Décision

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                                                                                        COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

RÉGION :                 MONTRÉAL-1

MONTRÉAL, le 30 juin 1999

 

 

 

 

DOSSIER :           

108932-71-9812

DEVANT LA COMMISSAIRE:       Me Danièle Gruffy

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :          Pierre Gamache

                                                         Associations d’employeurs

                                                                                                                  a

 

                                                         Marcel Desrosiers

                                                         Associations syndicales

 

 

 

 

DOSSIER CSST :     111260683-1

AUDIENCE TENUE LE :                 11 mai 1999

 

 

                                  

 

                                

À :                                                     Montréal

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MONSIEUR ROLLAND DAIGLE

1851, rue Aylwin

Montréal (Québec)  H1W 3C2

 

 

 

                                                         PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

et

 

 

 

CIE BORDEN (DIV. CATELLI) (LA)

6890, rue Notre-Dame Est

Montréal (Québec)  H1N 2E5

 

 

 

                                                         PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

                                                        

 


DÉCISION

 

 

[1]               Le 23 décembre 1998, monsieur Rolland Daigle (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative le 17 décembre 1998.

[2]               Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a rendue le 17 avril 1996 à l’effet que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais pour sa prothèse dentaire complète supérieure.

[3]               À l’audience, seuls le travailleur et son procureur étaient présents; l’employeur, quoique dûment convoqué, était absent.  Ce dernier a cependant produit une argumentation écrite ainsi qu’une copie d’un document intitulé «Rapport du chef de service» daté du 1er avril 1996 et une copie des notes de consultations médicales à son bureau de santé en date du 1er avril 1996 et du 19 avril 1996.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]               Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue par la CSST le 17 décembre 1998 et de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais pour le remplacement de sa prothèse dentaire complète supérieure.

LES FAITS

[5]               Le travailleur est employé chez l’employeur depuis 31 ans et occupe un poste d’opérateur de machine Bukler depuis 22 ans.

[6]               Le 1er avril 1996 il complète un formulaire «Réclamation du travailleur» en décrivant un événement en date du 1er avril 1996 de la façon suivante :

«En débloquant la boîte à air, j’ai perdu ma prothèse dentaire du haut.»

 

 

[7]       Le lendemain, soit le 2 avril 1996, le travailleur consulte monsieur Denis Clermont, denturologiste.  À la suite de son examen, ce dernier complète un certificat établissant que le travailleur a besoin d’un remplacement de sa prothèse complète supérieure au coût de 475$.

[8]         Tel qu’il appert des notes évolutives du dossier en date du 15 avril 1996, l’agent d’indemnisation responsable du dossier du travailleur note ce qui suit lors d’une conversation téléphonique avec ce dernier :

«Était penché pour débloquer la boîte à air, ne sait pas si il a éternué, toussé ou autre - ne s’est cogné nulle part - ça fait partie de son travail - avait la tête très penchée.»

 

 

[9]          Le 17 avril 1996, la CSST rend une décision refusant la réclamation du travailleur.

[10]           Aux notes évolutives de la Direction de la révision administrative en date du 11 décembre 1998, lors d’une conversation téléphonique entre la réviseure et le procureur du travailleur, ce dernier indique que le 1er avril 1996 le travailleur s’est cogné la tête.

[11]           Tel que ci-haut mentionné, la révision administrative confirme la décision initiale du 17 avril 1996 refusant la réclamation du travailleur.

[12]           Le travailleur a témoigné à l’audience. 

[13]           Il explique que son travail consiste à surveiller le fonctionnement de deux machines, du début du processus jusqu'à la fin. 

[14]           Le 1er avril 1996, alors qu’il travaillait sur la ligne numéro 10, la boîte à air bloque à la suite d’une accumulation de pâte.  Le travailleur explique que ce genre de blocage n’arrive qu’occasionnellement soit environ une à trois fois par semaine.

[15]           Le travailleur explique donc que le 1er avril 1996, il procède au déblocage de la dite boîte à air.  À un moment donné, il se retrouve plié en deux, à 90 degrés, la tête située entre le cylindre à pâte et la boîte à air; le travailleur estime qu’il y a un espace d’environ 20 pouces entre le cylindre et la boîte à air.

[16]           Il précise qu’en continuant à débloquer ce qui restait à l’aide de ses mains, en reculant et en se relevant, il se cogne le derrière de la tête sur le cylindre au-dessus de lui.

[17]           Le travailleur indique que c’est alors qu’il a perdu sa prothèse dentaire qui est tombée au sol, sur un plancher de ciment.  Le travailleur indique que sa prothèse fut alors endommagée à deux endroits.

[18]           L’événement a été rapporté immédiatement au contremaître du travailleur et celui-ci précise qu’il lui a alors déclaré qu’il s’était cogné en débloquant la boîte à air.

[19]           Tel qu’il appert du «Rapport du chef de service» en date du 1er avril 1996, l’événement relaté par le travailleur est ainsi rapporté par le contremaître Teasdale :

«R. Daigle lundi le 1-4-96 à 7h45 en débloquant la boîte à air de la 10 il a perdu son dentier en se penchant.»

 

 

[20]           Ce rapport indique également ce qui suit au paragraphe intitulé «conditions ayant pu contribuer à l’accident» : «en se penchant pour débloquer la boîte à air».

[21]           De même, les notes de consultations médicales au bureau de santé chez l’employeur en date du 1er avril 1996 décrivent comme suit l’événement relaté par le travailleur :

«(…) en débloquant la boîte à air, l’employé a perdu sa prothèse dentaire, elle est tombée sur le plancher. (…)»

 

 

[22]           Le travailleur précise que le «Rapport du chef de service» constitue un document interne qui n’est pas remis aux employés.

[23]           Finalement, vu le refus de la CSST, le travailleur fait réparer temporairement sa prothèse par son denturologiste.

[24]           Le travailleur a produit une attestation (pièce T-1) datée du 10 mai 1999 de monsieur  Denis Clermont, denturologiste, à l’effet que le coût total de remplacement de la prothèse complète supérieure est toujours de 475$.

[25]           Le travailleur indique qu’il ne bénéficie d’aucune couverture d’assurance pour ce genre de dommages.

[26]           Interrogé quant à la déclaration qu’il avait faite en avril 1996 à l’agent d’indemnisation, le travailleur indique qu’il ne se souvient pas avoir mentionné qu’il ne s’était cogné nulle part.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[27]           Le procureur du travailleur plaide que ce dernier a décrit l’événement du 1er avril 1996 en détail et que sa version à l’audience n’est pas contradictoire à la version donnée au formulaire «Réclamation du travailleur».

[28]           Il plaide que deux événements imprévus et soudains sont à l’origine du dommage causé à la prothèse dentaire du travailleur soit le blocage de la machine et le fait que le travailleur se soit cogné la tête dans les circonstances décrites par ce dernier et dans un espace de travail plutôt restreint.

[29]           Il soumet de la jurisprudence au soutien de ses prétentions et plaide que le travailleur a droit à une indemnité pour le remplacement de sa prothèse dentaire conformément aux dispositions de l’article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[30]           La procureure de l’employeur plaide, pour sa part, qu’il n’est survenu aucun événement imprévu et soudain justifiant le bris de la prothèse dentaire du travailleur le tout tel qu’il appert de la description de l’événement apparaissant au formulaire «Réclamation du travailleur» ainsi qu’aux notes évolutives de l’agent de la CSST en date du 15 avril 1996.  Elle plaide que le «Rapport du chef de service» ainsi que les notes de consultations médicales en date du 1er avril 1996 confirment l’absence de gestes pouvant être qualifiés d’imprévus et soudains au sens de la loi.  Elle conclut que le travailleur n’ayant fait l’objet d’aucune lésion professionnelle, ce dernier ne peut prétendre avoir droit aux bénéfices de la loi.

L’AVIS DES MEMBRES

[31]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que le témoignage du travailleur à l’audience apporte des faits nouveaux qui ne sont pas relatés au «Rapport du chef de service» ni au formulaire «Réclamation du travailleur».  S’appuyant sur les notes évolutives de l’agent d’indemnisation relatant que le travailleur «ne s’est cogné nulle part» il est d’avis que la crédibilité du travailleur est entachée.  Il est également d’avis que le seul fait de se pencher ne constitue pas un événement imprévu et soudain selon la loi.  Il conclut qu’il y a lieu de rejeter la réclamation du travailleur et de maintenir la décision rendue par la CSST le 17 décembre 1998.

[32]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le témoignage du travailleur est tout à fait crédible et ne fait qu’apporter des précisions par rapport à sa version antérieure.  Il est d’avis qu’il n’y a aucune preuve qui contredit le témoignage du travailleur.  Il est d’avis qu’il y a lieu d’infirmer la décision rendue par la CSST le 17 décembre 1998 et de reconnaître que le travailleur a droit à une indemnité conformément aux dispositions de l’article 113 de la loi.


LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[33]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit à une indemnité pour le remplacement de sa prothèse complète supérieure endommagée lors de l’événement décrit par ce dernier et survenu le 1er avril 1996.

[34]           L’article 113 de la loi est ainsi libellé :

113. Un travailleur a droit, sur production de pièces justificatives, à une indemnité pour la réparation ou le remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse au sens de la Loi sur la protection de la santé publique (chapitre P - 35) endommagée involontairement lors d'un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant par le fait de son travail, dans la mesure où il n'a pas droit à une telle indemnité en vertu d'un autre régime.

 

L'indemnité maximale payable pour une monture de lunettes est de 125 $ et elle est de 60 $ pour chaque lentille cornéenne; dans le cas d'une autre prothèse ou orthèse, elle ne peut excéder le montant déterminé en vertu de l'article 198.1.

--------

1985, c.6, a. 113; 1992, c. 11, a. 5.

 

 

[35]           Il est vrai que la version du travailleur à l’audience diffère de la déclaration signée par celui-ci au formulaire «Réclamation du travailleur» alors que n’est aucunement relaté le fait qu’il se serait cogné la tête.

[36]           Il est également vrai que ce fait n’est pas non plus relaté au «Rapport du chef de service» ni aux notes de consultations médicales du bureau de santé chez l’employeur même si ces documents ne sont pas des documents qui sont signés par le travailleur.

[37]           Finalement, il est vrai que les notes manuscrites de l’agent d’indemnisation en date du 15 avril 1996 contredisent quelque peu le témoignage du travailleur à ce sujet.

[38]           Devant ce tableau, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le fait nouvellement rapporté par le travailleur soit de «s’être cogné la tête» ne peut être retenu parce que non crédible.

[39]           Cependant, ceci ne rend pas pour autant moins crédible le reste du témoignage du travailleur sur les circonstances dans lesquelles est survenu l’endommagement de sa prothèse dentaire.

[40]           En effet, cet endommagement est, sans contredit, survenu le 1er avril 1996, alors que le travailleur procédait, dans le cadre de son travail, au déblocage d’une boîte à air, tâche impliquant une position penchée de la tête du travailleur, dans un espace plutôt restreint.

[41]           Le «Rapport du chef de service» précise d’ailleurs à titre de «conditions ayant pu contribuer à l’accident» que c’est «en se penchant pour débloquer la boîte à air»; l’agent d’indemnisation de la CSST note, quant à lui, que le travailleur «avait la tête très penchée».  C’est aussi ce que le travailleur a déclaré à l’audience.

[42]           L’article 113 précité n’exige pas que survienne une lésion professionnelle pour qu’un travailleur ait droit à l’indemnité prévue.  Il suffit qu’une prothèse soit endommagée involontairement lors d’un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause et survenant par le fait du travail.

[43]           En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la prothèse dentaire du travailleur a été endommagée lors de la chute de celle-ci, chute équivalant à un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause et survenant par le fait du travail du travailleur.  En effet, la tâche exercée par le travailleur au moment où il a perdu sa prothèse exigeait qu’il ait la tête penchée dans un espace plutôt restreint; ce n’est donc pas par hasard que le travailleur s’est retrouvé dans cette position inconfortable à ce moment précis.  La Commission des lésions professionnelles considère donc que la chute de la prothèse est survenue par le fait du travail du travailleur.

[44]           Finalement, que cette prothèse soit tombée sur un  plancher de ciment faisant partie des lieux de travail n’est sûrement pas étranger au fait que la dite prothèse ait été sérieusement endommagée.

[45]           D’autre part, la preuve non contredite est à l’effet que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais de remplacement de sa prothèse dentaire en vertu d’un autre régime.

[46]           En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a droit à l’indemnité prévue à l’article 113 de la loi dans la mesure et aux conditions déterminées par cet article.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la contestation du travailleur, monsieur Rolland Daigle;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 décembre 1998; et

DÉCLARE que le travailleur a droit à l’indemnité prévue à l’article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour le remplacement de sa prothèse dentaire endommagée lors de l’événement du 1er avril 1996.

 

 

 

 

 

 

 

Me Danièle Gruffy

 

Commissaire

 

 

 

 

 

RIVEST, SCHMIDT & ASSOCIÉS

(Me Michel Davis)

7712, rue St-Hubert

Montréal (Québec)  H2R 2N8

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

HEENAN, BLAIKIE

(Me Francine Legault)

1250, boul. René-Lévesque Ouest, bureau 2500

Montréal (Québec)  H3B 4Y1

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

 



[1]             L.R.Q. c. A-3.001

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