Date : 11 janvier 2001
Dossiers : SAS-Q-054383-9910 / SAS-Q-057671-9912
Daniel E. Parent, médecin
Médard Saucier, avocat
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
[1] Le requérant conteste deux décisions en révision de la Société de l'assurance automobile du Québec, l'intimée.
[2] La première, du 20 septembre 1999, confirme la décision de première instance du 14 octobre 1998 et porte sur le pourcentage de séquelle devant être accordé pour l'altération des fonctions intellectuelles ou affectives. Ce pourcentage est établi à 8%. Le procureur du requérant, Me André Laporte, soumet qu'un déficit anatomo-physiologique (DAP) de 20% pour séquelles neuropsychologiques et qu'un DAP de 10% pour séquelles psychologiques (tel que recommandé par le Dr Michel Gilbert, neuropsychologue et psychologue dans son expertise du 18 août 2000) soient accordés.
[3] La deuxième, du 7 décembre 1999, annule un décision de première instance du 3 décembre 1998 qui détermine au requérant un emploi de préposé à la salle de quilles à temps plein (28 heures) à compter du 3 décembre 1998 au requérant selon l'article 46 de la Loi sur l'assurance automobile[1] (la Loi), retourne le dossier à l'agent d'indemnisation pour que ce dernier évalue le droit du requérant à une indemnité de remplacement du revenu (IRR) en fonction d'un emploi de mécanicien, emploi déjà déterminé dans le cadre d'un dossier CSST.
[4] Appelés à préciser la portée de cette décision du 7 décembre 1999, les procureurs des parties s'entendent pour dire que l'agent réviseur a outrepassé sa compétence, qu'il ne pouvait pas tout simplement annuler la décision de première instance du 3 décembre 1998 mais qu'il devait plutôt la confirmer ou l'infirmer. C'est ainsi que le procureur de l'intimée déclare que la position officielle de l'intimée en l'instance veut qu'à compter du 3 décembre 1998 le requérant est apte à occuper un emploi de préposé de salle de quilles à temps plein (28 heures par semaine). Le procureur du requérant demande pour sa part que le dossier soit plutôt retourné l'agent d'indemnisation pour la détermination d'un nouvel emploi du fait que celui de préposé de salle de quilles ne convient pas du tout au requérant et, qu'entre temps, l'IRR continue d'être versée au requérant.
[5] Du dossier d'appel tel que constitué, du témoignage du requérant et des témoignages de Luc Laporte, conseiller en réadaptation, Andrée Godin, conseillère en orientation, le Dr Normand Moussette, neurologue, de madame Marie-France Lord, conseillère en réadaptation, du Dr Alain St-Arnaud, neuropsychologue et des représentations des procureurs, le Tribunal retient ce qui suit.
[6] Le requérant est élagueur de son métier depuis plusieurs années lorsque le 18 septembre 1992, alors qu'en coupant un arbre avec une scie mécanique, cet arbre est tombé sur un fil électrique et celui-ci a subi une électrocution de 14 400 volts et a fait une chute sur le dos. Dans le contexte d'une hernie discale L5-S1 avec radiculopathie de S1 gauche, la Commission de la santé et de la sécurité du travail a autorisé une formation en entreprise afin de rendre le requérant capable d'exercer l'emploi convenable de mécanicien de véhicule de loisir et équipement léger. Or, sans en aviser la CSST, le requérant est retourné travailler chez son ancien employeur dans l'élagage en utilisant cette fois-ci une nacelle lui permettant de respecter sa nouvelle condition lombaire et ce, à partir de janvier 1995.
[7] Le 21 mai 1995, alors qu'il circulait vraisemblablement en état d'ébriété avec motocyclette, le requérant en a perdu le contrôle et fut victime d'un accident de la route. Il fut transporté par ambulance au CHRDL de Ville A. Il présentait, à l'arrivée au centre hospitalier, un Glasgow de 6 à 7. Il fut intubé et hyperventilé pour prévenir l'œdème cérébral et ce, dès l'arrivée à l'urgence.
[8] Outre une fracture légèrement déplacée de l'apophyse transverse gauche de L3 avec un diastasis d'environ un à deux millimètres retrouvé à la colonne lombaire, les clichés simples sont dans les limites de la normale. Un premier Scan cérébral, fait le jour même de l'accident, démontre, outre les fractures comminutives du massif facial, de petits hygromas souduraux bilatéraux à propos desquels le Dr Gilles Morency, radiologiste, écrit :
«Compte tenu que le patient est jeune, il serait surprenant que ces modifications soient atrophiques à moins qu'il n'y ait un problème médical sous-jacent déjà connu. Le diagnostic différentiel est à faire entre les hygromas post-traumatiques aigus ou chroniques. S'il y a détérioration de l'état de conscience, un examen de contrôle pourrait être effectué en 24 heures sinon un examen pourrait être effectué dans 48 heures afin de voir d'éventuelles contusions et s'assurer de l'absence de progression des hygromas.»
[9] Toujours le 21 mai 1995, le requérant est amené en salle d'opération pour débridement et suture des plaies faciales.
[10] Un contrôle de scan cérébral est fait le lendemain, soit le 22 mai où sont documentées les mêmes trouvailles à toutes fins pratiques, sauf que dans ce rapport, le Dr Morency insiste sur l'importance de l'atrophie corticale qui lui apparaît significative considérant l'âge du requérant. Le 26 juin 1995, un nouvel examen est fait et le Dr Michel Crevier, radiologiste, note :
«En regard de l'espace sous-arachnoïdien et sous-dural particulièrement en frontal, on ne voit pas de changement significatif. On observe à nouveau l'aspect proéminent des sillons corticaux témoignant d'une atrophie diffuse. Par rapport aux examens précédents, le 3e ventricule paraît plus large, ce qui représente possiblement une atrophie diffuse un peu plus marquée. Les ventricules latéraux paraissent également un peu plus proéminents. Pas de changement au niveau des citernes de la base.»
[11] Le 31 mai 1995, le requérant est amené en salle d'opération pour réduction ouverte de fracture d'os malaire et de fractures du massif facial (Lefort II). Selon le dessin du chirurgien, le Dr Pierre Lemlin, retrouvé dans les notes d'évolution, pas moins de 5 plaques de synthèse ont été utilisées pour réduire les fractures, utilisant des vis de 4 et 6 mm.
[12] Le requérant s’est extubé lui-même le 22 mai et on retrouve dans les notes d'évolution la notion d'un éveil progressif à partir de ce moment. Le 26 mai, il est évalué en neurologie, on parle d'un trauma facial avec une « bonne commotion cérébrale » et d'une amélioration progressive de l'état de conscience avec orientation partielle temps-espace. Le neurologue considère que les trouvailles radiologiques sont non reliées à l'accident d'automobile et soulève l'hypothèse d'une contribution de la consommation d'alcool quant à l'atrophie corticale. Le requérant reçoit son congé de l'hôpital le 3 juin 1995.
[13] Le requérant est réévalué en neurologie en externe le 27 juillet 1995. On notait alors une récupération complète au point de vue neurologique, sans séquelle.
[14] Il est à noter que la Société a déjà octroyé 5% de D.A.P. pour altération tissulaire cérébrale, soit le maximum possible pour une altération majeure.
[15] Suite à ce traumatisme crânien, le requérant considère qu'il a développé un syndrome cérébral organique et des troubles de personnalité justifiant l'octroi d'un D.A.P. de 30% et le rendant inapte à occuper l'emploi présumé de préposé à la salle de quilles à temps plein à compter du 3 décembre 1998. Qu'en est-il?
[16] D'emblée le Tribunal ne peut passer sous silence la surprenante lettre de l’agente d'indemnisation de l'intimée, du 4 décembre 1998, soit 24 heures après sa propre décision (il s’agit de la même agente) de considérer le requérant comme capable d'être préposé à la salle de quilles à temps plein, où elle écrit :
«L'étude de votre dossier nous a permis de constater que vous pourriez avoir droit à une rente d'invalidité de la Régie des rentes du Québec en raison des blessures que vous avez subies lors de votre accident.
Comme le prévoit la Loi sur l'assurance automobile, nous avons avisé la Régie des rentes que vous recevez une indemnité de remplacement de revenu. Cet avis constitue une demande officielle de rente d'invalidité. La Régie des rentes vous fera donc part de sa décision par écrit.
[…]»
[17] De nombreuses expertises et rapports d'évaluation neuropsychologiques sont présents au dossier pour nous aider à préciser les séquelles au niveau des troubles de la personnalité, d’un syndrome cérébral organique et leurs conséquences sur l'aptitude du requérant à occuper l'emploi présumé.
[18] Le 20 décembre 1995, madame Micheline Favreau, neuropsychologue, évalue le requérant. Elle écrit :
«Au-delà des perturbations reliées à sa condition personnelle, les résultats obtenus par monsieur [le requérant] aux diverses épreuves neuropsychologiques laissent voir plusieurs anomalies pouvant témoigner du syndrome post-commotionnel résiduel, à savoir :
- un manque de résistance des processus cognitifs à l'effort mental soutenu;
- des fluctuations anormales et franchement problématiques de la concentration;
- un ralentissement psychomoteur;
- un déficit modéré des fonctions exécutives qui se manifestent par une faiblesse de l'initiative;
- un relâchement des mécanismes d'autocontrôle;
- une légère atténuation du jugement;
- une certaine rigidité cognitive avec persévérations et une difficulté à planifier et à organiser les tâches;
- des difficultés de mémoire sous forme d'une vulnérabilité des processus mnésiques à l'interférence et d'une difficulté à évoquer spontanément l'information; ces problèmes sont typiques d'une atteinte frontale;
- une perturbation des mécanismes impliqués dans le traitement du matériel visuo-spatial plus complexe;
- un très léger ralentissement intellectuel.
Au plan de la personnalité, l'irritabilité et le manque d'autocritique observés tout au long de l'évaluation nous apparaissent d'origine organique.»
[19] À la suite de cette évaluation, un plan d'intervention est proposé.
[20] Le 25 avril 1996, madame Louise Lefrançois, agente d'intégration, toujours du groupe Favreau, conclut, suite aux cinq rencontres qui se sont déroulées de janvier à avril 1996, dont quatre au domicile du requérant :
«Monsieur [le requérant] a confirmé ses difficultés sur le plan mnésique et du contrôle de soi; sa conjointe a également corroboré ses dires. Il semble ainsi que monsieur [le requérant] oublie fréquemment où il range ses effets et ce qu'il est en train d'effectuer. Il a peu d'assurance et se choque rapidement devant les difficultés et frustrations. Le couple a par ailleurs tendance à minimiser les perturbations. […]
Monsieur [le requérant] et sa conjointe notent certaines modifications au fonctionnement dans les activités de la vie courante. Il a diminué beaucoup ses activités au niveau des tâches domestiques. […] Ils rapportent de plus en plus de difficultés liées à l'atteinte frontale. Monsieur [le requérant] a ainsi besoin d'une liste pour effectuer ses achats afin de pallier au trouble mnésique et à l'impulsivité accrue. Il doit également inscrire ses rendez-vous sur un calendrier. En raison des difficultés reliées au contrôle de soi, il ne peut s'occuper des enfants et participer aux soins à leur donner comme auparavant (i.e. donner les bains, jouer avec eux, etc.) Monsieur [le requérant] s'emporte de plus facilement et peut alors frapper des objets ainsi que devenir verbalement agressif.»
[21] Elle conclut donc :
«Nous avons donc, avec l'accord de madame Marie-Andrée Papillon, cessé nos interventions. Monsieur [le requérant] doit être référé au Centre L... B.... Des services de physiothérapie, de stimulation cognitive et d'éducation seraient par ailleurs souhaitables afin d'améliorer l'endurance, l'attention et la concentration, le contrôle de soi, l'initiative ainsi que les capacités d'organisation et de planification.»
[22] Une première évaluation sera faite en neuropsychologie au Centre de réadaptation L... B..., le 7 mai 1996. Suite aux rencontres subséquentes de novembre et décembre 1996, Danièle Thibault, consultante en neuropsychologie, et le Dr Pierre Nolin, neuropsychologue, concluent :
«La présente évaluation axée sur l'employabilité permet de mettre en évidence des séquelles d'ordre neuropsychologiques.
Une fatigabilité mentale demeure présente depuis l'accident, ayant pour conséquence que monsieur doit se coucher environ deux heures en après-midi afin de pouvoir récupérer et de bénéficier de meilleures capacités fonctionnelles. S'il ne peut le faire, ses difficultés d'attention concentration s'accentuent, de même que ses difficultés de mémoire et résolution de problèmes (analyse et rétention des détails). De plus, il démontre de l'irritabilité, des difficultés de contrôle mental, une baisse de tolérance à la frustration et une rigidité de la pensée. […] Malgré les difficultés relevées, les résultats de la présente évaluation ne permettent pas de conclure à une incapacité à occuper un emploi. Toutefois, la fatigabilité mentale ainsi que l'irritabilité de monsieur pourraient être un handicap à un retour au travail.
Par conséquent, la participation de monsieur à un stage de travail dans un milieu réel ou reconnu s'avère une voie intéressante afin d'actualiser ses capacités et limites réelles. Le choix du milieu de stage et de l'emploi pourrait se faire en collaboration avec le client afin de maximiser son intérêt et sa motivation à y participer.»
[23] À la demande de l'intimée, monsieur Alain St-Arnaud, neuropsychologue, évalue le requérant le 1er juillet 1998. Suite à trois rencontres ayant eu lieu en juillet 1998 et un ensemble d'épreuves afin d'apprécier les fonctions cognitives ainsi que l'aspect psycho-dynamique, l'expert conclut ce qui suit :
«Monsieur [le requérant] collabore bien à la démarche d'évaluation. Il se plaint à certains moments de fatigue. Il mentionne avoir constaté être plus irritable et avoir des réactions impulsives depuis l'accident. […]
Au plan non-verbal, monsieur [le requérant] a démontré des capacités dans la moyenne. Un score se démarque avec un écart négatif en ce qui concerne le sous-test « Substitution ». Il s'agit d'une épreuve de coordination visuo-motrice en lien, entre autres, avec la vitesse d'exécution. La faible performance à ce test est indicateur d'un dommage cérébral diffus. […]
Les problèmes mis en évidence lors de la présente évaluation sont les suivants :
- ralentissement psychomoteur;
- trouble de l'attention divisée en situation de surcharge ou de fatigue;
- trouble de l'organisation visuelle complexe et de la planification motrice;
- mémoire;
- trouble de la mémoire visuelle;
- trouble de la mémoire prospective;
- trouble d'évocation pour un contenu non verbal;
- fatigabilité.»
[24] Il conclut :
«Les résultats à l'évaluation neuropsychologique ainsi que les informations contenues au dossier, lors de la référence, indiquent que monsieur [le requérant] a subi des conséquences d'ordre cognitif en lien avec le traumatisme crânien encéphalique subi lors de l'accident du 21 mai 1995. L'affection au plan cognitif touche principalement la vitesse d'exécution d'ordre psychomotrice, la mémoire, l'organisation et la planification de l'information visuelle.
Contrairement au Dr Moussette, en s'appuyant sur les résultats de la présente évaluation, nous ne considérons pas les séquelles cognitives comme étant d'une intensité sévère. Aussi, les résultats obtenus ne mettent pas en évidence une symptomatologie frontale telle que mentionnée aux évaluations psychologiques antérieures.»
[25] Quant à son opinion sur la capacité à exercer tout emploi, monsieur St-Arnaud écrit :
«Voici les restrictions fonctionnelles secondaires aux blessures subies :
- ralentissement psychomoteur. Ce problème entraîne un ralentissement dans l'apprentissage et l'exécution des tâches. La compétitivité au plan du travail est alors contaminé en lien avec un rendement.
- Trouble de l'attention divisé en situation de surcharge ou de fatigue. Ces problèmes peuvent entraîner des erreurs dans l'exécution de tâches en plus de limiter sa capacité à exécuter des tâches complexes (devant tenir compte de plusieurs informations à la fois).
- Trouble de l'organisation visuelle complexe et de la planification motrice. Ce problème limite l'implication de monsieur [le requérant] à des tâches impliquant l'intégrité de ses fonctions.
- Mémoire. Trouble de la mémoire visuelle, trouble de la mémoire prospective, trouble d'évocation pour un contenu non verbal. Ces troubles entravent et contaminent la qualité d'exécution pour des tâches qui impliquent l'intégrité de ces fonctions. Certains mécanismes de compensation peuvent améliorer la performance en ce qui concerne la mémoire prospective (utilisation d'un agenda). Toutefois, cela est moins possible en ce qui concerne les troubles de la mémoire visuelle ainsi que pour l'évocation d'un contenu non verbal.
- Fatigabilité. Ce problème contamine le rendement au plan de la productivité pour une période d'une journée de travail. De plus, en situation de fatigabilité, il apparaît une plus grande fragilité à produire des erreurs.»
[26] Monsieur St-Arnaud considère que le requérant est apte à occuper un emploi à temps plein ou à temps partiel et ce à raison de 6 heures par jour, 5 jours par semaine mais selon un horaire de travail respectant des périodes de repos. Quant aux séquelles, il reconnaît un D.A.P. de 7,5% pour les séquelles décrites ci-haut.
[27] Le Dr Michel Gilbert, neuropsychologue et psychologue, dans un rapport signé le 18 août 2000, complète l'évaluation du requérant. Suite aux propos tenus par monsieur D. D., un ami d'enfance du requérant, l'expert rapporte les problèmes suivants :
«Sur le plan cognitif, on rapporte une difficulté à se concentrer sur une seule chose au bon moment ou de maintenir cette concentration pendant une période prolongée. Monsieur [le requérant] trouve cela pénible de faire plus d'une chose à la fois ou de fonctionner dans un environnement bruyant (attention soutenue et partagée). Il oublie de dire ou de faire les choses qu'il avait prévues et il éprouve de la difficulté à développer une nouvelle habilité (problème de mémoire). Monsieur D. note également chez monsieur [le requérant] une tendance de passer du coq à l'âne (discours tangentiel). Monsieur [le requérant] présente également une difficulté à s'adapter aux changements imprévus. Il est dépourvu lorsqu'il doit résoudre un problème, il a tendance à répéter les mêmes erreurs. Quand il a une idée en tête, il est difficile de lui faire changer de position (problème de rigidité et d'inflexibilité de la pensée). […] Sur le plan émotif, plusieurs difficultés sont également observées. Monsieur D. note chez monsieur [le requérant] de la difficulté à contrôler ses émotions ou encore il ne prend pas assez de temps pour penser avant d'agir. Monsieur [le requérant] a tendance à s'engager rapidement dans une activité sans avoir réfléchi aux conséquences (problème d'impulsivité). Dans le domaine social, il lui arrive de parler à tout le monde d'une manière dérangeante (souvent de sujets sexuels).
En outre, monsieur [le requérant] est irritable, il exprime de l'hostilité verbale, il a des excès de colère et il pose des gestes agressifs (problème d'hostilité et de désinhibition). Il sous-estime ses problèmes physiques affectifs et de comportement. Il se préoccupe peu de l'effet de ses comportements embarrassants sur son entourage et a de la difficulté à voir ses erreurs (manque d'autocritique). Il ne prend pas assez en considération le point de vue ou les sentiments des autres (problème d'égocentricité).»
[28] Suite à son évaluation, le Dr Gilbert conclut :
«Par ailleurs, les résultats à la batterie neuropsychologique et psychologique montrent un ensemble de limitations suite à un traumatisme crânien ou cérébral dont les séquelles cognitives sont les suivantes :
- une baisse du rendement intellectuel le situant au niveau de la moyenne inférieure en raison d'un affaiblissement des mécanismes d'encodage et un ralentissement moteur;
- une baisse des capacités d'attention et une sensibilité aux effets d'interférence;
- une baisse du rendement mnésique dans les mécanismes de rappel;
- une perturbation des fonctions exécutives à plusieurs niveaux (persévération, déficits d'organisation, ralentissement du traitement de l'information).
Dans le domaine du caractère de la personnalité et de l'affectivité, les résultats de la batterie dénotent les séquelles suivantes :
- attitudes dépressives et auto-dévalorisation, insatisfaction générale, humeurs changeantes;
- émotivité explosive, diminution générale d'intérêt et d'implication, irritabilité et hostilité;
- inadéquacité sociale, diminution du niveau d'implication sociale (retrait de son milieu), dépendance.
[…]
En ce qui concerne l'évaluation de son aptitude actuelle au travail, plusieurs obstacles importants demeurent présents :
- des troubles attentionnels, une sensibilité aux effets d'interférence, des limites dans les capacités d'apprentissage et les signes sur le plan frontal, tant au niveau cognitif (persévération et manque d'organisation) que comportemental (irritabilité, désinhibition). Ces difficultés limitent grandement monsieur [le requérant] tant dans la réalisation de tâches simples et routinières que dans des circonstances faisant appel à une adaptation à l'imprévu. De plus, les changements au niveau de la personnalité consécutifs à son traumatisme crânien (impulsivité, agressivité, etc.) ont créé une vulnérabilité sur le plan des relations interpersonnelles et avec son entourage.
En conclusion l'accident du 21 mai 1995 a provoqué des séquelles d'un traumatisme crânien ou cérébral qui affecte le fonctionnement cognitif et comportemental de monsieur [le requérant]. Cette diminution dans les capacités de monsieur [le requérant] entraîne une inaptitude au travail et diminue d'une manière significative la qualité de vie de monsieur considérant les contraintes au niveau psychologique, comportemental et interpersonnel décrites dans la présente évaluation. Sur le plan neuropsychologique, monsieur [le requérant] a subi des séquelles qui lui situent un D.A.P. de 20%.
Dans le domaine psychologique, monsieur [le requérant] a subi des pertes justifiant un D.A.P. de 10%.»
[29] Le procureur du requérant réitère sa prétention dont il a été question plus haut, savoir qu'un DAP de 20% pour séquelles neuropsychologiques et qu'un DAP de 10% pour séquelles psychologiques soient accordés. Quant à l'emploi de préposé de salle de quilles, il plaide que le requérant, compte tenu de ses limitations fonctionnelles, n'est pas apte à l'occuper, que le dossier devrait être retourné à l'agent d'indemnisation pour la détermination d'un nouveau emploi et qu'entre temps l'IRR continue d'être versé, le tout conformément à l'article 49 paragraphe 4 de la Loi et l'arrêt Sponner[2].
[30] La procureure de l'intimée plaide essentiellement que l'arrêt Sponner ne s'applique pas en l'instance, que l'emploi de préposé de salle de quilles convient parfaitement au requérant et que si le Tribunal ne partage pas cette opinion, il lui appartient, aux termes de l'article 15 de la Loi sur la justice administrative[3] de rendre la décision qui aurait dû être rendue.
[31] Qu'en est-il?
LES SÉQUELLES
[32] Le Tribunal ne peut retenir le D.A.P. de 20% pour syndrome cérébral organique car la preuve n'a pas été faite que le requérant requiert une surveillance occasionnelle pour l'accomplissement de ses activités quotidiennes communes à tous les individus. Bien que lors de son témoignage celui-ci nous ait expliqué qu'il avait oublié à l'occasion de fermer les ronds de sa cuisinière, aucune information objective dans toute la documentation présente au dossier nous permet d'appuyer le besoin d'une telle surveillance, essentielle à l'octroi d'un D.A.P. de 20%.
[33] Se fiant sur l'ensemble de cette documentation, le Tribunal croit que le 8% accordé ne reflète pas la condition du requérant et fait sienne l'opinion du Dr Normand Moussette, neurologue, qui s'appuyant sur les tests décrits par les neuropsychologues, accordait un D.A.P. de 15% pour syndrome cérébral organique consécutif à la commotion cérébrale d'intensité sévère déjà reconnue par l'intimée.
[34] Quant au D.A.P. de 10% suggéré par le Dr Gilbert dans le domaine psychologique, le Tribunal accueille le recours à cet égard et reconnaît un D.A.P. de 10% pour troubles de la personnalité conformément à l'article 17 du Titre IX (Système psychique) du Règlement sur les atteintes permanentes [4]:
«Exacerbation du niveau adaptatif caractériel habituellement préexistant à l'accident, conduisant à des troubles légers de la personnalité se traduisant pour une certaine déficience du jugement social et de l'adaptation aux contraintes de la vie quotidienne, incluant les effets secondaire de la médication, le cas échéant : 1 à 15%.»
L'EMPLOI DE PRÉPOSÉ DE SALLE DE QUILLES
[35] Quant à l'aptitude à travailler comme préposé à la salle de quilles à temps plein, bien que sachant l'agente d'indemnisation de l’intimée non liée à la tentative fructueuse de réadaptation et de réinsertion au travail initiée par l'équipe de réadaptation de la même société qui l'emploie, le Tribunal ne peut passer sous silence sa difficulté à comprendre la réflexion qui a mené à la décision du 3 décembre 1998.[5] Du fait que la question en litige est de savoir si l'emploi de préposé de salle de quilles convient ou pas, il n'y a pas lieu de s'attarder davantage sur le cheminement suivi en réadaption.
[36] Le système Repères, sur lequel l'intimée s'est appuyé pour la détermination de l'emploi de préposé de salle de quilles, en fait la description suivante :
«Employé ou employée du domaine des loisirs dont la fonction est de surveiller et de coordonner l'accès aux allées de quilles en indiquant aux joueurs les allées disponibles afin d'assurer le bon fonctionnement et la cohésion dans l'utilisation des allées par les quilleurs et les quilleuses dans une salle de quilles.
Principales tâches :
- Informe la clientèle sur la disponibilité des allées et note les réservations sur place et au téléphone.
- Loue les souliers appropriés.
- Indique aux quilleurs les allées disponibles.
- Vérifie l'état des allées et s'assure de leur bonne condition.
-Actionne le système électronique de pointage.
- Surveille le comportement des quilleurs afin que les allées soient utilisées convenablement.
- Communique rapidement au personnel d'entretien toute anomalie de fonctionnement.
- Perçoit les paiements pour les parties jouées.
Principaux instruments et matériel utilisés :
Téléphone, console électrique, microphone, caisse enregistreuse, imprimante, photocopieur, souliers et boules de quille.»
[37] Quant aux qualités personnelles exigées, on écrit : aimer communiquer avec les gens pour les convaincre, les persuader, aimer interagir ou communiquer avec d'autres personnes. On note également : aimer travailler en contact avec des personnes ou les aider, aimer gérer une entreprise, s'occuper de commerce ou de finance, aimer les tâches de bureau simples, répétitives et précises. De plus, on parle de préférer travailler physiquement ou manipuler des instruments, préférer travailler en contact avec des personnes ou les aider, préférer travailler de façon méthodique, selon des normes établies. Comme qualités personnelles exigées, on note également comme indice de tempérament, préférer planifier des activités, diriger, contrôler et organiser, préférer travailler en relation avec des gens et collaborer avec eux et préférer travailler dans des situations critiques, imprévues.
[38] Pour nous aider à évaluer cet aspect du litige, madame Marie-France Lord, conseillère en réadaptation, et madame Andrée Godin, conseillère en orientation, sont venues témoigner à l'audience et présenter les conclusions de leur évaluation.
[39] Madame Lord conclut :
«Selon les résultats de notre démarche, il appert que les tâches décrites par le logiciel repère cadre avec la réalité du marché du travail pour le poste de préposé à la salle de quilles dans les régions de Montréal et de [Ville B]. Quant aux exigences des employeurs lors de l'embauche, elles sont moindre que celles indiquées dans repère puisqu'aucun employeur ne nous a mentionné exiger un minimum de scolarité et, au contraire, il mise davantage sur des qualités telles que l'entregent, la facilité à traiter avec la clientèle et l'honnêteté comme des critères déterminant d'embauche et de plus, nous avons pu vérifier auprès de plusieurs employeurs que le préposé à la salle de quilles n'a pas à s'occuper du service de restauration, il y a une personne attitrée pour ce poste.»
[40] Madame André Godin, quant à elle, insiste dans son évaluation sur la variabilité des tâches exigées pour ce type d'emploi selon l'employeur. L'accueil, le vestiaire, les tâches au comptoir restaurant, la gestion des allées et les réservations, la maintenance de l'équipement, l'utilisation d'équipement informatique, la location des souliers de quille, la perception des droits d'entrée, la manutention des caisses de liqueur et de bière et le déplacement d'un poste de travail à l'autre représentent quelques-uns des aspects auxquels pourra être confronté le titulaire de ce poste. Mais le concept qui revient toujours est le contact avec la clientèle, la capacité de vendre les qualités de l'établissement, le besoin d'avoir beaucoup d'entregent et ce dans un domaine de loisir où les personnes âgées représentent un pourcentage significatif de la clientèle.
[41] Pour le Tribunal, nonobstant les limites physiques du requérant, sa douleur chronique et la prise régulière d'analgésiques, son altération des fonctions intellectuelles ou affectives et les troubles de la personnalité causés par l'accident du 21 mai 1995 limitent de façon bien tangible la capacité du requérant à occuper un emploi de préposé à la salle de quilles à raison de 28 heures par semaine.
[42] Le Tribunal conclut donc que le requérant est inapte à occuper l'emploi de préposé de salle de quilles.
[43] Il appartient maintenant à l'intimée, aux termes des articles 46 et 49, 4ième paragraphe de la Loi et conformément à l'arrêt Sponner, cité plus haut, et à la jurisprudence récente du Tribunal[6] de déterminer, si elle le désire, un nouvel emploi au requérant et de poursuivre ou reprendre, le cas échéant, le versement de l'IRR.
ACCUEILLE le recours du requérant;
INNFIRME la décision en révision du 20 septembre 1999; et
ORDONNE à l'intimée de hausser à 25% le déficit anatomo-physiologique de 8% déjà accordé pour altération des fonctions intellectuelles ou affectives, soit 15% pour syndrome cérébral organique et 10% pour troubles de la personnalité;
INFIRME la décision du 7 décembre 1999; et
DÉCLARE que le requérant est inapte à exercer l'emploi de préposé de salle de quilles; en conséquence
ORDONNE à l'intimée de verser au requérant les indemnités de remplacement du revenu auxquelles il a droit plus les intérêts afférents; et
RETOURNE le dossier à l'intimée pour ré-évaluation, le cas échéant.
daniel e. parent
médard saucier
11 janvier 2001
Me André Laporte
Procureur du requérant
Me Ginette Boisclair
Procureure de l'intimée
[1] L.R.Q.,c. A-25
Il est par ailleurs à noter qu'une décision de l'intimée du 9 novembre 1995 avait considéré l'emploi d'élagueur comme emploi donnant droit à une indemnité de remplacement de revenu durant les premiers 180 jours de l'accident selon l'article 19 de la Loi.
[2] Société d'assurance automobile du Québec c. Sponner, Cour d'appel, 500-09-003597-960, 1er mai 2000.
[3] L.R.Q. 1996, c. 54. L'article 15 énonce:
«Le Tribunal a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Lorsqu'il s'agit de la contestation d'une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s'il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû est prise en premier lieu.» (L'emphase est du Tribunal.)
[4] L.R.Q., c. A-25, r.0.1. L'article 17 énonce:
«Exacerbation du niveau adaptatif caractériel habituellement préexistant à l'accident, conduisant à des troubles légers de la personnalité se traduisant par une certaine déficience du jugement social et de l'adaptation aux contraintes de la vie quotidienne, incluant les effets secondaires de la médication, le cas échaéant: 1 à 15%.»
5 Lors de son témoignage, monsieur Luc Laporte, conseiller en réadaptation de l'intimée, (sans lien de parenté avec le procureur du requérant) a expliqué comment s'est effectué la tentative de retour sur le marché du travail et le stage chez C... M... à Ville A. Tenant compte des intérêts du requérant, de la possibilité de formation en entreprise et d'un emploi éventuel possible, le requérant a fait un stage d'une durée totale de 10 semaines de juin à août 1998, comme commis vendeur de pièces d'équipement pour motocyclette. Cette démarche avait été complétée suite à l'évaluation de monsieur Pierre Girard, ergothérapeute, à la demande de l'intimée quant à l'évaluation des capacités résiduelles de travail du requérant. Celui-ci concluait, lors de son évaluation du 27 avril 1998, que le requérant pouvait assumer l'emploi de commis et vendeur de pièces de motocyclette à raison de 15 à 20 heures par semaine.
Monsieur D... C..., propriétaire de C... M..., notait dans son rapport d'évaluation de stage que tous les objectifs du stage avaient été réalisés avec succès. Malgré la fatigabilité du requérant et une certaine lenteur à effectuer certaines tâches, monsieur C... voulait l'engager à la fin du stage. Il aurait même rappelé à deux reprises pour savoir si le requérant était disponible, mais l'agent d'indemnisation n'a pas donné suite à cette démarche. Selon M. Laporte, il n'avait jamais été question, à ce moment, d'un emploi présumé dans une salle de quilles. Le requérant, lors de son témoignage, nous a confirmé son grand intérêt pour les motocyclettes et son enthousiasme à travailler à temps partiel pour M. C... , travail qui respectait selon lui ses intérêts et ses limites.
[6] SAS-M-003622-9710, décision du 21 novembre 2000 par Me Brassard et Dr Marcil; SAS-Q-000701-9607, décision du 16 octobre 2000 par Me Harvey et Dr Laliberté; SAS-M-002238-9701/SAS-M-005908-9811, décision du 22 juin 2000 par Me Mercure et Dr Tardy; SAS-M-006652-9903, décision du 19 juin 2000 par Me Hérard et Dr Brodeur; SAS-M-005022-9806, décision du 1 juin 2000 par Me Hérard et Dr LeBlanc.
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