Deschamps (Succession de) et Unimin Canada ltée |
2009 QCCLP 6202 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 20 mai 2007, la Succession de monsieur Marius Deschamps dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle demande la révision ou la révocation de la décision rendue le 14 juillet 2005.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de monsieur Deschamps et confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 30 août 2001 à la suite d’une révision administrative.
[3] Elle déclare inchangées les conclusions de cette décision en ce qui a trait au diagnostic de la maladie dont souffrait monsieur Deschamps le 24 février 1998 et déclare que l’emphysème pulmonaire dont il était atteint n'est pas une maladie professionnelle pulmonaire et que par conséquent, il n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[4] Le 16 septembre 2008, le tribunal a procédé sur la question du délai à déposer la requête en révision ou révocation. L’affaire a été mise en délibéré le 9 décembre 2008 et une décision[2] a été rendue le 5 janvier 2009. Le tribunal a décidé que la requête était recevable et a avisé les parties qu’elles seraient convoquées à nouveau pour statuer sur le bien-fondé de la requête en révision ou révocation.
[5] À l’invitation du tribunal, les représentants des parties ont argumenté par écrit sur la notion de fait nouveau prévue à l’article 429.56 de la loi. Les parties avaient été avisées que dans l’éventualité où le tribunal conclurait à l’existence d’un fait nouveau qu’alors, elles pourraient se faire entendre en audience sur le fond de la requête.
[6] Le tribunal a reçu l’argumentation du représentant de l’employeur le 26 mars 2009 et celle de la représentante de la Succession le 8 avril 2009. L’affaire a été mise en délibéré à cette dernière date.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[7] La Succession demande au tribunal de déclarer que le rapport d’autopsie contient des faits nouveaux qui, s’ils avaient été connus en temps utile, auraient pu justifier une décision différente.
LES FAITS
[8] Monsieur Deschamps a travaillé à compter de 1976 pour l’employeur qui exploite une mine de silice.
[9] Les 24 février 1998 et 10 août 2000, il a déposé des réclamations à la CSST. La dernière réclamation est notamment basée sur un rapport médical du Dr Martin qui diagnostiquait alors un emphysème pulmonaire sévère aggravé et suggérait une réévaluation pour une maladie pulmonaire « industrielle ».
[10] Comme monsieur Deschamps alléguait être atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire la CSST l’a référé à un comité des maladies professionnelles pulmonaires et sur réception de leur rapport du 5 décembre 2000, elle a soumis le dossier de monsieur Deschamps à un comité spécial des présidents qui a fait rapport le 1er février 2001.
[11] Ce dernier comité a alors indiqué qu’il ne reconnaissait pas de maladie pulmonaire professionnelle « chez ce réclamant qui présente une emphysème pulmonaire sévère sans toutefois qu’il existe des signes de silicose » (nos soulignements).
[12] Comme la CSST était liée par les constatations médicales du comité spécial des présidents elle a, le 16 février 2001, refusé la réclamation puisque monsieur Deschamps n'avait pas été reconnu porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire. Monsieur Deschamps a demandé la révision de cette décision laquelle a été confirmée en révision administrative le 30 août 2001 dans les termes suivants :
Par conséquent, la Direction de la révision administrative confirme la décision du 16 février 2001 et conclut que le travailleur souffre d’un emphysème pulmonaire sévère, que cet emphysème n’est pas relié à son exposition à la silice ou quelqu’autre exposition et qu’il ne présente aucun signe de silicose. La réclamation du 10 août 2000 ne peut donc être acceptée et le travailleur n'a pas droit aux prestations prévues à la loi.
[13] C'est d’une requête à l’encontre de cette décision qu’était saisie la première juge administratif qui a tenu une audience les 7 février 2003 et 21 octobre 2004.
[14] Monsieur Deschamps ne remettait pas en question le diagnostic de la maladie dont il était atteint mais demandait de reconnaître que son emphysème pulmonaire sévère constituait une maladie professionnelle pulmonaire.
[15] La première juge administratif a décidé que monsieur Deschamps ne pouvait bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue à l'article 29 de la loi vu que sa maladie ne faisait pas partie des maladies énumérées à l'annexe l de la loi.
[16] Elle s’est par la suite demandée, conformément à l'article 30 de la loi, si la maladie de monsieur Deschamps était caractéristique de son travail ou reliée aux risques particuliers de celui-ci.
[17] Après avoir conclu qu’il n'avait pas démontré que sa maladie était caractéristique de son travail, elle a aussi conclu qu’il n’avait pas démontré que sa maladie était reliée aux risques particuliers de son travail.
[18] Sur cette dernière question, elle a considéré qu’il n’avait pas rencontré son fardeau de preuve qui était de démontrer, selon la balance des probabilités, que l'exercice du travail d’opérateur de moulin lui avait fait encourir le risque de contracter un emphysème pulmonaire.
[19] Elle a souligné qu’il n’avait pas présenté de preuve de nature médicale pour établir la relation entre l'exposition à la silice et l'emphysème pulmonaire et décidé que la preuve médicale ne militait pas en faveur de la reconnaissance du caractère professionnel puisque la grande majorité des médecins spécialistes qui se sont prononcés sur cette question au cours des années en étaient arrivés à la conclusion qu’il ne présentait pas de maladie professionnelle pulmonaire.
[20] La première juge administratif a rendu sa décision le 14 juillet 2005.
[21] Le 23 décembre 2005, monsieur Deschamps décède. La Succession demande immédiatement une autopsie des poumons afin de savoir s’il a présenté une silicose.
[22] L’autopsie des poumons est réalisée le 24 décembre 2005 par la Dre Marie Marcotte, pathologiste. Un rapport d’autopsie provisoire est émis le 5 janvier 2006. On y mentionne ceci à titre de diagnostics anatomiques provisoires :
1-Emphysème pulmonaire sévère bilatéral
Pneumoconiose à éliminer à l’étude histologique
2- Plaques hyalines plèvre pariétale droite et plèvre diaphagmatique droite
3- Épanchement pleural droit (800cc)
[23] Onze mois plus tard, soit le vers le 14 novembre 2006, la pathologiste complète son rapport. Au chapitre Diagnostics anatomiques finals elle mentionne que l’autopsie a été limitée aux poumons à la demande de la famille et elle pose les diagnostics suivants :
1- Silicose pulmonaire et pleurale
De forme nodulaire (classique)
Fibrose interstitielle diffuse (aux deux lobes supérieurs)
2- Nombreuses particules biréfringentes à la lumière polarisée, compatibles avec des particules de silice.
3- Emphysème panacinaire et bulleux impliquant la totalité du parenchyme pulmonaire.
4- carcinome modérément différencié de type « adenosquamous », à localisation périphérique (régions pleurale et sous-pleurale) et multicentrique localisé aux lobes supérieur, moyen et inférieur droits, au niveau de la plèvre viscérale, avec invasion du parenchyme pulmonaire sous pleural.
5- Pas d’évidence d’infection mycobactérienne ou mycotique.
6-Ganglions péribronchiques
Nodules silicotiques
7- Bronchopneumonie aiguë lobaire inférieure et moyenne droite.
Commentaire : À l’examen des multiples prélèvements (47 blocs), nous n’avons pas vu d’image histologique caractéristique d’une fibrose mixte. Nous n’avons pas vu de corps ferrugineux.
Il nous est impossible d’affirmer hors de tout doute que le carcinome adénosquameux observé au niveau du poumon droit est un primaire pulmonaire plus qu’un carcinome métastatique.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[24] La Succession soumet que le rapport final d’autopsie constitue un fait nouveau car les résultats indiqués au rapport révèlent des découvertes essentielles et déterminantes au sort du litige soit la présence d’une silicose alors que les examens prémorbides n’en démontraient pas. Cette preuve était impossible à obtenir lors de l’audience laquelle s’est déroulée du vivant de monsieur Deschamps. Sur la base de ce fait nouveau, la Succession considère qu'elle est en droit de demander que monsieur Deschamps soit reconnu porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire.
[25] L’employeur a avisé le tribunal qu’il n’avait pas de représentations à faire sur cette question.
L’AVIS DES MEMBRES
[26] Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d'avis que l’information apparaissant au rapport d’autopsie du 14 novembre 2006 constitue un fait nouveau justifiant la révocation de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 14 juillet 2005.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[27] L’article 429.49 de la loi énonce que les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel.
[28] Toutefois, l’article 429.56 de la loi prévoit que la Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue pour les motifs qui y sont énoncés :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[29] La Succession prétend que le rapport d’autopsie contient des informations qui auraient pu justifier une décision différente de la première juge administratif.
[30] La jurisprudence[3] a établi trois critères pour conclure à l’existence d’un fait nouveau soit :
1- la découverte postérieure à la décision d’un fait nouveau;
2- la non-disponibilité de cet élément de preuve au moment où s’est tenue l’audience initiale;
3- le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eut été connu en temps utile.
[31] Le rapport final d’autopsie mentionne que monsieur Deschamps présentait en plus d’un emphysème pulmonaire une silicose pulmonaire et pleurale. Il s’agit d’une information qui a été découverte postérieurement à la décision de la Commission des lésions professionnelles et cet élément n’était pas disponible au moment où s’est tenue l'audience initiale même si la condition était certainement présente.
[32] La représentante de la Succession invoque la décision rendue dans Unimin Canada ltée et Labelle[4]. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles avait conclu dans sa décision initiale que le travailleur n’était pas atteint d’une maladie professionnelle parce que la preuve ne démontrait pas qu’il était atteint d’une silicose. Elle a rendu sa décision essentiellement à l'égard de l'interprétation de l'imagerie pulmonaire, après avoir noté l'absence d'une biopsie pulmonaire qui aurait permis d'établir un diagnostic de façon précise et définitive. Le fait nouveau invoqué par le travailleur était justement une biopsie pulmonaire, démontrant qu'il était porteur d'une silicose simple.
[33] La requête en révision a été accueillie et la Commission des lésions professionnelles y précise ceci:
[14] En matière de fait nouveau, la jurisprudence du tribunal est à l’effet qu’il doit s’agir de la découverte postérieure d’un fait nouveau, impossible à obtenir au moment de l’audience initiale et dont le caractère déterminant aurait eu un effet sur le sort du litige. En l’instance, ces critères sont démontrés.
[15] Dans une décision rendue en 2002 [2], le tribunal est saisi d’une requête alléguant la découverte d’un fait nouveau. On y précise que ce ne sont pas les rapports médicaux qui constituent le fait nouveau, mais bien ce qu’ils contiennent comme information. Ainsi, la vraie question est de savoir si la condition notée dans les rapports médicaux, est une condition qui existait avant la décision rendue par le tribunal. C’est ce qui est démontré en l’instance. La chirurgie subie par le travailleur en février 2004 met en évidence une condition existante en tout temps pertinent avant la décision de la Commission des lésions professionnelles datée du 5 septembre 2003.
[16] Aussi, il ne s’agit pas, pour le travailleur, d’une bonification de sa preuve après enquête ou de la création d’une preuve après enquête. Le travailleur est atteint d’une maladie pulmonaire et c’est dans le cadre des soins et traitements requis par cette maladie qu’il a subi la chirurgie du mois de février 2004. La disponibilité de cette preuve médicale est tributaire des symptômes que présente le travailleur, indépendamment des litiges concernant l’origine professionnelle de sa condition pulmonaire.
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[2] Chabot et Toitures Qualitoit inc., 137462-32-0005, 22 avril 2002, P. Simard
[34] Dans le présent dossier, le rapport d’autopsie ne constitue pas en soi un fait nouveau mais il contient des informations qui constituent des faits nouveaux. Compte tenu du délai entre l’audience et le décès, la condition décrite au rapport était fort probablement déjà présente au moment de l’audience initiale.
[35] Quant à savoir si cet élément aurait été déterminant si la première juge administratif l’avait connu, la Commission des lésions professionnelles est convaincue que cela aurait été le cas. En effet, si la première juge administratif avait su que monsieur Deschamps présentait une silicose en plus d’un emphysème pulmonaire cela aurait pu justifier une décision différente, monsieur Deschamps bénéficiant alors de la présomption que sa silicose constituait une maladie professionnelle et le fardeau de la preuve aurait été transféré sur les épaules de l’autre partie.
[36] En fait cet élément, soit la présence d’une silicose est un élément qui n’avait pu être mis en évidence du vivant du travailleur et qui aurait probablement influencé le diagnostic même posé par les différents comités.
[37] Si cet élément avait été connu, la première juge administratif n’aurait pas eu à statuer sur l'existence d’une maladie professionnelle pulmonaire uniquement sur la base d’un emphysème pulmonaire mais aussi sur l’existence d’une silicose, l’objet même de la réclamation à la CSST.
[38] Au surplus, si elle avait su que monsieur Deschamps souffrait d’une silicose peut-être aurait-elle évalué différemment la littérature soumise notamment celle qu'elle commente au paragraphe [65].
[65] La représentante de monsieur Deschamps a également déposé l'article intitulé Emphysema and airway obstruction in non-smoking South African gold miners with long exposure to silica dust32 sans le commenter. Il s'agit d'une étude dans laquelle les mineurs sont non-fumeurs. Les travailleurs qui ne présentaient pas de lésion parenchymateuse de silicose conservaient leurs fonctions pulmonaires alors qu'en présence de lésions silicotiques, les fonctions chutaient. Les auteurs soulignent des facteurs de comorbidité chez ces travailleurs33. Cet article ne s'apparente pas au cas de monsieur Deschamps puisque son imagerie médicale n'a jamais mis en évidence de lésion silicotique.
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32 Loc. cit., note 28
33 Obésité et maladies cardiaques
[39] De ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que les conditions prévues au premier paragraphe de l'article 429.56 sont rencontrées et qu’il y a lieu de révoquer la décision rendue par la première juge administratif car les parties doivent avoir l’opportunité de présenter une preuve additionnelle pour tenir compte du fait nouveau.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DÉCLARE que le rapport d’autopsie du 14 novembre 2006 constitue un fait nouveau au sens du premier alinéa de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
RÉVOQUE la décision rendue le 14 juillet 2005 par la Commission des lésions professionnelles;
AVISE les parties qu’elles seront convoquées pour audience à une prochaine date.
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Alain Vaillancourt |
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Me Lysanne Dagenais |
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Représentante de la Succession |
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Me Carl Lessard |
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LAVERY, DE BILLY, AVOCATS |
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Représentant de Unimin Canada ltée |
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[1] L.R.Q., c.A-3.001
[2] Deschamps et Unimin canada ltée., C.L.P. 170843-64-0110, 5 janvier 2009, Alain Vaillancourt
[3] Bourdon c. Commission des lésions professionnelles, [1999] C.L.P. 1096 (C.S.); Pietrangelo et Construction NCL, C.L.P. 107558-73-9811, 17 mars 2000, Anne Vaillancourt; Nadeau et Framatome Connectors Canada inc., C.L.P. 110308-62C-9902, 8 janvier 2001, D. Rivard, 2000LP-165; Soucy et Groupe RCM inc., C.L.P. 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, 2001LP-64; Provigo Dist. (Maxi Cie) et Briand, C.L.P. 201883-09-0303, 1er février 2005, M. Carignan; Lévesque et Vitrerie Ste-Julie, C.L.P. 200619-62-0302, 4 mars 2005, D. Lévesque
[4] [2004] C.L.P. 910
AVIS :
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