Lavoie c. Québec (Ville de) |
2015 QCCQ 11572 |
||||||
COUR DU QUÉBEC |
|||||||
« Division des petites créances » |
|||||||
CANADA |
|||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
DISTRICT DE |
QUÉBEC |
||||||
LOCALITÉ DE |
QUÉBEC |
||||||
« Chambre civile » |
|||||||
N° : |
200-32-060278-131 |
||||||
|
|||||||
DATE : |
20 novembre 2015 |
||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JACQUES TREMBLAY, J.C.Q. |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
PATRICE LAVOIE et ANNIE-CLAUDE LESSARD, |
|||||||
Demandeurs |
|||||||
c. |
|||||||
VILLE DE QUÉBEC, |
|||||||
Défenderesse |
|||||||
|
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
JUGEMENT SUR DEMANDE D’AMENDEMENT |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
[1] Le 20 décembre 2013, Patrice Lavoie et Annie-Claude Lessard réclament 7 000 $ à la Ville de Québec (Ville) à la suite d’une inondation survenue à leur résidence. La présentation de la réclamation porte sur l’excédent des dommages matériels (21 109,85 $) subis par rapport à l’indemnité (10 000 $) versée par leur assureur La Personnelle.
[2] Le déroulement du dossier est suspendu en attente d’un jugement final de la Cour supérieure impliquant l’ensemble des assureurs concernés par le sinistre[1].
[3] Le 29 mai 2015, les demandeurs déposent une demande amendée pour se prévaloir de la hausse de la compétence monétaire de la Division des petites créances de la Cour du Québec survenue le 1er janvier 2015.
[4] La Ville s’oppose le 11 juin 2015 à cet amendement pour les motifs suivants :
« - la partie demanderesse a intenté son recours le 20 décembre 2013, soit bien avant le 1er janvier 2015.
- la partie demanderesse a accepté de réduire sa réclamation à 7 000 $ afin de bénéficier de la procédure simplifiée de la Cour des petites créances;
- le choix de la partie demanderesse a des conséquences juridiques;
- la modification du Code de procédure civile n’a pas d’effet rétroactif. »
[5] Le Tribunal a levé la suspension « à la seule fin de disposer de la demande d’amendement à la réclamation initiale »[2].
QUESTION EN LITIGE
Est-il contraire aux intérêts de la justice ou à un droit substantiel de la ville de québec d’augmenter la réclamation pour la porter à plus de 7 000 $ si l’affaire a été commencée avant le 1er janvier 2015 devant la Division des petites créances de la Cour du Québec ?
CONTEXTE
[6] En décembre 2013, les demandeurs « acceptent de réduire (leur) demande à 7 000 $ » pour respecter le plafond monétaire de compétence de la Division des petites créances.
[7] Après le 20 décembre 2013, les demandeurs ont fait exécuter des travaux de plomberie, ont subi une hausse de leur prime d’assurance et ont perdu des journées de travail. Ils craignent les démarches supplémentaires requises lors de la vente de leur résidence en raison d’une inondation antérieure.
[8] À la suite de l’amendement législatif du 1er janvier 2015, les demandeurs désirent que leur réclamation soit de 11 133,54 $ pour les dommages matériels et qu’une somme de 3 866,46 $ soit ajoutée pour stress et inconvénients tel que décrit dans leur document du 14 août 2015 que le Tribunal dépose sous la cote P-13.
ANALYSE ET DÉCISION
[9] L’article 199 C.p.c. s’énonce comme suit :
199. Les parties peuvent, en tout temps avant jugement, amender leurs actes de procédure sans autorisation et aussi souvent que nécessaire en autant que l'amendement n'est pas inutile, contraire aux intérêts de la justice ou qu'il n'en résulte pas une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande originaire.
L'amendement peut notamment viser à modifier, rectifier ou compléter les énonciations ou conclusions, invoquer des faits nouveaux ou faire valoir un droit échu depuis la signification de la requête introductive d'instance.
[10] La Cour est d’avis que la réduction de la créance faite en décembre 2013 n’était que pour rencontrer les exigences découlant de la notion de petites créances. Or, depuis cette date, la définition a changé et les demandeurs désirent s’en prévaloir.
[11] La réduction de décembre 2013 n’équivaut pas à une renonciation ou à une quittance de la part des demandeurs jusqu’au moment de l’audition devant la Cour du Québec, Division des petites créances. Déjà le Tribunal a pris cette position dans un jugement d’avril 2015[3].
[12] En juillet 2015, dans l’affaire Mayco Financial Corp. c. Rosenberg (ci-après appelée Mayco) [4], la Cour d’appel a traité de la hausse du montant définissant la compétence de la Division des petites créances de la Cour du Québec. Il y a lieu de se demander si cet arrêt détermine le sort de la demande d’amendement en l’espèce.
[13] Dans Mayco, la requête introductive d’instance est déposée devant la division régulière de la Cour du Québec avant le 31 décembre 2014 mais elle est signifiée en 2015.
[14] L’article 13 de la Loi modifiant le Code de procédure civile[5] pour hausser la compétence de la Division des petites créances s’applique :
13. Les affaires qui, à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi, deviennent de la compétence de la Division des petites créances de la Cour du Québec se poursuivent devant la chambre civile de la Cour du Québec qui en est déjà saisie.
[15] L’arrêt Mayco porte sur le sens à donner à l’expression « déjà saisie ». Est-ce le moment du dépôt de la réclamation devant la Cour ou de sa signification ?
[16] Dans notre cas, la chambre civile de la Cour du Québec n’est pas « déjà saisie » puisque la réclamation a été déposée devant la Division des petites créances.
[17] L’article 13, de par son libellé, reconnaît, à compter du 1er janvier 2015, la compétence de la division des petites créances sur une réclamation de 15 000 $ et moins. Il énonce cependant une exception pour les dossiers dont la chambre civile est déjà saisie. C’est sur cette dimension que la Cour d’appel en juillet se prononce véritablement.
[18] Cependant, l’arrêt Mayco nous rappelle l’importance des dispositions législatives traitant de l’impact dans le temps d’un amendement à la Loi.
[19] La Cour d’appel établit un parallèle entre l’article 13 et l’article 833 de la Loi instituant le nouveau Code de procédure civile[6] en écrivant :
« L’article 13 LMCPC et l’article 833 du nouveau Cpc vise à régir la même situation. Ils utilisent les mêmes termes. L’article 13 LMPCP présente une particularité par rapport à l’article 833. Il est adopté dans le contexte où la hausse du seuil de la compétence d’attribution de la division des petites créances entre en vigueur de façon accélérée par rapport au reste du nouveau Cpc. »[7]
[notre soulignement]
[20] L’article 833 NCPC comporte aussi un alinéa qui se lit comme suit :
« Ce code est, dès son entrée en vigueur, d’application immédiate. »
[21] Les articles 13 et 833 sont identiques sur le montant de la réclamation pouvant être de la compétence de la Division des petites créances. La loi adoptée pour devancer d’un an cette hausse a été élaborée dans le cadre de la réforme globale du Code de procédure civile. Cela permet d’affirmer que la hausse du plafond de compétence qui survient le 1er janvier 2015, est elle aussi d’application immédiate. La façon de s’exprimer de l’article 13 confirme l’effet immédiat car il traite des affaires qui, à compter du 1er janvier 2015, deviennent de la compétence de cette division de la Cour.
[22] Ce faisant, le législateur détermine que le système de droit transitoire élaboré par Paul Roubier[8] doit s’appliquer aux modifications apportées par le nouveau Code de procédure civile et à la modification à la hausse de la compétence de la Division des petites créances. La procédure intentée constitue une situation en cours régie par la loi nouvelle sans reconnaissance de droits acquis.
[23] Ce système a été adopté à quelques reprises dans le passé, notamment lors de la réforme du Code civil et celle de la justice administrative[9].
[24] Par contre, la Cour d’appel a statué :
« Par ailleurs, « le système d’application immédiate des lois élaboré par Roubier ne fait […] pas […] office de droit commun transitoire au Québec. »[10]
[25] C’est donc au législateur de déterminer quel système il entend voir s’appliquer, soit l’effet immédiat de la Loi nouvelle ou la préservation des droits acquis. Elle ajoute au paragraphe 40 :
40 La common law reconnaît deux présomptions en matière de droit transitoire : une loi ne doit pas être interprétée de manière à avoir un effet rétroactif ni à porter atteinte aux droits acquis. Même si elles ont déjà été confondues, ces deux présomptions sont distinctes (R. c. Dineley, 2012 CSC 58, [2012] 3 R.C.S. 272, paragr. 45-46, j. Cromwell dissident sur un autre point). Évidemment, le principe cardinal demeure l'intention du législateur, mais en cas de silence, comme en l'espèce, ces deux règles trouvent application.
[notre soulignement]
[26] En 2013, la Cour d’appel nous réfère donc à sa décision rendue dans l’affaire Pétro-Canada en 2003[11] où elle avait écrit :
[36] La doctrine reconnaît que deux systèmes s'offrent au législateur lorsqu’il désire aménager l’application dans le temps d’une loi nouvelle : le système des droits acquis et celui de l’effet immédiat.
[37] Le premier, élaboré en common law, prévoit que la loi nouvelle ne peut avoir d’effet rétroactif. À moins d'une disposition expresse au contraire, la loi nouvelle ne s'appliquera qu'aux situations juridiques et recours en justice à venir. Le deuxième, élaboré en droit français par l’auteur Roubier et introduit en droit québécois en 1992 avec l’adoption de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil, a pour caractéristique principale la distinction entre l’effet rétroactif et l’effet immédiat de la loi. Il élève à titre de principe général celui de l’application de la loi nouvelle aux situations en cours.
(références omises)
[27] Dans l’arrêt Pétro-Canada, le droit d’appel de plein droit à la Cour d’appel d’une décision de la Cour du Québec n’a pas survécu à son abrogation. Pourtant, le Tribunal administratif du Québec à titre d’instance initiale en matière de fiscalité municipale, avait été saisi de l’affaire antérieurement à l’abrogation du droit d’appel.
[28] Par ailleurs, Pierre-André Cöté[12] attire notre attention sur la décision Goodyear Employees Union Ltd c. Keable[13] rendue lors d’une modification de la compétence monétaire respective de la Cour supérieure et de la Cour provinciale.
[29] À l’égard des causes pendantes en Cour supérieure, la Cour d’appel maintient la compétence de la Cour supérieure. Le juge Choquette y écrit :
« Tout en reconnaissant la force des motifs du premier juge, je suis respectueusement d’avis que l’article 1 du nouveau code de procédure civile n’a d’autre but, quant aux affaires pendantes, que de les assujettir dorénavant aux règles de procédure de ce nouveau code, et que sa disposition n’a pas pour effet de supprimer la compétence du tribunal qui a été valablement saisi de ces affaires. J’en trouve la preuve dans les derniers mots du deuxième alinéa : « sauf qu’elles n’auront pas pour effet… d’invalider ce qui aurait déjà été valablement fait ».
Si les dispositions du nouveau code n’ont pas pour effet d’invalider ce qui a été valablement fait, je ne vois pas comment une action valablement intentée devant la Cour supérieure ne pourrait être valablement jugée par le même tribunal. Joint à l’article 1, l’article 34 signifie, à mon sens, que les actions dont le montant est inférieur à 1 000 $ sont de la compétence exclusive de la Cour provinciale, sauf les actions pendantes valablement intentées devant la Cour supérieure. »[14]
Cela rejoint le sens de l’article 13 de la LMCPC et l’arrêt Mayco.
[30] Dans la même section de son ouvrage, Me Côté[15] note un changement d’attitude de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Puskas[16] où un droit d’appel s’exerce devant elle sur permission plutôt que de plein droit après que l’instance en Cour d’appel ait été enclenchée.
[31] La Cour suprême déclare :
« […] un droit ne peut pas être acquis tant que toutes les conditions préalables à son exercice n’ont pas été remplies. »[17]
Ainsi, dans ce cas, le droit d’appel de la Cour suprême du Canada est déterminé au moment du jugement de la Cour d’appel et non au stade de l’introduction des procédures en première instance.
[32] Le Tribunal est d’avis que cette attitude s’est maintenue lors de l’arrêt R c. Dineley[18] sous la plume du juge Deschamps au nom de la majorité, lorsqu’elle écrit :
« Les nouvelles dispositions procédurales destinées à ne régir que la manière utilisée pour établir ou faire respecter un droit n’ont pour leur part pas d’incidence sur le fond de ces droits. De telles mesures sont présumées s’appliquer immédiatement, à la fois aux instances en cours et aux instances à venir.
[…] Ce ne sont pas toutes les dispositions procédurales qui s’appliquent rétrospectivement. Certaines peuvent dans leur application porter atteinte à des droits substantiels. De telles dispositions ne sont pas purement procédurales et ne s’appliquent pas immédiatement (références omises). Par conséquent, la tâche qui s’impose pour statuer sur l’application dans le temps des modifications en cause consiste non pas à qualifier les dispositions de « dispositions procédurales » ou de « dispositions substantielles » mais à déterminer si elles portent atteinte à des droits substantiels. »[19]
nos soulignements]
[33] L’atteinte à des droits substantiels, c’est la perte d’un moyen de défense ou d’un droit d’action après la survenance des faits y donnant ouverture[20]. Rien de comparable avec l’augmentation d’une réclamation soumise à la même division de la Cour du Québec, selon une procédure identique pour favoriser l’accessibilité à la justice.
[34] Au stade de l’amendement, le Tribunal constate que les règles déterminant la responsabilité civile de la Ville de Québec demeurent inchangées malgré la hausse du plafond monétaire de la compétence de la Cour du Québec, Division des petites créances.
[35] La Ville de Québec ne soulève pas un préjudice particulier à la réception de l’amendement affirmant tout simplement posséder des droits acquis.
[36] La Ville n’a jamais bénéficié d’un droit d’appel de la décision que sollicitaient les demandeurs devant la Division des petites créances.
[37] La Ville n’invoque aucun droit au maintien d’une règle de droit substantiel. Sa responsabilité civile sera même décidée par un jugement de la Cour supérieure.
[38] Autoriser l’amendement n’a pas pour effet de remettre en question un geste posé valablement avant le 1er janvier 2015 ni donner une portée rétroactive à la loi qui décrète la hausse du plafond monétaire de compétence de la Division des petites créances. En cela, peu importe le système de droit transitoire considéré, la réclamation peut être augmentée à 15 000 $.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
- ACCUEILLE la demande d’amendement des demandeurs Patrice Lavoie et Annie-Claude Lessard;
- AUTORISE le dépôt de la réclamation amendée du 29 mai 2015 portant celle-ci à 15 000 $ soit les dommages matériels décrits à la pièce P-2 à 11 133,54 $ et l’indemnité pour stress et inconvénients à 3 866,46 $;
- LE TOUT sans frais.
|
|
|
__________________________________ JACQUES TREMBLAY, J.C.Q. |
[1] Jugement du 25 août 2014 de la juge Dominique Langis, J.C.Q..
[2] Jugement du 7 juillet 2015 du juge Jacques Tremblay, J.C.Q.
[3] Rouleau c. Bernard & Al., 2015 QCCQ 2630.
[4] 2015 QCCA 1231.
[5] L.Q. 2014, chap. 10 (ci-après appelée LMCPC).
[6] L.Q., 2014, chap. 1
[7] Paragr. 15 de l’arrêt Mayco.
[8] Paul ROUBIER; Le droit transitoire, conflits des lois dans le temps, 2e édition, 1993, Dalloz; Pierre-André CÔTÉ avec la collaboration de Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT; Interprétation des lois, 2009, Thémis, p. 176 à 180.
[9] Loi sur la justice administrative, LQ 1996 c. 54; Loi sur l’application de la loi sur la justice administrative, LQ 1997, chap. 43, art. 833.
[10] Droit de la famille - 132210, 2013 QCCA 1398, J.E. 2013-1476, paragr. 39.
[11] Pétro-Canada et autres c. Ville de Montréal est et autres, 2003 RJQ 2064.
[12] Précité, note 8, page 211.
[13] (1967) B.R. 49.
[14] Id., page 4.
[15] Page 212, paragr. 707.
[16] [1998] 1 R.C.S. 1207.
[17] Idem, paragr. 14.
[18] [2012] 3 R.C.S. 272.
[19] Id., paragr. 10 et 11.
[20] Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301; Angus c. Sun Alliance Company d’assurance, [1988] 2 R.C.S. 256.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.