Corporation d'Urgences-santé et Cayer |
2014 QCCLP 1946 |
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[1] Le 26 octobre 2012, la Corporation d’Urgences-Santé (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 15 octobre 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 30 août 2012 par laquelle elle déclare que monsieur Martin Cayer (le travailleur) a subi une lésion professionnelle le 27 juillet 2012; sous la forme d’une entorse lombaire et qu’en conséquence, il a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] Une audience se tient à Drummondville le 15 juillet 2013. L’employeur est absent, mais représenté par Me Jean Beauregard. Le travailleur est présent et représenté par Me Benoit Beauregard.
[4] Le dossier est mis en délibéré aux termes de l’audience, soit le 15 juillet 2013.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 27 juillet 2012.
LES FAITS
[6] Afin de rendre la présente décision, le tribunal a pris connaissance du dossier constitué et des documents supplémentaires qui ont été déposés. Le témoignage du travailleur a également été considéré. Ceci étant, le tribunal en retient principalement les faits suivants.
[7] À l’époque pertinente, le travailleur âgé de 48 ans occupe un poste d’ambulancier (paramédic) depuis 1985 pour le compte de l’employeur.
[8] Le 28 juillet 2012, le travailleur déclare un événement survenu la veille dans les circonstances suivantes :
Lors de mon déplacement en remorqueuse, mon ambulance en bris mécanique. J’étais assis à l’avant côté droit, sa brassait beaucoup et ressentie douleur dans le bas du dos. Le 28/07/2012 au début de mon quart, douleur intense dans le bas du dos avec engourdissement jambe droite. [sic]
[9] Un rapport d’enquête et d’analyse de l’accident est complété par l’employeur le 1er août 2012. Ce rapport vient préciser que le travailleur était assis dans une remorqueuse suite à un bris mécanique du véhicule ambulancier. Il était assis à l’avant. Durant le transport, il a ressenti une douleur au bas du dos alors que le lendemain cette douleur était devenue très intense.
[10] Le rapport fait également mention que suite à son retour au centre opérationnel, le travailleur a dû retourner sur la route et qu’il a eu à répondre à un appel au cours duquel il est intervenu auprès d’une patiente obèse. Il n’aurait pas ressenti de douleur.
[11] Le 28 juillet 2012, le travailleur consulte le docteur Tremblay qui pose un diagnostic d’entorse lombaire. Des anti-inflammatoires, des traitements de physiothérapie et un arrêt de travail sont prescrits. La note de consultation[2] rapporte que le travailleur a ressenti une douleur lombaire subite, la veille, en travaillant. Le soir, il y aurait eu une augmentation des douleurs. Aucun traumatisme direct n’est rapporté.
[12] Une radiographie de la colonne lombo-sacrée effectuée à la même date démontre un peu de spondylose antérieure de façon multi-étagée ainsi que des pincements modérés en L4-L5 et L5-S1 des espaces intersomatiques avec en L5-S1 une arthrose facettaire hypertrophique qui est à l’origine de rétrécissement des foramens de conjugaison.
[13] Le 2 août 2012, l’employeur adresse une lettre à la CSST afin de lui faire part de ses commentaires et de s’opposer à l’admissibilité de la réclamation. L’employeur invoque entre autres l’absence d’événement imprévu et soudain, le fait que le travailleur n’a pas déclaré immédiatement la douleur lors de son retour au centre opérationnel et qu’il a été en mesure d’effectuer le transport d’une patiente obèse lors de son retour sur la route le même jour.
[14] Le 8 août 2012, le travailleur rencontre le docteur Miron qui autorise un retour au travail régulier et qui consolide l’entorse lombaire au 9 août 2012.
[15] Le 23 août 2012, l’agente d’indemnisation de la CSST communique avec l’employeur et le travailleur afin de procéder à une cueillette d’informations en vue d’analyser l’admissibilité de la réclamation. Elle note au dossier les informations suivantes obtenues du travailleur :
[…]
Appel au T :
- description de l’événement
Son ambulance ayant dû être remorquée, T a fait un voyage en remorqueuse d’environ 30 minutes. Ça brassait beaucoup. T se sentait « bizarre » dans le dos. mentionne-t-il Il l’a mentionné à son partenaire.
- a-t-il ressenti la douleur sur le moment?
Oui la douleur était légère
- transport de la dame obèse suite à l’événement : sans douleur
T avait la même douleur légère dans le dos que celle apparue dans la remorqueuse
C’était tolérable.
- Douleur dans la soirée?
Oui. L’intensité de la douleur avait un peu augmentée.
- Témoin?
Oculaire : aucun
Verbal : son partenaire
- présentement, engourdissement dans la jambe droite?
Non [sic]
[16] Le 27 août 2012, la docteure Line Lemay, médecin-conseil à la CSST, collige au dossier son opinion médicale qui se lit comme suit :
Titre : Opinion médicale
-ASPECT MÉDICAL
Du point de vue médical le fait accidentel ayant pu comporter des mouvements et faux-mouvement au niveau du tronc a pu conduire à l’entorse lombaire diagnostiquée.
[17] Le 30 août 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur a subi un accident du travail le 27 juillet 2012. Le diagnostic d’entorse lombaire est reconnu. Cette décision est confirmée le 15 octobre 2012 par la CSST siégeant en révision administrative, d’où le présent litige.
[18] L’employeur dépose à l’audience la copie d’un courriel transmis le 12 septembre 2012 par madame Nathalie Landry, directrice des opérations de chez Remorquage Météor. Le tribunal en reproduit ci-après les passages pertinents :
[….]
Tel que demandé, veuillez trouver ci-joint une photo de l’unité 31 qui a fait le remorquage de la 39e avenue et Notre-Dame jusqu’au CO Est pour votre unité 114, et ce, le 27 juillet dernier.
Notre dépanneuse n’a aucun problème mécanique et n’a fait l’objet d’aucune réparation majeure, simplement de l’entretien normal.
C’est un véhicule de marque Freigtliner muni d’une suspension à l’air ainsi qu’une cabine allongée permettant à cinq personnes d’y prendre place. La cabine est également munie d’une suspension à l’air indépendante du camion ainsi que d’amortisseur pour en assurer un meilleur confort. De plus, c’est un véhicule à transmission automatique.
Veuillez prendre note également que c’est la première fois qu’une telle histoire nous est rapportée. Nos différents camions transportent plus de trois personnes par semaine.
[19] Une photographie de la remorqueuse impliquée est également déposée.
[20] Le travailleur témoigne à l’audience. Il explique que son travail consiste à fournir les premiers soins et à transporter les bénéficiaires vers les centres hospitaliers.
[21] Le 27 juillet 2012, il commence le travail à 7 h 00 et termine à 19 h 00. Au début du quart de travail à 7 h 00, il répond à des appels en compagnie de son partenaire. Cette journée-là, il est le chauffeur de l’ambulance. À son arrivée, il va très bien.
[22] Vers 14 h 00 ou 14 h 30, il constate un bris au niveau de la transmission de l’ambulance. Il contacte alors la répartition au centre administratif et demande une remorqueuse qui sera sur place environ 30 minutes plus tard. L’ambulance est attachée à l’arrière de la remorqueuse et est tirée. Les deux roues d’en avant ne touchent pas au sol.
[23] Dans la remorqueuse, il y a un banc double à l’avant ainsi qu’un banc simple pour le chauffeur. La remorqueuse transporte l’ambulance, le travailleur et son partenaire vers le bureau administratif qui est situé environ à une demi-heure.
[24] Le travailleur décrit qu’il est assis à l’avant à l’extrême droite sur le bord de la portière. Son partenaire et lui sont attachés ensemble. Comme il mesure six pieds et quatre pouces, il n’est pas assis de façon confortable. Il explique qu’il se sentait « assis bas » et qu’il avait en conséquence les jambes repliées à la hauteur de la poitrine. Comme l’ambulance était instable à l’arrière, il explique qu’il ressentait les « secousses » à chaque arrêt et départ.
[25] Questionné sur la distance à parcourir le travailleur explique que cela représentait environ dix kilomètres. Par contre, il ajoute que le chauffeur a emprunté « les petites routes » puisqu’ils étaient dans les heures de trafic. Il y avait donc beaucoup d’arrêts obligatoires ainsi que des feux de circulation.
[26] À l’arrivée au centre administratif, il remarque qu’il ressent une douleur au bas du dos en débarquant du véhicule. Il en fait mention à son partenaire en lui faisant remarquer que « ça brassait beaucoup. »
[27] Il récupère une nouvelle ambulance et repart sur la route vers 16 h 00 ou 16 h 30. Il répond à un appel au cours duquel la patiente est obèse, mais est en mesure de se mobiliser seule. Il ne force pas après cette patiente, mais explique qu’il a toujours mal au dos.
[28] À la fin de son quart de travail, il revient à la maison, située à environ une heure de route. Il soupe, prend une douche et deux Tylenols et se couche. Le lendemain, il a toujours mal au bas du dos. À son arrivée, il va voir son supérieur immédiat et lui déclare les douleurs ressenties la veille; ce dernier le voyant grimacer lui suggère d’aller consulter un médecin.
[29] Questionné par le tribunal sur la douleur « subite » rapportée au médecin le 28 juillet 2012, le travailleur explique que la douleur a été remarquée en débarquant de la remorqueuse puisqu'avant, il était assis. Il affirme que ce qu’il a décrit au médecin est la même version que celle fournie au tribunal.
[30] Concernant l’absence de déclaration immédiate à l’employeur, le travailleur explique qu’il disposait d’un délai de 24 heures pour ce faire. Il croyait, le 27 juillet, que les douleurs passeraient après avoir pris des Tylenols et bénéficié d’une nuit de repos.
[31] Il explique que c’est la première fois qu’il ressent des douleurs lombaires après avoir effectué un déplacement dans un véhicule. Il ajoute au surplus qu’il a repris le travail régulier et que depuis, il n’a pas ressenti d’autres douleurs lombaires.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[32] Le procureur de l’employeur plaide que la présomption de l’article 28 de la loi n’est pas applicable. Il soutient que le travailleur n’était pas sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail. Ainsi, au moment où il a ressenti les douleurs, il n’agissait pas comme paramédic et n’était pas dans l’exercice de ses fonctions.
[33] Il soumet au surplus que l’article 2 n’est pas applicable en l’absence d’un événement imprévu et soudain. Il ajoute que le registre d’accident n’a pas été complété et que le travailleur a été en mesure de terminer son quart de travail.
[34] Le procureur du travailleur plaide pour sa part que la présomption de l’article 28 de la loi est applicable. Ainsi, il allègue que la seule tâche qui était requise de la part du travailleur au moment où il a ressenti les douleurs était de raccompagner le véhicule en panne au port d’attache. Il précise que le travailleur n’était pas en pause.
[35] Subsidiairement, le procureur invoque l’application de l’article 2 de la loi. Selon lui, les circonstances rapportées par le travailleur, soit une position inconfortable, en tenant compte de sa grandeur, devraient être reconnues comme un événement imprévu et soudain au sens large et libéral. Au surplus, la relation médicale a été établie.
L’AVIS DES MEMBRES
[36] Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a obtenu l’avis motivé des membres qui ont siégé avec elle en regard de la question soumise au tribunal.
[37] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir la requête de l’employeur. Il estime en effet que la présomption de l’article 28 de la loi n’est pas applicable puisque le travailleur n’était pas dans sa sphère d’activité au moment de l’événement allégué. De la même façon, il considère que l’article 2 de la loi ne s’applique pas, le travailleur n’ayant pas démontré qu’il a subi un événement imprévu et soudain. Au surplus, la preuve démontre selon lui que la distance effectuée par le travailleur dans la remorqueuse était courte et que la vitesse du véhicule ne peut être mise en cause.
[38] Le membre issu des associations syndicales est d’avis pour sa part de rejeter la requête de l’employeur. Il estime que le travailleur a démontré l’existence des trois conditions d’application de l’article 28 de la loi et que les principes dégagés par l’affaire Boies et C.S.S.S. Québec-Nord et CSST[3] sont tout à effet applicables en l’espèce. Il considère par ailleurs que l’employeur n’a pas renversé cette présomption.
[39] Il ajoute au surplus, que le travailleur a témoigné de façon crédible et qu’il a démontré que les conditions de remorquage de l’ambulance ont été inhabituelles. Il souligne également que le travailleur était complètement asymptomatique lors de son arrivée au travail. En conséquence, à défaut d’appliquer l’article 28 de la loi, il est d’opinion qu’il y a lieu d’appliquer l’article 2 de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[40] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 27 juillet 2012 ayant occasionné une entorse lombaire.
[41] L’article 2 de la loi définit de cette façon la notion de lésion professionnelle :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[42] Cette notion implique l’existence de deux éléments. Dans un premier temps, il est nécessaire de démontrer l’existence d’une blessure ou d’une maladie. Dans un deuxième temps, cette blessure ou cette maladie doit découler d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle ou d’une récidive, rechute ou aggravation.
[43] D’entrée de jeu, il appert qu’il n’est pas prétendu, ni prouvé que le travailleur aurait pu subir une maladie professionnelle ou même qu’il puisse s’agir d’une récidive, rechute ou aggravation.
[44] L’analyse du tribunal se fera donc en regard de la notion d’accident du travail seulement.
[45] La notion d’accident du travail est ainsi définie dans la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[46] Afin de faciliter la preuve d’une lésion professionnelle, le législateur a prévu une présomption en faveur du travailleur.
[47] Cette présomption est prévue à l’article 28 de la loi:
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 28.
[48] Il convient ici de préciser que le travailleur, pour bénéficier de cette présomption, doit démontrer chacun des éléments constitutifs. Ainsi, par le biais d’une preuve prépondérante, il devra démontrer qu’il a subi une blessure, que cette blessure est « arrivée » sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail.
[49] Une fois ces éléments établis, il peut être présumé que le travailleur a subi une lésion professionnelle au sens de la loi. Le travailleur sera alors exempté de démontrer chacun des éléments constitutifs de la notion d’accident du travail et plus particulièrement celui de la survenance d’un événement imprévu et soudain.
[50] Cette présomption peut être renversée par la démonstration de l’absence de relation médicale entre l’événement allégué et le diagnostic retenu.
[51] Cette interprétation de la présomption de l’article 28 de la loi a d’ailleurs été confirmée par une formation de trois juges administratifs. Ainsi, dans l’affaire Boies précitée,[4] le tribunal effectue une revue exhaustive du cadre d’application de la présomption de lésion professionnelle de l’article 28 de la loi.
[52] L’analyse de cette décision permet de dégager certains éléments qui peuvent être pris en considération par le décideur, au stade de l’évaluation de l’application de la présomption. Toutefois, ces éléments ne doivent pas être considérés comme des conditions supplémentaires à l’application de la présomption, mais bien comme des indicateurs pouvant servir ou faciliter l’appréciation de la force probante de la preuve offerte par le travailleur, dans le cadre de la démonstration qu’il doit faire des trois conditions essentielles. Ces indices sont les suivants[5]:
Ø Moment d’apparition des premiers symptômes
Ø Délai de consultation
Ø Délai de déclaration à l’employeur
Ø Poursuite des activités normales de travail
Ø Douleur ou symptômes avant la date de la blessure alléguée
Ø Diagnostics différents ou imprécis
Ø Crédibilité du travailleur
Ø Condition personnelle symptomatique le jour de l’événement
[53] Dans la présente affaire, un diagnostic d’entorse lombaire a été posé lors de la consultation initiale du 28 juillet 2012 et a été repris par la suite. Ce diagnostic n’a pas été contesté par l’employeur ou par la CSST, de sorte qu’il lie le présent tribunal au sens de l’article 224 de la loi qui se lit comme suit :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[54] En conformité avec la jurisprudence constante sur le sujet, le tribunal estime en l’espèce que l’entorse lombaire diagnostiquée le 28 juillet 2012 doit être considérée comme une blessure et qu’en conséquence, la première condition d’application de la présomption est rencontrée.
[55] Cette première condition étant établie, le travailleur doit alors démontrer, par une preuve prépondérante que la blessure, soit l’entorse lombaire, est survenue sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail.
[56] Dans la décision Boies[6] précitée, le tribunal rappelle qu’à l’étape de l’application de la présomption de l’article 28 de la loi, il ne s’agit pas de rechercher l’étiologie de la blessure diagnostiquée :
[143] Il est donc inapproprié, aux fins d’appliquer la présomption de l’article 28 de la loi, de rechercher l’étiologie de la blessure diagnostiquée. Procéder à une telle recherche équivaut à chercher la cause de la blessure alors que la présomption vise précisément à éviter l’exigence de cette démonstration.
[57] Cette décision se prononce également sur les termes « qui arrive sur les lieux de travail » et « alors que le travailleur est à son travail » de la façon suivante:
[…]
[183] En résumé, le but de l’article 28 de la loi est de créer une présomption dans les cas où un travailleur exécute ses fonctions par opposition aux cas dans lesquels un incident survient alors qu’un travailleur n’est pas encore au travail, participe à une activité spéciale, par exemple un cours de formation, ou serait en pause.
[….]
[187] Sur les deux dernières conditions d’application de l’article 28 de la loi, le tribunal retient les principes suivants :
- les termes « qui arrive » exigent uniquement une corrélation temporelle entre le moment de la survenance de la blessure et l’accomplissement par le travailleur de son travail. Cela n’implique aucunement de faire la démonstration d’une relation causale.
- la preuve de la survenance d’une blessure sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail fait présumer l’existence d’une lésion professionnelle sans que le travailleur ait à faire la démonstration d’un événement particulier.
[Notre soulignement]
[58] La soussignée souscrit à ces principes et se propose d’analyser la preuve en fonction de ceux-ci.
[59] Il est établi par la preuve que le véhicule ambulancier conduit par le travailleur le 27 juillet 2012 a connu un bris mécanique et qu’une remorqueuse a été dépêchée sur les lieux. La preuve démontre également que le travailleur et son collègue de travail ont été reconduits au centre opérationnel à bord de cette remorqueuse afin de leur permettre d’aller chercher un nouveau véhicule et retourner sur la route.
[60] Selon le travailleur, les douleurs sont apparues durant ce transport. Certes, le travailleur durant ce temps n’était pas à effectuer son travail d’ambulancier à proprement dit. Le tribunal estime toutefois que l’activité de revenir au centre opérationnel à bord de la remorqueuse constitue en l’espèce une fonction accessoire et nécessaire à sa tâche d’ambulancier en cette journée précise du 27 juillet 2012 au cours de laquelle le véhicule a connu un bris.
[61] Le tribunal note à ce stade que l'état de la remorqueuse n’est aucunement mis en cause.
[62] Par la suite, la preuve démontre que le travailleur est retourné sur la route et qu’il a répondu à un appel impliquant une patiente qui était obèse. Le travailleur a témoigné à l’effet qu’il n’a pas forcé après cette patiente. Au surplus, bien que la douleur était toujours présente, le travailleur ajoute en témoignage qu’il était tout de même fonctionnel.
[63] La preuve est à l’effet que le travailleur a déclaré ses douleurs à son superviseur, le lendemain à son arrivée au travail. De la même façon, il a consulté un médecin le lendemain. Bien qu’il eût peut-être été souhaitable que le travailleur déclare les faits à son employeur et consulte le jour même, le tribunal estime que les explications fournies par le travailleur à l’effet qu’il pensait « que ça allait passer » sont plausibles surtout en considérant qu’il « s’est exécuté » dès le lendemain matin.
[64] Au surplus, le tribunal note que les versions du travailleur concernant les circonstances d’apparition de la douleur sont toujours demeurées les mêmes que ce soit lors de la déclaration à l’employeur, lors de l’enquête accident ou lors de la cueillette d’informations par la CSST. Aussi, bien qu’il ait mentionné au docteur Tremblay le 28 juillet 2012 qu’il avait eu une « douleur lombaire subite la veille en travaillant, » sans autre détail, aucun traumatisme direct n’a alors été rapporté tout comme dans l’ensemble de ses versions.
[65] Le travailleur a également témoigné sur le fait qu’il était totalement asymptomatique avant l’événement allégué du 27 juillet 2012 et cette preuve n’a pas été contredite.
[66] Bref, le tribunal retient qu’au moment où il a ressenti les douleurs lombaires, le travailleur ramenait le véhicule au centre opérationnel suite à un bris mécanique. Le tribunal comprend qu’il s’agissait là de la procédure à suivre imposée par l’employeur.
[67] Le tribunal considère que même si les douleurs lombaires ne sont pas apparues alors que le travailleur était à intervenir directement auprès d’un patient, il était à effectuer une fonction qui était reliée à ses tâches, soit de raccompagner le véhicule en panne. Cette activité était accessoirement reliée à son travail d’ambulancier et n’était pas reliée à une activité purement personnelle.
[68] Le tribunal est d’avis que de limiter la possibilité d’application de la présomption aux seuls moments où le travailleur est en intervention directe auprès des patients comme le prétend le procureur de l’employeur est beaucoup trop restrictif. Le tribunal considère que la présence du travailleur dans la remorqueuse n’avait d’autres fins que de ramener le véhicule au centre opérationnel. Il serait ainsi peu conforme à la réalité du travailleur de limiter son « lieu de travail » aux seules situations où il est en intervention directe auprès des patients. Il faut donc en l’espèce évaluer le type de travail exercé et interpréter largement la notion « sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail » de façon à inclure l’ensemble des circonstances entourant le travail et en lien avec celui-ci.
[69] Le tribunal rappelle que le travailleur au moment de l’apparition des douleurs n’était pas à effectuer une activité purement personnelle ou même en pause, il raccompagnait un véhicule en panne au port d’attache pour aller en chercher un autre.
[70] Bref, à la lumière des principes établis par l’arrêt Boies, le tribunal estime que la séquence des faits rapportés par le travailleur est crédible et permet de conclure à une corrélation temporelle entre le moment où le travailleur a ressenti les douleurs au dos et l’accomplissement de son travail qui était à ce moment spécifiquement de raccompagner le véhicule en panne pour aller en chercher un autre.
[71] Ceci étant, le tribunal conclut que la preuve prépondérante est à l’effet que le travailleur a subi une blessure sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail. Ainsi, la blessure, soit l’entorse lombaire, est présumée être une lésion professionnelle.
[72] Telle que déjà établie, la présomption de l’article 28 de la loi peut par ailleurs être renversée par l’employeur, s’il démontre, par une preuve prépondérante que la lésion ne peut résulter de l’événement allégué.
[73] En l’espèce, l’employeur n’a fourni aucune preuve permettant de renverser cette présomption, soit une preuve établissant de manière prépondérante qu’il n’y a pas de relation entre le diagnostic d’entorse lombaire et les circonstances d’apparition de la douleur en cause.
[74] La preuve est plutôt au contraire.
[75] Le tribunal constate en effet que le dossier constitué contient une opinion médicale de la docteure Lemay de la CSST qui conclut que « d’un point de vue médical le fait accidentel ayant pu comporter des mouvements et faux-mouvement au niveau du tronc a pu conduire à l’entorse lombaire diagnostiquée. »
[76] Bien que le tribunal n’ait aucunement besoin d’une telle preuve de relation médicale dans le cadre de l’application de la présomption de l’article 28 de la loi, il considère néanmoins, en l’absence d’une preuve contraire, que l’opinion de la docteure Lemay est probante.
[77] Ceci étant, en l’absence d’une preuve permettant de renverser la présomption de l’article 28 de la loi, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 27 juillet 2012.
[78] Le tribunal tient par ailleurs à mentionner que, n’eût été de ses conclusions en regard de l’application de la présomption de l’article 28 de la loi, il aurait conclu à la démonstration d’un événement imprévu et soudain au sens de l’article 2 de la loi.
[79] Bien que le travailleur ne décrive pas de fait accidentel tel qu’une chute, un contrecoup ou un mouvement brusque, l’analyse des circonstances particulières décrites en l’espèce permet de conclure à un événement imprévu et soudain.
[80] La preuve démontre en effet que le travailleur, qui mesure six pieds et quatre pouces, a effectué un trajet à bord d’une remorqueuse alors qu’il se trouvait dans une position inconfortable, ses jambes étant surélevées à la hauteur de sa poitrine. Il a également témoigné sur le fait que durant tout le trajet, il a ressenti à chaque arrêt et départ les secousses occasionnées par l’ambulance qui était attachée à l’arrière de la remorqueuse et qui était instable. Les douleurs lombaires sont apparues lors de ce déplacement. Le tribunal considère qu’il s’agit là de circonstances inhabituelles, particulières, vécues durant une période de temps limitée et assimilables, dans l’affaire en cause, à un événement imprévu et soudain.
[81] À ce propos, le tribunal souligne que la jurisprudence a déjà reconnu l’existence d’une lésion professionnelle dans un contexte de postures contraignantes.[7]
[82] Il convient également de noter que le travailleur a repris le travail régulier et qu’il n’a pas éprouvé à nouveau de problèmes lombaires.
[83] Au surplus, la relation médicale entre les circonstances d’apparition des douleurs lombaires et le diagnostic d’entorse lombaire a été reconnue par la docteure Lemay de la CSST, opinion qui n’a pas été contredite et qui a été retenue comme probante par le présent tribunal.
[84] Dans ce contexte, le tribunal est d’avis que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 27 juillet 2012 et qu’il a droit aux prestations prévues par la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée le 26 octobre 2012 par la Corporation d’Urgences-Santé, l’employeur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 15 octobre 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Martin Cayer, le travailleur, a subi une lésion professionnelle le 27 juillet 2012 et qu’il a droit aux indemnités prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Renée-Claude Bélanger |
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Me Jean Beauregard |
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LAVERY DE BILLY |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Benoît Beauregard |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Ce document a été déposé sous la cote T-1 à l’audience.
[3] 2011 QCCLP 2775.
[4] Précitée note 3.
[5] Voir le paragraphe 185 de la décision Boies.
[6] Précitée, note 3.
[7] Emplois Compétences inc. et Côté, C.L.P. 170900-05-0110, 13 mars 2002,F. Ranger, Béland et Sécurité publique Chaudière-Etchemin, C.L.P. 155902-03B-102, 4 juillet 2002,G. Marquis, Ouellet et Ville de Québec, 302537-31-0611, 08-07-08, S. Sénéchal, (08LP-93).
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