur et ne pas avoir reçu d’argent en contrepartie de ses services.
L’AVIS DES MEMBRES
[13] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que le travailleur n’a pas droit au remboursement des services de cordage du bois et de ramonage de sa cheminée pour l’année 2013 puisqu’il n’a pas engagé de frais pour ceux-ci au cours de cette année-là.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[14] Le tribunal doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement des frais de cordage de son bois de chauffage et de ramonage de la cheminée de son domicile pour l’année 2013.
[15] Sa demande est fondée sur l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui se lit comme suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[16] Pour avoir droit au remboursement des frais qu’il engage pour faire exécuter des travaux au sens de cette disposition, le travailleur doit avoir subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle. De plus, il doit s’agir de travaux courants d’entretien du domicile que le travailleur aurait normalement accompli n’eut été de sa lésion.
[17] Selon la jurisprudence, l’atteinte permanente grave doit être évaluée non seulement d’après le pourcentage de déficit anatomophysiologique qui résulte d’une lésion professionnelle, mais aussi en fonction de la capacité résiduelle du travailleur à exercer ces travaux[2].
[18] En l’espèce, la preuve au dossier démontre que le travailleur est devenu incapable de corder lui-même son bois de chauffage et de ramoner sa cheminée en raison d’une atteinte permanente grave à son intégrité physique qui résulte de sa lésion professionnelle. En effet, ses limitations fonctionnelles ont pour effet de l’empêcher d’accomplir de tels travaux.
[19] Cette incapacité oblige maintenant le travailleur à faire corder son bois de chauffage et à faire ramoner sa cheminée par quelqu’un d’autre, en l’occurrence un de ses amis.
[20] Cette première condition étant remplie, il convient maintenant de déterminer si le cordage du bois de chauffage, ainsi que le ramonage d’une cheminée, constituent ou s’assimilent à des travaux d’entretien courant d’un domicile au sens de l’article 165 de la loi.
[21] En ce qui concerne le bois de chauffage, il convient de signaler que le travailleur ne demande pas le remboursement du prix d’achat de son bois de chauffage.
[22] Si tel avait été le cas, le travailleur aurait alors dû démontrer, selon la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles[3], qu’il coupait lui-même son bois de chauffage avant de devenir incapable de le faire en raison d’une atteinte grave à son intégrité physique résultant de sa lésion professionnelle. Toujours selon cette jurisprudence, il aurait également dû démontrer que le chauffage au bois constitue son principal ou l’unique moyen de chauffage de son domicile.
[23] Bien que la présente affaire ne porte pas sur une demande de remboursement d’achat de bois de chauffage, le travailleur questionne néanmoins l’exigence portant sur le chauffage unique ou principal au bois dans un tel cas.
[24] De l’avis du tribunal, cette exigence tient au fait que le simple achat de bois de chauffage ne diffère guère de l’achat d’un autre combustible, tels de l’huile à chauffage, du gaz naturel, voire même de l’électricité. Or, il ne viendrait à l’esprit de quiconque de demander le remboursement du prix d’achat de l’électricité nécessaire au chauffage d’un domicile à la suite d’une lésion professionnelle.
[25] Par contre, la situation peut différer dans le cas où un travailleur coupait lui-même son bois de chauffage avant sa lésion et qu’il chauffait son domicile uniquement ou principalement au bois. En effet, lorsqu’un tel travailleur devient incapable de s’approvisionner lui-même en bois de chauffage à la suite d’une lésion, il se voit alors contraint de l’acheter plutôt que de le couper lui-même, s’il souhaite continuer à chauffer son domicile uniquement ou principalement au bois.
[26] Dans ce cas, l’exigence, portant sur le chauffage unique ou principal au bois, vise donc à permettre à ce travailleur de maintenir son même mode de chauffage, ce qui s’inscrit dans la foulée de l’objet de la loi, laquelle vise la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires.
[27] En l’espèce, il ressort plutôt de la preuve qu’avant sa lésion, le travailleur n’a jamais coupé son bois aux fins de son approvisionnement, mais qu’il cordait lui-même le bois qu’il achetait et le déposait ensuite sur le côté de sa maison. De plus, il ramonait lui-même sa cheminée.
[28] Le travailleur soutient donc également qu’il n’y a pas lieu d’exiger qu’il démontre que le chauffage au bois constitue son principal moyen de chauffage dans le cadre de sa demande de remboursement des frais résultant du ramonage de sa cheminée et du cordage du bois qu’il a acheté.
[29] De l’avis du tribunal, le travailleur a raison de prétendre que l’exigence portant sur le caractère unique ou principal du chauffage au bois est inapplicable à l’égard du ramonage d’une cheminée, car dans ce cas, il s’agit manifestement d’un travail d’entretien courant d’un domicile[4].
[30] En effet, il est notoire qu’il est recommandé de faire ramoner une cheminée, à tout le moins une fois par année, lorsqu’une installation de chauffage au bois est le moindrement utilisée.
[31] À cet égard, et pour des motifs de sécurité évidents, il n’y a nulle raison d’exiger que le bois soit l’unique ou le principal moyen de chauffage d’un domicile pour obtenir le remboursement des frais de ramonage d’une cheminée. Outre les autres conditions prévues par la loi, il suffit alors de démontrer que le travailleur utilise encore une installation de chauffage au bois, y compris à titre de chauffage d’appoint, et qu’il ramonait lui-même la cheminée de son domicile avant la lésion.
[32] Toutefois, le travailleur n’a pas démontré qu’il a engagé des frais pour le ramonage de sa cheminée en 2013, de sorte qu’il ne peut recevoir le remboursement de frais qu’il n’a pas engagé.
[33] Par ailleurs, le travailleur devait-il démontrer, au moyen d’une preuve prépondérante, que le chauffage au bois constitue son unique ou principal moyen de chauffage, et non un simple moyen d’appoint, pour se voir rembourser les frais de cordage de son bois de chauffage ?
[34] De l’avis du tribunal, il ne convient pas de disposer de cette question en l’espèce, car les faits de la présente affaire ne le justifient pas.
[35] En effet, l’examen de la facturation d’électricité attribuable au domicile du travailleur entre 2007 et 2013 démontre que l’électricité constitue en l’espèce un moyen de chauffage accessoire.
[36] Par ailleurs, le travailleur n’a pas engagé de frais pour corder son bois en 2013, ni même avant. En effet, l’ami du travailleur qui a effectué le cordage de son bois de chauffage a témoigné n’avoir reçu aucune rétribution en contrepartie de ce travail.
[37] À l’audience, le travailleur a demandé au tribunal de rendre une décision déclaratoire à ce sujet, mais il n’appartient pas à la Commission des lésions professionnelles de rendre de telles décisions à des fins de remboursements futurs[5].
[38] Les décisions portant sur le remboursement des frais d’entretien courant d’un domicile sont rendues à l’égard d’une réclamation pour une année particulière. Dans cette optique, il appartiendra au travailleur de produire, le cas échéant, une nouvelle demande de remboursement pour 2014 et lors des années subséquentes, auxquels cas cette question pourra alors être décidée dans le cadre d’un litige réel et lier les parties prenantes.
[39] Puisque le travailleur n’a pas engagé de frais en 2013 pour le cordage de son bois de chauffage et le ramonage de sa cheminée, le tribunal ne peut donc faire droit à sa demande de remboursement pour cette année.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Otto Dietrich, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue le 17 juin 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement pour le cordage du bois de chauffage et le ramonage de la cheminée de son domicile pour l’année 2013.
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Pierre Arguin |
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Me André Laporte |
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Laporte & Lavallée, avocats inc. |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Filion et P.E. Boisvert Auto ltée, C.L.P. 1105031-63-9902, 15 novembre 2000, M. Gauthier; Cyr et Thibault et Brunelle, C.L.P. 165507-71-0107, 25 février 2002, L. Couture; Parent et Mines Agnico Eagle Ltée, C.L.P. 280601-08-0512, 18 juillet 2006, J.-F. Clément.
[3] Martel et Entreprises G. St-Amant inc., C.A.L.P. 07955-03A-8806, 26 octobre 1990, B. Dufour; Alarie et Industrie James McLaren inc., [1995] C.A.L.P. 1233; Lemieux et Ministère des Transports, C.L.P. 118805-02-9906, 6 mars 2000, P. Simard; Champagne et Métallurgie Noranda inc., C.L.P. 144899-08-0008, 1er mars 2001, P. Prégent; Lacroix et Pointe-Nor inc., C.L.P. 143220-08-0007, 7 mars 2001, P. Prégent; Hamel et Mines Agnico Eagle ltée, C.L.P. 134627 - 08-0002, 10 juillet 2001, M. Lamarre; Nevins et Les Abatteurs Jacques Élément, C.L.P. 156525-08-0103, 18 février 2002, C. Bérubé; Benoît et Constructions AJP Rivard inc., C.L.P. 181584-04-0203, 21 février 2003, J.-F. Clément; Lacasse et Les Industries de la Rive Sud ltée, C.L.P. 205129-03B-0304, 23 juin 2005, C. Lavigne; Parent et Mines Agnico Eagle Ltée, C.L.P. 280601-08-0512, 18 juillet 2006, J.-F. Clément; Bérubé et Les Forages Julien Bérubé ltée, C.L.P. 294917-01A-0607, 17 avril 2007, R. Arseneau; Prud’homme et 9064-0194 Québec inc., C.L.P. 329166-64-0709, 25 juillet 2008, J.-F. Martel; Therrien et Hydro-Québec, C.L.P. 356044-09-0808, 26 mai 2009, N. Michaud; Letendre et Marine Industries ltée, C.L.P. 394960-04B-0911, 28 avril 2010, J. Degré; Dupont et Beaulieu Canada Moquette Division, 2011 QCCLP 6574.
[4] Brochu et Hydro-Québec (Gestion des accidents du travail), 2012 QCCLP 1891.
[5] Lamontagne et CLSC Samuel de Champlain, C.L.P. 175805-62-0112, 7 janvier 2004, É. Ouellet; Labonté, 2013 QCCLP 3142.
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