Décision

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Bouchard Bulldog inc. c. Levesque

2020 QCCQ 6634

COUR DU QUÉBEC

« Pratique civile - Chambre civile »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

SAINT-JÉRÔME

 

N° :

 

700-22-042547-207

 

 

 

DATE :

6 novembre 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

YVAN NOLET, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

BOUCHARD BULLDOG INC.

Partie demanderesse

c.

KATHY LEVESQUE

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

sur une demande

pour annuler une saisie avant jugement

______________________________________________________________________

 

[1]           Bouchard Bulldog Inc. (« Bouchard Bulldog ») est un éleveur professionnel de chiens de race Bulldog anglais et français.

[2]           Le 21 août 2020, Bouchard Bulldog produit au dossier de la cour un avis d’exécution d’une saisie avant jugement revendication de deux chiennes de race Bulldog anglais nommées Bouchard Bulldog Fay et Bouchard Bulldog Fraya (« Fay et Fraya »). La saisie est appuyée de la déclaration assermentée de Jenny Privé, la présidente de l’entreprise.

[3]           Le 4 septembre 2020, Kathy Lévesque demande l’annulation de cette saisie avant jugement. Elle allègue l’insuffisance et la fausseté des allégations de la déclaration sous serment appuyant la saisie avant jugement. En conclusion subsidiaire, madame Lévesque souhaite être désignée gardienne de Fay et Fraya en lieu et place de la gardienne judiciaire, madame Chantal Hudon.

LE CONTEXTE

[4]           Le 26 février 2020, Bouchard Bulldog vend Fay et Fraya à madame Lévesque pour une somme de 14 000 $[1]. Ces ventes sont constatées au contrat d’achat signé par la défenderesse le 26 février[2] (le « contrat d’achat »). Ce n’est toutefois que le 25 mars qu’elle prend possession des chiots et signe une entente additionnelle[3] (« l’entente ») avec la demanderesse relative au paiement de la balance due à cette date, soit 8 600 $.

[5]           En vertu de cette entente, madame Lévesque, qui élève et vend des chats, convient de payer à Bouchard Bulldog la balance qui lui est due au fur et à mesure des ventes et livraisons de ses chats. L’entente précise que le paiement devra être fait « Idéalement dans un délai maximal de 6 mois. Advenant le cas où un délai plus long est nécessaire, un nouveau contrat sera rédigé et adapté au besoin du client et du vendeur ».

[6]           Le 21 août 2020, étant toujours impayée d’une portion du solde du prix de vente, Bouchard Bulldog intente un recours contre madame Lévesque en alléguant, entre autres, certaines contraventions de cette dernière en vertu du contrat d’achat et de l’entente, dont le défaut de paiement. Elle allègue également un manque de confiance envers madame Lévesque, réclame le montant de 63 600 $ pour une opportunité d’affaires manquée et des dommages de 10 000 $ à la suite de propos diffamatoires à son égard sur les réseaux sociaux.

[7]           Les conclusions de la demande introductive du 19 août se lisent comme suit :

« ACCUEILLIR la présente demande;

AUTORISER   la demanderesse de prendre possession des deux (2) chiots, via un tiers gardien, madame Chantale Hudon, en ayant recours au service d’un huissier de justice, en tout temps entre 8h00 et 21h00;

·         BOUCHARD BULLDOG FAY, de race bulldog anglais, de sexe féminin, aux couleurs exotiques (lilas tricolore), née le 18 janvier 2020;

·         BOUCHER[4] (sic) BULLDOG FRAYA, de race bulldog anglais, de sexe féminin, aux couleurs exotiques (chocolat tricolore), née le 18 janvier 2020;

LE TOUT avec les frais de justice;

Au mérite :

RÉSILIER les deux (2) contrats entre les parties :

·         « Contrat de vente » signé en date du 26 février 2020;

·         « Contrat d’entente » signé en date du 25 mars 2020;

OPÉRER compensation entre les deux parties :

DÉCLARER Bouchard Bulldog Inc., propriétaire des deux chiots, ci-après désignés :

·         BOUCHARD BULLDOG FAY, de race bulldog anglais, de sexe féminin, aux couleurs exotiques (lilas tricolore), née le 18 janvier 2020;

·         BOUCHER[5] (sic) BULLDOG FRAYA, de race bulldog anglais, de sexe féminin, aux couleurs exotiques (chocolat tricolore), née le 18 janvier 2020;

CONDAMNER la défenderesse à payer la somme de 10 000 $, plus les taxes et avec intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle en vertu de l’article 1619 du Code civil du Québec, et ce, à compter de l’assignation;

CONDAMNER la défenderesse à payer la somme de 63 600 $, laquelle somme sera à parfaire, plus les taxes et avec intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle en vertu de l’article 1619 du Code civil du Québec, et ce, à compter de l’assignation;

ORDONNER à la défenderesse de cesser de diffamer ou autrement tenir la réputation de la demanderesse, sur les réseaux sociaux et tous autres moyens technologiques, ainsi que de toutes autres manières que ce soit en ligne ou autrement;

LE TOUT avec les frais de justice. »

[8]           Le 24 août, la demanderesse procède à la saisie avant jugement de Fay et Fraya en vertu de l’article 517 1o du Code de procédure civile (« C.p.c. »). Le procès-verbal de saisie avant jugement de plein droit indique que l’huissier a été chargé de saisir des biens meubles que Bouchard Bulldog est en droit de revendiquer. Il contient une description de Fay et Fraya et précise que la demanderesse n’a pas autorisé  l’huissier à laisser les chiots sous la garde et en la possession de madame Lévesque.

[9]           Dans sa déclaration sous serment, madame Privé mentionne que Bouchard Bulldog recherche contre madame Lévesque des conclusions en restitution des chiens, saisie avant jugement, résiliation de contrat d’achat et dommages-intérêts[6]. Elle soutient également que tous les faits mentionnés à la demande introductive d’instance datée du 19 août 2020 sont vrais[7].

[10]        Considérant que c’est la demande introductive du 19 août qui accompagnait la déclaration assermentée de madame Privé, c’est à celle-ci qu’il y a donc lieu de référer pour l’analyse de la demande en annulation de la saisie avant jugement.

[11]        La demande introductive précise qu’une des considérations essentielles de la vente est à l’effet que la totalité du prix de vente doit être acquitté avant que le transfert de propriété de Fay et Fraya soit effectué au nom de madame Lévesque. La demanderesse insiste que la propriété de Fay et Fraya est régie par la réglementation du Club Canin Canadien (le « CCC ») dont elle est membre vu que les deux chiennes sont des bulldogs pure race et qu’elles sont dédiées à la reproduction.

[12]        C’est pourquoi Bouchard Bulldog considère que ce n’est qu’une fois que la totalité des sommes dues en vertu du contrat d’achat lui auront été payées que le transfert de propriété en faveur de madame Lévesque surviendra, car c’est à ce moment seulement qu’elle demandera le transfert de l’enregistrement du certificat émis par le CCC au nom de madame Lévesque.

[13]        La demanderesse considère ainsi que vu le défaut de madame Lévesque de lui payer une partie du solde du prix de vente, les chiennes sont toujours inscrites à son nom en vertu des registres du CCC de telle sorte que lors de la saisie avant jugement,  elle était toujours la propriétaire de Fay et Fraya et pouvait les revendiquer de plein droit en vertu de l’article 517 C.p.c.

[14]        Elle fait également valoir l’existence d’une réserve de propriété en ce que le contrat d’achat permet à Bouchard Bulldog de confisquer les deux bêtes tel que le prévoit l’article 2 qui mentionne :

« 2. SOINS ET ALIMENTATION

L’Acheteur consent à fournir au chien un abri acceptable, un entretien et un entraînement appropriés ainsi que de la nourriture de qualité et en quantité suffisante. Il fournira aussi les soins vétérinaires nécessaires y compris les vaccinations et traitements recommandés. Le Vendeur s’engage à prodiguer, au meilleur de sa connaissance, les conseils et informations sur les soins et l’alimentation de son chien.

Le Vendeur se réserve le droit de confisquer le dit chien si toutes les conditions énumérées précédemment ne sont pas respectées et/ou si le Vendeur découvre que l’animal ne vit pas en sécurité dans un foyer responsable et salubre (v.g. : s’il vit en liberté et sans surveillance à l’extérieur de la maison; s’il est attaché à l’extérieur, régulièrement, durant plus d’une heure; si des faits ayant trait à de la cruauté animale sont rapportés; s’il participe à une activité athlétique ou à un entraînement tout en étant blessé ou souffrant; s’il y a apparence évidente de mal nutrition; ou tout autre négligence, etc. La confiscation du dit chien sans remboursement du prix d’achat pourrait survenir en tout temps, (…) »

[15]        Les parties ont fait valoir leurs arguments tant sur la suffisance que sur la fausseté de la déclaration assermentée ainsi que concernant la demande visant à remplacer la gardienne judiciaire des animaux. Elles ont également présenté leurs moyens de preuve concernant la fausseté de la déclaration assermentée de madame Privé.

[16]        Concernant la suffisance de cette déclaration assermentée, madame Lévesque la conteste et plaide essentiellement qu’en vertu de la documentation contractuelle liant les parties, Bouchard Bulldog n’est pas propriétaire de Fay et Fraya. Elle soutient également qu’au moment de la saisie avant jugement, un terme lui avait été consenti pour le paiement des deux chiennes et que celui-ci n’était pas expiré.

ANALYSE ET MOTIFS

[17]        La saisie avant jugement revendication de Fay et Fraya pratiquée par Bouchard Bulldog Inc. est notamment assujettie aux exigences des articles 517, 520 et 522 C.p.c. :

517. Le demandeur peut faire saisir avant jugement, de plein droit :

1° le bien meuble qu’il est en droit de revendiquer ;

2° le bien meuble sur le prix duquel il est fondé à être colloqué par préférence et dont on use de manière à mettre en péril la réalisation de sa créance prioritaire ;

3° le bien meuble qu’une disposition de la loi lui permet de faire saisir pour assurer l’exercice de ses droits sur celui-ci.

L’autorisation du tribunal est cependant nécessaire si la saisie porte sur un support technologique ou sur un document contenu sur un tel support.

520. La saisie avant jugement se fait au moyen d’un avis d’exécution sur la base des instructions du saisissant appuyées de sa déclaration sous serment dans laquelle il affirme l’existence de la créance et les faits qui donnent ouverture à la saisie ; le cas échéant, il y indique ses sources d’information. Si l’autorisation du tribunal est nécessaire, elle doit figurer sur la déclaration du saisissant.

Les instructions enjoignent à l’huissier qui en est chargé de saisir tous les biens meubles du défendeur ou les seuls meubles ou immeubles qui y sont spécialement désignés. L’huissier signifie au défendeur l’avis d’exécution et la déclaration du saisissant.

522. Dans les cinq jours de la signification de l’avis d’exécution, le défendeur peut demander l’annulation de la saisie en raison de l’insuffisance ou de la fausseté des allégations de la déclaration du saisissant. Si cela s’avère, le tribunal annule la saisie ; dans le cas contraire, il la confirme et peut en réviser l’étendue.

[18]        Dans l’arrêt L.O.-M. c. É.L., la Cour d’appel rappelle certains principes concernant la saisie avant jugement :

[26]       On considère ordinairement la saisie avant jugement comme une mesure d'exception. C'est la saisie-exécution, postérieure au jugement sur le fond, qui est la norme, en effet, et non la saisie avant jugement qui a pour conséquence d'immobiliser les biens du saisi de manière préventive et qui l'empêche d'en disposer librement. Vu le caractère exceptionnel de la mesure, on affirme donc généralement que les dispositions législatives régissant la saisie avant jugement doivent être interprétées de façon restrictive, afin d'éviter le gel indu des avoirs du débiteur[3].

[27]       Le principe de l'interprétation stricte doit toutefois être concilié avec l'intention d'un législateur qui a tout de même permis la saisie avant jugement en vue de protéger les droits et les intérêts de certaines personnes, en certaines circonstances. Car si la saisie avant jugement est une mesure d'exception, elle est aussi une mesure à caractère conservatoire, ce dont on doit bien sûr tenir compte dans l'interprétation des dispositions législatives pertinentes. On ne doit donc pas, au nom de l'exception, succomber à un rigorisme injustifié qui neutraliserait ou dénaturerait la vocation protectrice de la saisie avant jugement. Sans ignorer les exigences du législateur, il s'agit plutôt de donner plein effet à ses prescriptions par une interprétation qui concilie la prudence de l'exception aux nécessités de la sauvegarde.

[28]       On constate d'ailleurs que, pour assurer, justement, la mise en œuvre de l'intention du législateur et la vocation protectrice de la saisie avant jugement, les tribunaux n'ont pas hésité à donner un sens plus large à certaines des dispositions qui la régissent ou du moins à certains de leurs termes. C'est ainsi que, par exemple, on a interprété assez largement le mot « propriétaire », tel qu'il figurait dans la version antérieure du premier paragraphe de l'article 734 C.p.c., et parlé même à cette occasion d'une interprétation libérale[4].

(Références omises)

[19]        Bien que les tribunaux n’aient pas hésité à assurer la mise en œuvre de la vocation protectrice de la saisie avant jugement, celle pratiquée en l’instance ne vise pas des biens, mais des êtres doués de sensibilité[8]. Il faut donc considérer que l’effet de la saisie avant jugement et du changement de gardien exigé par Bouchard Bulldog a des conséquences significatives non seulement pour madame Lévesque, qui est privée de la présence des deux bêtes, mais également pour Fay et Fraya qui ont été séparées de la famille des Lévesque après cinq mois de vie commune avec eux.

[20]        En pareil cas, il apparaît au Tribunal que le droit de revendication dont se prévaut la demanderesse pour la saisie avant jugement pratiquée doit être clair à la lumière de la documentation contractuelle régissant les parties.

[21]        Avant d’analyser la question de la fausseté des allégations de la déclaration assermentée et, le cas échéant, celle relative au changement de gardien judiciaire, il y a lieu de trancher le volet de la suffisance des allégués de la déclaration assermentée.

La suffisance de la déclaration sous serment

[22]        Dans l’arrêt Stopponi c. Bélanger[9], la Cour d’appel précise les règles applicables en matière de suffisance d’une déclaration sous serment au soutien d’une saisie avant jugement en vertu de l’article 517 C.p.c. :

1.          Pour juger de la suffisance, les faits allégués doivent être tenus pour avérés ;

2.          Ce n’est que lors de la discussion portant sur la fausseté des allégations que s’applique la notion de la preuve prima facie ;

3.          Le juge doit prendre connaissance des documents auxquels se réfère l’affidavit. Pour déterminer la suffisance de l’affidavit, il ne peut isoler une pièce du dossier de son contexte ; il doit, au contraire, considérer l’ensemble du tableau que lui présente l’affiant et éviter d’entrer dans la discussion de la valeur probante de chaque document soumis ;

4.          La suffisance de l’affidavit doit être étudiée uniquement à la lumière des faits qu’il contient et de leur rapport logique avec le droit à la saisie avant jugement et non en le soumettant à la contradiction que peut soulever une requête en rejet pour fausseté des allégations ou même une défense au fond.

(Références omises)

[23]        La Cour d’appel indique également quels sont les éléments essentiels que doit comporter une déclaration sous serment à l’appui d’une saisie avant jugement de plein droit (article 517 C.p.c.) :

[21]         Une étude de ces allégations me satisfait qu’il y a suffisance. Elles contiennent les éléments essentiels que doit comporter une déclaration de cette nature, soit, en l’occurrence :

- l’affirmation d’un droit de propriété sur un bien meuble ;

- la référence à des documents qui, si éventuellement leur admissibilité est reconnue et l’interprétation que fait l’affiant de leur contenu est acceptée par le juge du procès, pourraient conduire à l’accueil des conclusions de sa demande ;

- la relation d’un fait constituant le grief, soit que, nonobstant mise en demeure, la partie adverse retient l’objet sans droit et refuse d’en remettre la possession.

[24]        Dans le présent dossier, la déclaration sous serment de madame Privé ne mentionne pas directement sa créance et son droit de revendiquer Fay et Fraya. Toutefois, sa déclaration réfère à la demande introductive de Bouchard Bulldog du 19 août 2020 et atteste que tous les faits à cette demande sont vrais[10].

[25]        Ce sont les paragraphes 9, 10, 16, 25 et 29 de la demande[11] qui traitent du droit de la demanderesse de revendiquer les deux chiots.

[26]        Le fait que Bouchard Bulldog affirme être propriétaire des deux chiots n’est que le premier aspect à considérer au niveau de l’analyse de la suffisance. Encore faut-il que les documents liant les parties puissent donner ouverture à cette affirmation.

[27]        La règle en droit québécois[12] concernant le transfert de propriété entre les parties à un contrat de vente est que celui-ci survient lors de l’échange de leur consentement[13]. Dans ce contexte, ce que prétend Bouchard Bulldog en se considérant toujours propriétaire des chiots jusqu’au parfait paiement de ceux-ci, c’est que malgré la signature du contrat d’achat et la remise de la possession de Fay et Fraya à madame Lévesque, le transfert de propriété a été différé dans le temps.

[28]        Cela dit, à la section « Les conditions de vente » du contrat d’achat, il n’y a aucune condition suspensive ou résolutoire concernant la vente. Le texte mentionne tout simplement, pour chaque animal, « Le chien est vendu avec un accord de reproduction ». Il n’y a donc pas de réserve de propriété de Fay et Fraya en faveur de la demanderesse.

[29]        Il est vrai que l’entente additionnelle accorde un terme à la défenderesse pour le paiement complet des chiots. S’agit-il alors d’une vente à tempérament? L’article 1745 C.c.Q. précise en effet que :

La vente à tempérament est une vente à terme par laquelle le vendeur se réserve la propriété du bien jusqu’au paiement total du prix de vente.

(…)

[30]        Cependant, même s’il s’agissait d’une vente à tempérament, ce qui n’est pas le cas, encore aurait-il fallu que le terme accordé à madame Lévesque ait été échu. Or, ce n’était pas le cas le 24 août dernier. De plus, le texte de l’entente précise sans ambiguïté que ce terme n’était pas un délai ferme et final[14]. Mais la raison pour laquelle il ne s’agit pas d’une vente à tempérament, c’est que ni le contrat d’achat ni l’entente ne stipule une réserve de propriété en faveur de la demanderesse jusqu’au paiement total du prix de vente.

[31]        Quant au droit de confiscation auquel réfère la demanderesse, il s’agit de l’article 2 précité qui est intitulé « Soins et alimentation ». Cet article décrit les obligations de l’acheteur à l’égard des chiennes. Il n’est pas question d’une réserve de propriété, mais bien d’un droit de confiscation si les conditions relatives aux soins et à l’alimentation de Fay et Fraya, lesquelles sont mentionnées au premier paragraphe de cet article, ne sont pas respectées.

[32]        Bref, cette disposition ne vise aucunement un défaut de paiement. En fait, vu le terme accordé à madame Lévesque pour le paiement du solde du prix d’achat, il s’avère que le 19 août 2020, madame Lévesque n’était pas en retard de payer le solde du prix de vente de Fay et Fraya.

[33]        Quant aux règles du CCC, c’est Bouchard Bulldog qui en est membre et non madame Lévesque. De plus, le contrat d’achat liant les parties n’indique pas que le transfert du nom du propriétaire auprès du CCC ne surviendra qu’une fois la totalité du prix de vente payé. Il précise seulement que « L’enregistrement sera fourni à l’acheteur au frais du Vendeur ». Cela n’a aucune incidence sur les règles habituelles du transfert de propriété de Fay et Fraya.

[34]        Pour ce qui est du droit de revendiquer du vendeur impayé en vertu de l’article 1741 C.c.Q., Bouchard Bulldog ne peut s’en prévaloir vu le terme accordé à madame Lévesque à l’entente additionnelle. De plus, indépendamment de ce terme, le délai de 30 jours de la délivrance de Fay et Fraya était expiré depuis plusieurs mois. Or, sans droit de revendication, le simple fait d’être un vendeur impayé ne donne pas ouverture à une saisie avant jugement[15].

[35]        Enfin, en demandant la résolution de la vente et d’être déclarée propriétaire de Fay et Fraya dans ses conclusions, Bouchard Bulldog ne peut les revendiquer à titre de propriétaire des deux bêtes tant qu’un jugement n’aura pas, après analyse de ses prétentions, accueilli sa demande, résolu l’entente et établi son titre de propriété.

[36]        Concrètement,  les griefs reprochés par Bouchard Bulldog à madame Lévesque ne sont pas en relation avec le droit de propriété des deux animaux au 19 août 2020. Considérant que le contrat d’achat et l’entente ne donnent pas ouverture à ce droit, les griefs de la demanderesse concernent des faits qui sont survenus après que madame Lévesque soit devenue propriétaire de Fay et Fraya. Ce sont donc ces faits subséquents à la vente qui sont allégués par la demanderesse pour obtenir la résolution du contrat d’achat.

[37]        Considérant l’absence de corrélation et de lien logique entre le droit de revendication allégué à la demande introductive et les documents auxquels réfèrent la demanderesse et madame Privé afin d’appuyer leurs prétentions, il y a lieu d’accueillir la demande en annulation de la saisie au motif de l’insuffisance de la déclaration assermentée de madame Privé.

La fausseté de la déclaration sous serment

[38]        La demande en annulation aurait également été accueillie concernant le volet de la fausseté des allégations de la déclaration assermentée et de la demande introductive. En effet, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés ci-dessus, il était faux de prétendre qu’au moment de la saisie, Bouchard Bulldog pouvait revendiquer Fay et Fraya ou en était propriétaire vu qu’aucune disposition du contrat d’achat n’a différé dans le temps le transfert de propriété des deux bêtes à madame Lévesque.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[39]        ACCUEILLE la demande en annulation de la saisie avant jugement ;

[40]        DÉCLARE insuffisantes les allégations de la déclaration sous serment du 21 août 2020 de la représentante de la demanderesse Bouchard Bulldog;

[41]        ANNULE la saisie avant jugement revendication des biens suivants :

1- Bouchard bulldog Fay, de race bulldog anglais, de sexe féminin, aux couleurs exotiques (Lilas tricolore), née le 18 janvier 2020;

2- Bouchard bulldog Fraya, de race bulldog anglais, de sexe féminin aux couleurs exotiques (chocolat tricolore), née le 18 janvier 2020.

[42]        ACCORDE mainlevée à la défenderesse Nancy Lévesque de la saisie avant jugement des deux chiennes de race Bulldog anglais, nommées Bouchard Bulldog Fay et Bouchard Bulldog Fraya décrites ci-dessus;

[43]        LE TOUT, avec les frais de justice.

 

 

 

 

__________________________________

YVAN NOLET, J.C.Q.

 

 

 

 

Me Valérie Thivierge

Charron Avocats

Avocats de la demanderesse

 

Me Ludovic Audet

Kellner Avocats

Avocats de la défenderesse

 

 

 

Date d’audience :

22 septembre 2020

 



[1]     Le contrat de vente précise que la vente des deux chiots est pour un montant de 11 000 $ et que Bouchard Bulldog obtiendra également un chiot de premier choix de la première portée de Fay et Fraya ainsi qu’une somme de 1 500 $ par semence du mâle, d’où la considération totale de 14 000 $.

[2]     Pièce P-4.

[3]     Pièce P-5.

[4]     Nom corrigé à la demande introductive d’instance modifiée du 31 août 2020.

[5]     Id.

[6]     Voir le paragraphe 3 de la déclaration sous serment.

[7]     Voir le paragraphe 4 de la déclaration sous serment.

[8]     Article 898.1 C.c.Q.

[9]     1988 CanLII 293 (QC CA).     

[10]    Comité paritaire des éboueurs de la région de Montréal c. Bourassa, (1990) R.D.J. 394 (C.A.).

[11]    Voir la demande introductive d’instance du 19 août 2019.

[12]    Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel jobin, Les Obligations, 6e édition, Éditions Yvon Blais,          p. 536, par. 527.

[13]    Articles 1433, 1453 et 1708 C.c.Q.

[14]    En effet, l’entente précise que si un délai plus long était nécessaire, un nouveau contrat serait « rédigé et adapté au besoin (sic) du client et du vendeur ».

[15]    Collection Alter Ego 2018, Code de procédure civile du Québec, 34e édition, Wilson & Lafleur Ltée, p. 1625, par. 517/41. Lavergne T.V. inc. c. Tremblay, (1970) R.P. 382 (C.S.); Lamontagne c. Laroche, (1966) C.S. 523.

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