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2015 QCCQ 12573 |
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JV0516 « Chambre Civile » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-22-203158-137 |
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DATE : |
4 décembre 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q. |
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ALENA ZIULEVA, en sa qualité de tutrice à son fils mineur Daniel Senakosau |
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Demanderesse |
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c. |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse Alena Ziuleva, en sa qualité de tutrice à son fils mineur Daniel Senakosau, réclame à la Ville de Montréal ( la VILLE ), à titre de propriétaire du parc Grovehill où s’est produit l’accident du jeune Daniel, 24 500$ pour les dommages subis par Daniel à la tête et au visage à la suite de l’impact survenu lorsque celui-ci a percuté la clôture située au bas de la colline alors qu’il glissait dans le parc Grovehill, arrondissement de Lachine, le 24 décembre 2012, vers 10h30.
[2] La Ville de Montréal conteste cette réclamation, alléguant qu’il s’agit d’un pur accident, dû à aucune faute, négligence ou omission de sa part. Elle ajoute que la pente, utilisée depuis de nombreuses années par les familles pour glisser, est tout à fait sécuritaire puisqu’elle se termine, à plusieurs pieds avant la clôture, par un plat assez long suivi d’une légère remontée afin de permettre aux glisseurs de décélérer et d’arrêter en douceur et sans danger.
[3] La Ville allègue également la négligence du conjoint de fait de madame Ziuleva, Artiom Sovetcencov, qui aurait, entre autres, incité l’enfant à débuter sa glissade de la partie la plus haute de la pente afin d’obtenir une meilleure accélération.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[4] Le Tribunal doit décider des questions suivantes :
· Y a-t-il eu faute ou négligence de la part de la Ville dans l’entretien des lieux ou autrement, qui aurait pu entraîner cet accident?
· Dans l’affirmative, quelle est la valeur des dommages subis?
LE CONTEXTE
[5] Madame Ziuleva est la mère biologique de Daniel Senakosau, né le […] 2006. Elle a aussi une fillette, Élizabeth, âgée de trois ans au moment de l’incident.
[6] Le 24 décembre 2012 en avant-midi, la mère et son conjoint de fait, Artiom Sovetcencov, décident d’aller glisser avec les deux enfants au parc Grovehill, comme ils le font plusieurs fois durant l’hiver.
[7] Ce parc, une pente naturelle d’une largeur approximative de 200 pieds bornée d’arbres de chaque côté, aboutit au bas à un sentier pédestre perpendiculaire à la pente, puis à une clôture d’acier qui le sépare d’un terrain de baseball situé de l’autre côté.
[8] La pente naturelle n’est dotée d’aucune installation « artificielle » telle qu’un remonte-pente ou même de neige artificielle.
[9] Durant l’hiver, plusieurs familles viennent y faire de la glissade et ce, depuis au moins une cinquantaine d’années.
[10] Donc, au cours de cette matinée du 24 décembre 2012, alors que Daniel était sous la surveillance du conjoint Sovetcencov, sa mère étant partie chercher d’autres enfants, celui-ci, à sa troisième glissade, glisse du haut de la colline et va percuter la clôture au bas de la pente, s’infligeant des blessures à la tête et au visage comme on peut le voir sur la photo P-1.
[11] À la suite de l’appel de son conjoint, la mère, madame Ziuleva, arrive rapidement sur les lieux et tous partent pour la maison. Voyant la gravité de la blessure de Daniel, elle et son conjoint décident d'amener le jeune Daniel à l’urgence de l’Hôpital de Lachine où il est traité pour ses blessures. On lui administre notamment des points de suture sur le dessus de la tête et des bandages sur la joue gauche. Le jeune Daniel a mal, il crie et pleure. On lui radiographie la tête pour voir s’il a subi des traumatismes plus importants au crâne et aux os de la joue. Heureusement, les résultats sont négatifs : rien de cela ne s’est produit et on ne décèle aucune fracture.
[12] Durant l’attente à l’urgence, madame Ziuleva contacte par téléphone le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) de même que le Service des travaux publics de la Ville afin de leur souligner le danger que comporte cette colline pour les glissades d’enfants et le manque de signalisation de ce danger sur les lieux.
[13] À noter que madame Ziuleva n’était pas présente lors de l’accident.
[14] Le lendemain, Jour de Noël, madame Ziuleva rejoint Daniel Véronneau des travaux publics de Lachine qui l’avise que rien ne peut être fait durant la période des Fêtes.
[15] Elle décide de fabriquer un avis de danger lié à l’absence de signalisation qu’elle distribuera aux parents présents au parc et qu’elle fixera aux arbres afin d’attirer l’attention de ces derniers.
[16] Le 31 décembre 2012, on enlève les points de Daniel à l’Hôpital de Lachine.
[17] Quelque temps après, lors d’une visite au parc, madame Ziuleva constate qu’une pancarte a été installée en haut de la colline près du stationnement, sur laquelle il est inscrit que les glissades se font aux risques des glisseurs, comme en fait foi la photo de la pancarte produite comme pièce P-3.
[18] Une mise en demeure est envoyée à la Ville par le procureur de madame Ziuleva le 1er mars 2013 (P-4).
LES PRÉTENTIONS DES PARTIES
[19] Madame Ziuleva estime que la pente du parc Grovehill n’est pas sécuritaire et représente un danger pour les glisseurs, non seulement parce que la clôture est située juste au bas de la pente mais aussi parce que celle-ci contenait des tiges d’acier qui ressortaient de sa surface et ce sont ces tiges, prétend-elle, qui ont occasionné les blessures au jeune Daniel.
[20] Elle ajoute que la Ville est responsable des dommages corporels et psychologiques subis par son fils le 24 décembre 2012 puisque celle-ci n’a rien fait pour minimiser les risques de collision des glisseurs, notamment des enfants, sur la clôture au bas de la pente, ni avant, ni après l’accident.
[21] Madame Ziuleva estime que son fils Daniel a eu des comportements difficiles à l’école après l’incident et que c’est le traumatisme qu’il a alors subi qui en est la cause.
[22] La Ville, pour sa part, soutient qu’elle n’est pas l’assureur des utilisateurs de ses parcs, qu’elle n’a pas été négligente ni fautive dans l’accident survenu au fils de la demanderesse et que la colline de glisse est tout à fait sécuritaire puisqu’elle est dotée d'un espace plat au bas, suffisamment long et éloigné de la clôture, suivi d’une légère remontée avant celle-ci, destinée à ralentir les glisseurs et à leur assurer un arrêt en douceur et en toute sécurité.
[23] Elle ajoute qu’il y eut déneigement du sentier au bas de la pente le matin même du 24 décembre 2012, suivi d’un épandage de gravier sur celui-ci. Cet entretien fut exécuté avant l'arrivée de la demanderesse, de son conjoint et des deux enfants.
[24] Il s’agit du premier et du seul incident de ce genre à se produire dans ce parc, signe que celui-ci ne représente pas un danger réel pour les glisseurs.
[25] C’est plutôt, à son avis, une négligence et une imprudence de la part du conjoint de madame Ziuleva, sous la garde de qui le jeune Daniel était, qui a fait en sorte de faire débuter la glissade de l’enfant dans la partie la plus haute de la colline, plutôt qu'au milieu, lui assurant ainsi une plus grande accélération dans la descente (voir photos D-2), et en n'étant ni présent au bas de la pente pour l’y accueillir, ni assis avec Daniel dans le toboggan pour mieux contrôler ce dernier.
ANALYSE ET DISCUSSION
[26] Dans tout recours en justice, la partie demanderesse doit démontrer au Tribunal, par une preuve prépondérante - c’est-à-dire par une preuve démontrant qu’il est probable, et non seulement possible, que les événements se soient déroulés selon cette preuve - le bien fondé de ses prétentions conformément aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec, lesquels se lisent comme suit :
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »
[27] De même, dans une action en dommages-intérêts, la partie demanderesse doit démontrer, selon les mêmes règles de preuve, la faute de la partie défenderesse, les dommages subis et le lien de causalité entre la faute et les dommages.
[28] Dans le cas sous étude, la responsabilité de la Ville qui est recherchée par la demanderesse est une responsabilité extracontractuelle régie par l’article 1457 C.c.Q. :
« 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde. »
[29] Or, le Tribunal est d’avis que la demanderesse, bien qu’elle ait décrit la période difficile vécue par le jeune Daniel après l’accident, n’a démontré aucune faute de la part de la Ville. Elle n’a donc pas rencontré son fardeau de preuve puisqu’une telle preuve est essentielle au succès d’une réclamation en dommages-intérêts.
[30] Il en est de même du témoignage du conjoint, Artiom Sovetcencov, qui a raconté à l’audience comment s’était déroulé l’incident sans toutefois démontrer ni faute ni négligence de la part de la Ville. Il suivait, dans sa soucoupe individuelle, le toboggan où Daniel et sa sœur prenaient place et il a vu ce dernier percuter la clôture.
État de la clôture
[31] Il mentionne qu’on pouvait voir des attaches de métal ressortir des mailles de la clôture (voir les photos P-5 et D-7, ces dernières étant en couleur mais prises près de deux ans après l’incident), mais on ignore, en regardant lesdites photos, où se situent ces quelques tiges ou attaches par rapport à l’endroit exact où s’est produit l’impact. L'endroit de l'impact n’a jamais été identifié sur ces photos.
[32] Selon celles-ci, ces attaches, petites, qui ressortent de la clôture sont en nombre très restreint et ne couvrent qu’une petite surface de celle-ci. L’expert en sinistre, monsieur Perreault, ne les a même pas vues lorsqu’il s’est rendu sur les lieux le 4 avril 2013 : aucune maille n’était défaite selon lui et la clôture n’était aucunement brisée ni défoncée.
[33] La vidéo visionnée durant l’audience (P-6) ne démontre pas de mailles ou de tiges dépassant de la surface de la clôture.
[34] Il est à noter que les poteaux verticaux que l’on voit sur les photos et qui soutiennent la clôture se situent à l’intérieur du terrain de baseball et non du côté de la pente de glisse.
[35] Le Tribunal ne dispose d’aucune preuve de l’état de la clôture au jour de l’incident. En effet, le mauvais état de la clôture au moment de l’incident n’a pas été démontré et madame Ziuleva connaissait très bien le parc et la configuration des lieux pour y être allée à de nombreuses reprises depuis de nombreuses années. Elle n’était pas présente lors de l’incident, les enfants étaient sous la surveillance de son conjoint.
[36] Le Tribunal sympathise avec madame Ziuleva au sujet de la condition physique et psychologique de son fils et avec le fait qu’il a dû consulter un psychologue et d’autres spécialistes pour ses troubles d’adaptation mais la preuve ne démontre aucun lien entre cette condition du jeune Daniel et une possible responsabilité de la Ville.
[37] Daniel subissait en 2012 sa première année d’école et avait un nouveau beau-père dans sa vie. Ce sont deux éléments qui, objectivement, peuvent être un peu perturbateurs pour un enfant de six ans. Il n’y a aucune preuve de lien quelconque entre les blessures subies par Daniel et les problèmes psychologiques qu’il a vécus par la suite - le Tribunal ne dispose d’aucune expertise à cet égard - ni de preuve sur la condition psychologique de l’enfant avant l’incident.
[38] Les photos prises par madame Ziuleva et envoyées le 3 mai 2013 à l’expert en sinistre, selon la pièce D-6, ne montrent presque plus de séquelles au visage de Daniel.
Entretien des lieux
[39] Dans un autre ordre d’idées, le fait que la Ville n’ait pas épandu de sable sur le sentier pédestre près de la clôture le soir de l’accident, comme madame le réclamait, ne constitue pas une faute de la part de celle-ci et ce d’autant moins qu’il y avait eu épandage de gravier le matin même de l’incident, après le déneigement, et qu'il n'y eut aucune précipitation durant la journée. Aucun défaut d’entretien n’a donc été démontré.
[40] À cet égard, Ronald Fitzsimmons, chef de division à la Ville, a précisé que le seul entretien que la Ville fait dans ce parc en hiver est de déneiger, nettoyer et couvrir le sentier pédestre de pierres de roche au bas de la pente, ce sentier étant d’une dizaine de pieds de large et à une dizaine de pieds de la clôture qui sépare cette colline du terrain de baseball.
[41] Il ajoute qu’une butte d’une douzaine de pieds de large a été aménagée au début des années 2000 au bas de la colline pour éviter que les glisseurs n’aillent percuter la clôture.
[42] Il confirme que l’épandage de gravier fut fait le 24 décembre au matin sur les deux sentiers de ce parc (le sentier au bas de la pente et l’autre sur le côté Est de la colline) et que selon la cédule décrite à la pièce D-3, le col bleu responsable de cette opération (Benoît Croft) aurait été sur place vers 9h15 - l’opération débute à 7h00 et se déroule au fil des destinations décrites à D-3 - et l’épandage, fait à partir d'un petit tracteur, dure environ dix minutes.
[43] De l'avis du Tribunal, les conditions au bas de la colline, après cette opération d’épandage, ne comportaient aucun risque ni danger le matin du 24 décembre 2012.
[44] Monsieur Fitzsimmons indique enfin que le 27 décembre 2012 au matin, il s’est rendu au parc Grovehill puisqu’il avait un rapport d’incident de monsieur Véronneau sur sa table de travail; il a examiné la clôture sur toute sa longueur et n’a constaté aucun dommage. Il ignore conséquemment où s’est produit l’impact.
[45] C’était la première fois que se produisait un tel incident à ce parc depuis 1993, année où il est entré en fonction à la Ville. Pour ce qui est antérieur à cette date, il l'ignore.
Pancarte et panneaux de styromousse
[46] En outre, le fait qu’une pancarte indiquant « Glissade à vos risques » ait été installée après l’incident ne constitue nullement un aveu de responsabilité de la part de la Ville. La preuve démontre d’ailleurs qu’une telle pancarte existait au cours des hivers précédents mais qu’elle a été subtilisée. À cet égard, le Tribunal estime que la pancarte n'y serait pas qu’il n’en incomberait pas moins aux parents d’assurer la sécurité de leurs enfants.
[47] De plus, le fait d’avoir installé des panneaux de styromousse sur la clôture l’année suivante (en décembre 2013) n’engage pas davantage la responsabilité de la Ville dans l’incident du 24 décembre 2012; cela ne fait que confirmer la volonté de celle-ci d’éviter que des glissades en toboggan comme celles du petit Daniel ne se terminent de façon fâcheuse. Il s’agit d’une mesure de protection qui s’ajoute à la petite remontée de neige aménagée au bas de la pente.
[48] Soulignons que cette mesure de protection additionnelle n’a pas été installée avant puisqu’il n’y a pas eu d’incidents avant. Le Tribunal ne doit prendre en considération que les circonstances existant lors de l’accident.
[49] Enfin, madame Ziuleva affirme en contre-preuve être allée à maintes occasions à ce parc mais n’avoir jamais vu de pancarte invitant à la prudence avant de constater, quelques semaines après l’incident, la présence d’une telle pancarte en haut de la colline, près du stationnement (voir la photo #1 de D-2 prise par l’expert en sinistre Perreault le 4 avril 2013). Or, elle ne s'en est jamais plainte.
[50] Ce n’est donc pas l’absence de pancarte qui a eu un effet causal sur l’accident.
[51] Le Tribunal conclut de tous ces faits et témoignages qu’il n’y a pas eu de défaut d’entretien ni de négligence de la part de la Ville.
Le parc : un piège?
[52] Il conclut de plus que l’aménagement des lieux ne constitue pas un piège, comme le suggère madame Ziuleva. Selon l’ex-professeur et juriste de renom Jean-Louis Baudouin[1], trois conditions doivent être réunies pour qu’une situation factuelle constitue un piège : la situation ayant causé le préjudice doit avoir été intrinsèquement dangereuse, il doit y avoir eu non-apparence du danger en raison de sa dissimilation ou de son camouflage et, enfin, l’élément de surprise doit avoir existé chez la victime, surprise causée par l'anormalité de la situation.
[53] Or, ces conditions ne sont aucunement réunies en l’espèce puisque du haut de la colline, qui est par ailleurs plutôt large (environ 200 pieds), on voit très bien la clôture au bas, rien n’est caché, il n’y existe aucun camouflage ni dissimilation, à en croire les photos prises tant par la demanderesse et son conjoint que par l’expert en sinistre Perreault.
Les risques inhérents au sport
[54] Glisser en toboggan sur une colline naturelle de ce genre oblige à une certaine prudence de la part des parents, qui doivent soit accompagner leurs enfants sur le toboggan ou la traîne sauvage, soit les attendre au bas de la colline, surtout lorsque ceux-ci sont très jeunes. Le premier devoir des parents dans l’apprentissage de ces sports d’hiver est de s’assurer d’abord et avant tout de la sécurité de leurs enfants.
[55] Telle a été l’opinion du juge Roland Robillard de la Cour du Québec dans Marineau c. Montréal (Ville de)[2] où il a considéré que les demandeurs ont été imprudents en plaçant leurs deux jeunes enfants seuls sur un toboggan qu’ils ne pouvaient contrôler; le juge n’a retenu aucune faute de la part de la municipalité :
« Il n’y a pas eu de preuve à l’effet que la pente était en mauvais état d’entretien. C’est le fait qu’il n’y ait eu aucune personne dans le traîneau capable d’en assumer la direction, qui a été la cause de sa bifurcation vers la clôture et de l’accident. »
[56] Tout parent sait que glisser sur une colline naturelle comme le parc Grovehill en hiver comporte certains risques, même lorsque la configuration des lieux est sécuritaire, particulièrement lorsque les enfants sont jeunes. La Cour d’appel, dans Shawinigan-Sud (Ville de) c. Ménard[3], où les faits étaient un peu similaires aux nôtres, s’exprime ainsi :
« Je suis d’opinion que l’appelante n’a commis aucune faute, une cité n’est pas l’assureur des gens qui fréquentent ses parcs; elle n’a que l’obligation à leur endroit de se conduire en bon père de famille et de prendre, selon les circonstances, des moyens raisonnables pour leur éviter des dangers imprévisibles. Toute personne qui va glisser dans un parc public à un endroit non spécialement aménagé à cette fin, doit normalement s’attendre d’y trouver des cahots et des monticules qui provoquent, en glissant, certaines secousses qui ajoutent au plaisir de la glissade et que les enfants recherchent plus particulièrement. »
[57] La Ville n’étant pas l’assureur des citoyens qui fréquentent ses parcs et n’ayant aucune obligation de les faire surveiller, les parents doivent assumer ces risques, surveiller leurs enfants et agir avec prudence dans de telles circonstances. Au sujet de l‘absence de l’obligation de surveillance de la Ville, voir notamment ce qu’en disent les professeurs Hétu et Duplessis :
« [11.139] Par ailleurs, même si une municipalité met un parc ou un terrain de jeu à la disposition des enfants, elle n’est pas obligée de voir à la surveillance de ces enfants qui fréquentent ces lieux. Cette obligation relève de l’autorité parentale et les parents ne peuvent se décharger de leurs devoirs sur la municipalité, et ce, aux frais des contribuables. »[4]
[58] La demanderesse et son conjoint connaissaient ces risques, ayant vu auparavant à plusieurs reprises des glisseurs chuter et frôler la clôture, voire même la percuter, sans se blesser cependant.
CONCLUSION
[59] L’incident du 24 décembre 2012 est dû non pas à une faute de la Ville mais à la négligence du conjoint de la demanderesse dans son devoir de surveillance lors de la glissade de Daniel et à l’incapacité de celui-ci de contrôler son toboggan - il n’avait que six ans - alors que la pente était passablement glacée de l’aveu même du conjoint.
[60] Or, il appartenait à madame Ziuleva de démontrer la faute de la Ville comme l’indique le juge Jean Guibault de la Cour supérieure dans Robert c. St-Amable (Municipalité de)[5] :
« [14] D’entrée de jeu, le Tribunal se permet de souligner et même d’insister sur le faut que le fardeau de la preuve reposait sur les épaules des demandeurs et qu’il leur appartenait d’établir, suivant la prépondérance de preuve, la faute commise par la Municipalité à l’origine de l’accident et génératrice de droits en leur faveur.
[15] Tel que souligné à de très nombreuses reprises par la jurisprudence ainsi que par les auteurs, les municipalités ne peuvent être considérées comme assureurs des personnes qui utilisent leurs parcs, leurs terrains de jeux et leurs équipements sportifs, et ce n’est pas parce qu’un accident survient dans un de ses parcs qu’une municipalité doit être tenue nécessairement responsable de l’accident et du dommage en résultant. »
[61] La demanderesse n’ayant pas démontré que la Ville a commis une faute ou a été négligente dans l’entretien de sa colline de glisse, elle qui n’a pourtant qu’une obligation de moyens, le Tribunal doit rejeter sa réclamation.
[62] Madame Ziuleva ne saurait par ailleurs réclamer une compensation pour les dommages qu’elle a elle-même subis étant donné qu’elle a poursuivi la Ville en sa qualité de tutrice à son enfant mineur et non personnellement.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la réclamation de la demanderesse en sa qualité de tutrice à son fils Daniel, avec dépens.
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__________________________________ SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q. |
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Me Aram Kuyumjian |
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LEGAL LOGIK INC. |
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Procureurs de la demanderesse |
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Me Ioana Jurca |
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DAGENAIS GAGNIER BIRON |
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Procureurs de la défenderesse |
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Dates d’audience : |
3 et 4 juin 2015 |
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[1] BAUDOUIN Jean-Louis, DESLAURIERS Patrice, MOORE Benoît, La responsabilité civile, Vol. 1 : Principes généraux, 8e éd., Éditions Yvon Blais, 2014, page 195, par. 1-199
[2] Marineau c. Montréal (Ville de ), [1989] R.R.A. 551 (C.Q.)
[3] Shawinigan-Sud (Ville de) c. Ménard, AZ-73011079, [1973] C.A. 403
[4] HÉTU Jean et DUPLESSIS Yvon, DROIT MUNICIPAL, Principes généraux et contentieux, Vol. 2, Wolters Kluwer (CCH), 2e éd. (à jour au 1er juin 2014), par. 11.139
[5] Robert c. St-Amable (Municipalité de), 2012 QCCS 937
AVIS :
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