Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Anderson et Pneus Clermont inc.

2015 QCCLP 4648

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

Sept-Îles

28 août 2015

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte - Nord

 

Dossier :

559586-01B-1412

 

Dossier CSST :

142453695

 

Commissaire :

Daniel Jouis, juge administratif

 

Membres :

Ginette Denis, associations d’employeurs

 

Jacques Picard, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

Steeve Anderson

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Pneus Clermont inc. (Les)

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 11 décembre 2014, monsieur Steeve Anderson (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 2 décembre 2014 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 29 août 2014, déclarant que les indemnités de remplacement du revenu ont lieu d’être suspendues à compter du 29 août 2014.

[3]           L’audience s’est tenue à Gaspé le 16 juin 2015 en présence du travailleur et de son procureur, maître Francis Bernatchez. La procureure de Les Pneus Clermont inc. (l’employeur), maître Linda Lauzon, assiste à l’audience par visioconférence. Le dossier est pris en délibéré au terme de l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]            Le travailleur demande au tribunal d’infirmer la décision du 2 décembre 2014 et de reconnaître qu’il n’y a pas lieu de suspendre les indemnités de remplacement du revenu à compter du 26 octobre 2014.

LES FAITS

[5]           Aux fins de sa décision, le tribunal retient de la preuve entendue et produite les faits relatés au cours des prochains paragraphes.

[6]           Le travailleur âgé de 42 ans est mécanicien chez l’employeur. Le 6 mai 2014, alors qu’il manœuvre des pneus de tracteurs, il se blesse au dos. À l’audience, il décrit l’événement ainsi :

J’avais un pneu de tracteur à faire alors j’ai voulu le à lever et pis j’ai barré. C’est un pneu de 24 ou 26 pouces je suis tombé à genou. Alors là ils ont voulu m’amener à l’hôpital alors j’ai pris la chaise roulante pis ils m’ont donné des médicaments et toute sorte d’affaires. [sic]

 

 

[7]           Le jour même, le travailleur consulte le docteur Charles Tanguay. Ce dernier émet un diagnostic d’entorse lombaire et prescrit un arrêt de travail de cinq jours.

[8]           Le 12 mai 2014, le travailleur retourne au travail.

[9]           Le 14 mai 2014, vu la persistance des douleurs, le travailleur consulte de nouveau. Il rencontre le docteur Sylvain Trudel en consultation externe. Ce dernier pose le diagnostic de lombalgie post entorse avec dégénérescence discale multiétagée à L3-L4 et L4-L5. Il prescrit des traitements de physiothérapie ainsi qu’une réhabilitation fonctionnelle à l’aide d’un neurostimulateur transcutané (TENS).

[10]        Le même jour, le travailleur passe une radiographie simple de la colonne. Le radiologiste, Denis Caron, interprète ainsi l’examen :

            Colonne lombo-sacrée :

 

            Comparativement à l’examen de janvier, je ne vois pas de changement. On retrouve des signes d’arthrose du rachis lombaire surtout inférieur et plus marqué à L4-L5. Les signes sont stables. Je ne vois pas de lésion traumatique surajoutée.

 

[11]        Le 27 juin 2014, la CSST rend une décision d’admissibilité quant à la lésion professionnelle alléguée au 6 mai 2014. La réclamation pour une entorse lombaire est acceptée.

[12]        Le 19 juillet 2014, le travailleur consulte la docteure Marie-Michèle Blais. Celle-ci émet le diagnostic suivant : « lombalgie chronique exacerbée post entorse lombaire ». Elle note également au rapport un trouble d’adaptation avec humeur dépressive. Elle recommande la poursuite des traitements de physiothérapie et réitère l’arrêt de travail.

[13]        Le 12 août 2014, le travailleur voit le docteur Simon Fradette. Celui-ci réitère le diagnostic de lombalgie chronique exacerbée post entorse. Au rapport médical, il note une bonne évolution et recommande la poursuite des traitements de physiothérapie.

[14]        Le 20 août 2014, le travailleur est incarcéré au centre de détention de New Carlisle.

[15]        Le 25 août 2014, le travailleur est évalué par monsieur Michel Lebée, un agent de liaison de La Maison Carignan, un centre de thérapie. Ce dernier évalue le travailleur ainsi :

            À partir de cette évaluation, j’ai conclu que cette personne répondait à plusieurs critères de la problématique de dépendance aux substances psychoactives selon le DSM-V. Il serait donc avantageux pour cette personne de bénéficier d’un programme thérapeutique à l’interne comme celui offert par La Maison Carignan inc. Le cheminement intensif offert à notre centre est d’une durée minimale de six (6) mois, ou plus selon le besoin de l’individu. Un tel milieu lui fournira un encadrement serré et l’aidera quant à la modulation de ses comportements.

 

            Cependant, nous croyons préférable que certaines conditions spécifiques soient imposées au sujet :

 

Ø  Demeurer à La Maison Carignan 24 heures sur 24, sauf avec permission du centre, et respecter les règlements de l’organisme

Ø  Devra être transféré à l’établissement de détention de Trois-Rivières et devra ensuite être remis entre les mains d’un représentant de La Maison Carignan dès sa sortie de prison

Ø  En aucun temps, ne devra se présenter au palais de justice de New Carlisle durant son séjour à notre ressource et lorsqu’il aura complété sa thérapie, il aura quarante-huit (48) heures pour faire son changement d’adresse.

 

 

[16]        Le 26 août 2014, le travailleur communique avec son agente d’indemnisation et l’avise de son incarcération et de sa demande d’être admis en thérapie. Il l’informe qu’il devrait être en cure fermée pour au moins deux mois. 

[17]        Le 27 août 2014, le travailleur se présente en audience au palais de justice de New Carlisle. La Cour ordonne au travailleur de se rendre dans un centre de thérapie, soit à la maison Carignan de Trois-Rivières, afin de subir une thérapie fermée d’une durée de six mois.

[18]        Le procureur du travailleur avise l’agente d’indemnisation que son client quitte comme prévu pour une thérapie et demande si ce dernier continuera de recevoir son indemnité de remplacement du revenu. Le même jour, la CSST suspend les prestations d’indemnité de remplacement du revenu du travailleur. L’agente d’indemnisation motive sa décision par le fait que le travailleur a, sans raison valable, interrompu son suivi médical ainsi que les traitements de physiothérapie prescrits par son médecin. La décision se lit ainsi :

            Application de l’article 142 en date de ce jour, 29 août 2014, indemnités de remplacements du revenu suspendues :

 

            Considérant que le travailleur a été incarcéré le 20 août 2014 au Centre de détention de New Carlisle, par la suite il a été transféré à la Maison Carignan, centre de thérapie à Trois-Rivières, suite à un ordre de la cour en date du 27 août 2014;

 

            Considérant que le travailleur ne peut se soumettre à un examen médical actuellement;

 

            Considérant que le travailleur ne peut se soumettre à un traitement médical, soit des traitements de physiothérapie prescrits par son médecin traitant en date du 14 mai 2014.

 

            Considérant que le travailleur ne peut avoir de suivi médical avec son médecin traitant;

 

            Nous pourrons reprendre le versement des indemnités dans la mesure ou le motif qui en a justifié la suspension n’existera plus.

 

 

[19]        Le 2 septembre 2014, le travailleur est consigné à La Maison Carignan 24 heures sur 24 pendant six mois, mais sans sorties jusqu’au 26 octobre 2014.

[20]        Le 5 septembre 2014, le travailleur demande la révision de la décision rendue par la CSST le 29 août 2014.

[21]        À l’audience, le travailleur témoigne que dès le 26 octobre 2014, soit à partir du moment où des sorties lui étaient autorisées par le centre, il a pris contact avec son agente d’indemnisation de la CSST. Il désire alors avoir des informations sur le statut de ses indemnités de remplacement du revenu. Il allègue qu’un refus du versement de celles-ci lui est alors évoqué, puisque son dossier à la CSST était suspendu pour une durée de six mois, soit le temps de sa thérapie.

[22]        Le travailleur indique qu’il aurait été en mesure de poursuivre des traitements de physiothérapie à partir du 26 octobre 2014. Il témoigne cependant que comme ses indemnités avaient été coupées, il n’avait pas les moyens de défrayer lui-même le coût des traitements.

[23]        Le 2 décembre 2014, la CSST rend une décision en révision administrative à la suite de la contestation du travailleur. Par cette décision, la CSST confirme ce qu’elle a initialement rendu le 29 août 2014 et déclare que le versement des indemnités de remplacement du revenu est suspendu. Il s’agit de la décision contestée.

[24]        Le 15 mars 2015, le travailleur quitte La Maison Carignan de Trois-Rivières et revient chez lui, puisque sa thérapie est terminée.

[25]        À l’audience, le travailleur témoigne avoir contacté la CSST dans les jours suivant son retour à la maison afin de connaître le statut de son dossier.

[26]        Le 13 avril 2015, le travailleur rencontre le docteur André Gilbert à la demande de l’employeur aux fins d’une expertise médicale. Bien que le tribunal ne dispose d’aucun document au dossier appuyant ce rendez-vous médical, les deux parties s’entendent à l’audience sur la date de cette expertise qui aurait d’ailleurs eu lieu à Rimouski. Selon le travailleur, depuis cette expertise, il ne peut plus travailler.

[27]        Le travailleur témoigne avoir également rencontré deux fois des médecins à la demande de la CSST depuis son retour en Gaspésie au printemps.

[28]        Soulignons qu’à l’audience, le travailleur allègue que sa lésion professionnelle n’est toujours pas consolidée et qu’il a toujours des douleurs.

[29]        Le tribunal ne dispose d’aucun document médical au dossier témoignant d’une consolidation de la lésion du travailleur.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[30]        Le procureur du travailleur soutient que la suspension du versement de l’indemnité devait cesser à compter du 26 octobre 2014, après la période en cure fermée de la thérapie. Il invoque également que la suspension prévue à l’article 142 est un moyen de coercition draconien qui doit être utilisé de façon judicieuse.  Il cite la décision du tribunal Vézina et Gil-Ber inc.[1] pour appuyer sa prétention. Selon lui, le travailleur est disposé et prêt à reprendre ses traitements de physiothérapie, mais en l’absence d’indemnité de remplacement du revenu, il n’en a pas les moyens. Le travailleur fait face à un refus de la CSST jusqu’à la fin de sa thérapie au mois de mars 2015.

[31]        Plus encore, celui-ci plaide que puisque la lésion n’est pas encore consolidée, que son client est disposé à poursuivre ses traitements et qu’il se rend aux rendez-vous médicaux lorsqu’ils lui sont demandés, il a droit à l’indemnité de remplacement du revenu comme le prévoit la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2]  (la loi).

[32]        Pour sa part, la procureure de l’employeur plaide que le travailleur avait le fardeau de démontré qu’il n’a pas omis ou refusé de se présenter aux traitements médicaux requis et à son suivi médical. Ce qu’il n’a pas fait. Pour celle-ci, l’incarcération n’est pas une raison justifiant ses absences. Le travailleur n’a pas non plus prouvé qu’il ne puisse se rendre à ses traitements et elle souligne l’absence de preuve documentaire soutenant les prétentions du travailleur.

[33]        La procureure de l’employeur plaide également qu’une mise à jour du dossier de la CSST aurait été utile, tout comme les récents rapports médicaux pour justifier la position du travailleur à l’effet qu’il est disposé à suivre ses traitements et à se rendre chez le médecin pour son suivi médical. Elle reproche également au travailleur de ne pas avoir été proactif auprès de la CSST.

L’AVIS DES MEMBRES

[34]        Conformément à l’article 429.50 de la loi, le soussigné a demandé et obtenu l’avis des membres qui ont siégé avec lui sur la question faisant l’objet de la contestation ainsi que sur les motifs de cet avis.

[35]        Le membre issu des associations syndicales et la membre issue des associations d’employeurs sont d’avis de faire droit en partie à la requête du travailleur. Ils sont d’opinion que le travailleur n’a jamais omis ou refusé de suivre les traitements ou d’effectuer le suivi médical. Il a même pris les devants auprès de la CSST afin d’expliquer sa situation et cela lui a valu la suspension du versement de son indemnité de remplacement du revenu.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[36]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST était justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la loi.

[37]        Le droit au versement de l'indemnité de remplacement du revenu est prévu à l’article 44 et les suivants de la loi, lesquels se lisent comme suit :

44.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

 

Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

__________

1985, c. 6, a. 44.

 

 

45.  L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.

__________

1985, c. 6, a. 45.

46.  Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.

__________

1985, c. 6, a. 46.

 

 

[38]        L'article 57 de la loi, quant à lui, prévoit les circonstances de la fin du droit à l'indemnité de remplacement du revenu. Cet article se lit comme suit :

57.  Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :

 

1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;

 

2° au décès du travailleur; ou

 

3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.

__________

1985, c. 6, a. 57.

 

 

[39]        Dans le présent cas, en l'absence de consolidation de la lésion professionnelle du travailleur au moment de l'audience, il apparaît clair que le travailleur a droit de recevoir l'indemnité de remplacement du revenu.

[40]        Toutefois, l'article 142 de la loi prévoit les cas où la CSST peut réduire ou suspendre le paiement de l'indemnité de remplacement du revenu. Le libellé de cet article se lit comme suit :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

1° si le bénéficiaire :

 

a)  fournit des renseignements inexacts;

 

b)  refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi où omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

 

b)  pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

d)  omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;

 

f)  omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

[41]        Dans le présent cas, la CSST décide de suspendre l'indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 29 août 2014. Elle invoque l'interruption du suivi médical ainsi que l'arrêt des traitements de physiothérapie pour justifier sa décision.

[42]        Plus spécifiquement, c’est la détention du travailleur à compter du 20 août 2014 qui l’empêche de se rendre à ses traitements et au suivi médical. Il ne s’agit pas d’un refus du travailleur ou d’une négligence de sa part. D’ailleurs, le tribunal s’exprime ainsi dans l’affaire Rheault & Fils Ltée et Samson[3] :

[164]    Sa détention l’empêche, évidemment, de se soumettre à l’examen du membre du Bureau d’évaluation médicale. Il ne s’agit pas d’une décision du travailleur ou d’une négligence de ce dernier.

 

[165]    Le travailleur est plutôt victime des circonstances et il n’appartient pas au tribunal d’émettre un jugement de valeur sur le motif de son absence puisqu’il ignore tout de son dossier pénal.

 

[166]    La Commission des lésions professionnelles constate, toutefois, que le travailleur ne peut se rendre à l’examen du membre du Bureau d’évaluation médicale, qu’il a de bonnes raisons pour motiver son absence et que, dès lors, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu ne peut être suspendu en vertu de l’article 142 de la loi.

 

 

[43]        Le soussigné souscrit à cette position du tribunal, conscient que d’autres décisions du tribunal[4] ont déjà déterminé que l’incarcération ne constitue pas une raison valable de ne pas se soumettre au plan de réadaptation. De l’avis du soussigné, l’approche exposée dans la décision Rheault & Fils Ltée et Samson précitée tient plus compte du caractère d’exception de l’article 142 de la loi et constitue une interprétation plus restrictive de cette mesure de coercition, de nature plus pénale.

[44]        Dans le présent cas, le travailleur avise la CSST de sa situation le 26 août 2014, soit quelques jours avant la décision de la CSST de suspendre son indemnité le 29 août 2014.

[45]        La preuve révèle que le tribunal de droit commun ordonne au travailleur de se rendre en maison de thérapie. À l’endroit désigné, il se trouve en résidence fermé 24 heures sur 24 et sept jours par semaine. Dans de telles circonstances, cette situation ne peut être assimilée à une omission ou un refus de se soumettre à ses traitements ou au suivi médical.

[46]        À compter du 27 octobre 2014, alors que la période d’assignation à résidence complète au centre de thérapie est terminée, le travailleur peut, selon son propre témoignage, se rendre à des rendez-vous et vaquer à ses affaires, bien que toujours en thérapie. À ce moment, il explique ne pas se rendre en physiothérapie faute de moyens. Il contacte la CSST à ce moment pour s’enquérir du suivi de son dossier. Selon son témoignage non contredit, il se bute à une décision de la CSST qui a décidé de suspendre les versements de son indemnité pour la durée de sa thérapie, soit jusqu’au 15 mars 2015.

[47]        À son retour de thérapie, il communique à nouveau avec la CSST et va même rencontrer le docteur Gilbert pour une expertise demandée par l’employeur. Il se rend ensuite à des rendez-vous médicaux à la demande de la CSST.

[48]        Au sujet de l’argument de l’employeur, soit celui selon lequel le travailleur n’a pas appuyé sa preuve de documents comme une mise à jour des notes évolutives du dossier de CSST et des rapports médicaux suite aux rendez-vous médicaux après sa thérapie, le tribunal ne peut y souscrire. Chacun est maitre de sa preuve et aucune raison ne justifie d’écarter le témoignage du travailleur, lequel est crédible. D’ailleurs, aucune autre preuve ne vient contredire la version du travailleur. Plus encore, l’expertise demandée et effectuée par l’employeur, et admise à l’audience, corrobore à elle seule le témoignage du travailleur quant à sa disposition à se rendre aux rendez-vous requis dans le cadre de son dossier.

[49]        Le tribunal ne croit pas non plus que le travailleur n’a pas été proactif auprès de la CSST. Il avise lui-même cette dernière de son incarcération et c’est suite à cela que son indemnité est suspendue. Il relance la CSST après sa période de réclusion le 26 octobre 2014, mais se bute à la position de la CSST qui dit revoir son dossier à la fin de sa thérapie, laquelle se poursuit encore quatre mois. Il relance cette dernière à sa sortie de thérapie en mars 2015, mais sans résultats. Enfin, il se rend aux rendez-vous médicaux qui lui sont demandés après la fin de sa thérapie. Sauf respect, de telles démarches ne constituent pas un manque d’implication de la part du travailleur.

[50]        Enfin, le soussigné ne peut s’empêcher de souligner que malgré l’annonce de la CSST de reprendre le versement des indemnités dans la mesure où le motif qui justifiait la suspension n’existerait plus au moment de prendre sa décision, il n’en fut rien. Rappelons que la mesure prévue à l’article 142 de la loi en est une de coercition et n’emporte pas le droit d’un travailleur aux indemnités de remplacement du revenu. Ce n’est pas le droit à l’indemnité qui est suspendu, mais le versement de celle-ci. Cette suspension doit donc cesser lorsque le défaut reproché n’existe plus. Dans le présent cas, la CSST n’est pas sans le savoir, elle en fait même mention dans les motivations de sa décision.

[51]        La preuve au dossier démontre que le travailleur n’a pas, en aucun moment, omis ou refusé de se soumettre à ses traitements ou à un suivi médical.

[52]        En l’espèce, malgré la demande du procureur du travailleur qui réclame  la suspension du versement de l’indemnité du revenu à compter du 26 octobre 2014, agissant de novo, appelé à rendre la décision qui aurait dû être rendue, le tribunal fait droit à la requête du travailleur à compter du 29 août 2014.     

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Steeve Anderson;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 2 décembre 2014 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 août 2014.  

 

 

 

__________________________________

 

Daniel Jouis

 

 

Me Francis Bernatchez

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Linda Lauzon

MONETTE, BARAKETT & ASSOCIÉS

Représentante de la partie intéressée

 

 



[1]           2013 QCCLP 2344.

[2]           RLRQ, c. A-3.001.

[3]           2015 QCCLP 2998.

[4]           Edinborough et Camions et Remorques H.K. inc., C.L.P. 201834-72-0303, 14 août 2003, Y. Lemire; et Gagnon et Claude Bourdon Électrique, 1994, CALP 1256.

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