Décision

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Canada (Procureur général) c. Hinse

2013 QCCA 1513

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-021656-111

(500-05-032707-976)

 

DATE :

11 SEPTEMBRE 2013

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

APPELANT - défendeur

c.

 

RÉJEAN HINSE

INTIMÉ - demandeur

 

 

ARRÊT

 

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 13 avril 2011 et rectifié le 27 avril 2011 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Hélène Poulin), qui condamne le procureur général du Canada à verser à l’intimé 5 795 229,61 $ en dommages-intérêts et dommages exemplaires et ordonne l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel[1].

L’introduction

[2]           Avant de jouir d'une libération conditionnelle, l’intimé, M. Hinse, a purgé derrière les barreaux 5 des 15 années de pénitencier auxquelles la Cour des sessions de la paix l'a condamné en septembre 1964. Il se révèle que le verdict de culpabilité à l'origine de cette peine est le fruit d'une erreur judiciaire.

[3]           M. Hinse a toujours clamé son innocence. Au terme d'une démarche pénible et longtemps infructueuse, il obtient un verdict d’acquittement en 1997. C'est alors qu'il s'adresse à la Cour supérieure pour obtenir réparation de ceux qu’il tient responsables du préjudice subi, en l’occurrence la Ville de Mont-Laurier, le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada.

[4]           En 2002, la Ville de Mont-Laurier transige avec lui, puis, peu avant le début de l'instruction, en décembre 2010, c'est au tour du procureur général du Québec de lui offrir une indemnité. Au total, M. Hinse retire 4 750 000 $ de ces règlements hors de cour.

[5]           Pour sa part, le procureur général du Canada résiste et engage le procès. Au terme d'une instruction ayant duré plus de deux semaines, la Cour supérieure conclut à sa responsabilité et le condamne à verser des dommages-intérêts compensatoires et punitifs à hauteur de 5 795 228 $.

[6]           Le procureur général interjette appel. Il soutient que l'action dirigée contre le gouvernement du Canada doit échouer et, de façon subsidiaire, que l'indemnité octroyée devrait, à tout le moins, faire l'objet d'une substantielle diminution.

[7]           Le litige soulève de nombreuses questions de droit dont la résolution commande d’abord un rappel des faits.

Les faits

[8]           En 1961, M. Hinse est âgé de 24 ans. Il fréquente Janine Hamel, qu'il épousera en février 1962, et avec qui il aura deux enfants. Il pratique le métier de plombier-tuyauteur, mais il est au chômage. Pour se procurer un revenu d'appoint, il achète des voitures usagées, qu'il répare et revend.

[9]           Le 4 décembre 1961, il vend une voiture de marque Cadillac 1954 à Laurent Beausoleil. Cette transaction mènera à l'erreur judiciaire dont il sera victime. À l'insu de M. Hinse, Beausoleil fait partie d'un groupe qui s'apprête à commettre un vol à main armée.

[10]        Le 6 décembre suivant, à bord du véhicule acheté de M. Hinse et accompagné de ses complices, Beausoleil se rend à Mont-Laurier dans le cadre d'une mission de reconnaissance en prévision du cambriolage. Voilà cependant que la voiture tombe en panne de sorte que les malfaiteurs doivent l'abandonner dans un garage de Lac-des-Écorces, près de Mont-Laurier.

[11]        Le groupe donne suite à son projet de cambriolage le 14 décembre en effectuant un vol à la pointe d'une arme dans la résidence de M. et Mme Grenier, à Mont-Laurier.

[12]        Le 15 ou le 16 décembre, M. Hinse rencontre Beausoleil qui lui fait part de ses déboires avec l'automobile. Accompagné de ce dernier, il se rend au Lac-des-Écorces le 18 pour y récupérer la Cadillac. Le propriétaire du garage lui apprend alors qu'il doit d'abord se rendre au poste de la Sûreté provinciale au premier étage du palais de justice, à Mont-Laurier, afin de pouvoir reprendre possession de la voiture.

[13]        Alors que M. Hinse attend au poste, M. Henriot Grenier, de passage sur les lieux comme il le fait régulièrement depuis le jour du vol, voit en lui l'un des cambrioleurs de sa résidence. M. Grenier quitte sans mot dire, mais rendu à son travail, il en informe le policier Bourgeois de la Sûreté provinciale.

[14]        Peu de temps après, les policiers invitent M. Hinse, toujours en attente au poste, à participer à une parade d'identification dont on reconnaîtra plus tard le caractère irrégulier. Dans cette parade, il y a en effet 7 ou 8 figurants dont la moitié est constituée de prisonniers vêtus de culottes beiges et de chemises grisâtres alors que l'autre, composée de policiers, porte un complet cravate. Placé au centre, M. Hinse est vêtu d'un jeans bleu, d'un blouson de cuir noir ainsi que d'un chapeau dont le policier Bourgeois l'a coiffé. En réalité, il est le seul à revêtir des vêtements comparables à ceux que portaient les malfaiteurs.

[15]        Appelés à assister à la parade, les victimes, M. et Mme Grenier, l'identifient comme l'un des auteurs du crime commis le 14 décembre.

[16]        Dès sa première rencontre avec Me Courtemanche, son avocat au moment de l'arrestation, M. Hinse se plaint du déroulement de la parade.

[17]        M. Hinse fait l'objet d'une accusation de vol à main armée et choisit d'être jugé devant un juge seul à la faveur d'une comparution devant la Cour des sessions de la paix.

[18]        Le procès débute le 27 novembre 1963 devant le juge Omer Côté de la Cour des sessions de la paix. Le ministère public administre une preuve d'identification par le témoignage des victimes et y ajoute la déposition du policier Scott de la Sûreté municipale de Mont-Laurier, selon qui M. Hinse se trouvait à Mont-Laurier en septembre 1961 en compagnie de diverses personnes, dont Laurent Beausoleil. Ce témoignage contredit la version donnée aux policiers par M. Hinse. Il avait en effet affirmé n'avoir jamais mis les pieds à cet endroit avant le 18 décembre 1961.

[19]        M. Hinse témoigne à son procès, soutenant être demeuré à Montréal toute la journée du crime. Il déclare notamment avoir fréquenté une salle de billard et une taverne. Il a, dit-il, rencontré son amie Janine Hamel, pris son repas du soir au restaurant Le Roi du Smoke Meat et passé la soirée au Café Can Can jusque vers 23 h.

[20]        Malheureusement, il est incapable de se rappeler le nom de la plupart des personnes croisées à la salle de billard de même qu'à la taverne, pas plus que de l'adresse de celles qu'il a pu nommer. Trois témoins ont corroboré son témoignage en partie : M. Sigouin, un serveur à la taverne, M. Legault, un client, et enfin Mme Hamel, qui a déclaré avoir passé la soirée en sa compagnie.

[21]        Aucun autre suspect impliqué dans cette affaire ne sera appelé à témoigner lors du procès, ce qui fera d'ailleurs l'objet de reproches que M. Hinse adressera à son avocat ultérieurement.

[22]        À l'automne 1964, le juge Côté ne retient pas la défense d'alibi offerte par M. Hinse. À son avis, cette défense, présentée pour la première fois au procès, n'était pas crédible en raison des réticences des témoins, des contradictions que recelaient leurs versions, de même que du caractère improbable de certains éléments. Il note particulièrement l'incompatibilité entre la déposition du policier Scott, selon laquelle M. Hinse se trouvait à Mont-Laurier en septembre 1961, et la version de M. Hinse qui avait affirmé n'y avoir jamais mis les pieds avant décembre de la même année. Le 3 novembre 1964, il lui inflige une peine de 15 ans de pénitencier.

[23]        Dépourvu de moyens financiers et s'étant vu refuser l'assistance juridique, M. Hinse n'interjette appel ni du verdict ni de la sentence.

[24]        En 1966, alors au pénitencier, il amorce des démarches qui s'étendront sur plus de trente ans afin de faire reconnaître l'erreur dont il a été la victime.

[25]        Au printemps de 1966, il réussit à convaincre deux des cinq auteurs du braquage, Yvon Savard et Laurent Beausoleil, d'apposer leur signature au bas de déclarations sous serment attestant de son innocence et formulées dans les termes que voici :

PÉNITENCIER ST-VINCENT DE PAUL

Le 30 mars 1966

AFFIDAVIT

Par la présente : Je, Yvon Savard, reconnais être un des auteurs d’un vol à main armée commis le 14 décembre 1961, à la demeure résidentielle de M. et Mme Henriot Grenier de Mont-Laurier.

Par conséquent je sollicite l’attention de qui de droit pour être appelé à témoigner dans la cause de Réjean Hinse pour l’innocenter de ce crime duquel je le sais hors de tout doute innocent.

                        Signature du déclarant (s) Yvon Savard

Assermenté devant moi,

à St-Vincent de Paul le 30e jour de mars 1966

CANADA

PROV. QUÉBEC

DIST. MONTRÉAL 942

JEAN-PAUL LÉVESQUE                                (S) Jean-Paul Lévesque

[26]        Le 2 septembre suivant, M. Hinse débute sa croisade en s'adressant par écrit au ministre québécois de la Justice, M. Jean-Jacques Bertrand. Se déclarant « indéniablement innocent », il mène, dit-il, sa propre enquête. À cet effet, il demande au ministère de lui transmette toutes les notes et photocopies des pièces relatives à sa comparution, son procès ainsi qu'aux enquêtes policières le visant.

[27]        Il revient à la charge le 2 novembre. Après avoir accusé réception de la réponse de la secrétaire exécutive l'informant que sa requête avait été soumise au contentieux criminel du ministère, il demande que les procédures entamées contre Hugues Duval, Jacques Massé, Robert Massé et leur frère soient accélérées et qu’il soit lui-même assigné à leur enquête préliminaire de façon à faire la lumière sur la conspiration à l'origine du vol à main armée. Il demande aussi que soient assignés Georges Leduc, Laurent Beausoleil, Gérard Leclair, ancien locataire de la station-service Esso du Lac-des-Écorces, l'agent municipal Arthur Scott, l'agent de police Barbier, M. et Mme Henriot Grenier de même qu'un certain Louis de Carlo du pénitencier St-Vincent-de-Paul.

[28]        M. Hinse essuie un premier refus. Le 21 novembre 1966, le représentant du sous-ministre associé de la Justice, Hector Pelletier, lui répond. À son avis, M. Hinse a subi un procès juste. Il était représenté par avocat et n'a pas porté sa cause en appel. L'affaire est donc classée.

[29]        Voici, cependant, que le lendemain de l'envoi de cette lettre, M. Hinse obtient une troisième déclaration sous serment, celle de Claude Levasseur. Contrairement aux deux premiers complices, ce dernier ne se reconnaît pas coupable du vol, mais il n'en exonère pas moins M. Hinse en déclarant être au courant des faits :

PÉNITENCIER ST-VINCENT DE PAUL

AFFIDAVIT

Par la présente : Je, Claude Levasseur, reconnais être au courant des faits qui se sont produits lors d’un vol commis le 14 décembre 1961, à la résidence de M. et Mme Henriot Grenier de Mont-Laurier.

Par conséquent je sollicite l’attention de qui de droit pour être appelé à témoigner dans la cause de Réjean Hinse pour l’innocenter de ce crime duquel je le sais hors de tout doute innocent.

                        Signature du déclarant (s) Claude Levasseur

Assermenté devant moi, à Ville de Laval le 22 jour de novembre 1966

 

(S) Jean-Paul Lévesque

CANADA

MONTRÉAL, PROV. QUÉBEC

JEAN-PAUL LÉVESQUE                               

[30]        Le 2 décembre, M. Hinse poursuit sa démarche auprès du sous-ministre. Il évoque les contestations qu'il entend faire valoir devant la Cour du banc de la Reine. Il a, plaide-t-il, subi un procès conjoint avec un coaccusé qui a été acquitté sans faire de défense, alors qu'on l'a reconnu coupable malgré une défense d'alibi. Il fait alors état des trois déclarations sous serment qui le blanchissent et les joint à sa missive, ajoutant que l'un des signataires est même prêt à témoigner, pourvu qu'on lui accorde la protection de la Cour.

[31]        Au début de 1967, le représentant du sous-ministre associé, M. Pelletier, répond à M. Hinse. Il lui fait part de son avis selon lequel le ministère de la Justice du Québec n'a aucune compétence pour porter sa cause en appel et lui suggère d'entreprendre des démarches auprès du ministère fédéral qui la posséderait en vertu de l'article 596 C.cr. :

Cher Monsieur,

 

Nous avons reçu votre longue lettre en date du 10 janvier dernier.

 

Dans toute correspondance vous alléguez principalement avoir été condamné alors que vous seriez innocent du crime en question.

 

Nous regrettons de vous dire que le Ministère de la Justice, à Québec, n’a absolument aucune juridiction pour porter votre cause en appel ou pour vous accorder un deuxième procès.

 

Nous vous suggérons de soumettre tous vos griefs au Ministère de la Justice; à Ottawa, qui aurait juridiction en pareilles circonstances, selon les dispositions de l’article 596 du Code criminel.

 

                                                Veuillez me croire

                                                Votre bien dévoué,

 

                                                Le sous-ministre associé.

                                                            par : (s) H. Pelletier

[32]        C’est ainsi que, de fil en aiguille, M. Hinse prend contact pour la première fois avec les autorités fédérales au mois d’avril de cette même année. Il revient de façon plus précise en juillet dans une missive qu’il adresse au ministre de la Justice, d'alors, M. Pierre Eliott Trudeau :

Institution Leclerc

                        400, rue Saint-François

                        St-Vincent de Paul, P.Q.

 

Ministère Fédéral de la Justice

a/s M. Pierre-E. Trudeau

Hôtel du Gouvernement

Ottawa, Ontario

 

                                                            Le 19 juillet 1967

 

            Re : Réjean Hinse #115

 

Monsieur le Ministre,

 

Pour faire suite à une lettre en date du 24 avril 1967 que je vous avais adressée en vertu de l’article 596 du Code criminel, lequel article vous confère le pouvoir d’intervenir dans la présente cause; lettre, dans laquelle je vous faisais part de mon intention de vous adresser dans quelques mois un exposé de ma cause pour laquelle j’ai été condamné à 15 années de pénitencier le 3 novembre 1964 au Palais de Justice de Mont-Laurier, voici mon exposé qui se résumera aux faits nouveaux recueillis qui pourraient prouver mon innocence et ne laisser aucun doute qu’il y a vraiment eu erreurs judiciaires dans cette affaire.

 

Faits extrêmement importants : Des cinq individus qui ont participé à ce crime, j’ai pu recueillir à date des affidavits - assermentés et signés - de trois des auteurs de ce crime. Vous trouverez ci-jointes trois photocopies des affidavits en question.

 

Pour ce qui est des deux autres présumés auteurs de ce crime, (il s’agit de Georges Beaulieu actuellement détenu à l’institution Leclerc et de Léopold Véronneau actuellement détenu à l’institution de Valleyfield) ils refusent de me signer des affidavits, quel qu’en soit le contenu. D’autre part, ils refuseront de rendre témoignage même si la protection de la cour leur était accordée, car, expliquent-ils, la loi les obligerait à dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, de sorte qu’étant dans l’obligation de répondre à toute question lors de leur déposition, ils seraient forcés de révéler les noms de leurs complices, vice versa. Ce qui donnerait par la suite, à la Couronne, le droit de porter des accusations contre chacun d’eux et de se servir des témoignages de leurs complices pour les incriminer.

 

Permettez-moi de citer, entre parenthèse, un exemple occasionnel qui se produit devant nos tribunaux.

 

Celui qui seul commet un crime.

 

Des suites d’une enquête policière, admettons qu’une erreur d’identification résulte d’une mise en ligne. Il s’ensuit qu’un innocent se voit accusé à la place de l’auteur du crime. Or, celui-ci en étant averti pourra témoigner en faveur de l’accusé en autant que le tribunal consente à lui accorder la protection de la cour, sans inquiétude que la Couronne ne l’incrimine par la suite en invoquant contre lui-même son propre témoignage antérieurement rendu. Par ailleurs aucun complice n’était impliqué dans le cas cité, il sera impossible à la Couronne de porter une accusation contre l’auteur. En outre, l’auteur du vol, ou plutôt du crime, se sachant entièrement protégé par la loi, n’hésitera pas à rendre témoignage en faveur d’un innocent.

 

Tandis que dans le cas qui nous occupe, si deux ou plusieurs individus sont impliqués dans un même crime, la loi ne leur permet pas de témoigner en toute sécurité pour eux-mêmes en faveur d’un ou plusieurs innocents. Ainsi donc, le défendeur, innocent du crime duquel il est accusé; alors qu’il lui serait loisible de prouver son innocence hors de tout doute, ne peut dans les circonstances présenter une défense pleine et entière. Il en est réduit à ne présenter qu’une preuve d’alibi, souvent rejetée, en comparaison de la preuve d’identification formelle (erronée, soumise par des témoins présumément intègres et de bonne foi, mais à l’esprit borné) preuve, néanmoins, retenue par les jurés, ou par un juge seul à cause de l’impression sensible qu’elle cause dans l’esprit de chacun.

 

N’existe-t-il pas une certaine carence dans la loi résultant de l’exposé démontré ci-haut qui serait une cause de grave injustice envers l’individu qui n’a pas commis le crime dont il est accusé?

 

S’il en est ainsi, n’y a-t-il pas lieu de soumettre pour étude que la loi soit amendée et le Code criminel modifié en conséquence ou que toute autre solution possible soit apportée dans pareil cas, afin que les auteurs de ce crime duquel je suis innocent puissent rendre témoignage en toute sécurité, tel qu’ils l’exigent eux-mêmes.


Je sollicite les services d’un conseiller juridique.

 

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

                                                            Votre tout dévoué,

                                                            (s) Réjean Hinse

[33]        Comme on le constate, cette lettre ne donne aucun indice qui permettrait de croire que l'enquête policière dont M. Hinse a fait l'objet ou le processus judiciaire auquel il a été soumis auraient pu être bâclés. Elle paraît néanmoins recevoir un traitement immédiat de la part du ministère de la Justice fédéral. Le 28 juillet, un de ses fonctionnaires, M. Bélisle, écrit au commissaire adjoint des Services pénitentiaires du Canada :

MEMORANDUM FOR MR. J.R. STONE,

DEPUTY COMMISSIONER OF PENITENTIARIES

 

FROM: J.A. Bélisle

 

            RE : Réjean Hinse No. 115

 

Would you please notify the above-mentioned inmate that his letter dated July 19, 1967 addressed to the Minister of Justice has been received and that his request will be reviewed.

                                                            J.A.B.

[34]        Le même jour, M. Bélisle s'adresse en ces termes au sous-ministre de la Justice du Québec :

OTTAWA 4, ce 28 juillet 1967.

                        210377

                        Sujet : Réjean Hinse

 

Cher Monsieur,

 

Le 3 novembre 1964, le dénommé Réjean Hinse fut condamné au pénitencier pour une période de 15 ans à la suite d’un procès sous l’article 288(c) du Code criminel.

 

Le 9 juillet 1967, Hinse écrivit au Ministre de la Justice alléguant qu’il n’était pas coupable dudit crime lequel s’était commis à Mont-Laurier le 14 décembre 1961, à la résidence de M. et Mme Henriot Grenier.

 

Hinse a également inclus des affidavits à cet effet provenant de d’autres personnes qui aujourd’hui se prétendaient les auteurs de ce crime.

 

Comme il semble que le rapport de police dans cette affaire serait très utile, tant en ce qui regarde Hinse qu’en ce qui regarde toute l’enquête et même ce qui pourrait indiquer le sort des complices qui auraient pu être arrêtés et identifiés et même ceux qui auraient pu être soupçonnés d’être les complices d’Hinse. En conséquence, nous apprécierions recevoir, s’il était possible, copie de ces rapports.

 

Vous remerciant de votre collaboration, je vous prie de me croire.

 

                                                Votre tout dévoué,

 

                                                J.A. Bélisle,

                                                pour le Directeur,

                                                Section de droit pénal.

[35]        La réponse du ministère de la Justice du Québec est, pour le moins qu’on puisse dire, ambivalente. Plutôt que de transmettre le rapport de police demandé, le sous-ministre associé demande qu’on lui fasse parvenir les déclarations sous serment. Pourtant, celles-ci auraient, normalement, dû se trouver déjà dans son dossier, puisque M. Hinse les avait jointes à sa lettre du 2 décembre précédent. C’est d’ailleurs en réponse à cette même lettre que M. Pelletier, représentant du sous-ministre associé, avait invité M. Hinse à s’adresser au ministre fédéral. Voici en quels termes le sous-ministre associé Dionne répond à son interlocuteur fédéral :

Québec, 16 août 1967

 

Monsieur J.A. Bélisle

Pour le directeur

Section de droit pénal

Ministère de la Justice

Ottawa 4

 

                                    Re :     Votre dossier : 210377

                                                Réjean Hinse

                                                n.d. 44204-64 & 48-370-61

 

Monsieur,

 

La présente fait suite à votre lettre du 28 juillet 1967 à Me Julien Chouinard, Sous-Ministre de la Justice.

 

Eu égard à votre demande de vous faire parvenir copie des rapports de police dans cette affaire, je crois qu’il serait opportun que vous nous fassiez parvenir plus tôt le texte des affidavits que vous auriez reçus par monsieur Hinse, et provenant de d‘autres personnes qui selon vous, aujourd’hui, se prétendaient les auteurs du crime pour lequel il a été trouvé coupable.

 

Sur réception, et après étude, nous nous empresserons de vous apporter notre collaboration, si nécessaire, dans l’intérêt d’une saine administration de la justice.

 

Veuillez bien me croire,

                                                Votre tout dévoué,

 

                                                (s) Denys Dionne

                                                DENYS DIONNE

                                                Sous-ministre associé

                                                Affaires criminelles

[Soulignement ajouté.]

[36]        Cette lettre marque le point de départ du parcours difficile qu’ont alors connu les démarches de M. Hinse et de son épouse.

[37]        Du côté des autorités fédérales, une erreur administrative provoque la stagnation de l’affaire pendant environ un an, le dossier s'étant perdu entre les services pénitentiaires et le ministère fédéral de la Justice. Quant aux autorités québécoises, elles avaient choisi de ne pas collaborer immédiatement à la progression de l'affaire dans l'attente de documents que, pourtant, elles possédaient déjà.

[38]        Le 16 juin 1968, M. Hinse remplit une demande de libération conditionnelle. Il plaide brièvement son « entière innocence » et déplore les effets qu'ont sur lui sa condamnation ainsi que toutes les circonstances qui entourent celle-ci.

[39]        S'inquiétant du silence du gouvernement fédéral, l'épouse de M. Hinse écrit au ministre fédéral de la Justice le 10 septembre 1968. Cet envoi permettra à M. Bélisle de se rendre compte de l'erreur administrative commise dans le traitement du dossier.

[40]        À ce moment, M. Belisle ignore toujours, selon toute vraisemblance, que M. Hinse a déjà expédié les déclarations assermentées au ministère québécois de la Justice.

[41]        Quoi qu'il en soit, la lettre de Mme Janine Hamel-Hinse provoque des réactions que traduisent les quelques échanges suivants.

[42]        Le 23 septembre 1968, Georges C. Koz, du bureau du Solliciteur général, accuse réception de la lettre de Mme Hamel-Hinse. Il indique que la requête de son mari est encore à l'étude au ministère de la Justice et qu'il a demandé à ce que le processus soit accéléré. Il mentionne qu'elle devrait recevoir une réponse sous peu.

[43]        Le 26 septembre suivant, T.D. MacDonald, adjoint au Solliciteur général, écrit à John Scollin du ministère de la Justice. Il lui fait suivre copie de la correspondance échangée entre Mme Hamel-Hinse et le Special Assistant to the Solicitor General, ainsi que du mémo de M. Bélisle à J.R. Stone daté du 28 juillet 1967. Il demande à connaître l'état de la demande de révision et s'enquiert de la réponse à y être donnée.

[44]        Mme Hamel-Hinse répond à M. Koz au début d'octobre. Elle s'étonne que le dossier soit entre ses mains. Il n'en faut guère plus pour qu'elle constate que l'affaire s'est enlisée dans des dédales administratifs.

[45]        De son côté, M. Bélisle met de la pression, conscient que le processus a traîné en longueur. Le 18 octobre, il écrit à J.R. Cameron, du bureau du Solliciteur général :

OTTAWA 4,

                                                October 18, 1968

                       

                                    210377

                        RE:      No. 115 Hinse, Réjean

                                    Leclerc Institution_____      

 

Attention: J.R. Cameron, Esq.

 

Dear Sir :

 

Reference is made to your letter dated September 26, 1968, concerning the above-mentioned.

 

It appears that this matter was overlooked because the inmate’s penitentiary file was in the possession of the undersigned but that, at one time, it was requested by the Canadian Penitentiary Service and at the same time the basic material originally sent to the Department of Justice was put on said file and never returned.

 

I would appreciate being informed whether Mr. Hinse wishes to forward photocopies of the affidavits and his letter to the Attorney General of the Province of Quebec since it appears that it would be mandatory to do so for the time being. If the answer is negative, would you please inform him that his request for a new trial cannot be entertained unless we proceed through the office of the Attorney General of the Province of Quebec.

 

                                                Yours truly,

 

                                                (s) J.A. Bélisle

                                                J.A. Bélisle

                                                for Director

                                                Criminal Law Section.

Deputy Solicitor General

Department of the Solicitor General

Sir Wilfrid Laurier Building

Ottawa 4, Ontario

[46]        Se sentant à bout de ressources, Mme Hamel-Hinse s'adresse directement à la souveraine au Palais de Buckingham au mois de novembre 1968. En décembre, elle recevra une réponse polie déclinant sa demande et la renvoyant aux autorités canadiennes. Il s'infère des suites de cette démarche que tant le Gouverneur général du Canada que le Lieutenant-gouverneur du Québec sont mis au fait de la démarche faite auprès de la Reine.

[47]        Début 1969, alerté par le cabinet du Gouverneur général, le bureau du premier ministre dirige Mme Hamel-Hinse vers le bureau d'aide légale du Barreau de Montréal.

[48]        Concurremment, à la même époque, le ministère québécois de la Justice répond à Mme Hamel-Hinse en invoquant la compétence du ministre fédéral en vertu de l'article 596 C.cr., tout comme il l'avait fait au début de 1967.

[49]        Pour le service pénitentiaire canadien, de concert avec le ministère fédéral de la Justice, la problématique semble toujours reposer sur la collaboration éventuelle du procureur général du Québec dans la foulée de la réponse donnée par le sous-ministre Dionne au mois d'août 1967. C'est ainsi que le 7 février 1969, le Commissaire du Service pénitentiaire canadien écrit au directeur de l'Institut Leclerc :

The Warden,

Leclerc Institution                                            February 7, 1969

115 Hinse, Rejean

1.            In July 1967 inmate Hinse forwarded a letter and affidavits to the Minister of Justice.

2.            The case has been under study and is referred to us at this time in order to ascertain whether inmate Hinse wishes to forward photocopies of the affidavits and his letter to the Attorney General of the Province of Quebec since, in the opinion of the Department of Justice, it would be mandatory for him to do so for the time being.

3.            Please inquire of Hinse in regard to his wishes in the matter and, if his answer is in the negative, the Director, Criminal Law Section, Department of Justice, has advised that the inmate should be informed as follows :

“His request for a new trial cannot be entertained unless we proceed through the office of the Attorney General of the Province of Quebec.”

4.            We would be pleased to have your reply commenting on the position taken by Hinse so that we can advise the Department of Justice accordingly.

D.I.T.

for Comimssioner

[50]        Les réponses en provenance des deux ordres de gouvernement provoquent chez M. Hinse une réaction négative bien compréhensible dans les circonstances. Le 17 février, il expédie deux lettres, l'une à M. Hector Pelletier du ministère québécois de la Justice et l'autre au Commissaire du Service pénitentiaire canadien. Il y rappelle l'historique de ses démarches, constate le cheminement circulaire que les gouvernements respectifs l'obligent à emprunter et réitère ses demandes antérieures.

[51]        Les lettres en question mettent en lumière l'inefficacité du traitement accordé aux demandes répétées de M. Hinse. Néanmoins, ce dernier ne recevra aucune réponse claire à ses demandes avant d'obtenir sa libération conditionnelle quelque 7 mois plus tard, le 2 septembre 1969.

[52]        Le dossier paraît demeurer inactif jusqu'à ce que M. Hinse revienne à la charge pour adresser une demande de pardon au Gouverneur général en conseil au mois de mars 1971. Il écrit :

Afin de vous rendre compte du bien-fondé de ma demande, je vous prierais de consulter tous les dossiers de l’affaire qui se trouvent soit dans les filières du Ministère Fédéral de la Justice, soit au Ministère Provincial de la Justice, soit les demandes faites au Barreau de l’Assistance Judiciaire, soit en dernier ressort la lettre adressée à Sa Majesté La Reine Elizabeth II d’Angleterre (qui fut détournée à votre attention), ou soit encore dernièrement ma demande d’enquête auprès de l’ombudsman du Québec.

Je possède copies de tous ces dossiers qui s’échelonnent sur plusieurs années. Il serait trop long de les résumer ici.

En terminant, je tiens encore à vous dire que je n’ai jamais accepté d’être condamné pour ce crime auquel je suis indéniablement étranger. J’ai toujours protesté avec véhémence de mon innocence et je continue à le faire même libéré, chaque jour, aujourd’hui le douze mars 1971.

Je demeure dans l’espoir que ce dernier recours soit entendu des autorités en place.

[53]        Le Comité spécial du Conseil privé se penche sur la demande de M. Hinse. La recommandation est négative mais fait voir que les moyens essentiels invoqués ont été pris en considération. Pour le compte du Comité, M. Cross écrit le 30 mars 1971 :

While at the Penitentiary and on parole Mr. Hinse consistantly proved [correction manuscrite indéchiffrable] his innocence and said [correction manuscrite indéchiffrable] that he was mistakenly accused and found guilty.

He bases his innocence on the fact that :

1.    The police identification parade was made in such a way to instigate  [correction manuscrite indéchiffrable] the victims to identify him as being one of the members of the robbery.

2.    The whole inquiry made by the police in this [correction manuscrite indéchiffrable] case was full of irregularities and there was inadequate illegal evidence introduced by a Q.P.P. constable during the trial.

3.    The Q.P.P. was caught in trying to find accomplices for this robbery. Mr. Hinse said the Q.P.P. connected him with this robbery because he used to be associated with some of the real accomplices in Montreal, as being one who was taking part in a stolen car ring.

Mr. Hinse based these facts and irregularities by providing us with a press statement relating to the case of Andre Lavoie who was also named as a member of the robbery but who was later acquitted. In this case the admission of some illegal evidence in this robbery is mentioned.

Mr. Hinse also provided us with some literature which could be helpful to clear up some facts. Also included are affidavits of some of the accomplices who took part in the robbery. They are confirming that Mr. Hinse is innocent and that they would be ready to testify in the case of a new trial.

It is presumed that the facts that Mr. Hinse alleges could be verified through the court transcript of the specific trials involved.

It is our opinion that subject did not provide us with sufficient fresh facts that were not available at the time of the trial and that could have been a basis to prove his innocence under the royal prerogative of mercy.

However, it is suggested that the case be referred to your department for further study in this matter based on our above inquiry, and for the Minister’s approval as to whether Mr. Hinse should be given a new trial.

Yours truly

[54]        Dans la foulée de cette recommandation, la Commission des libérations conditionnelles, par la voix de M. Lacasse, répond à M. Hinse en l'informant de la politique suivie en matière de demandes de pardon fondées sur l'innocence d'une personne par ailleurs reconnue coupable :

Ottawa, le 19 avril 1971

Monsieur Réjean Hinse

[…]

Montréal Nord, P.Q.

Cher Monsieur

                        Re : Demande de Pardon Absolu - ESV-115

Votre lettre du 12 mars dernier au Gouverneur Général en Conseil nous a été transmise puisque la Commission est responsable de faire enquête dans les cas de demande de pardon.

Laissez-moi vous dire qu’une demande de pardon, basée sur l’innocence de la personne condamnée, ne peut être prise en considération à moins que le requérant ne prouve l’existence de faits réels, non soumis au tribunal. Ces faits nouveaux doivent être susceptibles de faire conclure que si le tribunal les avait connus, il vous aurait acquitté.

J’inclus avec la présente une formule de demande de pardon que vous devrez compléter en duplicata et nous retourner. De plus, il serait nécessaire que vous soumettiez à la Commission une liste de ce qui selon vous, constitue des faits nouveaux et lorsque vous aurez établi les possibilités de l’existence de ces faits, une enquête aussi complète que possible sera conduite. Lorsqu’une décision sera prise, elle vous sera dûment communiquée.

Veuillez agréer, cher Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

                                                            Y. Lacasse

                                                            Division de la clémence et

                                                            des questions juridiques

[Soulignement ajouté.]

[55]        Au mois d'octobre 1971, Jean-Claude Pressé et Laurent Beausoleil signent chacun une déclaration sous serment attestant à la fois de leur présence et de l'absence de MM. Lavoie et Hinse dans la voiture ayant fait l'objet de la fouille effectuée par l'agent Arthur Scott à Mont-Laurier le 10 septembre 1961. Ces déclarations entrent donc en contradiction avec la déposition de l'agent Scott lors du procès de M. Hinse. Elles sont aussi compatibles avec la version donnée par M. Hinse aux policiers et selon laquelle il ne s'était jamais rendu à Mont-Laurier avant décembre 1961.

[56]        En novembre de la même année (1971), Mme Lauzon, de la Commission des libérations conditionnelles, fait suivre au ministère de la Justice fédéral l'information additionnelle reçue de M. Hinse. La preuve ne révèle pas la nature précise de cette information, mais la chronologie des événements donne à penser qu'il s'agit des nouvelles déclarations sous serment souscrites peu de temps auparavant par MM. Pressé et Beausoleil.

[57]        L'examen de la demande de pardon se poursuit donc parallèlement à celui effectué par le ministère de la Justice concernant l'opportunité de provoquer la tenue d'un nouveau procès. Les deux examens se soldent par un résultat négatif que Mme Lauzon communique à M. Hinse au début de 1972 dans les termes suivants :

Ottawa, K1A 0R1

Le 10 février 1972

Monsieur Réjean Hinse

[…]

Montréal Nord, P.Q.

Cher Monsieur,

Pour faire suite à notre lettre en date du 22 novembre 1971 et comme nous vous avions déjà mentionné le fait que votre dossier avait été transmis au ministère de la Justice en vue d’étudier la possibilité de l’obtention d’un nouveau procès dans votre cas, on me charge de vous informer qu’après une étude complète et attentive de celui-ci votre demande n’a pas été acceptée.

Nous tenons, de plus, par la présente à vous réitérer notre décision en ce qui concerne votre demande de pardon absolu et vous rappeler que celle-ci ne peut également avoir lieu.

Je regrette de ne pouvoir vous transmettre de réponse plus favorable, je vous prie d’accepter, cher monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

                                                Bien à vous,

                                                M. Lauzon

                                                Division de la clémence

et du contentieux

[58]        La preuve laisse voir que le dossier demeure inactif pour une période prolongée de quelque 7 ans qui s'étend de février 1972 à avril 1979, date à laquelle M. Hinse réactive les choses et cherche à prendre connaissance de son dossier à la Commission des libérations conditionnelles.

[59]        À l'été suivant, au mois de juillet 1980, M. Hinse revient à la charge auprès du ministre de la Justice de l'époque, M. Jean Chrétien :

Danville, le 23 juillet 1980

M. Jean Chrétien

Ministre de la Justice

Monsieur le Ministre,

Ayant été victime d’une erreur judiciaire suite à une méprise d’identification et ayant été subséquemment condamné le 3 novembre 1964 à 15 années de pénitencier, je vous demande, monsieur le ministre, par la présente d’ordonner la réouverture de mon dossier judiciaire.

Jamais n’ai-je pu accepter d’être la victime d’une aussi flagrante injustice dont je subis encore aujourd’hui les conséquences dans mon propre milieu de travail et mon milieu social.

Par ailleurs, ne pourriez-vous pas monsieur le ministre, nommer une personne spécialement mandatée pour étudier le dossier et laquelle pourrait ensuite m’accorder une audience personnelle à une date convenue.

Je vous prie, monsieur le ministre, d’agréer l’expression de mes sentiments les meilleurs.

                                                            Réjean Hinse

                                                            […]

                                                            Montréal (Québec)

                                                            […]

[60]        Cette demande fait l'objet d'un nouvel examen mais sera suivie d'un résultat identique au précédent. Au mois de décembre, M. Demers, conseiller spécial du ministre de la Justice, fournit la réponse suivante au nom du ministre :

Ottawa

K1A 0H8

 

Le 30 décembre 1980

 

M. Réjean Hinse

[…]

Montréal (Québec)

[…]

Monsieur,

Le ministre de la Justice, l’honorable Jean Chrétien m’a demandé de vous faire part de sa décision relativement à la demande contenue dans votre lettre du 23 juillet 1980.

Votre lettre contient des allégations vagues concernant une erreur d’identité survenue lors de votre procès. Vous conviendrez avec moi qu’il faut plus que des allégations vagues pour établir l’existence d’un fait. Nous avons consulté le jugement de Monsieur le juge Omer Côté dans votre cause et nous n’avons rien trouvé qui pourrait étoffer l’affirmation que vous faites.

Je suis donc au regret de vous annoncer que votre demande d’intervention du ministère de la Justice ne peut être agréée.

Bien à vous,

Jaques A. Demers

Conseiller spécial

[61]        M. Hinse n'en reste pas là. Il insiste tant et si bien qu'on l'invite à préciser par écrit les nouveaux faits susceptibles de justifier la réouverture de son dossier. Il s'exécute le 9 mars suivant dans une longue lettre de 15 pages à laquelle il joint le dossier de ses démarches auprès des autorités judiciaires et politiques. L'exposé contient plusieurs tirades qui, à plusieurs reprises, éloignent le lecteur du fond de l'histoire. Il parle notamment de son implication syndicale pendant plusieurs pages pour expliquer qu'un dirigeant syndical a dévoilé son passé judiciaire devant une assemblée de 1 500 membres. Au delà de la forte charge émotive, bien compréhensible, qui se dégage de cette lettre, on y retrouve en détail tous les éléments plaidés par M. Hinse au soutien de ses demandes de pardon et de nouveau procès.

[62]        Les explications fournies ne suffisent cependant pas. En septembre, le conseiller spécial du ministre répond :

Le 23 septembre 1981

 

Monsieur Réjean Hinse

[…]

Montréal (Québec)

[…]

Monsieur,

L’honorable Jean Chrétien, ministre de la Justice, m’a prié de répondre à vos lettres du 9 mars et du 7 juillet 1981 demandant son intervention dans votre dossier.

Je suis au regret de vous informer que, malgré les explications supplémentaires que vous avez fait parvenir au Ministre, votre cas n’en est pas un qui justifie son intervention. En effet, le ministre de la Justice n’exerce son pouvoir d’intervention que dans des circonstances exceptionnelles et l’étude approfondie de votre dossier ne révèle pas l’existence de telles circonstances.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

 

Jaques A. Demers

Conseiller spécial

[63]        Le dossier demeure inactif pour une autre période prolongée, cette fois d'une durée de 4 ans. Le 24 avril 1985, M. Hinse écrit à John Crosbie, ministre de la Justice, pour lui demander que son dossier ne soit pas détruit. On lui répond en ces termes :

…veuillez noter que le dossier de la Cour est conservé indéfiniment; quant au dossier de la poursuite, il n’est conservé que pour une période de cinq ans et votre dossier a donc été détruit. En ce qui concerne le dossier des autorités policières concernées, en l’occurrence la Sûreté du Québec, votre demande relève de la juridiction du ministre de la Justice du Québec; c’est donc à monsieur Pierre-Marc Johnson que vous devez faire parvenir votre demande. Finalement, le dossier du ministère fédéral de la Justice sera conservé encore vingt-six ans.

[64]        Le 6 novembre 1988, en marge des demandes adressées aux différents paliers de gouvernement, M. Hinse décide de faire appel à la Commission de police du Québec. Ce geste se révélera déterminant. Il écrit :

COMMISSION DE POLICE DE QUÉBEC

10, rue Saint-Antoine Est

Montréal (Québec)

H2Y 1A2

                                    SUJET : Réjean HINSE

 

Madame,

Monsieur,

 

            En 1961, je fus victime d’une erreur d’identification sur la personne et subséquemment victime d’une grave erreur judiciaire. Trouvé coupable malgré une preuve d’alibi, je fus condamné à quinze (15) années de pénitencier.

 

            Marqué pour la vie psychologiquement, je vis toujours en prison bien qu’on m’ait accordé une libération conditionnelle en 1969 et que je n’aie plus eu maille à partir avec la vindicte des justiciers car, n’étant plus au temps des Misérables de Hugo, ils n’en craignent pas moins comme La Peste de Camus l’innocence et l’erreur.

 

            J’ai fait part autant comme autant aux autorités judiciaires, de mon innocence leur demandant un nouveau procès, mais les autorités m’ont toujours refusé ce nouveau procès de crainte que la Justice des hommes ne se retrouve dans de bien mauvais draps.

 

            Innocent, victime d’un coup monté (frame up) échafaudé de toute pièce, ignorant des faits et gestes et péripéties du crime qu’on me reprochait, je fus dans l’impossibilité de me défendre adéquatement lors de mon procès.

 

            C’est pourquoi, je demande à être entendu par la Commission de Police afin de démontrer comment s’opéra le scénario faussé de la parade d’identification et la pression policière répréhensible qui induisirent à l’erreur sur ma personne les deux accusations du crime reproché.

 

            J’ose croire que votre Commission se penchera, en tout équité, sur ce dossier nébuleux et vous prie de croire, Madame, Monsieur, à l’expression de mes meilleurs sentiments.

 

                                                            Bien à vous,

 

                                                            (s) Réjean Hinse

                                                            RÉJEAN HINSE

                                                            […]

                                                            Laval (Québec)

                                                            [...]

                                                            Tél. : (514) [...]

[Soulignement dans le texte.]

[65]        Il revient à la charge les 28 janvier et 23 mars 1989, en apportant pour la première fois certains détails cruciaux qui orienteront le travail du commissaire Fourcaudot, à qui la Commission a confié le soin de faire enquête conformément à la loi[2]. Le 3 janvier 1990, celui-ci dépose un rapport étoffé. Compte tenu des révélations qui y sont contenues, la Commission rédige un mémoire qu'elle achemine tant au procureur général du Québec qu'au ministre de la Sécurité publique du Québec, lequel le fait, à son tour, parvenir au Solliciteur général du Canada.

[66]        De son côté, l'avocat dont M. Hinse a alors retenu les services, Me Longtin, s'adresse dans le même sens à la ministre de la Justice, Mme Campbell, en la priant d'utiliser les pouvoirs que lui confère le Code criminel. Il lui écrit à la fin du mois de novembre 1990 :

Nous sommes persuadés que tant l’enquête policière que les procédures judiciaires sont entachées de vices et d’irrégularités suffisamment graves pour justifier, Madame la Ministre, votre intervention conformément aux dispositions de l’article 690 du Code criminel. Le mémoire de la Commission de police est suffisamment étayé en ce sens.

[67]        Celle-ci y répond en ces termes le 24 avril 1991 :

Vous me demandez dans cette lettre d’exercer les pouvoirs discrétionnaires qui me sont conférés par l’article 690 du Code criminel. Vous n’indiquez pas, cependant, quel est le remède particulier que recherche votre client. Quoi qu’il en soit, des fonctionnaires de mon ministère ont pris connaissance du rapport de la Commission de police du Québec et m’avisent que le rapport fait état de nouveaux éléments de preuve qui méritent amplement d’être considérés.

 

Néanmoins, je suis d’avis que les questions soulevées par la Commission de police, tout en étant fort pertinentes à l’exercice de ma discrétion, pourraient tout aussi bien être adressées directement à la Cour d’appel du Québec, laquelle peut accepter d’en être saisie sans qu’il me soit nécessaire de lui imposer cette tâche par le truchement de l’article 690 du Code criminel.

 

Advenant par ailleurs le refus par la Cour d’appel du Québec de donner suite aux démarches de votre client, je vous serais reconnaissante de bien vouloir rappeler à mon attention le cas de Monsieur Hinse.

[Soulignement ajouté.]

[68]        Quelques jours plus tard, elle tient les mêmes propos au ministre de la Justice du Québec :

Je considère, comme vous, qu’à la lumière des allégués dans le mémoire de la Commission de police du Québec, il y a lieu de se pencher sur le cas de M. Hinse. Je crois cependant qu’à ce stade il devrait être incité à saisir lui-même de son cas la Cour d’appel du Québec. Je présume par ailleurs que vous allez vouloir lui faciliter la tâche s’il choisit de s’engager sur cette voie.

 

J’apprécierais fort connaître le résultat des démarches que pourrait entreprendre M. Hinse auprès de la Cour d’appel du Québec. Advenant par ailleurs le refus de la Cour de donner suite à ses démarches, je vous serais reconnaissante de bien vouloir rappeler à mon attention le cas de M. Hinse.

[Soulignement ajouté.]

[69]        M. Hinse se rend à cette invitation et s'adresse à la Cour en 1991. Outre l'autorisation d'interjeter appel du verdict de culpabilité, il recherche les conclusions suivantes :

QUE la Cour annule la condamnation ; ET

QUE la Cour ordonne l’inscription d’un jugement d’acquittement ; ou

QU’ELLE rende toute autre ordonnance qu’elle juge appropriée.

[70]        Trente ans après l'expiration du délai pour se pourvoir, la Cour lui accorde exceptionnellement l'autorisation de ce faire et lui permet de présenter une preuve nouvelle.

[71]        L'arrêt tombe en 1994[3]. De l'avis de la Cour, les irrégularités ayant entaché le processus de même que la preuve nouvelle justifient clairement l'accueil du pourvoi. Toutefois, considérant ensemble la preuve nouvelle et celle administrée au procès, elle estime que la non-culpabilité de M. Hinse ne se dégage pas de façon suffisamment claire pour justifier le prononcé d'un verdict d'acquittement. La Cour souligne qu'une semblable conjoncture donne ouverture à une ordonnance de nouveau procès. Toutefois, aux yeux de la Cour, les circonstances exceptionnelles de l'affaire rendent cette avenue impraticable de sorte que seul un arrêt des procédures est susceptible de résoudre le dilemme. Elle prononce en conséquence une ordonnance de cette nature.

[72]        Insatisfait, du moins en partie, M. Hinse se tourne alors vers la Cour suprême. Dans la demande d'autorisation qu'il lui achemine, il propose l'examen des deux questions que voici :

A-            Première question

1-   Ayant accueilli l’appel et annulé la condamnation du requérant au motif que : “The fresh evidence as well as the various irregularities which occurred are more than sufficient to justify allowing the appeal under article 686(1)(a) of the Criminal Code”, et ayant statué à l’effet que : “Special circumstances militate against proceeding with a new trial in this case”, la Cour d’appel a-t-elle commis une erreur de droit en ordonnant une suspension des procédures plutôt que l’inscription d’un jugement d’acquittement conformément à l’article 686(2)(a) C.Cr.?

2-   Dans les circonstances de la présente affaire, la suspension des procédures plutôt que l’acquittement constitue-t-elle pour le requérant une violation de ses droits fondamentaux garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

B-           Deuxième question

Ayant admis l’ensemble de la preuve nouvelle produite au dossier le tout sous l’égide de l’article 683 C.cr. et ayant par ailleurs conclu que la preuve nouvelle était plus que suffisante pour accorder l’appel selon l’article 686(1)(a) C.cr., la Cour d’appel a-t-elle commis une erreur de droit en n’acquittant pas le requérant conformément à l’article 686(2)(a) C.cr. sur la base du critère d’application de l’article 686(1)(a)(i) C.cr. à savoir que, compte tenu de l’ensemble de la preuve, le juge des faits, convenablement instruit, n’aurait pu raisonnablement déclarer l’accusé coupable hors de tout doute raisonnable?

[73]        Le 26 janvier 1995, la Cour suprême refuse d'autoriser le pourvoi[4].

[74]        L'avocat de M. Hinse persiste tout de même et demande à la Cour suprême de reconsidérer sa décision. Il invoque l'importance que revêt la question de déterminer si une Cour d'appel, agissant sous l'autorité du paragraphe 686(8) C.cr., possède le pouvoir de prononcer une ordonnance d'arrêt des procédures alors qu'elle casse un verdict de culpabilité.

[75]        Cette fois, sous la plume du juge en chef Lamer, la Cour suprême octroie, à la majorité, l'autorisation à M. Hinse d'interjeter appel contre la conclusion de l'arrêt de notre cour ordonnant l'arrêt des procédures[5]. On ne saurait mieux résumer les motifs du juge en chef que ne l'a fait l'arrêtiste de la Cour suprême :

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major: La Cour n'a pas l'habitude de réexaminer ses décisions en matière d'autorisation de pourvoi. Cette politique judiciaire est consacrée au par. 51(12) des Règles de la Cour suprême du Canada, qui prévoit qu'« [a]ucune requête en autorisation ou autre requête ne peut faire l'objet d'une nouvelle audition ». Étant donné le grand nombre de demandes d'autorisation que notre Cour traite chaque année, il ne lui est tout simplement pas possible de réexaminer régulièrement les décisions qu'elle a rendues en matière d'autorisation, sans miner de façon importante le rôle indispensable qu'elle joue comme cour générale d'appel propre à améliorer l'application du droit canadien. Toutefois, nonobstant le texte précis du par. 51(12), la Cour peut exceptionnellement, en vertu du pouvoir résiduel que lui confère l'art. 7 des Règles, tenir une audience en vue de réexaminer une décision relative à une demande d'autorisation. Les circonstances justifiant le réexamen seront extrêmement rares. En raison du caractère exceptionnel de la question de compétence soulevée au cours de la demande, notre Cour devrait exercer le pouvoir discrétionnaire, que lui confère l'art. 7 des Règles, d'entendre la présente demande.

La question de compétence est soulevée en l'espèce parce que la Cour d'appel a accueilli l'appel du requérant et annulé sa déclaration de culpabilité relative à un acte criminel. En vertu du Code criminel, le droit d'un accusé de se pourvoir devant notre Cour contre une déclaration de culpabilité relative à un acte criminel se limite aux cas où la déclaration de culpabilité de l'accusé à son procès est confirmée, plutôt qu'annulée, par la cour d'appel. Le régime procédural du Code n'accorde donc au requérant aucun droit de se pourvoir contre l'ordonnance prescrivant l'arrêt des procédures. Le requérant peut cependant demander l'autorisation de se pourvoir contre cette ordonnance particulière, en vertu du par. 40(1) de la Loi sur la Cour suprême. Un tel pourvoi n'est pas interdit aux termes de l'art. 674 du Code ou du par. 40(3) de la Loi.

Un tribunal de première instance a le pouvoir de suspendre des procédures abusives qui violent le sens du franc-jeu qu'a la société, et une cour d'appel possède également un pouvoir analogue d'ordonner un arrêt des procédures. Bien que le pouvoir d'une cour d'appel d'ordonner un arrêt des procédures pour cause d'abus de procédure ait son origine dans la common law, lorsqu'une cour d'appel ordonne un tel arrêt, elle exerce nécessairement le pouvoir résiduel, que lui confère le par. 686(8) du Code criminel, de « rendre toute ordonnance que la justice exige ». La forme législative de ce pouvoir judiciaire ne modifie pas les contraintes de fond imposées à son exercice par la common law. Contrairement aux ordonnances d'acquittement ou de nouveau procès rendues en vertu du par. 686(2) du Code, qui sont inextricablement liées à la décision sur le fond de l'appel, une ordonnance fondée sur le par. 686(8) est, de par sa nature, accessoire au jugement prononcé par la cour. Le pouvoir que le par. 686(8) confère à la cour est souvent exercé relativement à des facteurs qui n'ont rien à voir avec la question de l'innocence ou de la culpabilité de l'accusé, et peut même être exercé indépendamment d'une ordonnance antérieure fondée sur le par. 686(2). Compte tenu de la nature intrinsèquement supplémentaire et réparatrice d'une ordonnance fondée sur le par. 686(8), en pratique, une telle ordonnance ne fait pas partie intégrante d'un « jugement [. . .] annulant ou confirmant [une déclaration de culpabilité] », selon une interprétation fondée sur l'objet tant du par. 40(3) que de la définition de « jugement » figurant à l'art. 2 de la Loi sur la Cour suprême. Au contraire, une ordonnance fondée sur le par. 686(8) est un acte judiciaire distinct et divisible contre lequel l'accusé ou le ministère public peut indépendamment demander une autorisation de pourvoi en vertu du par. 40(1).

Une telle interprétation est conforme à une saine politique judiciaire. Lorsqu'une cour d'appel accueille l'appel d'un accusé et impose un verdict d'acquittement ou ordonne un nouveau procès en vertu du par. 686(2) du Code, elle se trouve nécessairement à rendre une ordonnance à l'appui de son jugement sous-jacent. Mais lorsqu'une cour d'appel rend une ordonnance en vertu du par. 686(8), il y a un risque qu'elle rende une ordonnance qui soit directement incompatible avec son jugement sous-jacent. En raison de cette préoccupation troublante, il y a lieu d'adopter une interprétation plus libérale du par. 40(1) (et, en contrepartie, une interprétation plus stricte du par. 40(3)), qui faciliterait le rôle de surveillance de notre Cour pour ce qui est d'assurer la cohérence sous-jacente des ordonnances rendues par les cours d'appel sous le régime procédural du Code criminel. Un accusé ou le ministère public doit pouvoir demander indépendamment l'autorisation de se pourvoir relativement à la légalité d'une ordonnance fondée sur le par. 686(8), comme s'il s'agissait d'un « jugement, définitif ou autre, rendu [. . .] par le plus haut tribunal de dernier ressort [. . .] dans une province », en vertu de la compétence générale conférée à notre Cour par le par. 40(1) de la Loi sur la Cour suprême.

Par conséquent, le requérant peut demander l'autorisation de se pourvoir relativement à la légalité de l'arrêt des procédures pour cause d'abus de procédure, ordonné par la Cour d'appel, en dépit du fait que celle-ci a accueilli son appel initial et annulé sa déclaration de culpabilité. Étant donné que la demande de réexamen soulève une question de droit véritable et sérieuse d'une importance pour le public suffisante pour justifier un examen par notre Cour, il y a lieu de l'accueillir et d'accorder l'autorisation de pourvoi. Il n'est pas nécessaire de commenter davantage la légalité et la constitutionnalité de l'arrêt des procédures. Conformément à la pratique établie de la Cour, qui consiste à refuser d'expliquer les raisons d'accorder ou de refuser une autorisation de pourvoi, il y a lieu de reporter toute analyse éventuelle des questions de fond soulevées en l'espèce, jusqu'à ce que la Cour ait été saisie de la question du bien-fondé du pourvoi.

[76]        Environ un an plus tard, dans un court arrêt rendu séance tenante au mois de janvier 1997, la Cour suprême décide de substituer un verdict d'acquittement à l'ordonnance d'arrêt des procédures[6] :

Le 21 janvier 1997                                                       January 21, 1997

JUGEMENT                                                                 JUDGMENT

RÉJEAN HINSE - c. - SA MAJESTÉ LA REINE (Crim.)(Qué.)(24320)

CORAM :         Le Juge en chef et les juges La Forest, Sopinka

                        Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci

LE JUGE EN CHEF (oralement pour la Cour) :

Il n’est pas nécessaire de vous entendre Me Sauvé. La Cour est prête à rendre jugement séance tenante et j’invite notre collègue, Monsieur le juge Gonthier, à prononcer le jugement de la Cour.

LE JUGE GONTHIER :

L’appelant se pourvoit contre une ordonnance d’arrêt de procédures rendue par la Cour d’appel proprio motu sans que demande lui en soit faite, notamment par l’appelant, l’appelant étant ainsi privé de la possibilité d’obtenir un acquittement, sinon de la part de la Cour d’appel, du moins par un jury de ses pairs.

Dans les circonstances, étant d’avis que la preuve ne pourrait permettre à un jury raisonnable correctement instruit de conclure hors de tout doute raisonnable à la culpabilité de l’appelant, nous sommes tous d’avis que le remède approprié est l’acquittement.

En conséquence, le pourvoi est accueilli, l’ordonnance d’arrêt de procédures est annulée et l’acquittement de l’appelant est prononcé.

[77]        Dès le mois de juin suivant, M. Hinse intente son action contre la Ville de Mont-Laurier et les procureurs généraux du Québec et du Canada.

[78]        Au procureur général du Canada, il reproche notamment ce qui suit :

318.       En effet, de 1966 à 1991, le demandeur a été ballotté du Ministère de la Justice du Québec au Ministère de la Justice du Canada, et vice versa, sans qu’aucune de ces instances ne s’arrête un seul instant au contenu éloquent de son dossier;

319.       Pourtant, tel qu’il appert de ce qui précède, ce dossier contenait toutes les indications de l’innocence du demandeur et, notamment, des affidavits de la part des véritables auteurs du vol commis à Mont-Laurier le 14 décembre 1961 ayant pour effet d’innocenter hors de tout doute le demandeur;

320.       Les faits relatés ci-dessus révèlent une indifférence institutionnelle inqualifiable constituant en soi une faute lourde équivalant à fraude engageant la responsabilité des codéfendeurs, le procureur général du Québec et le procureur général du Canada à l’égard du demandeur; 

321.       En outre, le refus systématique répété et obstiné du Ministère de la Justice du Canada d’intervenir dans le dossier du demandeur afin qu’il obtienne justice et ce, malgré l’évidence de son innocence à la face même du dossier, constitue d’abondant une indifférence institutionnelle qui engage la responsabilité du codéfendeur, le procureur général du Canada, à l’égard du demandeur, cette indifférence institutionnelle chronique et récurrente constituant une faute lourde équivalent à fraude, en elle-même;

[79]        En marge de l'institution des procédures, M. Hinse n'en continue pas moins de réclamer une réparation publique sous la forme de la tenue d'une Commission royale d'enquête. Cette demande essuiera de nombreux refus.

[80]        Le 15 novembre 2002, M. Hinse conclut un règlement hors cour avec la Ville de Mont-Laurier en vertu duquel la Ville s'engage à lui verser 250 000 $.

[81]        Huit ans plus tard, le 2 décembre 2010, il conclut une autre transaction, cette fois avec le procureur général du Québec. Celui-ci lui verse une indemnité de 4 500 000 $.

[82]        À la suite de cette dernière transaction conclue avec le procureur général du Québec, M. Hinse modifie les conclusions de son action. Ce sont celles sur lesquelles la Cour supérieure a rendu jugement. En voici la facture :

1-            ACCUEILLIR la présente déclaration ré-ré-ré-amendée à l’encontre du procureur général du Canada;

2-            DÉCLARER que :

a)    le demandeur a été victime d’erreurs judiciaires et qu’il n’aurait jamais dû être accusé, condamné ni incarcéré pour le vol à main armée survenu à Mont-Laurier le 14 décembre 1961 dans le dossier portant le numéro de cour CSP 6345;

b)    le procureur général du Canada a contribué à perpétuer et a exacerbé les préjudices découlant de ces erreurs judiciaires subies par le demandeur;

c)    le procureur général du Canada a commis des fautes contributoires systémiques en omettant d’agir pour reconnaître et corriger ces erreurs judiciaires;

d)    la conduite du procureur général du Canada atteste d’une incurie, d’une insouciance et d’un déni total répréhensibles qui doivent être dénoncés et condamnés pour l’octroi de dommages exemplaires;

3-            CONDAMNER le procureur général du Canada à payer au demandeur la somme de 1 079 871 $ à titre de dommages pécuniaires quant à la part qui lui revient du reliquat des montants suivants :

a)    127 214 $ à titre de préjudice financier pour les cinq (5) premières années de la période de retrait du demandeur, soit de 1997 à 2002;

b)    418 303,31 $ à titre d’honoraires et dépens judiciaires engagés dans le cadre du dossier criminel et de la réclamation au civil du demandeur (Pièce P-157), avec intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec depuis le 6 juin 1997;

c)    500 000 $, à titre de frais d’enquête, perte de temps, efforts, photocopies, transcriptions, voyagement, timbres et autres découlant de plus de 30 années de démarches, le tout avec intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec depuis le 6 juin 1997;

d)    3 720 $, à titre de frais de psychothérapie auprès du psychologue clinicien Charles Roy (Pièce P-181 b)), le tout avec intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec depuis le 6 juin 1997;

e)    30 634,73 $, à titre de débours extra-judiciaires (Pièce P-184), le tout avec intérêts et indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à partir du :

i.    22 septembre 2008 quant à la somme de 2 690,49 $;

ii.    23 avril 2009 quant à la somme de 9 501,34 $;

iii.   25 novembre 2010 quant à la somme de 18 442,90 $.

4-            CONDAMNER le procureur général du Canada à payer au demandeur la somme de 1 900 000 $ à titre de dommages non-pécuniaires (moraux), le tout avec intérêts et indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec depuis le 6 juin 1997, découlant notamment de :

a)    Degré d’atteinte permanent au niveau psychiatrique de 15 %;

b)    Diverses périodes d’invalidité totale en raison de la sévérité de la symptomatologie présentée sur le plan psychiatrique;

c)    L’atteinte à sa réputation suite au stigma découlant du fardeau de posséder un dossier criminel pour un crime grave;

d)    L’atteinte à sa dignité;

e)    Douleurs et souffrances psychologiques continuelles et aggravées, découlant de l’atteinte à sa sécurité psychologique suite à l’indifférence institutionnelle à laquelle le demandeur s’est buté depuis au moins 1966;

5-            CONDAMNER le procureur général du Canada à payer au demandeur la somme de 10 millions (10 000 000 $) de dollars à titre de dommages exemplaires, dont 1 million (1 000 000 $) de dollars à être versés à Pro Bono Québec, 1 million (1 000 000 $) de dollars à être versés à AIDWYC, et/ou à tout autre organisme à être identifié par le demandeur Réjean Hinse;

6-            ORDONNER l’exécution provisoire, nonobstant appel du présent jugement à intervenir;

7-            LE TOUT avec les entiers dépens incluant les frais d’expertise, en plus des frais et honoraires extrajudiciaires sur une base d’avocat-client, vu les circonstances.

[83]        Le 27 avril 2011, la juge de première instance accorde à M. Hinse 5 795 229,61 $.

Le jugement dont appel

[84]        Après avoir résumé le contexte et les démarches entreprises par M. Hinse relativement à l'erreur judiciaire qu'il a subie, la juge de première instance explique que, en raison des transactions acceptées par ce dernier, le procureur général du Canada ne peut être tenu responsable que « de la part du préjudice qu'il lui aurait causé », conformément à l'article 1690 C.c.Q.

[85]        Examinant la question de savoir si le gouvernement fédéral a commis une faute en rejetant les quatre demandes de révision et la demande de pardon absolu présentées par M. Hinse, la juge rejette l'argument du procureur général du Canada selon lequel il aurait d'abord été nécessaire de contester la validité des décisions administratives devant la Cour fédérale. Elle souligne qu'une telle approche a été mise de côté par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc.[7] et Agence canadienne d'inspection des aliments c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada[8]. Elle conclut que « la conduite du gouvernement fédéral est empreinte d'indifférence institutionnelle », laquelle aurait continué même après l'acquittement, comme en témoigneraient le refus de l'indemniser conformément aux Lignes directrices d’indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées à tort et la contestation de sa réclamation. Pour elle, bien que les pouvoirs de révision et de pardon soient de nature discrétionnaire, la Couronne ne bénéficierait pas d'une immunité relative lorsqu'elle les exerce. Cette indifférence institutionnelle se serait traduite ainsi :

[63]            Le Tribunal est en conséquence d'opinion qu'Hinse ne s'attaque pas à la politique sur laquelle les décisions se fondent mais bien sur leur actualisation.  À partir d'une brève relecture des faits, relevons, à titre d'exemples, quelques-unes des caractéristiques qui se dégagent de l'attitude qu'a adoptée à son endroit le gouvernement fédéral qui :

-           laisse s'écouler plus d'un an et demi et attend la troisième lettre de Hinse, ou de son épouse, avant de répondre à sa première demande de révision;

-           sème la confusion quant aux directives qu'il leur donne;

-           l’induit en erreur en le référant à plusieurs reprises aux autorités provinciales;

-           lui fait consciemment perdre un temps précieux;

-           lui demande de façon répétitive de raconter son histoire;

-           transmet à des tiers, étrangers à son dossier, des documents qu'Hinse lui envoie.

[Renvois omis.]

[86]        Pour l'essentiel, la juge reproche aux différents ministres de la Justice s'étant succédé de ne pas avoir examiné sérieusement les demandes de révision de M. Hinse, commettant une faute d'omission. Elle se réfère à la procédure maintenant en vigueur quant au traitement de telles demandes.

[87]        La juge estime ambigüe la position du procureur général du Canada, qui affirme, d'une part, ne pas remettre en question l'innocence de M. Hinse et, d'autre part, ne pas avoir de preuve hors de tout doute raisonnable de cette innocence. Elle adhère à la thèse de l'innocence et à celle de l'erreur judiciaire :

[65]            Or, au Canada, aucun mécanisme ne permet d'obtenir de déclaration d'innocence, les deux seuls verdicts possibles étant « coupable » ou « non coupable ».  Aussi, d'exiger qu'Hinse fasse la démonstration qu'il est innocent équivaudrait-il à l'astreindre à prouver l'impossible.  Au niveau du fardeau civil et vu la déclaration qu'a faite le PGC au début de l'audience, soit qu'il n'a pas commis le vol à main armée et qu'il est la victime d'une erreur judiciaire, le Tribunal est d'opinion qu'Hinse a établi son innocence selon la balance des probabilités, preuve que ce dernier n'a d'ailleurs pas tenté de renverser.

[Renvois omis.]

[88]        Forte de cette conclusion, la juge semble reprocher au procureur général du Canada de ne pas avoir offert une compensation financière à M. Hinse comme ce fut le cas à la suite de l'affaire Truscott[9].

[89]        Abordant la question de la prescription, la juge conclut que l'acquittement constituait un passage obligé auquel le droit d'action était assujetti.

[90]        Abordant les questions relatives à l'indemnité, la juge estime que M. Hinse aurait pu jouir d'un acquittement vers 1976, n'eût été l'« incurie » du gouvernement fédéral. Il s'agit d'un délai d'environ 9 ans depuis sa première demande de révision auprès du ministre de la Justice du Canada, un intervalle analogue à celui écoulé entre sa plainte auprès de la Commission de police du Québec et son acquittement par la Cour suprême du Canada.

[91]        Au chapitre des dommages pécuniaires, la juge note que M. Hinse a choisi de prendre sa retraite à l'âge de 60 ans plutôt qu'à celui de 65 ans, afin de consacrer l'essentiel de son temps à sa réclamation civile. Elle accepte l'opinion des experts en demande qui évaluent les pertes de revenus à 127 214 $, incluant l'intérêt et l'indemnité additionnelle. De même, elle estime que M. Hinse a droit au remboursement des honoraires et débours engagés devant la Cour d'appel et devant la Cour suprême, soit 193 660,88 $.

[92]        M. Hinse se voit également indemnisé pour les frais engagés afin de faire établir son innocence (frais d'enquête, perte de temps, efforts, photocopies, transcriptions, déplacements, timbres, etc.), une somme de 500 000 $ paraissant justifiée aux yeux de la juge. S'y ajoutent 3 720 $ de frais de psychothérapie et 30 634,73 $ de débours extrajudiciaires.

[93]        Sur le plan des dommages non pécuniaires, la juge est d'avis que le plafond n'est pas applicable, puisque les dommages ne découlent pas d'un préjudice corporel. Elle résume les témoignages et les rapports préparés par Lionel Béliveau, psychiatre mandaté par M. Hinse, Gilles Chamberland, psychiatre mandaté par le procureur général du Canada, et Charles Roy, le psychologue traitant de M. Hinse. Elle rejette l'approche de l'expert Chamberland, estimant que certaines affirmations exagérées dénotent un manque d'objectivité. Elle retient plutôt l'explication avancée par l'expert Béliveau, à laquelle adhère également l'expert Roy. Elle s'exprime ainsi :

[149]        Non seulement l'erreur judiciaire a-t-elle marqué Hinse mais, pis encore, l'indifférence institutionnelle lui a fait, par la suite, « perdre sa vie, sa qualité de vie, la direction de sa vie ». Même s'il se sait innocent, après sa sortie du pénitencier, la société l'affuble encore de l'intolérable qualificatif que constitue le mot criminel.  Il « est encore en prison dans sa tête ». Il est en quête de sa liberté et de sa dignité. Hinse est un homme fracassé, brisé en morceaux, fragmenté, en charpie, secoué, abattu et détruit : son esprit est éparpillé.

[94]        Après avoir souligné la difficulté de transposer en termes monétaires le préjudice subi par M. Hinse et examiné les indemnités accordées à d'autres victimes d'erreurs judiciaires, la juge conclut « que le montant de 1 900 000 $ auquel Hinse affirme avoir droit à titre de dommages non pécuniaires n'est pas exagéré ».

[95]        De l'avis de la juge, l'indifférence institutionnelle du gouvernement fédéral à l'endroit de M. Hinse constitue une atteinte intentionnelle à son « droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation », un droit garanti par l'article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne[10]. Elle souligne à ce chapitre que cette indifférence s'est perpétuée lors du procès par le refus de verser une indemnité, même après que le procureur général du Canada eut reconnu l'existence d'une erreur judiciaire. Pour elle, les autorités fédérales ne pouvaient « ignorer l'impact que leur comportement aurait sur lui ». Il s'agirait d'une faute intentionnelle, dans la mesure où l'intention doit se rattacher aux conséquences de la faute plutôt qu'à la faute elle-même. Elle ajoute que de tels dommages exemplaires pourraient également être accordés en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[11] quant aux fautes survenues après 1982. La juge condamne donc le procureur général du Canada à verser à M. Hinse 2 500 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.

[96]        Sur la question des honoraires extrajudiciaires, la juge est d'avis que le procureur général du Canada a abusé de son droit d'ester en justice pour les raisons qu'elle expose aux paragraphes 225 et 226 de son jugement :

[225]    En analysant la conduite du PGC pendant le procès, le Tribunal peut-il conclure qu'il a abusé de son droit d'ester en justice?  A-t-il, à titre d'exemples, indûment prolongé le débat, l'a-t-il compliqué plus qu'il n'était requis de le faire, a-t-il adopté une attitude d'obstruction systématique ou s'est-il enfermé dans sa malice pour poursuivre inutilement le litige? Le Tribunal est d'opinion que oui.  Voici pourquoi.

[226]    Le PGC a notamment adopté une attitude de déni total depuis le début des procédures judiciaires en justice en ce qu'il :

-           a insisté pour qu'Hinse fasse la preuve dans les moindres détails d'éléments qu'il aurait facilement pu reconnaître, le refus d'admettre le décès de certains témoins en étant l'une des meilleures illustrations;

-           a refusé de lui fournir certains documents;

-           lui a reproché de ne pas avoir convoqué devant le Tribunal les décideurs qui ont joué un rôle dans son dossier afin qu'ils expliquent les raisons qui justifieraient les conclusions auxquelles ils en sont arrivés, alors que la preuve, présentée par présomption de faits, mettait abondamment en exergue ce propos;

-           a répété que c'est à ce dernier qu'il appartient de remplir son fardeau de preuve sans formuler quelqu'admission que ce soit peu en importe la teneur;

-           a épousé sans distinction la thèse que ses experts ont présentée.  À ce titre, il se range du côté de ces derniers sans prendre ses distances quand il aurait été plus qu'adéquat de le faire, et plus spécifiquement :

            -           lorsque l'expert Chamberland, psychiatre :

    affirme, lors de son témoignage, que d'avoir été incarcéré injustement pendant cinq ans s'était avéré bénéfique pour Hinse qui y aurait acquis structure et culture!

    le surprend à un point tel qu'il reconnaît dans sa plaidoirie qu'à sa première lecture du rapport « il est tombé en bas de sa chaise »;

●    commet des erreurs de fait importantes, notamment en situant avant le vol dont Hinse a été accusé des événements qui lui sont postérieurs;

-           lorsque l'expert Allard, comptable agréé :

●    fait valoir, autant dans son rapport que lors de son témoignage, qu'en raison de ses cinq années d'incarcération, Hinse avait fait des économies (logement, nourriture, etc.) : aussi, pour les fins de l'établissement des dommages pécuniaires, faudrait-il, selon lui, réduire de plus de 50% les revenus qu'Hinse a perdus pendant cette période;

●    tente de convaincre le Tribunal que, pour établir la perte de revenus de Hinse, il doit retenir un taux d'assurance-emploi de 22% alors que la preuve a plutôt démontré que c'est le taux de 7% qui, par secteur de spécialisation, rejoint l'analyse de l'activité économique à l'époque.  Travailleur acharné, Hinse n'a d'ailleurs jamais hésité à se déplacer hors de sa région, voire même à l'extérieur du pays, pour occuper un emploi rémunérateur;

-           n'a reconnu que le 2 novembre 2010, soit au premier jour du procès, qu'Hinse a été victime d'une erreur judiciaire, ce qui, de façon tout à fait déraisonnable, a forcé ce dernier à inutilement et dans les moindres détails préparer sa preuve en conséquence;

-           a refusé que soient déposés au dossier le rapport du commissaire-enquêteur de la CPQ de même que le Mémoire que rédige par la suite cette dernière, exigeant ainsi qu'Hinse évacue cet obstacle.  Il déclarera toutefois, lorsqu'il sera temps de présenter ses arguments quant à cette question, qu'il s'en remet à la décision du Tribunal;

-           a prétendu que les témoins, de qui origine la « preuve nouvelle » qu'il a présentée devant la Cour d'appel et qui a conduit à l'arrêt des procédures en juin 1994, devraient être entendus dans le cadre de la présente instance.

[Renvois omis.]

[97]        Selon la juge, cette inflexibilité du procureur général du Canada a alourdi indûment le déroulement de l'instance et la présentation de la preuve. La juge le condamne donc à rembourser à M. Hinse 100 000 $ pour les honoraires extrajudiciaires payés à ses anciens avocats dans le cadre de ce litige. Quant aux honoraires extrajudiciaires de ses avocats actuels, la question est plus délicate : ils le représentent en vertu d'une entente pro bono. La juge estime néanmoins « que, comme il serait injuste d'accorder à une personne fautive le bénéfice d'une convention intervenue dans le but de prêter main-forte à une victime, [elle] ne peut pas libérer le procureur général du Canada des coûts que la procédure a engendrés en raison du consensus auquel Hinse et ses procureurs en sont arrivés à ce sujet ». Elle le condamne donc à verser à M. Hinse 440 000 $ relativement à ces honoraires extrajudiciaires et donne acte de l'engagement de ce dernier à les verser à ses avocats.

[98]        Enfin, la juge ordonne l'exécution provisoire nonobstant appel du jugement, exécution provisoire à laquelle M. Hinse a renoncé dans le cadre de l'appel. Elle refuse cependant de prononcer des conclusions déclaratoires afin de préciser que ce dernier a été victime d'une erreur judiciaire, ajoutant que celles-ci « apparaissent en filigrane tout au long du jugement »[12].

Analyse

[99]        L'appelant fonde son pourvoi sur des moyens dont voici l'essentiel :

-           L'exercice par le ministre de la Justice du Canada des pouvoirs que lui conféraient, jusqu'en 2002, les dispositions du Code criminel en matière de clémence est un acte de puissance publique qui n'est susceptible d'engager la responsabilité civile de l'État qu'en cas de mauvaise foi.

-           En l'espèce, la preuve ne révèle pas que les différents ministres ayant statué sur les demandes de clémence de M. Hinse ont agi de mauvaise foi, dans l'intention de nuire ou d'une manière telle que l'on ne peut conclure à bonne foi; elle ne révèle pas même l'existence d'une faute ordinaire.

-           À supposer qu'il y ait eu faute de nature à engager la responsabilité de l'État, les dommages attribués par la juge de première instance sont sans rapport avec cette faute et se trouvent à offrir une compensation qui n'a pas de lien avec le préjudice qui aurait été causé à M. Hinse en raison du refus de ses demandes de clémence; ils sont de surcroît excessifs et font double emploi avec les sommes que le gouvernement du Québec et la Ville de Mont-Laurier lui ont déjà versées.

-           La Cour supérieure ne pouvait condamner l'appelant au paiement de dommages exemplaires en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, celle-ci n'étant pas applicable à l'État fédéral et les conditions de son article 49 n'étant de toute façon pas remplies ici.

-           La Cour supérieure a erré en condamnant l'appelant au versement d'honoraires extrajudiciaires alors que les conditions préalables à une telle condamnation ne sont pas satisfaites : l'appelant n'a pas abusé de ses droits ni de la procédure, M. Hinse ayant de surcroît été représenté pro bono dans le cadre de l'instance.

Conditions de la responsabilité civile de l'État pour l'exercice ou le non-exercice fautif de la prérogative de clémence

[100]     Il n'est pas inutile de rappeler d'abord le texte des dispositions législatives qui ont, au cours des années, conféré au ministre de la Justice du Canada les pouvoirs dont l'exercice - ou le non-exercice - donne lieu à l'action intentée par M. Hinse à l'État fédéral. Les voici, qui régissent ce qu'on appelait alors une « demande de clémence de la Couronne » :

Art. 596 C.cr. (S.C. 1953-54, c. 51, art. 596)

596.     Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de procédures sur un acte d'accusation, le ministre de la Justice peut

a) prescrire, au moyen d'une ordonnance écrite, un nouveau procès devant une cour qu'il juge appropriée, si après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès devrait être prescrit;

b) à toute époque, déférer la cause à la cour d'appel pour audition et décision par cette cour comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par la personne condamnée; ou

c) à toute époque, soumettre à la cour d'appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire l'assistance de cette cour, et la cour doit donner son opinion en conséquence.

596.     The Minister of Justice may, upon an application for the mercy of the Crown by or on behalf of a person who has been convicted in proceedings by indictment,

(a) direct, by order in writing, a new trial before any court that he thinks proper, if after inquiry he is satisfied that in the circumstances a new trial should be directed;

(b) refer the matter at any time to the court of appeal for hearing and determination by that court as if it were an appeal by the convicted person; or

(c) refer to the court of appeal at any time, for its opinion, any question upon which he desires the assistance of that court, and the court shall furnish its opinion accordingly.

Art. 596 C.cr. (S.C. 1968-69, c. 38, art. 62)

596.     Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de procédures sur un acte d'accusation ou qui a été condamnée à la détention préventive en vertu de la Partie XXI, le ministre de la Justice peut

a) prescrire, au moyen d'une ordonnance écrite, un nouveau procès ou, dans le cas d'une personne condamnée à la détention préventive, une nouvelle audition devant toute cour qu'il juge appropriée si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès ou une nouvelle audition, selon le cas, devraient être prescrits;

b) à toute époque, renvoyer la cause devant la cour d'appel pour audition et décision par cette cour comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne condamnée à la détention préventive, selon le cas; ou

c) à toute époque, renvoyer devant la cour d'appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire l'assistance de cette cour, et la cour doit donner son opinion en conséquence.

596.     The Minister of Justice may, upon an application for the mercy of the Crown by or on behalf of a person who has been convicted in proceedings by indictment or who has been sentenced to preventive detention under Part XXI,

(a) direct, by order in writing, a new trial or, in the case of a person under sentence of preventive detention, a new hearing, before any court that he thinks proper, if after inquiry he is satisfied that in the circumstances a new trial or hearing, as the case may be, should be directed;

(b) refer the matter at any time to the court of appeal for hearing and determination by that court as if it were an appeal by the convicted person or the person under sentence of preventive detention, as the case may be; or

(c) refer to the court of appeal at any time, for its opinion, any question upon which he desires the assistance of that court, and the court shall furnish its opinion accordingly.

Art. 617 C.cr. (S.R.C. 1970, c. C-34, art. 617)

617.     Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de procédures sur un acte d'accusation ou qui a été condamnée à la détention préventive en vertu de la Partie XXI, le ministre de la Justice peut

a) prescrire, au moyen d'une ordonnance écrite, un nouveau procès ou, dans le cas d'une personne condamnée à la détention préventive, une nouvelle audition devant toute cour qu'il juge appropriée si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès ou une nouvelle audition, selon le cas, devraient être prescrits;

b) à toute époque, renvoyer la cause devant la cour d'appel pour audition et décision par cette cour comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne condamnée à la détention préventive, selon le cas; ou

c) à toute époque, renvoyer devant la cour d'appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire l'assistance de cette cour, et la cour doit donner son opinion en conséquence.

617.     The Minister of Justice may, upon an application for the mercy of the Crown by or on behalf of a person who has been convicted in proceedings by indictment or who has been sentenced to preventive detention under Part XXI,

(a) direct, by order in writing, a new trial or, in the case of a person under sentence of preventive detention, a new hearing, before any court that he thinks proper, if after inquiry he is satisfied that in the circumstances a new trial or hearing, as the case may be, should be directed;

(b) refer the matter at any time to the court of appeal for hearing and determination by that court as if it were an appeal by the convicted person or the person under sentence of preventive detention, as the case may be; or

(c) refer to the court of appeal at any time, for its opinion, any question upon which he desires the assistance of that court, and the court shall furnish its opinion accordingly.

Art. 690 C.cr. (S.R.C. 1985, c. C-46, art. 690)

690.     Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de procédures sur un acte d'accusation ou qui a été condamnée à la détention préventive en vertu de la Partie XXIV, le ministre de la Justice peut

a) prescrire, au moyen d'une ordonnance écrite, un nouveau procès ou, dans le cas d'une personne condamnée à la détention préventive, une nouvelle audition devant tout tribunal qu'il juge approprié si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès ou une nouvelle audition, selon le cas, devrait être prescrit;

b) à tout moment, renvoyer la cause devant la cour d'appel pour audition et décision par cette cour comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne condamnée à la détention préventive, selon le cas;

c) à tout moment, renvoyer devant la cour d'appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire l'assistance de cette cour, et la cour d'appel donne son opinion en conséquence.

690.     The Minister of Justice may, on an application for the mercy of the Crown by or on behalf of a person who has been convicted in proceedings by indictment or who has been sentenced to preventive detention under Part XXIV,

(a) direct, by order in writing, a new trial or, in the case of a person under sentence of preventive detention, a new hearing, before any court that he thinks proper, if after inquiry he is satisfied that in the circumstances a new trial or hearing, as the case may be, should be directed;

(b) refer the matter at any time to the court of appeal for hearing and determination by that court as if it were an appeal by the convicted person or the person under sentence of preventive detention, as the case may be; or

(c) refer to the court of appeal at any time, for its opinion, any question upon which he desires the assistance of that court, and the court shall furnish its opinion accordingly.

[101]     Depuis 2002, postérieurement donc à l'acquittement de M. Hinse par la Cour suprême et à l'introduction de son action, ce régime a été remplacé par ce que l'on appelle aujourd'hui non plus une demande de clémence, mais une demande de révision auprès du ministre[13], désormais régie par les articles 696.1 à 696.6 C.cr.  :

696.1 (1) Une demande de révision auprès du ministre au motif qu'une erreur judiciaire aurait été commise peut être présentée au ministre de la Justice par ou pour une personne qui a été condamnée pour une infraction à une loi fédérale ou à ses règlements ou qui a été déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en application de la partie XXIV, si toutes les voies de recours relativement à la condamnation ou à la déclaration ont été épuisées.

(2)        La demande est présentée en la forme réglementaire, comporte les renseignements réglementaires et est accompagnée des documents prévus par règlement.

696.1 (1) An application for ministerial review on the grounds of miscarriage of justice may be made to the Minister of Justice by or on behalf of a person who has been convicted of an offence under an Act of Parliament or a regulation made under an Act of Parliament or has been found to be a dangerous offender or a long-term offender under Part XXIV and whose rights of judicial review or appeal with respect to the conviction or finding have been exhausted.

(2)        The application must be in the form, contain the information and be accompanied by any documents prescribed by the regulations.

696.2 (1) Sur réception d'une demande présentée sous le régime de la présente partie, le ministre de la Justice l'examine conformément aux règlements.

(2)        Dans le cadre d'une enquête relative à une demande présentée sous le régime de la présente partie, le ministre de la Justice possède tous les pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes et ceux qui peuvent lui être accordés en vertu de l'article 11 de cette loi.

(3)        Malgré le paragraphe 11(3) de la Loi sur les enquêtes, le ministre de la Justice peut déléguer par écrit à tout membre en règle du barreau d'une province, juge à la retraite ou tout autre individu qui, de l'avis du ministre, possède une formation ou une expérience similaires ses pouvoirs en ce qui touche le recueil de témoignages, la délivrance des assignations, la contrainte à comparution et à déposition et, de façon générale, la conduite de l'enquête visée au paragraphe (2).

696.2 (1) On receipt of an application under this Part, the Minister of Justice shall review it in accordance with the regulations.

(2)        For the purpose of any investigation in relation to an application under this Part, the Minister of Justice has and may exercise the powers of a commissioner under Part I of the Inquiries Act and the powers that may be conferred on a commissioner under section 11 of that Act.

(3)        Despite subsection 11(3) of the Inquiries Act, the Minister of Justice may delegate in writing to any member in good standing of the bar of a province, retired judge or any other individual who, in the opinion of the Minister, has similar background or experience the powers of the Minister to take evidence, issue subpoenas, enforce the attendance of witnesses, compel them to give evidence and otherwise conduct an investigation under subsection (2).

696.3 (1) Dans le présent article, « cour d'appel » s'entend de la cour d'appel, au sens de l'article 2, de la province où a été instruite l'affaire pour laquelle une demande est présentée sous le régime de la présente partie.

(2)        Le ministre de la Justice peut, à tout moment, renvoyer devant la cour d'appel, pour connaître son opinion, toute question à l'égard d'une demande présentée sous le régime de la présente partie sur laquelle il désire son assistance, et la cour d'appel donne son opinion en conséquence.

(3)        Le ministre de la Justice, peut, à l'égard d'une demande présentée sous le régime de la présente partie :

a) s'il est convaincu qu'il y a des motifs raisonnables de conclure qu'une erreur judiciaire s'est probablement produite :

(i) prescrire au moyen d'une ordonnance écrite, un nouveau procès devant tout tribunal qu'il juge approprié ou, dans le cas d'une personne déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en vertu de la partie XXIV, une nouvelle audition en vertu de cette partie.

(ii) à tout moment, renvoyer la cause devant la cour d'appel pour audition et décision comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en vertu de la partie XXIV, selon le cas;

b) rejeter la demande.

(4)        La décision du ministre de la Justice prise en vertu du paragraphe (3) est sans appel.

696.3 (1) (1) In this section, “the court of appeal” means the court of appeal, as defined by the definition “court of appeal” in section 2, for the province in which the person to whom an application under this Part relates was tried.

(2)        The Minister of Justice may, at any time, refer to the court of appeal, for its opinion, any question in relation to an application under this Part on which the Minister desires the assistance of that court, and the court shall furnish its opinion accordingly.

(3)        On an application under this Part, the Minister of Justice may

(a) if the Minister is satisfied that there is a reasonable basis to conclude that a miscarriage of justice likely occurred,

(i) direct, by order in writing, a new trial before any court that the Minister thinks proper or, in the case of a person found to be a dangerous offender or a long-term offender under Part XXIV, a new hearing under that Part, or

(ii) refer the matter at any time to the court of appeal for hearing and determination by that court as if it were an appeal by the convicted person or the person found to be a dangerous offender or a long-term offender under Part XXIV, as the case may be; or

(b) dismiss the application.

(4)        A decision of the Minister of Justice made under subsection (3) is final and is not subject to appeal.

696.4 (1) Lorsqu'il rend sa décision en vertu du paragraphe 696.3(3), le ministre de la Justice prend en compte tous les éléments qu'il estime se rapporter à la demande, notamment :

a) la question de savoir si la demande repose sur de nouvelles questions importantes qui n'ont pas été étudiées par les tribunaux ou prises en considération par le ministre dans une demande précédente concernant la même condamnation ou la déclaration en vertu de la partie XXIV;

b) la pertinence et la fiabilité des renseignements présentés relativement à la demande;

c) le fait que la demande présentée sous le régime de la présente partie ne doit pas tenir lieu d'appel ultérieur et les mesures de redressement prévues sont des recours extraordinaires.

696.4 (1) In making a decision under subsection 696.3(3), the Minister of Justice shall take into account all matters that the Minister considers relevant, including

(a) whether the application is supported by new matters of significance that were not considered by the courts or previously considered by the Minister in an application in relation to the same conviction or finding under Part XXIV;

(b) the relevance and reliability of information that is presented in connection with the application; and

(c) the fact that an application under this Part is not intended to serve as a further appeal and any remedy available on such an application is an extraordinary remedy.

696.5   Dans les six mois suivant la fin de chaque exercice, le ministre de la Justice présente au Parlement un rapport sur les demandes présentées sous le régime de la présente partie.

696.5 The Minister of Justice shall within six months after the end of each financial year submit an annual report to Parliament in relation to applications under this Part.

696.6   Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :

a) concernant la forme et le contenu de la demande présentée en vertu de la présente partie et les documents qui doivent l'accompagner;

b) décrivant le processus d'instruction d'une demande présentée sous le régime de la présente partie, notamment les étapes suivantes : l'évaluation préliminaire, l'enquête, le sommaire d'enquête et la décision;

c) concernant la forme et le contenu du rapport annuel visé à l'article 696.5.

696.6   The Governor in Council may make regulations

(a) prescribing the form of, the information required to be contained in and any documents that must accompany an application under this Part;

(b) prescribing the process of review in relation to applications under this Part, which may include the following stages, namely, preliminary assessment, investigation, reporting on investigation and decision; and

(c) respecting the form and content of the annual report under section 696.5.

[102]     M. Hinse s'étant adressé également au gouverneur en conseil (et même à la Reine, directement), il convient de rappeler les dispositions suivantes du Code criminel, en vigueur durant la période pertinente :

Art. 655 et 658 C.cr. (S.C. 1953-54, c. 51, art. 655 et 658)

655. (1) Sa Majesté peut accorder la clémence royale à une personne condamnée à l'emprisonnement sous l'autorité d'une loi du Parlement du Canada, même si cette personne est emprisonnée pour omission de payer des deniers à une autre personne.

(2)        Le gouverneur en conseil peut accorder un pardon absolu ou un pardon conditionnel à toute personne déclarée coupable d'une infraction.

(3)        Lorsque le gouverneur en conseil accorde un pardon absolu à une personne, celle-ci est par la suite réputée n'avoir jamais commis l'infraction à l'égard de laquelle le pardon est accordé.

(4)        Aucun pardon absolu ou conditionnel n'empêche ni ne mitige la punition à laquelle la personne en cause pourrait autrement être légalement condamnée sur une déclaration de culpabilité autre que celle concernant laquelle le pardon a été accordé.

655. (1) Her Majesty may extend the royal mercy to a person who is sentenced to imprisonment under the authority of an Act of the Parliament of Canada, even if the person is imprisoned for failure to pay money to another person.

(2)        The Governor in Council may grant a free pardon or a conditional pardon to any person who has been convicted of an offence.

(3)        Where the Governor in Council grants a free pardon to a person, that person shall be deemed thereafter never to have committed the offence in respect of which the pardon is granted.

(4)        No free pardon or conditional pardon prevents or mitigates the punishment to which the person might otherwise be lawfully sentenced on a subsequent conviction for an offence other than that for which the pardon was granted.

658.     Rien dans la présente loi ne limite ni n'atteint, de quelque manière, la prérogative royale de clémence que possède Sa Majesté.

658.     Nothing in this Act in any manner limits or affects Her Majesty's royal prerogative of mercy.

Art. 683 et 686 C.cr. (S.R.C. 1970, c. C-34, art. 683 et 686)

683. (1) Sa Majesté peut accorder la clémence royale à une personne condamnée à l'emprisonnement sous l'autorité d'une loi du Parlement du Canada, même si cette personne est emprisonnée pour omission de payer des deniers à une autre personne.

(2)        Le gouverneur en conseil peut accorder un pardon absolu ou un pardon conditionnel à toute personne déclarée coupable d'une infraction.

(3)        Lorsque le gouverneur en conseil accorde un pardon absolu à une personne, celle-ci est par la suite réputée n'avoir jamais commis l'infraction à l'égard de laquelle le pardon est accordé.

(4)        Aucun pardon absolu ou conditionnel n'empêche ni ne mitige la punition à laquelle la personne en cause pourrait autrement être légalement condamnée sur une déclaration de culpabilité subséquente pour une infraction autre que celle concernant laquelle le pardon a été accordé.

683. (1) Her Majesty may extend the royal mercy to a person who is sentenced to imprisonment under the authority of an Act of the Parliament of Canada, even if the person is imprisoned for failure to pay money to another person.

(2)        The Governor in Council may grant a free pardon or a conditional pardon to any person who has been convicted of an offence.

(3)        Where the Governor in Council grants a free pardon to a person, that person shall be deemed thereafter never to have committed the offence in respect of which the pardon is granted.

(4)        No free pardon or conditional pardon prevents or mitigates the punishment to which the person might otherwise be lawfully sentenced on a subsequent conviction for an offence other than that for which the pardon was granted.

686.     Rien dans la présente loi ne limite ni n'atteint, de quelque manière, la prérogative royale de clémence que possède Sa Majesté.

686.     Nothing in this Act in any manner limits or affects Her Majesty's royal prerogative of mercy.

Art. 749 et 751 C.cr. (S.R.C. 1985, c. C-46, art. 749 et 751)

749. (1) Sa Majesté peut accorder la clémence royale à une personne condamnée à l'emprisonnement sous l'autorité d'une loi fédérale, même si cette personne est emprisonnée pour omission de payer des deniers à une autre personne.

(2)        Le gouverneur en conseil peut accorder un pardon absolu ou un pardon conditionnel à toute personne déclarée coupable d'une infraction.

(3)        Lorsque le gouverneur en conseil accorde un pardon absolu à une personne, celle-ci est par la suite réputée n'avoir jamais commis l'infraction à l'égard de laquelle le pardon est accordé.

(4)        Aucun pardon absolu ou conditionnel n'empêche ni ne mitige la punition à laquelle la personne en cause pourrait autrement être légalement condamnée sur une déclaration de culpabilité subséquente pour une infraction autre que celle concernant laquelle le pardon a été accordé.

749. (1) Her Majesty may extend the royal mercy to a person who is sentenced to imprisonment under the authority of an Act of Parliament, even if the person is imprisoned for failure to pay money to another person.

(2)        The Governor in Council may grant a free pardon or a conditional pardon to any person who has been convicted of an offence.

(3)        Where the Governor in Council grants a free pardon to a person, that person shall be deemed thereafter never to have committed the offence in respect of which the pardon is granted.

(4)        No free pardon or conditional pardon prevents or mitigates the punishment to which the person might otherwise be lawfully sentenced on a subsequent conviction for an offence other than that for which the pardon was granted.

751.     La présente loi n'a pas pour effet de limiter ni d'atteindre, de quelque manière, la prérogative royale de clémence que possède Sa Majesté.

751.     Nothing in this Act in any manner limits or affects Her Majesty's royal prerogative of mercy.

Art. 748 et 749 (S.C. 1994-95, c. 22, art. 6)

748. (1) Sa Majesté peut accorder la clémence royale à une personne condamnée à l'emprisonnement sous le régime d'une loi fédérale, même si cette personne est emprisonnée pour omission de payer une somme d'argent à une autre personne.

(2)        Le gouverneur en conseil peut accorder un pardon absolu ou un pardon conditionnel à toute personne déclarée coupable d'une infraction.

(3)        Lorsque le gouverneur en conseil accorde un pardon absolu à une personne, celle-ci est par la suite réputée n'avoir jamais commis l'infraction à l'égard de laquelle le pardon est accordé.

(4)        Aucun pardon absolu ou conditionnel n'empêche ni ne mitige la punition à laquelle la personne en cause pourrait autrement être légalement condamnée sur une déclaration de culpabilité subséquente pour une infraction autre que celle concernant laquelle le pardon a été accordé.

748. (1) Her Majesty may extend the royal mercy to a person who is sentenced to imprisonment under the authority of an Act of Parliament, even if the person is imprisoned for failure to pay money to another person.

(2)        The Governor in Council may grant a free pardon or a conditional pardon to any person who has been convicted of an offence.

(3)        Where the Governor in Council grants a free pardon to a person, that person shall be deemed thereafter never to have committed the offence in respect of which the pardon is granted.

(4)        No free pardon or conditional pardon prevents or mitigates the punishment to which the person might otherwise be lawfully sentenced on a subsequent conviction for an offence other than that for which the pardon was granted.

749.     La présente loi n'a pas pour effet de limiter, de quelque manière, la prérogative royale de clémence que possède Sa Majesté.

749.     Nothing in this Act in any manner limits or affects Her Majesty's royal prerogative of mercy.

[103]     Ces dernières dispositions sont demeurées inchangées.

[104]     L'appelant ne conteste pas que l'exercice par le ministre de la Justice des pouvoirs qui lui ont été successivement conférés par les articles 596, 617, 690 et 696.1 et s. C.cr. puisse faire l'objet d'une révision judiciaire. Il ne conteste pas non plus que l'exercice de ces pouvoirs - ou leur non-exercice - puisse donner lieu à une poursuite en dommages-intérêts en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif[14] (ci-après LRCE), mais uniquement, précise-t-il, dans le cas où l'on peut reprocher mauvaise foi au ministre ou à ceux qui ont agi en son nom. Il soutient que les pouvoirs dévolus au ministre par les dispositions susmentionnées relèvent en effet de la prérogative royale, sont très largement discrétionnaires et sont assimilables à des actes de puissance publique, du même ordre, par exemple, que peut l'être la décision d'un procureur de la Couronne de poursuivre ou de ne pas poursuivre une personne en vertu du Code criminel. À ce titre, il en découlerait une immunité qui ne peut être levée qu'en cas de mauvaise foi ou conduite abusive (laquelle est assimilable à mauvaise foi). L'article 3 LRCE, disposition qui s'inscrit dans le cadre déterminé par la Cour suprême du Canada en matière de responsabilité de l'État, n'élargit pas le régime de cette responsabilité et ne permet pas de passer outre à cette immunité.

[105]     Selon M. Hinse, cette immunité n'existerait pas : l'exercice, dans un cas particulier, du pouvoir de clémence que consacre le Code criminel n'a rien de l'acte de politique générale qui, seul, peut impliquer une telle immunité, ainsi que l'explique la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée[15]. Toute faute, au sens de l'article 1457 C.c.Q., commise dans l'application des dispositions législatives régissant ce pouvoir est donc de nature à engendrer la responsabilité civile de l'État fédéral, et ce, conformément à l'article 3 LRCE.

[106]     C'est la première fois, apparemment, qu'une cour de justice canadienne, et certainement une cour d'appel, doit se prononcer sur la question de savoir si l'exercice des pouvoirs en cause - clémence, pardon, demande de révision pour cause d'erreur judiciaire - peut donner prise à la responsabilité civile de l'État fédéral. La question est délicate, voire épineuse, vu la nature et le positionnement singulier de ces pouvoirs dans l'ordre juridique démocratique. Ces pouvoirs sont tels qu'on ne peut éviter de se demander si leur exercice est soumis aux règles ordinairement applicables à la responsabilité de l'État (le terme « ordinairement » n'est d'ailleurs peut-être pas le mieux choisi, car il ne reflète pas la complexité d'un régime que la Cour suprême a révisé récemment dans l'affaire Imperial Tobacco Canada Ltée, précitée, sur lequel nous reviendrons).

[107]     Ces pouvoirs, en effet, sont de ceux qui, même consacrés législativement[16], relèvent toujours de la prérogative royale, laquelle, en matière de clémence, n'est pas restreinte ni déplacée par le Code criminel, ainsi que l'indique expressément le législateur à l'article 749 C.cr. et qu'il a indiqué successivement, selon les époques, aux articles 658, 686 et 750 C.cr.[17]. Dans Re Therrien[18], la Cour suprême, sous la plume du juge Gonthier, reconnaît cette appartenance du pouvoir de clémence, sous toutes ses formes, à la prérogative royale :

113            En common law, le pardon est l’expression de la souveraineté du Roi, le résultat de l’exercice unilatéral et discrétionnaire de sa prérogative royale de grâce ou de clémence. Au Canada, le pardon tire également son origine des pouvoirs de la Couronne. Les textes législatifs canadiens, dont le Code criminel, ne font que prescrire différentes façons de l’exercer, sans pour autant en limiter la portée : art. 749 du Code criminel.  Voir aussi Reference as to the Effect of the Exercise of the Royal Prerogative of Mercy upon Deportation Proceedings, [1933] R.C.S. 269; le Renvoi:  Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753, p. 876-877, et, plus généralement, H. Dumont, Pénologie — Le droit canadien relatif aux peines et aux sentences (1993), p. 539-570.

114            Le professeur Dumont regroupe les différentes formes de pardon que l’on retrouve au Code criminel dans les catégories suivantes : (1) le pardon ordinaire et partiel prévu aux par. 748(1) et 748.1(1) du Code qui comporte la remise d’une sentence ou d’une partie de celle-ci sans remettre en question la culpabilité de la personne; (2) le pardon conditionnel obtenu en vertu du par. 748(2) du Code qui permet de modifier la peine initialement imposée par le tribunal et de l’assortir de certaines conditions; (3) le pardon absolu aussi obtenu en vertu des par. 748(2) et (3) du Code selon lesquels une personne est réputée n’avoir jamais commis l’infraction à l’égard de laquelle il est accordé et (4) le pardon obtenu après le renvoi à procès ou le renvoi à une cour d’appel conformément à l’art. 690 du Code ou à l’art. 53 L.C.S., qui donne lieu à la tenue d’un nouveau procès ou d’une nouvelle audition.[19]

[108]     Il convient d'insister sur le fait que les pouvoirs conférés au ministre par les articles 696.1 et s. C.cr., et précédemment par les articles 596, 617 et 690 C.cr., sont liés à la clémence royale et en sont l'un des cas de figure, en même temps que ceux de l'actuel article 748 C.cr. et dispositions antérieures. Le ministre n'exerce donc pas une simple obligation statutaire. C'est ce que signale le juge Gonthier dans le passage ci-dessus et ce qu'explique le juge Rochon dans Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice)[20], concluant ce qui suit au terme d'une étude fouillée de la question :

[25]      Je conclus que les modifications législatives de 2002 n'ont pas altéré dans son essence la nature du pouvoir ministériel, tel que codifié depuis 1892. Le champ d'application de ce pouvoir se situe en dehors de la sphère traditionnelle du droit criminel en ce sens qu'il débute après l'extinction des recours judiciaires. Il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire qui s'inscrit historiquement comme l'une des formes d'exercice de la prérogative royale de clémence.

[109]     Bien qu'appartenant tous au domaine de la prérogative royale, les pouvoirs consacrés par l'article 748 C.cr. (et dispositions précédentes) se distinguent a priori des pouvoirs conférés par les articles 696.1 et s. (et dispositions précédentes). Les premiers, qui ne comportent pas d'indication procédurale particulière, semblent viser la personne coupable d'une infraction, mais que, pour une raison ou une autre, on choisit discrétionnairement (c'est-à-dire au bon plaisir) de gracier. Les seconds, qui sont plus élaborés en termes procéduraux (surtout depuis 2002), visent plutôt à rectifier les erreurs judiciaires qui n'ont pas pu être corrigées par le processus d'appel usuel. Cette distinction, toutefois, n'est pas absolue et, par exemple, n'empêcherait certes pas le gouverneur en conseil d'accorder un pardon absolu à une personne qu'il estimerait victime d'une erreur judiciaire (et ce, même si, par hypothèse, le ministre de la Justice avait choisi de ne pas exercer en faveur de cette personne les pouvoirs que lui confèrent les articles 696.1 et s. C.cr.). Selon ce qu'on comprend du dossier, en pratique, il appert que le pardon absolu (art. 748, paragr. (2) et (3) C.cr. et dispositions antérieures) n'est accordé par le gouverneur en conseil que dans les cas d'innocence[21].

[110]     Notons enfin qu'à ces catégories de pardon ou de clémence appartenant au domaine de la prérogative royale s'ajoutent le processus de réhabilitation administrative régi par la Loi sur le casier judiciaire[22] et celui des libérations conditionnelles[23], qui ne sont pas en cause ici et sur la nature desquels il n'est pas nécessaire de se prononcer.

[111]     Tout cela étant dit, les actes de la prérogative royale, de nos jours, n'échappent plus nécessairement au contrôle judiciaire[24] et, en particulier, au contrôle constitutionnel[25]. Sur ce dernier point, la Cour suprême, dans Canada (Premier ministre) c. Khadr[26], rappelle entre autres choses que :

[36]      Lorsqu’il exerce les pouvoirs que lui confère la common law en vertu de la prérogative royale, l’exécutif n’est toutefois pas à l’abri du contrôle constitutionnel : Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441.  Certes, il revient à l’exécutif, et non aux tribunaux, de décider si et comment il exercera ses pouvoirs; mais les tribunaux ont indéniablement compétence pour déterminer si la prérogative invoquée par la Couronne existe véritablement et, dans l’affirmative, pour décider si son exercice contrevient à la Charte (Operation Dismantle) ou à d’autres normes constitutionnelles (Air Canada c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1986] 2 R.C.S. 539) — ils sont d’ailleurs tenus d’exercer cette compétence.

[37]            Le pouvoir restreint dont jouissent les tribunaux pour contrôler la constitutionnalité de l’exercice de la prérogative royale tient au fait que, dans une démocratie constitutionnelle, tout pouvoir gouvernemental doit être exercé en conformité avec la Constitution. Cela dit, le contrôle judiciaire de l’exercice de la prérogative sur le plan de sa constitutionnalité demeure tributaire du fait que la branche exécutive du gouvernement est responsable des décisions relevant de ce pouvoir, et que l’exécutif est mieux placé pour prendre ces décisions dans le cadre des choix constitutionnels possibles.  Il faut que le gouvernement dispose d’une certaine marge de manœuvre lorsqu’il décide de quelle manière il doit s’acquitter des obligations relevant de sa prérogative : voir, p. ex., Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 101-102. Il appartient cependant aux tribunaux de fixer les limites légales et constitutionnelles à l’intérieur desquelles ces décisions doivent être prises. Ainsi, lorsqu’un gouvernement refuse de se conformer aux contraintes constitutionnelles, les tribunaux ont le pouvoir de rendre des ordonnances qui garantissent que la prérogative du gouvernement en matière d’affaires étrangères est exercée en conformité avec la Constitution : États-Unis c. Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283.

[Soulignement ajouté.]

[112]     Se pourrait-il cependant que cette règle générale du contrôle judiciaire (contrôle plus ou moins étroit selon les circonstances) connaisse certaines exceptions dans des cas qui, à première vue, paraissent se plier mal à une telle supervision? Les diverses formes de la clémence royale constitueraient-elles l'une de ces exceptions?

[113]     Ce fut certainement le cas autrefois, ainsi qu'en atteste la jurisprudence de common law. Pensons ici à l'arrêt Hanratty v. Butler[27], qui rejette l'action en dommages-intérêts que les parents d'un individu condamné à mort, puis exécuté ont intenté contre le Home Secretary, pour négligence du ministre dans l'exercice de ses fonctions en matière de pardon. Lord Denning écrit à ce propos que :

[…] Even if there was a fault or negligence on the part of the Home Secretary did the law permit an action such as that proposed? No such case appeared in the books and the only colour it could be given was the recent development of the law of negligence, from Donoghue v Stevenson [1932] AC 562, to Dorset Yacht Co. Ltd v Home Office [1970] AC 1004; and it was urged that there was sufficient in the proposed action to warrant the court considering it. The high prerogative of mercy was exercised by the monarch on the advice of one of her principal secretaries of state who took full responsibility and advised here with the greatest conscience and care. The law would not inquire into the manner in which that prerogative was exercised. The reason was plain - to enable the Home Secretary to exercise his great responsibility without fear of influence from any quarter or of actions brought thereafter complaining that he did not do it aright. It was part of the public policy which protected judges and advocates from actions being brought against them for things done in the course of their office. It was a pity that the allegations had been made; but though the court had for the purpose of the present proceedings to assume that they were true his lordship was satisfied that it was not a matter giving rise to any cause of action in the courts. The appeal should be dismissed.[28]

[114]     On peut penser encore à l'arrêt du Conseil privé dans Freitas v. Benny[29], dans lequel on souligne que le pouvoir de clémence « lies solely in the discretion of the sovereign » et que :

Mercy is not the subject of legal rights. It begins where legal rights end. A convicted person has no legal rights even to have his case considered by the Home Secretary in connection with the exercise of the prerogative of mercy. In tendering his advice to the sovereign the Home Secretary is doing something that is often cited as the exemplar of a purely discretionary act as contrasted with the exercise of a quasi-judicial function. […][30]

[115]     Ces propos ont été tenus, bien sûr, à l'époque où l'on concevait difficilement que les actes de la prérogative royale, quels qu'ils fussent, soient sujets à un quelconque contrôle judiciaire. Or, on le sait, le droit a considérablement évolué à cet égard, et ce, même au Royaume-Uni où, depuis l'arrêt Council of Service Unions v. Minister for the Civil Service[31], en 1984, la prérogative n'échappe plus complètement à la révision judiciaire, encore que l'ampleur de celle-ci puisse varier et qu'il subsiste quelques notables exceptions. Selon les propos de Lord Roskill dans cet arrêt, le pardon demeurerait justement l'une de ces exceptions :

            […] If the executive in pursuance of the statutory power does an act affecting the rights of the citizen, it is beyond question that in principle the manner of the exercise of that power may today be challenged on one or more of the three grounds which I have mentioned earlier in this speech. If the executive instead of acting under a statutory power acts under a prerogative power and in particular a prerogative power delegated to the respondent under article 4 of the Order in Council of 1982, so as to affect the rights of the citizen, I am unable to see, subject to what I shall say later, that there is any logical reason why the fact that the source of the power is the prerogative and not statute should today deprive the citizen of that right of challenge to the manner of its exercise which he would possess were the source of the power statutory. In either case the act in question is the act of the executive. To talk of that act as the act of the sovereign savours of the archaism of past centuries. In reaching this conclusion I find myself in agreement with my noble and learned friends Lord Scarman and Lord Diplock whose speeches I have had the advantage of reading in draft since completing the preparation of this speech.

            But I do not think that that right of challenge can be unqualified. It must, I think, depend upon the subject matter of the prerogative power which is exercised. Many examples were given during the argument of prerogative powers which as at present advised I do not think could properly be made the subject of judicial review. Prerogative powers such as those relating to the making of treaties, the defence of the realm, the prerogative of mercy, the grant of honours, the dissolution of Parliament and the appointment of ministers as well as others are not, I think, susceptible to judicial review because their nature and subject matter is such as not to be amenable to the judicial process. The courts are not the place wherein to determine whether a treaty should be concluded or the armed forces disposed in a particular manner or Parliament dissolved on one date rather than another.

            In my view the exercise of the prerogative which enabled the oral instructions of 22 December 1983 to be given does not by reason of its subject matter fall within what for want of a better phrase I would call the "excluded categories" some of which I have just mentioned. It follows that in principle I can see no reason why those instructions should not be the subject of judicial review.[32]

[Soulignement ajouté.]

[116]     Dans le même arrêt, Lord Diplock exprime un point de vue légèrement différent, optant pour le contrôle judiciaire - au sens classique du terme, l'affaire ne concernant pas une action en dommages-intérêts - des actes de la prérogative royale (ou de la plupart d'entre eux, à tout le moins, dont la clémence, expressément[33]), qui ne devraient pas être soustraits à la révision judiciaire du seul fait qu'il s'agit d'actes de prérogative. La révision judiciaire serait ainsi envisageable dans tous les cas où l'acte est illégal (i.e. « the decision-maker must understand correctly the law that regulates his decision-making power and must give effect to it »[34]), l'illégalité étant la question justiciable par excellence. L'exercice de la prérogative peut également être révisé lorsqu'il est question de « procedural impropriety ». Le juge laisse toutefois ouverte la question de savoir si la révision judiciaire est possible lorsque l'acte de prérogative est attaqué pour cause d'« irrationalité », vu le caractère hautement discrétionnaire et politique de nombreux actes de prérogative.

[117]     La jurisprudence britannique qui a suivi, sans aller aussi loin, semble avoir conclu, dans la foulée des propos de Lord Diplock, que l'exercice de la clémence royale était dans certains cas assujetti au contrôle judiciaire, non sans d'importantes réserves cependant. Ainsi, l'arrêt R v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Bentley[35] décide-t-il que le refus du pardon - et il s'agissait en l'occurrence de l'équivalent du pardon qui serait régi ici par l'article 748 de l'actuel Code criminel - peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire lorsque le motif de révision se rapporte à la commission d'une erreur de droit dans la portée de la prérogative[36] (ce serait donc, pour reprendre l'opinion de Lord Diplock dans Council of Service Unions v. Minister for the Civil Service, précité, une question pure de légalité ou d'illégalité).

[118]     La Cour d'appel de l'Ontario, en obiter, s'est ralliée à cette opinion dans Black v. Chrétien[37], considérant que la prérogative de clémence est « the ultimate safeguard against mistakes in the criminal justice system and thus in some cases the Government's refusal to exercise it may be judicially reviewable »[38]. Certainement, la Cour d'appel de l'Ontario envisageait ici le contrôle judiciaire traditionnel, non pas tous azimuts cependant, mais « in some cases ». On peut extrapoler qu'elle avait en tête les erreurs de droit du type de celles reconnues dans l'affaire Bentley, précitée, en l'occurrence une erreur quant à la portée du pouvoir de pardon et aux circonstances dans lesquelles on peut y recourir[39].

[119]     On peut conclure également de la jurisprudence en d'autres matières qu'une violation de la Charte canadienne des droits et libertés permet également la révision judiciaire de la prérogative de clémence. En effet, si les actes de prérogative clairement politiques et discrétionnaires dont il était question dans les affaires Operation Dismantle[40] et Khadr[41] étaient révisables pour ce motif (encore que le tribunal ne puisse exercer la prérogative en lieu et place du titulaire et n'en vérifie que la légalité[42]), il doit en aller de même dans le cas du refus de la clémence en vertu de l'article 748 C.cr. (bien que la jurisprudence ne paraisse pas répertorier d'affaire où l'exercice de ce pouvoir aurait été soumis au processus de révision judiciaire[43]). Et, bien sûr, si le pardon envisagé par l'article 748 C.cr. (et les dispositions précédentes) est assujetti à une forme de révision judiciaire, dans le cas d'une telle erreur de droit, on voit mal qu'il en aille différemment des pouvoirs que régissent désormais les articles 696.1 et s. C.cr.[44].

[120]     Du reste, dans ce dernier cas, c'est bien en ce sens que s'est graduellement développée la jurisprudence canadienne. Celle-ci considère désormais que les décisions du ministre de la Justice rendues en application des articles 696.1 et s. C.cr. (et dispositions antérieures) sont pleinement assujetties à la révision judiciaire, comme tout autre pouvoir ministériel dont l'exercice est balisé par la loi, et ce, au regard de la norme de la décision raisonnable : Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice)[45], Daoulov c. Canada (Procureur général)[46]; Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice)[47], Timm c. Canada[48]. Il en allait précédemment de même au regard des articles 617 puis 690 C.cr., du moins depuis l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, mais en fonction d'une norme différente, pré-Dunsmuir[49], calibrée également par la vaste latitude dont jouissait à l'époque le ministre (latitude qui s'est rétrécie, du moins sur le plan procédural, avec les modifications de 2002 et l'adoption des articles 696.1 et s. C.cr.) : on verra par exemple les arrêts Henry c. Canada (Ministre de la Justice)[50] et Thatcher c. Canada (Procureur général)[51], qui permettent la révision judiciaire des décisions rendues en vertu de ces dispositions afin de vérifier si le ministre a agi de manière équitable. Antérieurement à l'adoption de la Charte canadienne, nous n'avons pas trouvé d'exemple de révision judiciaire de la prérogative de clémence, qu'elle soit exercée par le gouverneur en conseil ou le ministre de la Justice, et, vu l'état du droit à l'époque, il est peu probable que la révision judiciaire eut été considérée comme possible.

[121]     On voit donc que la prérogative royale en matière de clémence n'est plus le pouvoir absolu et absolument discrétionnaire ou arbitraire qu'elle a déjà été, hors de la portée des tribunaux, encore que ceux-ci continuent de montrer une grande déférence envers l'exercice qu'en font ses titulaires, y compris le ministre, qui « exercises a broad discretion in the exercise of an extraordinary power that derives from the royal prerogative of mercy »[52].

[122]     Mais de conclure que l'acte de clémence est révisable judiciairement, à certaines conditions qui ont évolué avec le temps (et qui peuvent varier selon que l'acte attaqué est régi par les articles 696.1 et s. ou 748 et s. C.cr.), signifie-t-il pour autant qu'il peut faire l'objet d'une action en dommages-intérêts?

[123]     On peut d'abord rappeler ce qui paraît une évidence, à savoir que l'assujettissement de l'exercice d'un pouvoir à la révision judiciaire (« judicial review »), au sens classique du terme, n'entraîne pas nécessairement et en tant que tel, la responsabilité civile du décideur ou de l'État dont il serait le mandataire ou le préposé. Il n'y a pas d'adéquation entre révision judiciaire et responsabilité civile, s'agissant de régimes différents, qui obéissent à des objectifs différents, et l'on ne peut pas conclure à l'existence d'une faute civile du seul fait qu'une décision a été cassée, fut-ce même pour cause de déraisonnabilité[53].

[124]     On peut par ailleurs affirmer, suivant en cela l'enseignement de la Cour suprême, que le décideur public, si son acte est de ceux qui sont de nature à donner prise à la responsabilité civile, peut être poursuivi et engager la responsabilité de l'État même si la décision qui est le fondement de l'action n'a pas d'abord été cassée dans le cadre d'une procédure en révision judiciaire[54]. L'absence de tout recours préalable en révision judiciaire ne pouvait donc être opposée à l'action en justice de M. Hinse (et ne l'a d'ailleurs pas été).

[125]     Enfin, comme le rappelle la Cour suprême dans Agence canadienne d’inspection des aliments c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada[55], « l’assujettissement de l’État fédéral aux règles de responsabilité civile extracontractuelle du Québec, dans le cas de dommages prétendument causés par la faute de ses mandataires, ne l’empêche pas d’invoquer son immunité »[56]. La Cour ajoute immédiatement que : « Par exemple, l’État fédéral peut toujours arguer qu’une décision en particulier a été prise par ses mandataires dans l’exercice d’une fonction politique, et non d’une fonction opérationnelle, ce qui, en temps normal, n’engage pas sa responsabilité »[57], et ce, nonobstant l'article 3 LRCE. Cela est entièrement conforme à l'article 1376 C.c.Q., tel qu'interprété notamment dans l'arrêt Finney c. Barreau du Québec[58].

[126]     En l'espèce, le refus par le gouverneur en conseil et le ministre de la Justice d'exercer leurs pouvoirs de clémence, auxquels M. Hinse a fait appel respectivement, en vain dans les deux cas, peut-il entraîner la responsabilité civile de l'État ou celle-ci se heurte-t-elle à une immunité? Notons que nous ne parlerons pas ici de la Reine (qui a délégué son pouvoir de clémence au gouverneur général, en vertu des Lettres patentes constituant la charge de Gouverneur général du Canada applicables à partir du 1er octobre 1947[59]), ni du Gouverneur général lui-même[60], dont l'intervention dans le dossier est tout à fait périphérique.

[127]     La Cour est d'avis qu'il existe ici une telle immunité.

[128]     Parlant d'abord des pardons et remises de peine mentionnés successivement, au fil du temps, par les articles 655, 683, 748 et 749[61] C.cr., l'on doit reconnaître qu'il s'agit là d'actes ou, mieux, de faveurs[62] purement discrétionnaires (la professeure Hélène Dumont parle d'un « geste gratuit, un acte unilatéral d'indulgence que la volonté du bénéficiaire ne peut influencer »[63]), qui peuvent être accordées ou refusées au bon plaisir du gouverneur en conseil, encore qu'avec parcimonie, sauf à mettre en péril l'application de la loi, l'intégrité du système judiciaire et la confiance du public dans l'administration de la justice[64]. Il n'existe pas de droit au pardon ou à la remise de peine et le justiciable ne peut avoir aucune expectative légitime à cet égard (pour reprendre des critères employés par les Lords Diplock et Roskill dans Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service[65] et repris par la Cour d'appel de l'Ontario dans Black v. Chrétien[66]). Le pouvoir que constatent ces dispositions relève de la plus haute prérogative et une immunité totale doit protéger son exercice contre la responsabilité civile (même si celui-ci est sujet à révision judiciaire lorsqu'il y a violation de la Charte canadienne ou lorsqu'il y a une erreur quant à la portée même du pouvoir et aux circonstances dans lesquelles on peut y recourir).

[129]     Ce pouvoir d'accorder pardon et remise ou de les refuser est du même ordre que le privilège de nommer des ministres au cabinet ou de consentir un titre ou une distinction quelconque, privilèges qui relèvent de la prérogative et dont l'exercice ne peut être attaqué dans le cadre d'une action en dommages-intérêts. En ce qui concerne les nominations ministérielles, on pourra consulter l'arrêt récent de la Cour d'appel de l'Ontario dans Guerguis v. Novak[67], qui rejette l'action en dommages-intérêts (« defamation, conspiracy, negligence, intention infliction of mental suffering, misfeasance in public office and breach of a duty of care ») intentée notamment contre le premier ministre du Canada, à qui l'appelante faisait grief de l'avoir expulsée du cabinet. En ce qui concerne les titres et distinctions, l'arrêt Black v. Chrétien[68], comme on l'a vu, rejette l'action en dommages-intérêts intentée par celui qui reprochait au premier ministre du Canada d'avoir exercé sa prérogative d'une manière nuisible. La Cour d'appel de l'Ontario considère que l'affaire ne peut être portée devant les tribunaux, même si « the advice was wrong and careless or negligent, even if his motives [c'est-à-dire ceux du premier ministre] were questionable »[69].

[130]     Sous réserve possiblement des questions liées à la Charte canadienne (qui n'était pas en cause ici, la demande adressée par M. Hinse au gouverneur en conseil étant bien antérieure à son avènement), vu le caractère extraordinaire de la prérogative de pardon, qui est essentiellement politique, elle ne peut faire l'objet d'un recours en dommages-intérêts, et ce, quelle que soit la manière dont elle est exercée et quel que soit le résultat auquel mène cet exercice. La même immunité protégerait les aspects de la prérogative de clémence demeurant couverts par le seul article 749 C.cr.

[131]     En l'espèce, à supposer même que le refus du gouverneur en conseil ait été purement arbitraire ou même fautif (ce qui n'a pas été démontré, au contraire - voir infra), il ne peut donc fonder une action en dommages-intérêts en raison de l'immunité qui s'attache à l'exercice de la prérogative royale de pardon, dans ce cas de figure précis (à l'époque, celui de l'article 655 C.cr. [70]).

[132]     L'arrêt de la Cour suprême prononcé en 2011 dans R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée[71], qui reformule le cadre général de la responsabilité civile de la Couronne (et autres corps publics), ne vise pas l'exercice d'un pouvoir comme celui dont il est question ici. La nature tout à fait particulière de la prérogative de clémence, dans l'incarnation qu'elle connaît aux articles 748 et s. C.cr. (et leurs prédécesseurs), ne se prête pas à ce genre d'analyse, qui n'est pas praticable.

[133]     S'il fallait toutefois considérer que cet arrêt s'applique, il conviendrait de classer l'exercice du pouvoir de pardon et de remise dont il est question aux articles 748 et s.  C.cr. dans la catégorie des décisions de politique générale fondamentale, et ce, en raison du caractère sur-discrétionnaire qui est le sien et qui peut impliquer la considération d'éléments politiques ou sociaux, dont le respect de l'intégrité du processus judiciaire. Chacun des cas particuliers soumis au gouverneur en conseil est ainsi en lui-même non pas l'application d'une politique générale décidée par ailleurs, mais l'élément constitutif même de cette politique et il bénéficie à ce titre d'une immunité de poursuite, sauf en cas de décision irrationnelle ou prise de mauvaise foi[72]. Or, comme on le verra dans la section prochaine du présent arrêt, il n'y a rien qui indique l'irrationalité ou la mauvaise foi du gouverneur en conseil (ni de la Reine, d'ailleurs) dans sa réponse à M. Hinse.

[134]     Qu'en est-il maintenant des refus successifs opposés par le ministre de la Justice et ses représentants aux demandes répétées faites par M. Hinse de 1967 à 1990, d'abord en vertu de l'article 596, puis de l'article 617 et enfin de l'article 690 C.cr.?

[135]     Comme on l'a vu, l'appelant soutient que l'exercice du pouvoir prévu par ces dispositions (et aujourd'hui par les articles 696.1 et s. C.cr.) donne lieu à une immunité contre les poursuites en responsabilité civile, sauf mauvaise foi ou conduite abusive du ministre ou de ses mandataires. Plus précisément, il estime que la responsabilité civile susceptible de découler de l'application des articles en question devrait être examinée d'une manière analogue à la responsabilité civile du poursuivant dans les affaires criminelles, et selon des standards tout aussi exigeants. À ce sujet, il renvoie notamment à l'arrêt Proulx c. Québec (Procureur général)[73], qui approuve et confirme la dissidence du juge LeBel, alors membre de notre cour, dans Québec (Procureur général) c. Proulx[74].

[136]     On aurait pu être tenté de dire que les pouvoirs du ministre en vertu des articles 696.1 et s. et, précédemment, 596, 617 et 690 C.cr., parce qu'ils sont partie intégrante de la prérogative royale (laquelle demeure intacte en raison de l'article 749 C.cr.), bénéficient de l'immunité de poursuite civile rattachée à l'exercice des pouvoirs que consacre l'article 748 C.cr. : puisque toutes ces dispositions sont des cas de figure de la même prérogative, leur exercice serait donc protégé par la même immunité.

[137]     Il est vrai cependant que les articles 696.1 et s. (et articles antérieurs), parce qu'ils sont le dernier rempart contre l'erreur judiciaire et parce qu'on doit reconnaître au justiciable le droit à la correction d'une telle erreur, ne peuvent être considérés comme instituant un régime de faveur. Mais, précisément parce que c'est le cas, ne doit-on pas laisser le ministre (et ses mandataires) agir en toute quiétude, sans la crainte d'une action en responsabilité civile? C'est, rappelons-le, ce qu'évoquait Lord Denning dans l'affaire Hanratty[75] en écrivant que les tribunaux ne se mêleront pas de la manière dont la prérogative est exercée par le Home Secretary et que la raison de cette immunité est « plain » : « to enable the Home Secretary to exercise his great responsibility without fear of influence from any quarter or of action brought thereafter complaining that he did no do it aright »[76].

[138]     À la réflexion, toutefois, il paraît préférable de ne pas succomber à cette tentation, en raison de l'objet des pouvoirs dont est investi le ministre de la Justice. À la différence de la prérogative de pardon et de remise des peines dont traitent les articles 748 et 748.1 C.cr., qui peuvent servir toutes sortes d'objectifs (du moins en théorie), le Code criminel, depuis longtemps[77], confie au ministre de la Justice un rôle qui, pour supplétif qu'il soit, n'en est pas moins essentiel. Un document de consultation du ministère de la Justice du Canada, en 1998, souligne ainsi que :

Les principaux objectifs du système de justice criminelle sont de protéger le public et de décourager la criminalité. La détection, la punition et la réhabilitation efficaces des criminels sont essentielles pour réaliser ces objectifs. Par ailleurs, d'importantes garanties doivent toutefois exister pour s'assurer que nul n'est privé injustement de ses libertés et de ses droits fondamentaux. En fait, la crédibilité de tout système de justice criminelle repose en grande partie sur l'équité qu'il assure à toute personne inculpée d'une infraction. L'engagement du Canada à l'égard de l'équité se manifeste, entre autres, par la présomption d'innocence, dans le fardeau de la Couronne de prouver la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable et par l'accès à un examen en appel, en cas d'erreur de droit et de fait.

Cependant, aucun système n'est infaillible. Il est regrettable que des condamnations injustifiées puissent survenir et surviennent parfois. En pareil cas, tout le système judiciaire est remis en cause.

Les cours d'appel traitent habituellement les condamnations injustifiées et accordent des mesures de redressement à ce sujet. Après qu'on a épuisé ces voies judiciaires, l'article 690 du Code criminel constitue en somme un dernier filet de sécurité qui permet au ministre de la Justice d'examiner de prétendues condamnations injustifiées que les tribunaux n'ont pas décelées et pour lesquelles ils n'ont accordé aucune mesure de redressement.[78]

[Soulignement ajouté.]

[139]     Que les erreurs judiciaires qui surviennent regrettablement, mais immanquablement (l'histoire jurisprudentielle canadienne en comporte quelques exemples) puissent être corrigées est indispensable à la préservation de l'intégrité du système de justice. Sans doute ces erreurs ne sont-elles pas nombreuses, sans doute demeurent-elles exceptionnelles, sans doute ne sont-elles pas faciles à détecter, mais elles surviennent, occasionnellement. L'on ne pourrait pas simplement se résigner devant le fait que la justice est forcément imparfaite (elle l'est) et accepter l'erreur judiciaire, sorte de scorie du système, comme un inconvénient désolant sans doute, mais inhérent à la marche des choses. On ne peut pas baisser les bras devant l'erreur judiciaire et l'on n'imagine pas qu'une personne soit privée du droit, car c'en est un, de faire rectifier une telle erreur, lorsqu'elle est établie (ce qui pourrait même enfreindre l'article 7 de la Charte canadienne si l'individu devait demeurer alors sous le coup d'une peine d'emprisonnement ou de restrictions à sa liberté). La possibilité d'une telle rectification est précisément ce qu'offrent les articles 696.1 et s. C.cr. et qu'ont offert antérieurement les articles 596, 617 et 690 C.cr. Ce remède n'est pas parfait, et certainement pas davantage que le système judiciaire dont il cherche à pallier les erreurs, mais il est là : il offre un recours au justiciable, permet la mise en œuvre de son droit à la correction de l'erreur dont il a été victime, génère une expectative légitime et, aspect crucial, répond aux exigences de l'intérêt public en sauvegardant la justice et la confiance des justiciables dans l'administration de la justice.

[140]     Cela étant, non seulement paraît-il normal que l'exercice de ces pouvoirs par le ministre puisse désormais faire l'objet d'une révision judiciaire (ce qui n'était toutefois pas encore le cas à l'époque où M. Hinse a entrepris ses démarches), mais il paraît normal également que la responsabilité civile de l’État, comme le suggère l'appelant lui-même, soit engagée envers la victime d'une erreur judiciaire à qui le ministre ou ses mandataires auraient, par mauvaise foi, indûment refusé le bénéfice des dispositions en question, perpétuant ainsi l'erreur et l'injustice grave qui en résultent.

[141]     Cette solution mitoyenne entre l'absence de responsabilité et l'absence d'immunité correspond à la fois à la nature particulière du pouvoir de clémence qu'exerce le ministre et à l'exigence d'équité envers la victime de l'erreur judiciaire. Une immunité absolue perpétuerait le préjudice résultant de l'erreur judiciaire. L'absence d'immunité, par contre, méconnaîtrait la nature particulière du pouvoir qu'exerce le ministre, qui relève de la prérogative royale et qu'il détient comme mandataire (et, autrefois, conseiller) du Souverain. Elle ignorerait également l'aspect fondamentalement discrétionnaire, mais aussi politique de l'action du ministre. Elle risquerait aussi de saper l'indépendance dont le ministre a besoin pour exécuter des fonctions qui n'ont rien de mécanique ou de simplement « opérationnel »[79], mais nécessitent de soupeser, au regard de faits qui sont rarement clairs, des intérêts juridiques et sociaux divers (et souvent divergents), qui vont de l'intérêt particulier de l'individu en cause et du souci de la justice à la préservation de l'indépendance et de l'intégrité du système judiciaire ainsi que de la stabilité des jugements, tous aussi importants les uns que les autres. Le pouvoir dont est investi le ministre n'est pas que d'« exécution »; il s'agit plutôt d'un pouvoir d'opportunité, dont l'exercice même définit une ligne de conduite politique[80]. Il s'agit aussi d'un pouvoir qui, destiné à permettre la rectification des erreurs judiciaires (et en ce sens « post-judiciaire »), possède aussi un aspect quasi judiciaire, en ce qu'il suppose la prise en considération d'une preuve et une détermination relative à la validité d'un verdict de culpabilité, détermination qui affecte les droits de l'individu.

[142]     Enfin, il faut tenir compte aussi des textes législatifs en vigueur à l'époque où M. Hinse a présenté ses diverses demandes de clémence, textes assez généraux qui ne balisaient guère l'exercice par le ministre du pouvoir qui lui était dévolu, lui laissaient une marge de manœuvre considérable, ne l'obligeaient pas à enquêter d'une manière particulière (lui donnant toute latitude à cet égard[81]), ne lui confiaient pas de pouvoirs d'enquête spécifiques (au contraire de ce que fait aujourd'hui le paragr. 696.2(2) C.cr.) et s'en remettaient à son bon jugement quant à la possibilité d'une erreur judiciaire. Le caractère politique de l'exercice des pouvoirs du ministre était alors particulièrement patent.

[143]     En outre, il y a dans l'idée que la responsabilité civile de l'État puisse être engagée seulement lorsque la décision du ministre est viciée par la mauvaise foi une certaine cohérence avec l'idée que, au chapitre du contrôle judiciaire, la décision en question ne puisse être révisée que si elle est déraisonnable, critère exigeant qui tient compte de la nature discrétionnaire et polycentrique de la mission ministérielle. Ce n'est pas dire, nous l'avons déjà vu, qu'il y ait adéquation entre décision déraisonnable et faute civile, et encore moins entre décision déraisonnable et mauvaise foi, mais il paraîtrait peu cohérent que la révision judiciaire de la décision ministérielle obéisse à la norme de la raisonnabilité/déraisonnabilité, alors qu'il suffirait de ce que l'on pourrait qualifier de « faute simple » pour engager ici la responsabilité de l'État.

[144]     Bref, si la victime d'une erreur judiciaire n'a pu obtenir du ministre l'exercice du pouvoir prévu par les articles 696.1 et s. (et autres, antérieurement) et qu'elle en a souffert préjudice, elle peut réclamer compensation, mais seulement dans le cas où la décision du ministre est empreinte de mauvaise foi, ce qu’elle a le fardeau d’établir.

[145]     L'on devrait en arriver à la même conclusion si l'on envisageait que la responsabilité de l'État ne découle pas ici du fait de ses préposés (à supposer qu'on puisse considérer le ministre, agissant dans l'exercice de la prérogative de clémence, comme un préposé au sens de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, sujet sur lequel nous reviendrons plus loin, brièvement), selon une logique de droit privé, mais résulte plutôt de l'application de l'article 24 de la Charte canadienne, ouvrant la porte à des dommages de droit public[82]. Une telle responsabilité n'exclut pas l'immunité rattachée à « l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière d’élaboration de politiques »[83] ou pouvoirs analogues, ce qui est le cas de cette modalité de la prérogative royale dont l'exercice a été confié au ministre de la Justice.

[146]     Selon quelles normes et de quelle manière, cependant, mesurer la mauvaise foi qui permet d'échapper à l'immunité de poursuite qui découlerait autrement de la nature du pouvoir conféré au ministre? Comme nous l'avons vu précédemment, la Cour suprême, dans Imperial Tobacco Canada Ltée parle de décision « irrationnelle ou de mauvaise foi » : est irrationnel ce qui est contraire à la raison ou sans rapport avec elle, absurde ou aberrant; est de mauvaise foi ce qui est fait dans l'intention de nuire, avec malveillance. On convient généralement que l'irrationnel et la mauvaise foi se confondent, ou que le premier s'assimile à la seconde quand il s'agit de responsabilité civile, tout comme lorsqu'on parle de conduite abusive, l'abus étant lui aussi assimilable à la mauvaise foi[84].

[147]     L'appelant suggère ici une norme de mauvaise foi semblable à celle qui s'applique en matière de poursuites criminelles abusives. L'analogie n'est pas inappropriée à première vue et permet de tenir compte de l'existence du droit du justiciable et de l'intégrité du système, sans pour autant miner celui-ci, imposer au ministre et à ses mandataires un fardeau trop lourd ou nier l'appartenance du processus au domaine de la prérogative de la Couronne.

[148]     Dans Miazga c. Kvello (Succession)[85], la Cour suprême faisait récemment le point sur la responsabilité civile et l'immunité de poursuite des procureurs de la Couronne, sujets précédemment abordés dans les affaires Nelles[86] et Proulx[87]. Elle rappelle que la responsabilité civile du poursuivant ne peut être engagée que s'il a agi avec une intention malveillante, intention définie ainsi :

[8]        Dans l’arrêt Proulx, notre Cour a confirmé le caractère strict de la norme applicable à la responsabilité du ministère public et souligné que l’élément de la malveillance sous forme de but illégitime est la clé pour prouver le caractère abusif des poursuites. Dans le contexte d’un recours exercé contre un procureur de la Couronne, la malveillance ne s’entend pas de l’insouciance, de la négligence grave ou du manque de discernement. C’est seulement lorsque la conduite du poursuivant équivaut à un « usage illégitime du pouvoir de poursuivre » ou à une « fraude dans le processus de justice criminelle » qu’on peut conclure à la malveillance (par. 44-45).  Dans l’arrêt Proulx, étant donné les motifs en partie irréguliers du poursuivant, notre Cour a conclu qu’il s’agissait d’un des cas « très exceptionnels » où il y avait lieu de lever l’immunité du ministère public et de conclure au caractère abusif des poursuites.

[149]     Cette norme, qui vaut aussi bien pour le droit québécois, est fort sévère, on le concédera volontiers. Convient-il de l'appliquer, en faisant les adaptations nécessaires, à la responsabilité du ministre de la Justice, lorsque celui-ci exerce la prérogative de clémence en vertu des articles 696.1 et s. C.cr. et dispositions précédentes?

[150]     Répondre à cette question par l'affirmative procède d'une certaine symétrie systémique : les juges (et jurys) des cours de justice, qui statuent sur la culpabilité, bénéficient d'une immunité qu'on peut qualifier d'absolue[88]; en amont, celui qui, au nom de l'exécutif, décide d'intenter la poursuite criminelle et jouit à cet égard d'un pouvoir éminemment discrétionnaire et, même, quasi judiciaire[89], bénéficie d'une immunité qui ne peut être levée que si la preuve est faite d'une intention malveillante allant au delà de l'insouciance ou de la négligence, même grave; en aval, il en irait de même du ministre de la Justice qui, dans l'exercice d'une charge participant de la prérogative de la Couronne, vérifie en quelque sorte, sur demande formulée par l'intéressé ou pour son compte, le résultat auquel ont mené les actes des deux premières instances (l'erreur judiciaire pouvant résulter non seulement d'un verdict erroné ou obtenu à la suite d'un processus vicié, mais aussi d'un acte du poursuivant, que ce soit au moment où fut prise la décision de poursuivre ou pendant le procès). En ce sens, le ministre n'est pas moins un représentant de la justice que le procureur de la poursuite, puisqu'il doit, dans l'intérêt public, assurer l'intégrité du système de justice, ce à quoi participe la rectification des erreurs judiciaires. Autrement, dit, on peut transposer à la situation du ministre exerçant la prérogative les propos que tenait le juge LeBel, dans l'affaire Proulx[90], en Cour d'appel, propos ultérieurement repris par la Cour suprême dans le même dossier :

[…] En définitive, dans le cas de la décision même de prendre une poursuite ou non, la fonction du procureur général et de ses substituts paraît à la fois politique et discrétionnaire et relève du régime juridique applicable aux actes de puissance publique. Ceci signifie que les tribunaux exigeront fréquemment une preuve de mauvaise foi ou d'un comportement assimilable à celle-ci pour que la responsabilité de l'État puisse être engagée.

[Renvois omis.]

[151]     Il n'est pas nécessaire de se demander si l'analogie peut être poussée plus loin en octroyant au ministre, dans l'exercice de la charge liée à la prérogative de clémence, l'indépendance constitutionnellement garantie au poursuivant, encore que l'indépendance, même sans garantie constitutionnelle, paraisse tout aussi nécessaire à l'accomplissement de sa mission. Comme le soulignait le juge LeBel, pour la Cour suprême, dans Finney c. Barreau du Québec, « [f]ort souvent, l’appréciation judiciaire de sa conduite et de ses décisions qu’entraînerait l’application pure et simple, sans nuance, du régime de droit commun, ne permettrait pas à l’organisme public de remplir ses fonctions avec la liberté nécessaire à son action »[91], d'où la reconnaissance de certaines immunités de droit public faisant obstacle au régime commun de la responsabilité civile. Cette liberté d'action est aussi nécessaire au ministre de la Justice dans l'exercice des pouvoirs que lui confèrent les articles 696.1 et s. C.cr. (une liberté qui avait plus d'ampleur encore en vertu des dispositions précédentes) et justifie d'autant qu'il jouisse d'une immunité contre les poursuites civiles, sauf mauvaise foi[92].

[152]     Quant aux autres éléments de la responsabilité civile, il faudra bien sûr, outre cette faute, que le demandeur établisse l'existence de l'erreur judiciaire (qui n'est plus contestée en l'espèce). Cela va même sans dire puisque, sans erreur judiciaire, peu importe la manière dont le ministre se serait comporté, il n'y aurait pas même la possibilité d'un préjudice compensable.

[153]     Dans un tout autre ordre d'idées, notons en passant que ce qui précède paraît conforme à l'article 8 LRCE, qui prévoit ce que la Cour suprême qualifie de « défense de pouvoir d’origine législative »[93] et, de surcroît, ce que l'on pourrait (peut-être) appeler la « défense du pouvoir issu de la prérogative royale » :

8.         Les articles 3 à 7 n'ont pas pour effet d'engager la responsabilité de l'État pour tout fait - acte ou omission - commis dans l'exercice d'un pouvoir qui, sans ces articles, s'exercerait au titre de la prérogative royale ou d'une disposition législative, et notamment pour les faits commis dans l'exercice d'un pouvoir dévolu à l'État, en temps de paix ou de guerre, pour la défense du Canada, l'instruction des Forces canadiennes ou le maintien de leur efficacité.

8.         Nothing in sections 3 to 7 makes the Crown liable in respect of anything done or omitted in the exercise of any power or authority that, if those sections had not been passed, would have been exercisable by virtue of the prerogative of the Crown, or any power or authority conferred on the Crown by any statute, and, in particular, but without restricting the generality of the foregoing, nothing in those sections makes the Crown liable in respect of anything done or omitted in the exercise of any power or authority exercisable by the Crown, whether in time of peace or of war, for the purpose of the defence of Canada or of training, on maintaining the efficiency of the Canadian Forces..

[154]     Selon la jurisprudence[94], cette disposition particulièrement mal rédigée[95] et dont un auteur affirme la vocation purement interprétative[96], signifie ceci, du moins quand il s'agit de la défense de pouvoir d'origine législative :

The defence of statutory authority which is applied in Canada is based on the statement of Viscount Dunedin in City of Manchester v. Farnworth, [1930] A.C. 171, at p. 183:

When Parliament has authorized a certain thing to be made or done in a certain place, there can be no action for nuisance caused by the making or doing of that thing if the nuisance is the inevitable result of the making or doing so authorized. The onus of proving that the result is inevitable is on those who wish to escape liability for nuisance, but the criterion of inevitability is not what is theoretically possible but what is possible according to the state of scientific knowledge at the time, having also in view a certain common sense appreciation, which cannot be rigidly defined, of practical feasibility in view of situation and of expense.[97]

[155]     On pourrait penser qu'il en va plus ou moins de même de l'exercice de la prérogative, mais la jurisprudence canadienne est à toutes fins utiles muette sur la question et les auteurs ne sont guère plus diserts[98]. On notera tout de même le passage suivant de l'ouvrage d'Henriette Immarigeon qui, parlant de l'ancien article 3, paragr. (6), de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, repris par l'article 8 de la loi actuelle, écrit que :

186.     La signification du texte — L'allusion au pouvoir exercé en vertu d'une loi ne pose pas en soi de difficultés d'interprétation. Par contre, que faut-il entendre par l'exercice d'un pouvoir conféré par la prérogative?

            Les fonctions exercées en vertu des prérogatives sont de deux espèces : les unes tendent à l'adoption de dispositions générales à caractère législatif. C'est ainsi que l'exécutif adopte en vertu de la prérogative des règlements, des ordres en conseil, des arrêtés. Les autres ont pour but de statuer sur des cas particuliers. Le Souverain, par l'organe du Gouverneur en conseil continue à exercer certaines fonctions résiduelles en émettant des lettres patentes, en prononçant des proclamations, en accordant son pardon, ou bien en procédant à diverses nominations.

            Peut-on penser que le législateur visait cette seconde catégorie de pouvoirs en adoptant le paragraphe 6 de l'article 3? Si oui, il faudrait convenir que cette réserve serait l'expression d'une prudence excessive, car on ne peut concevoir comment, dans un pareil cas, la loi de 1953 pourrait être invoquée par la victime d'un dommage. Les conditions d'application de la loi et plus spécialement l'obligation de prouver la faute telle que nous l'avons définie, et d'établir que le dommage a été causé par un préposé ou un agent de la Couronne agissant dans l'exécution de ses fonctions ne sauraient être réunies lorsque l'acte ou l'omission est le fait du Souverain ou de son représentant.

            Par contre, il paraît beaucoup plus légitime de penser que la mesure adoptée concerne les pouvoirs qui font l'objet de la première catégorie que nous venons d'évoquer : ceux qui ont un caractère législatif. La formule qui consiste à rapprocher sous le même paragraphe et dans une phrase unique les pouvoirs conférés par une loi et ceux qui trouvent leur source dans la prérogative incite à conclure que le législateur a songé aussi bien aux lois qu'aux règlements, aux arrêtés et aux ordres en conseil. Si bien que dans cette hypothèse, les pouvoirs conférés par la prérogative ne se distinguent pas de ceux qui sont accordés par la loi. […][99]

[156]     Serait-ce donc que l'exercice de la prérogative de pardon, pouvoir discrétionnaire et politique (quoique particularisé), serait à l'abri de toute poursuite en responsabilité civile? C'est la conclusion à laquelle la Cour en arrivait plus tôt dans le cas du pouvoir de pardon consacré à l'article 748 C.cr. (et dispositions antérieures) et exercé par le gouverneur en conseil. Devrait-il en aller de même dans le cas du pouvoir qu'exerce le ministre en vertu des articles 696.1 et s. (et dispositions antérieures)[100]. Nous ne le croyons pas, pour les raisons expliquées plus haut : la responsabilité civile de l'État peut être engagée en raison de la manière dont le ministre exerce ou n'exerce pas son pouvoir, lorsque la preuve établit sa mauvaise foi.

[157]     Il n'est de toute façon pas utile de trancher définitivement la question de l'immunité dont jouit le gouvernement en rapport avec l'exercice de cette mission ministérielle particulière puisque la Cour est par ailleurs d'avis qu'en l'espèce, la preuve prépondérante n'a pas été faite d'une faute répondant à la norme de l'intention malveillante, pas plus du reste qu'elle n'a été faite d'un autre type de faute lourde ou même d'une faute simple.

La conduite de l’administration fédérale

[158]     Il convient de revenir brièvement sur les faits.

[159]     Le 24 avril 1967, M. Hinse envoie au ministre de la Justice du Canada ses félicitations pour sa récente nomination. Il indique qu'il lui fera parvenir dans les prochains mois un exposé de son cas afin qu'il intervienne conformément à l'article 596 C.cr. Le 19 juillet 1967, il s'exécute. Il explique avoir obtenu des déclarations sous serment de trois des cinq véritables auteurs du crime, dont il joint des photocopies, l'innocentant. Quelques jours plus tard, le 28 juillet 1967, l'administration fédérale demande au sous-ministre de la Justice du Québec de lui fournir une copie du rapport de police et d'autres renseignements quant à cette affaire. Le 16 août 1967, le sous-ministre associé, affaires criminelles, du ministère de la Justice du Québec, lui répond qu'il serait davantage indiqué qu'on lui fasse parvenir les déclarations sous serment envoyés par M. Hinse. Le 18 octobre 1968, un fonctionnaire du ministère de la Justice du Canada écrit au ministère du Solliciteur général fédéral pour lui indiquer que la demande de M. Hinse a été oubliée, son dossier ayant été envoyé au Service pénitentiaire canadien qui ne l'a jamais retourné. Il souhaite savoir si M. Hinse veut envoyer des copies des déclarations sous serment et sa lettre au procureur général du Québec, sans quoi sa demande sera rejetée.

[160]     Entre-temps, l'épouse de M. Hinse invite le ministre de la Justice du Canada et l'adjoint spécial au Solliciteur général du Canada à étudier la demande de révision de son conjoint. Elle fait aussi parvenir au ministre fédéral de la Justice une copie d'une lettre envoyée à Sa Majesté la Reine. On lui répond que le ministère est « présentement à faire étude approfondie de ce dossier ». Le 7 février 1969, une lettre est envoyée au nom du commissaire du Service pénitentiaire canadien au directeur de l’Institut Leclerc. On souhaite vérifier si M. Hinse veut envoyer des copies de ses déclarations sous serment et sa lettre au procureur général du Québec, sans quoi sa demande sera rejetée.

[161]     Aussitôt, le 17 février 1969, M. Hinse envoie au sous-ministre de la Justice du Québec une copie de la lettre du Service pénitentiaire canadien, de sa demande de révision et des trois déclarations sous serment, tout en soulignant les avoir déjà envoyées en 1966. Il demande encore une fois l'obtention d'un nouveau procès. Le même jour, il fait parvenir une lettre au Commissaire du Service pénitentiaire canadien, lui expliquant être surpris de devoir envoyer une nouvelle fois les déclarations sous serment au ministère de la Justice du Québec, alors que ce dernier lui a indiqué que ses démarches devaient se faire auprès du ministère fédéral de la Justice.

[162]     Puis, le 22 décembre 1971, le directeur de la section du droit pénal du ministère fédéral de la Justice avise Mme Monique Lauzon, de la division de la clémence et du contentieux de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qu'après avoir « soigneusement étudié le dossier de Monsieur Réjean Hinse », il n'y a pas lieu de lui accorder un nouveau procès. Mme Lauzon en informe M. Hinse le 10 février 1972.

[163]     Pour bien comprendre ce rejet de la demande de révision de 1967, il faut aussi examiner le traitement réservé à la demande parallèle de pardon absolu de M. Hinse. Le 30 mars 1971, le greffier adjoint du Conseil privé informe le Solliciteur général que la demande de pardon de M. Hinse a été étudiée par un comité spécial, dont on trouve les observations en annexe de cette lettre. Ce même comité se dit d'avis qu'il n'y a pas suffisamment de faits nouveaux pour conclure à l'innocence de M. Hinse. Il demande cependant qu'à partir de l'enquête effectuée, le ministère du Solliciteur général approfondisse l'affaire et décide s'il faut lui accorder un nouveau procès. À noter que M. Hinse aurait appris le 22 novembre 1971 seulement que sa demande de pardon absolu était rejetée.

[164]     La Cour est d'accord avec M. Hinse qu'au delà des formules creuses que l'on retrouve dans certaines lettres, la preuve permet difficilement de voir quelles démarches, en particulier, furent entreprises par l'administration fédérale lors de l'étude de sa demande de révision. On sait cependant que le comité spécial du bureau du Conseil privé a examiné la demande de pardon absolu de M. Hinse et que les renseignements alors recueillis ont vraisemblablement été considérés par le ministre lorsqu'il s'est agi de décider du sort de la demande de révision. Si cet examen était suffisant pour déterminer que M. Hinse n'avait pas prouvé son innocence et qu'il ne pouvait se voir accorder un pardon absolu, cela ne signifie pas cependant que sa demande de révision devait nécessairement être rejetée. D’un autre côté, on ne peut pas présumer non plus que le ministre n’a pas donné suite à la recommandation du Comité spécial.

[165]     Quoi qu’il en soit, la juge commet une erreur lorsqu'elle évalue le caractère sérieux de l'examen effectué par le ministre à la lumière des pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes[101], lesquels ne lui seront accordés qu'en 2002[102]. De même, si elle pouvait s'inspirer des propos de l'étude de Philip Rosen[103], elle ne pouvait présumer qu'on y retrouvait une description adéquate de la procédure à être suivie au ministère de la Justice vingt-cinq ans plus tôt, de 1967 à 1971. Cette approche, viciée au départ par un anachronisme, altère la justesse du reproche adressé à l'administration fédérale de ne pas avoir confié à un avocat la tâche de rédiger un rapport décrivant l'enquête, d’analyser le droit applicable, de faire une recommandation au ministre, etc. Bref, la juge commet une erreur de droit en déterminant, à partir des normes et des pratiques actuelles, ce que constituait une étude sérieuse à l'époque de la première demande de révision.

[166]     À cet égard, la décision du juge Rothstein, alors à la Cour fédérale, dans Thatcher c. Canada (Procureur général)[104], laquelle porte sur une demande de clémence datant de 1989, est instructive quant aux obligations qui s’imposaient au ministre lors de la réception d’une demande de clémence assujettie au régime en vigueur avant la réforme de 2002. Voici ce qu’écrit le juge Rothstein :

9          Bien que les observations de lord Diplock doivent maintenant être examinées au Canada dans le contexte de la Charte, elles offrent certaines directives relativement à la nature de la procédure. Sauf dans la mesure exigée par la Charte, les procédures en vertu de l’article 690 ne sont pas l’objet de droits. Une demande de clémence est présentée lorsqu’une personne déclarée coupable a épuisé ses recours pour faire valoir ses droits. En conséquence, bien que le ministre ait une obligation d’agir équitablement en vertu de la Charte, cette obligation doit être examinée en fonction du fait qu’il n’existe pas de litige en instance entre le ministère public et le requérant.

10        Le fait que la fonction du ministre de la Justice en vertu de l’article 690 constitue un « archétype d’acte de nature purement discrétionnaire » se manifeste dans la grande latitude accordée au ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Aucune disposition législative ne prévoit la façon dont le ministre devrait exercer son pouvoir discrétionnaire. Il n’y a pas d’exigence quant au type d’enquête auquel il doit procéder en vertu de l’article 690.

[…]

13        Compte tenu de la nature des procédures en vertu de l'article 690 et des conséquences pour l'intéressé, je suis d'avis que l'obligation du ministre d'agir équitablement en vertu de l'article 690 a une ampleur moindre que celle applicable aux procédures judiciaires. Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 690, le ministre doit agir de bonne foi et procéder à un examen sérieux pourvu que la demande ne soit ni futile ni vexatoire. La personne déclarée coupable devrait avoir une possibilité raisonnable d'exposer sa cause. Cependant, les procédures en vertu de l'article 690 ne constituent pas un appel sur le fond. Il n'existe pas de droit général de divulgation de tout ce dont le ministre ou ses fonctionnaires ont tenu compte.

14        Les demandes sérieuses découleront habituellement de l'existence de certaines questions nouvelles susceptibles d'indiquer qu'il y a eu erreur judiciaire. Dans la mesure où l'enquête du ministre révèle l'existence de renseignements nouveaux, la personne déclarée coupable devrait recevoir une divulgation adéquate de ces renseignements. La façon dont le ministre divulgue ces nouveaux renseignements pertinents — qu'il remette les documents mêmes ou communique seulement l'essentiel des renseignements qu'il a obtenus — dépendra des circonstances de chaque affaire, compte tenu du droit d'une personne déclarée coupable d'avoir une possibilité raisonnable d'exposer sa cause.

15        À titre exceptionnel, lorsqu'il existe de nombreux renseignements nouveaux susceptibles de fournir un fondement raisonnable de conclure à une erreur judiciaire, le ministre peut juger nécessaire d'examiner des documents dans les dossiers de la police ou du poursuivant. Dans un tel cas, les documents ou tout au moins l'essentiel des documents que le ministre ou ses fonctionnaires examinent — lorsque le requérant n'en est pas déjà au courant — devraient lui être divulgués. Cependant, le ministre n'a aucune obligation générale d'examiner les dossiers de la police et du poursuivant tout simplement parce qu'une personne déclarée coupable a présenté une demande.

[Soulignement ajouté.]

[167]     Il ressort de cet arrêt :

§  qu’une demande de clémence est présentée lorsqu’une personne déclarée coupable a épuisé ses recours;

§  que le ministre jouit d’un pouvoir discrétionnaire étendu;

§  qu’il n’y a pas d’exigence quant au type d’enquête auquel le ministre doit procéder;

§  qu’il n’y a pas d’obligation pour le ministre de motiver sa décision;

§  que le ministre doit agir de bonne foi et procéder à un examen sérieux, ce qui ne signifie nullement qu’il doive examiner les dossiers de police.

[168]     Appliquée à notre cas, cette norme de conduite décrite par le juge Rothstein suscite les commentaires suivants. La demande de révision de M. Hinse a été faite alors qu’il n’avait pas épuisé ses recours en appel. De plus, elle se fonde principalement sur les déclarations sous serment obtenues de Yvon Savard, Laurent Beausoleil et Claude Levasseur, qui reconnaissent avoir participé au vol et affirment souhaiter témoigner afin d'innocenter M. Hinse. Or, comme l'expliquait cette Cour en 1994, leurs témoignages pouvaient paraître suspects[105] :

If the fresh evidence of the persons who admitted participating in the armed robbery is believed by the trier of fact it would have altered the results at trial. However this testimony may be suspect because these witnesses failed to offer their evidence at the time of the original trial.

While Appellant reproaches his lawyer for this failure, it should be borne in mind that they could not have done so at the time, without serious detriment to their own cases. Beausoleil, who now admits having participated in the armed robbery, was represented by the attorney who acted for the Appellant, pleaded not guilty at his trial, and raised a defence of alibi. Thirty (30) years later, when this testimony is offered, Beausoleil is protected from the consequences because he has served his sentence, and even obtained a pardon. Véronneau was acquitted, and is no longer in jeopardy. Savard has been condemned to life imprisonment for another unrelated offence.

[169]     Dans la même veine, il est aussi difficile de faire totalement abstraction du fait que, lors du procès de M. Hinse, le juge Côté a tenu des propos très durs à l’endroit de ce dernier, ne croyant pas sa défense d’alibi qui, selon lui, était montée de toutes pièces. On peut aisément suspecter que le ministre n’est pas demeuré insensible au peu de crédibilité que le juge Côté a accordé à M. Hinse. Le ministre pouvait donc ne pas prêter foi aux déclarations sous serment. Certes, celles-ci indiquaient la possibilité d'une erreur judiciaire. Devant cette éventualité, une étude sérieuse du dossier de M. Hinse s'imposait. D'ailleurs, le comité spécial du Bureau du Conseil privé qui recommanda de ne pas accorder de pardon absolu à M. Hinse suggéra « that the case be referred to your department [Solliciteur général] for further study in this matter based on our above inquiry, and for the Minister's approval as to whether Mr. Hinse should be given a new trial ».

[170]     Tel que mentionné, il est difficile d'évaluer avec précision la nature de l'étude faite en raison du caractère sommaire de la preuve administrée. S'il est vrai que M. Hinse « n'a fait témoigner aucun fonctionnaire fédéral » pour démontrer l'absence d'étude sérieuse, l’appelant n'a pu produire un document expliquant les démarches entreprises par l'administration fédérale. Reste qu’aucune inférence négative ne peut être tirée de la brièveté de la décision du ministre qui, à l’époque, n’avait pas à être motivée et dont on ne peut présumer qu’elle ait été guidée par une intention malveillante, la bonne foi devant toujours se présumer en vertu de l’article 2805 C.c.Q.

[171]     De plus, la juge a eu tort de mettre l’accent sur les délais qui ont précédé la décision du ministre car, à supposer même que cela puisse constituer une faute, celle-ci ne peut être la cause des dommages allégués par M. Hinse. Ainsi que l’écrit l’appelant dans son mémoire, « ce ne sont pas les délais préalables à la décision qui sont la cause du préjudice allégué, mais plutôt la décision elle-même ». Il appert en effet que M. Hinse n’aurait pas été dans une meilleure position si sa demande avait été rejetée plus tôt, au début des années 1970 par exemple. Il aurait quand même vécu par la suite avec les stigmates d’une personne reconnue coupable au criminel.

[172]     Or, voici un autre volet du jugement qui prête à critique. La juge de première instance tient pour acquis que si le ministre avait agi promptement, l’erreur judiciaire aurait été rapidement identifiée[106]. Rien n’est moins sûr.

[173]     Saisie du pourvoi interjeté par M. Hinse lui-même en 1991, notre cour a posé le problème dans les termes suivants :

The principal issue in the original trial was the identification of the Appellant as one of the perpetrators of the crime.  The issue before this Court is whether the fresh evidence, as well as the disclosure of certain irregularities, justify an acquittal or an order for a new trial pursuant to section 686 of the Criminal Code.

[Soulignement ajouté.]

[174]     La Cour s'est ensuite livrée à un examen détaillé et exhaustif de la preuve administrée au procès et de la nouvelle présentée par M. Hinse à l'appui de son pourvoi. Voici maintenant pourquoi, à partir de cette étude, elle n'a pas opté pour l'acquittement. Le juge Steinberg :

After setting aside the evidence respecting the automobile intercepted prior to the commission of the armed robbery, there remains the identification evidence of the two victims and the alibi evidence presented by the accused. 

The persons who committed the criminal act were in the residence of the victims for a period of approximately one hour and fifteen minutes, and during that time the victims had a full opportunity to observe them.  Generally visual identification is not the strongest evidence, however the circumstances in this case, namely the lighting conditions, the duration of time available to the victims to observe the criminals, and the proximity of the victims to the persons identified are factors which lend credence to this identification.

            Rosaire Grenier first saw and identified the Appellant at the Mont-Laurier Police Station.  This identification could not in any way have been tainted by irregularities in the subsequent line-up. 

            At the preliminary inquiry and at the subsequent trial each of the victims pointed out and clearly identified the Appellant as one of the perpetrators of this criminal act. 

This evidence alone is sufficient for a properly instructed jury acting reasonably to convict the accused, if the evidence in support of the alibi, as well as the new testimony  of the admitted perpetrators of the crime, failed to raise a reasonable doubt in their minds.

            As pointed out in the original judgment there were inconsistencies, contradictions and lapses in the alibi evidence.  Some of these remain and the credibility of the alibi witnesses can only be assessed by a trier of fact. 

            The evidence which contradicts the original assertion by officer Scott at trial that the Appellant was one of the individuals seen by him in an automobile in the vicinity of the home of the victims  prior to the armed robbery, and the recent recantation of this evidence by Officer Scott bolsters the credibility of the Appellant. 

            If the fresh evidence of the persons who admitted participating in the armed robbery is believed by the trier of fact it would have altered the results at trial.  However this testimony may be suspect because these witnesses failed to offer their evidence at the time of the original trial.

             While Appellant reproaches his lawyer for this failure, it should be borne in mind that they could not have done so at the time, without serious detriment to their own cases.  Beausoleil, who now admits having participated in the armed robbery, was represented by the attorney who acted for the Appellant, pleaded not guilty at his trial, and raised a defence of alibi.  Thirty (30) years later, when this testimony is offered, Beausoleil is protected from the consequences because he has served his sentence, and even obtained a pardon.  Véronneau was acquitted, and is no longer in jeopardy.  Savard has been condemned to life imprisonment for another unrelated offence.

            I consider the fresh evidence together with all the evidence presented at trial, namely the visual identification by the victims who saw the perpetrators of this armed robbery for a continuous period in excess of an hour at close range and under reasonable lighting conditions, as well as the very first identification of the Appellant by Grenier during the accidental encounter at the Police Station.  In my view they are not sufficiently clear and conclusive to justify acquittal of the Appellant at this stage.

[Soulignement ajouté.]

[175]     Comment dans un pareil contexte conclure que l'erreur judiciaire aurait été rapidement découverte entraînant ainsi le prononcé d'un verdict d'acquittement d'une façon tout aussi rapide? Au contraire, tout porte à croire que le chemin à parcourir pour parvenir à l'acquittement aurait été passablement plus long et plus tortueux que ce qu'a déduit sommairement la juge de première instance.

[176]     Dès lors, d’affirmer comme cette dernière que le ministre aurait nécessairement dû exercer son pouvoir de clémence dans le sens souhaité par M. Hinse paraît hautement spéculatif et constitue une erreur.

[177]     Il ne s'agit pas ici d'affirmer que les ministres qui se sont succédé devaient être convaincus de l'innocence de M. Hinse pour que naisse une obligation de faire usage de l'un ou l'autre des pouvoirs discrétionnaires qui leur étaient dévolus. Tel qu'indiqué précédemment, leur obligation consistait à faire de bonne foi un examen sérieux des demandes qui leur étaient présentées. Or, il n'est pas possible d'inférer des refus auxquels se sont heurtées les demandes de M. Hinse que les différents ministres de la Justice ne se seraient pas livrés à un tel examen ou auraient agi de manière malveillante à son endroit. Pareille inférence ne peut tout simplement pas être tirée du dossier, cela dit malgré toute la déférence due au jugement de première instance en pareille matière.

[178]     Il y a une grande marge entre, d'une part, conclure a posteriori et suivant le poids des probabilités qu'il y a eu erreur judiciaire et, d'autre part, faire le constat que l'innocence de M. Hinse s'imposait avec une évidence telle que tous ceux qui ne l'ont pas reconnu très tôt étaient de mauvaise foi et ont commis une faute en n'annihilant pas sans délai les effets du verdict de culpabilité.

[179]     En ce qui a trait à la demande du 23 juillet 1980, qui survient 8 ans plus tard et qui tient sur une page, M. Hinse se contente d'affirmer avoir « été victime d'une erreur judiciaire [à la] suite à [d'] une méprise d'identification ». Le 30 décembre 1980, sa demande de révision est refusée, car on la considère vague. On précise néanmoins avoir consulté le jugement le condamnant avant de rejeter sa demande. La Cour ne peut voir là une quelconque faute du ministre.

[180]     La demande de révision faite le 9 mars 1981 paraît plus étoffée : M. Hinse y allègue l'erreur d'identification lors de la parade de décembre 1961, le fait qu'il était avec son épouse lorsque le vol a été commis, l'identité des véritables auteurs du crime, les raisons pour lesquelles ils ne témoignèrent pas à son procès, l'erreur d'identification de l'agent Scott et les déclarations sous serment l'innocentant.

[181]     Le 23 septembre 1981, cette nouvelle demande de révision est refusée, le ministre étant d'avis qu'il n'existe pas de circonstances exceptionnelles justifiant son intervention. Il est vrai que la plupart des faits allégués par M. Hinse sont les mêmes que ceux soutenant sa demande de 1967. Sont cependant nouvelles les allégations quant à la mauvaise identification par l'agent Scott et celles qui portent sur la conduite des avocats et du juge pendant son procès. Vu le peu de détails fournis par M. Hinse, ces nouvelles allégations fondées sur de vagues irrégularités commises par les policiers, les avocats et le juge du procès pouvaient paraître de peu de poids aux yeux du ministre. La lettre de refus précise que « l'étude approfondie » du dossier de M. Hinse ne révèle pas de circonstances exceptionnelles justifiant l'intervention du ministre. Peu importe l'ampleur réelle qu'a pu prendre cette « étude approfondie », la Cour est incapable d’y déceler un comportement malveillant ou même simplement fautif selon les balises établies par l’arrêt Thatcher.

[182]     Quant au refus de la demande de 1990, il est d’une nature particulière. Tout en reconnaissant l’existence de nouveaux éléments de preuve, la ministre de la Justice refuse d’exercer les pouvoirs discrétionnaires que lui confère l’article 690 C.cr., car elle considère, avec raison, que la Cour peut être saisie de la question sans son intervention. Elle invite cependant l’avocat de M. Hinse à bien vouloir lui rappeler le cas de ce dernier si la Cour refusait de donner suite à ses démarches, laissant clairement entendre par là qu’elle serait alors disposée à exercer les pouvoirs que lui confère l’article 690 C.cr. On cherche en vain un comportement fautif et malveillant dans cette ligne de conduite.

[183]     En résumé, mis à part un délai d’environ un an entre 1967 et 1968 lors duquel son dossier stagne sans raison valable, la Cour est d'avis que M. Hinse n'a pas démontré en quoi l'administration fédérale aurait été fautive lors du traitement de ses demandes de révision et de sa demande de pardon absolu et encore moins malveillante. Même en les considérant de manière globale, la Cour ne peut y voir un comportement fautif de la Couronne, qu'il s'agisse d'une négligence institutionnelle ou d'un comportement empreint de mauvaise foi. Il est malheureux que le ministre n'ait pas, en vertu de son pouvoir de révision, réparé l'injustice causée à M. Hinse et mis fin à cette erreur judiciaire, mais, à la lumière de la preuve alors disponible, rien n'indique que son examen du dossier ait été négligent.

[184]     En raison de la conclusion à laquelle en arrive la Cour, l’analyse pourrait se terminer ici. La Cour croit néanmoins approprié de donner son avis sur les principes de droit applicables ici à l'évaluation du préjudice, au partage des responsabilités et aux indemnités octroyées par la juge à M. Hinse.

Mise en contexte

[185]     La procédure introductive d'instance recherche la responsabilité solidaire de trois parties défenderesses, la Ville de Mont-Laurier, le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada. On sait, toutefois que M. Hinse a expressément fait remise aux deux premières, ne laissant à trancher au terme d'un débat judiciaire que la question de la responsabilité de l'administration fédérale.

[186]     La juge de première instance a consacré à cette situation un court chapitre qu'il convient de reproduire :

III.        RÔLE TENU PAR LA SOLIDARITÉ DANS LE CONTEXTE DE LA PRÉSENTE AFFAIRE

[17]      Dans le cadre du prononcé du présent jugement, le Tribunal ne peut pas passer sous silence le fait qu'en 1997, dans sa procédure introductive d'instance en responsabilité civile, Hinse visait à faire condamner solidairement les trois défendeurs, soit la Ville de Mont-Laurier, le PGQ et le PGC.  Or, par le biais de transactions qu'ils ont respectivement signées les 15 novembre 2002 et 2 décembre 2010, la Ville de Mont-Laurier et le PGQ ont mis fin au litige qui les opposait à Hinse.

[18]      Afin de mesurer si ces règlements hors cour ont eu un quelconque impact sur le PGC qui, au départ, était, au même titre que la Ville de Mont-Laurier et le PGQ, l'un des défendeurs poursuivis solidairement, le Tribunal discutera comme suit des principes applicables en l'espèce.

[19]      Quand en effet, en 1997, Hinse intente son recours contre ces derniers, il leur reproche d'avoir contribué au préjudice dont il serait l'objet en commettant des fautes distinctes et successives, ce qui, selon lui, entraînerait la mise en œuvre des articles 1480 et 1526 du Code civil du Québec qui se lisent comme suit :

« 1480. Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice ou qu'elles ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d'avoir causé le préjudice, sans qu'il soit possible, dans l'un ou l'autre cas, de déterminer laquelle l'a effectivement causé, elles sont tenues solidairement à la réparation du préjudice.

[…]

1526. L'obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque cette obligation est extracontractuelle. »

[20]      Dans la mesure où Hinse aurait réussi à faire la preuve des fautes qu'il allègue, le Tribunal aurait conclu à une responsabilité solidaire entre les défendeurs.

[21]      L'article 1690 C.c.Q. prévoit toutefois que la remise expresse de dette accordée à un débiteur solidaire libère les autres codébiteurs de la part de celui qu'il a déchargé. En conséquence, en l'instance, les règlements hors cour relèvent Hinse d'avoir à prouver les fautes de la Ville de Mont-Laurier et du PGQ, le PGC ne pouvant, comme corollaire, qu'être tenu responsable du remboursement de la part du préjudice qu'il lui aurait causé.

[22]      Comme, de plus, à la suite de la transaction conclue entre le PGQ et Hinse, ce dernier a amendé sa procédure afin de ne réclamer au PGC que la portion qu'il lui attribue selon les différents chefs de dommages qu'il invoque, pour les fins du présent débat, respectant les dispositions plus haut citées, le Tribunal n'analysera que les demandes adaptées à cette nouvelle réalité et qui ne concernent que le PGC.

[Renvois omis et soulignement ajouté.]

[187]     Cette prémisse posée, la juge s'emploie à identifier la ou les fautes attribuables aux préposés du gouvernement du Canada. Elle écrit à ce sujet :

[55]      « Les faits à l'origine de circonstances devant les tribunaux inférieurs [étayent] suffisamment [la] conclusion »  que les décisions originant des autorités fédérales gouvernementales sont fautives, le corollaire étant qu'Hinse n'en conteste ni la légalité ni la validité en intentant son recours en dommages-intérêts.  L'argument que présente le PGC voulant que ce dernier avait l'obligation de procéder par le biais du contrôle judiciaire est en conséquence rejeté. En effet, vu ce qui précède, à partir de l'énumération et de l'analyse qu'effectue Hinse des événements qui se sont déroulés à partir de 1967, le Tribunal est d'opinion que la conduite du gouvernement fédéral est empreinte d'indifférence institutionnelle.

[56]      Voici plus précisément pourquoi.

[57]      Rappelons d'abord que, entre mars et novembre 1966, mettant sa sécurité et son intégrité physique en péril, la loi de l'omerta régnant au pénitencier, Hinse convainc trois des auteurs du vol de l'innocenter : dans les affidavits qu'ils signent, deux d'entre eux reconnaissent en outre leur participation au crime commis en 1961.  Jusqu'à ce que la CPQ s'intéresse à son dossier en 1988, malgré les multiples et pressants S.O.S. qu'il lance, personne ne l'écoute vraiment, personne ne l'assiste, personne ne vérifie ses allégations, personne ne tente de les valider.

[58]      Bref, personne ne s'en préoccupe, personne ne se mobilise pour lui porter main-forte, lui qui, au début de sa lutte est même encore emmuré dans la cellule du pénitencier.  Complètement laissé à lui-même, plongé dans ce gouffre de mutisme où il affronte sans jamais baisser les bras les obstacles auxquels il se bute, il persiste, décuplant les efforts.  Jouissant d'une liberté conditionnelle à partir de 1969, il poursuit son combat, portant sur ses épaules le stress que ce douloureux processus lui impose et assumant seul les coûts que commandent ses innombrables démarches et recherches.

[59]      Même si la Cour suprême l'acquitte le 21 janvier 1997, le gouvernement fédéral continue de faire la sourde oreille : il demeure en effet silencieux quand le ministre de la Justice du Québec lui propose de l'indemniser en vertu des Lignes directrices.

[60]      En outre, pendant plus de 13 ans, le PGC contestera avec fermeté et vigueur l'action qu'intente Hinse en 1997, perpétuant ainsi le déni de justice auquel ce dernier est confronté depuis plus de 35 ans.  Pis encore, à l'audience le PGC ira jusqu'à faire siennes les conclusions du psychiatre à qui il confie le mandat d'établir s'il existe un rapport entre l'état psychique qu'il retrouve chez Hinse et l'historique plus haut établi : au grand étonnement de l'avocat même qui avait réservé ses services, reconnaît ce dernier, l'expert déclarera que le « cadre structurant de […] [l']incarcération […] a […] [tout compte fait] favorisé […] [le] développement »  de Hinse.

[61]      Pour les motifs invoqués dans l'affaire Agence canadienne d'inspection des aliments  citée plus haut, le Tribunal est d'avis que le gouvernement fédéral est responsable des fautes qu'ont commises ses préposés et ses mandataires qui se sont principalement traduites par l'indifférence dont ils ont fait preuve à son égard.  […]

[Renvois omis.]

[188]     Pourtant, comme le font voir les paragraphes 19 et 20 reproduits ci-haut, la juge est loin d'avoir écarté la possibilité que tout ou partie du préjudice subi ne soit la conséquence de fautes distinctes qui auraient été commises par chacune des trois parties défenderesses. Elle se contente d'évacuer la difficulté en se réclamant d'une règle dont elle tire une inférence erronée en droit. Elle l'énonce en ces termes :

[21]      […] En conséquence, en l'instance, les règlements hors cour relèvent Hinse d'avoir à prouver les fautes de la Ville de Mont-Laurier et du PGQ, le PGC ne pouvant, comme corollaire, qu'être tenu responsable du remboursement de la part du préjudice qu'il lui aurait causé.

[Renvoi omis.]

[189]     En l'espèce, les remises effectuées par M. Hinse ne peuvent avoir pour effet d'annihiler complètement les effets de la solidarité. Bien sûr, M. Hinse n'avait pas le fardeau de prouver les fautes des préposés de la Ville de Mont-Laurier et de ceux du gouvernement du Québec. Cela est d'autant plus évident que c'est lui-même qui devait en supporter les conséquences. Mais le constat que le fardeau de la preuve ne reposait pas sur les épaules de M. Hinse ne dispensait pas la juge d'appliquer le droit aux faits établis devant elle. Ainsi, dans toute la mesure où des postes de réclamation pouvaient relever de la responsabilité de plus d'un débiteur solidaire, les remises consenties par M. Hinse rendaient nécessaires l'examen des fautes causales et le partage des parts de responsabilité. En pareille situation, c'est le créancier qui doit supporter la part des débiteurs solidaires qu'il libère :

1690.   La remise expresse accordée à l'un des débiteurs solidaires ne libère les autres codébiteurs que pour la part de celui qu'il a déchargé; et si l'un ou plusieurs des autres codébiteurs deviennent insolvables, les portions des insolvables sont réparties par contribution entre tous les autres codébiteurs, excepté celui à qui il a été fait remise, dont la part contributive est supportée par le créancier.

[…]

[Soulignement ajouté.]

[190]     Il ne faut pas perdre de vue qu'en l'espèce, le gouvernement du Canada perd, du fait de M. Hinse, la subrogation à laquelle il aurait autrement droit à l'égard de tous les préjudices qui ne découlent pas de sa seule faute[107].

[191]     Or, malgré la preuve claire de l'existence de fautes imputables aux préposés de la Ville de Mont-Laurier et à ceux du gouvernement du Québec, jamais la juge n'aborde-t-elle les questions qui découlent de la part de responsabilité que M. Hinse devrait maintenant supporter en raison des remises faites. Ces parts, on le sait, s'évaluent en fonction de la gravité respective de chacune de celles qui ont été commises en application de l'article 1478 C.c.Q. Cette disposition, qui reprend la règle dégagée sous l'empire du Code civil du Bas-Canada, stipule en effet :

1478.   Lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes, la responsabilité se partage entre elles en proportion de la gravité de leur faute respective.

La faute de la victime, commune dans ses effets avec celle de l'auteur, entraîne également un tel partage.

[Soulignement ajouté.]

[192]     La juge aborde le litige comme s'il coulait de source que toutes les conséquences néfastes indiquées par M. Hinse ne découlent que de la seule faute qu'elle impute au gouvernement du Canada, en l'occurrence l'inertie institutionnelle seule. Elle s'exprime ainsi :

B.        Si oui, existe-t-il un lien de causalité entre le préjudice qu'Hinse se plaint d'avoir subi et la faute qu'il reproche au PGC d'avoir commise?

1.         Le droit

[…]

2.         L'application de ces principes à la présente affaire

[93]      Aussi, selon le PGC, n'existerait-il aucun lien de cause à effet entre le préjudice qu'Hinse aurait subi en raison du délai qui s'est écoulé entre les premières lettres qu'il envoie en 1967 aux autorités fédérales pour les sensibiliser à l'injustice qu'il subit et l'arrêt que la Cour suprême prononce en 1997.

[94]      Hinse n'est pas du même avis.  Le Tribunal retient son opinion.

[95]      Après avoir réitéré que, dès l'obtention des affidavits disculpatoires, il avait signalé au gouvernement concerné l'erreur judiciaire dont il avait été victime, qui commandait un examen sérieux de son cas, Hinse affirme que le ministre fédéral de la Justice avait l'obligation d'agir dans les plus brefs délais.  La simple existence des pouvoirs qui lui sont conférés en ce domaine atteste en effet de l'importance qu'ils soient judicieusement et consciencieusement exercés.  Il aurait donc dû pratiquer une enquête approfondie aussitôt alerté, soutient Hinse.  Selon lui en effet, que les autorités soient demeurées imperméables à ses appels constitue une conduite répréhensible qui s'est traduite par une faute qui s'est par la suite aggravée en se perpétuant dans le temps.

[96]      Rappelons, si tant est qu'il soit nécessaire de le faire, que pendant trois décennies Hinse a sollicité l'aide d'au moins huit ministres fédéraux de la Justice différents, de quelques premiers ministres, de nombreux solliciteurs généraux et de leurs adjoints, de plusieurs commissaires du Service pénitentiaire canadien et de la Commission des libérations conditionnelles, de différents coordonnateurs, conseillers de ministres et autres personnes en autorité au sein du gouvernement fédéral.  Aucun d'eux ne s'est jamais inquiété de l'alarme qu'il sonnait.

[97]      Vu ce qui précède, le Tribunal est d'avis qu'en raison de son incurie, le gouvernement fédéral a omis d'accorder aux nombreuses et insistantes requêtes de Hinse le sérieux et la célérité qu'elles méritaient.  Ce comportement fautif, qui s'échelonne sur une période de 40 ans, est le fruit d'une attitude irresponsable.  Si le PGC avait agi promptement et avec compétence, l'erreur judiciaire aurait rapidement été identifiée.  En conséquence, il y a tout lieu de croire que l'acquittement de Hinse aurait été prononcé au plus tard au milieu des années 70.  Entre 67 et 76, constatant que les autorités prêtaient une oreille attentive à ses propos, il aurait au moins eu l'espoir de bientôt pouvoir franchir la ligne d'arrivée.

[98]      Aussi, les faits que les paragraphes 39 à 77 du présent jugement illustrent, estime le Tribunal, et qu'Hinse a prouvé par présomption de faits, établissent le lien de causalité existant entre le préjudice qu'il subit et les fautes qu'a commises le PGC jusqu'à maintenant.

[Renvois omis.]

[193]     De l'avis de la Cour, il y a ici méprise. Comme nous le verrons un peu plus loin, même en supposant que la conduite de l'administration a été fautive, certains postes de réclamation retenus ne peuvent avoir été causés par sa seule faute. Dit avec égards, dans la mesure où il y avait solidarité entre les trois parties défenderesses concernant certains chefs de réclamation, l'exercice auquel la juge s'est livrée est entaché d'une erreur de principe.

[194]     Il faut le dire, l'exercice requis dans un cas aussi particulier se révélait fort délicat. Il était en effet nécessaire de procéder à l'évaluation et au partage de responsabilité entre plusieurs acteurs fautifs susceptibles, à divers degrés, d'avoir causé des préjudices s'étant manifestés de différentes façons et à différentes époques, le tout au cours d'une longue période.

[195]     Ainsi, dans l'hypothèse même où elle aurait été fondée de retenir la responsabilité de l'administration fédérale, la juge devait d'abord isoler les préjudices attribuables à la conjugaison de plusieurs fautes, et déterminer ensuite, en termes de pourcentage, la gravité respective de celles commises par les préposés de chacune des parties impliquées. Elle devait ensuite déduire du total payable au créancier les parts qui seraient revenues à la Ville de Mont-Laurier et au gouvernement du Québec, celui du Canada n'étant redevable que du reliquat. Elle devait aussi évaluer isolément les préjudices attribuables à la seule faute de l'administration fédérale.

[196]     La situation révélée par la preuve nécessitait une analyse certainement plus pointue que celle à laquelle la juge s'est livrée, d'autant que la faute imputée à l'administration fédérale serait intervenue une fois M. Hinse reconnu coupable et incarcéré.

[197]     Il tombe sous le sens que le gouvernement du Canada est totalement étranger à tous les événements qui sont à l'origine de l'erreur judiciaire survenue au début des années soixante. La juge retient que l'inertie reprochée à l'administration fédérale aurait retardé le prononcé d'un verdict d'acquittement :

[97]      […]  Ce comportement fautif, qui s'échelonne sur une période de 40 ans, est le fruit d'une attitude irresponsable.  Si le PGC avait agi promptement et avec compétence, l'erreur judiciaire aurait rapidement été identifiée.  En conséquence, il y a tout lieu de croire que l'acquittement de Hinse aurait été prononcé au plus tard au milieu des années 70.  Entre 67 et 76, constatant que les autorités prêtaient une oreille attentive à ses propos, il aurait au moins eu l'espoir de bientôt pouvoir franchir la ligne d'arrivée.

[Renvoi omis et soulignement ajouté.]

[198]     Autrement dit, l'inertie institutionnelle aurait fait en sorte que certains volets du préjudice encore existant en 1976 se seraient prolongés au delà de ce moment, et même, selon la juge, après le verdict d'acquittement inscrit par la Cour suprême en 1997. Il s'ensuit aussi que les fautes initiales imputables à la Ville de Mont-Laurier et au gouvernement du Québec auraient cessé de produire certains de leurs effets néfastes en 1976, n'eut été de l'indifférence institutionnelle du gouvernement du Canada.

[199]     La juge ne l'exprime pas en ces termes, mais son exercice d'évaluation du préjudice correspond à celui requis dans le cas d'un novus actus interveniens.

[200]     La Cour estime qu'aucune faute causale n'est attribuable aux préposés du gouvernement du Canada. Si, toutefois, il avait fallu conclure en sens contraire, la plupart des conséquences néfastes subies par M. Hinse et reconnues par la juge découleraient en réalité de la conjugaison de plusieurs fautes. Dans certains cas, le gouvernement du Canada y est totalement étranger. Par ailleurs, la prolongation dans le temps des stigmates reliés à la déclaration de culpabilité serait la conséquence de la seule inertie coupable de l'administration fédérale, cette faute ayant alors joué à cet égard le rôle d'un novus actus interveniens.

[201]     Sous cet éclairage, il convient maintenant de commenter brièvement les postes de réclamation accordés par la Cour supérieure.

Les dommages pécuniaires

1-         La perte de revenus

[202]     M. Hinse a obtenu en Cour supérieure un montant de 127 214 $ pour la perte de revenus qu’il a subie en raison du fait qu’il a pris sa retraite à 60 ans au lieu de 65 ans. L'appelant soutient qu'il n'existe aucun lien de causalité entre la décision de M. Hinse de prendre sa retraite plus tôt et l'action des préposés de la Couronne fédérale. Il a raison.

[203]     Travaillant dans l'industrie de la construction, M. Hinse avait l'opportunité de prendre sa retraite à partir de l'âge de 55 ans. Toutefois, il avait comme objectif de travailler jusqu'à l'âge de 70 ans. Au cours de son témoignage, il rapporte avoir pris sa retraite à l'âge de 60 ans alors qu’il se sentait capable de travailler, suivant en cela le conseil de sa femme. Il venait alors d'entamer devant la Cour supérieure la poursuite qui sert de toile de fond au présent pourvoi. Appréhendant que celle-ci allait impliquer de nombreuses démarches, il a décidé de cesser de travailler. Bref, M. Hinse a volontairement choisi de prendre sa retraite pour se consacrer à sa poursuite en dommages contre toutes les parties défenderesses.

[204]     S'il y avait faute causale de l'administration fédérale, elle se conjuguerait nécessairement à celles des deux autres parties défenderesses, lesquelles contestaient alors les réclamations dirigées contre elles au même titre que le procureur général du Canada.

[205]     Cela dit, M. Hinse reproche à l’administration fédérale son inertie institutionnelle. À y regarder de près, il ne peut guère y avoir de lien de causalité entre le choix personnel de M. Hinse de prendre sa retraite et la faute reprochée.

[206]     De plus, la poursuite ne semble pas avoir cheminé entre 1997 et 2002. L’examen des actes de procédures révèle en effet qu'il y a eu la déclaration de M. Hinse en 1997, les défenses respectives des procureurs généraux du Québec et du Canada en 1998 et ensuite la transaction avec la Ville de Mont-Laurier en 2002. L'acte de procédure suivant survient seulement en 2006. Il est également important de rappeler que M. Hinse était représenté par avocat et que c’est à ce dernier qu’il appartenait en premier lieu de monter le dossier.

[207]     Bien que M. Hinse ait eu à fouiller, relire, sélectionner et réunir les documents qu'il avait conservés, cela ne l’empêchait nullement de travailler. La juge a commis une erreur en faisant droit à ce chef de réclamation.

2-         Honoraires et dépens judiciaires engagés en Cour d'appel et en Cour suprême

[208]     Concernant les honoraires et dépens judiciaires engagés en Cour d'appel et en Cour suprême, l'appelant soutient également qu'il n'existe aucun lien causal entre la conduite des ministres et les coûts des procédures d'appel intentées par M. Hinse entre 1991 et 1997. Selon l’appelant, même si le ministre avait acquiescé à l’une des demandes de M. Hinse, il aurait, soit ordonné un nouveau procès, soit renvoyé l’affaire devant notre cour. M. Hinse aurait donc dû, de toute façon, payer pour les services de ses avocats. Cette prétention doit être nuancée.

[209]     Les auteurs Baudouin et Deslauriers mentionnent que les victimes d’une arrestation ou détention arbitraires ont le droit d’être compensées pour les honoraires d’avocats encourus lors du procès criminel[108]. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit dans les affaires Chartier et Proulx[109].

[210]     À ce propos, le premier juge dans l'affaire Proulx indiquait[110] :

[35]      Compte tenu du travail nécessité pour le procès d'assises et l'enquête préliminaire qui l'a précédé, compte tenu de la durée du procès et du travail nécessité pour l'appel, le tribunal est d'avis que le montant réclamé pour les honoraires est tout à fait raisonnable. Comme telle, la somme des honoraires n'a pas été contestée.

[211]     Concernant ce chef de réclamation, la juge de première instance conclut ainsi[111] :

[161]    À titre de dommages pécuniaires, le Tribunal accueillera la réclamation qu'Hinse formule en ce qui a trait à son dossier criminel.

[162]    Longuement avons-nous déjà discuté du parcours qu'il a dû d'abord franchir pour obtenir que la Cour d'appel l'entende près de 30 ans après le prononcé du verdict le condamnant, ce qui représentait déjà un cheminement d'exception. Par la suite, son marathon s'est poursuivi jusque devant la Cour suprême qu'il convainc de lui accorder une audience. Ces étapes qui, comme nous le précisons aux paragraphes 78 à 84 du présent jugement, constituaient un passage obligé en l'espèce, se doivent d'être compensées.

[163]    Aussi, le Tribunal condamnera-t-il le PGC à verser à Hinse à ce chapitre un montant de 193 660,88 $, ces honoraires et dépens étant engagés dans le cadre du dossier criminel qui a connu son dénouement en janvier 1997.

[212]     En l’espèce, M. Hinse a bel et bien subi un préjudice de nature pécuniaire pour défendre son innocence devant la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada. Comme mentionné ci-haut, la jurisprudence connaît des cas où on a fait droit à des réclamations pour ce type de préjudice dans les cas de personnes injustement accusées. Mais, au premier chef, l'obligation d'indemniser repose sur ceux qui sont responsables de l'accusation injuste, en l'espèce, la Ville de Mont-Laurier et le gouvernement du Québec. Dès lors, s'il fallait retenir une faute de l'administration fédérale, ce qui n’est pas l’avis de la Cour, il y aurait alors eu matière à solidarité avec les deux autres parties également responsables, et ce, pour une partie des honoraires engagés par M. Hinse.

[213]     De plus, l’appelant n’a pas à répondre de l’aggravation des dommages causés par M. Hinse (1479 C.c.Q.). Ce dernier n’ayant pas porté sa condamnation en appel avant 1991, la juge devait en tenir compte et réduire le quantum en conséquence. Ne l’ayant pas fait, elle a commis une autre erreur.

3-         Frais d'enquête, perte de temps, efforts, photocopies, transcriptions, déplacements, timbres, etc.

[214]     La juge de première instance a accordé 500 000 $ pour les frais d'enquête, perte de temps, efforts, photocopies, transcriptions, déplacements, timbres, etc. Au soutien de ses propos, elle mentionne :

[170]    Aussi, vu l'historique dont nous avons plus haut traité, le Tribunal est-il d'avis que l'indemnité qu'Hinse espère recevoir à ce poste n'est pas exagérée.  Même si le PGC lui reproche de ne pas avoir décrit d'heure en heure, jour après jour, année après année le labeur qu'il dit avoir abattu, l'exposé qu'Hinse a livré de l'horaire qu'il s'était imposé, plus particulièrement au cours des décennies 70, 80 et 90, soit après sa sortie du pénitencier, a convaincu le Tribunal que sa demande est justifiée.

[215]     De l’avis de la Cour, la perte de temps et les efforts déployés pour obtenir justice font partie des dommages non pécuniaires puisqu’il n’y a aucune preuve en l’espèce de pertes de revenus. Il s’agit d’inconvénients, de troubles inhérents aux efforts de quiconque est entraîné dans une telle démarche. Comme ce chef de réclamation fait déjà l’objet d’une indemnisation séparée dans le jugement, il y a donc eu double compensation à cet égard. De plus, tout le préjudice subi par M. Hinse avant que n'intervienne le règlement conclu avec l'administration québécoise relèverait de plus d'une faute, entraînant dès lors la nécessité de partager la solidarité.

[216]     Pour toutes ces raisons, la juge n'aurait pas dû accorder la totalité de ces chefs de réclamation. Elle a également erré en ne prenant pas en considération que M. Hinse est en partie responsable de ses propres dommages en n’ayant pas interjeté appel de sa condamnation avant 1991.

Les dommages non pécuniaires

[217]     La juge de première instance a condamné l’appelant à verser à M. Hinse la somme de 1 900 000 $ à titre de dommages non pécuniaires. Selon la juge, l’appelant doit être tenu responsable de ces dommages parce que le ministre de la Justice, à l’époque, aurait pu mettre fin au préjudice de M. Hinse plus tôt, quelque part au milieu des années 70. Or, l'octroi de cette indemnité suscite plusieurs difficultés, notamment celles qui suivent.

[218]     Selon la juge, l'inertie institutionnelle a donc produit ses effets néfastes à compter de 1976. Or, il ressort clairement de la preuve, en particulier du témoignage du psychiatre Lionel Béliveau concernant les séquelles psychologiques endurées par M. Hinse, que le préjudice majeur qu'il a subi découle essentiellement de son arrestation, de sa condamnation et de son incarcération, un ensemble de conséquences néfastes que la juge n’a pas évaluées spécifiquement. Or, celles-ci résultent exclusivement, il ne faut pas l’oublier, de la conduite des préposés du gouvernement du Québec et de ceux de la Ville de Mont-Laurier. Par opposition, la prolongation d'une partie de ce préjudice, en l'occurrence celui relié aux stigmates associés à la déclaration de culpabilité et au séjour en milieu carcéral, ne relèverait que de la faute de l'administration fédérale. Son inaction constituerait à cet égard un novus actus interveniens.

[219]     En résumé, il aurait fallu procéder à une évaluation beaucoup plus spécifique que celle faite en première instance. À n'en pas douter, le chiffre de 1 900 000 $ ne peut constituer une évaluation raisonnable de la perpétuation dans le temps du préjudice moral dont les principales composantes, condamnation et incarcération, avaient déjà entièrement produit leur effet néfaste pour M. Hinse.

[220]     Toujours relativement à la somme de 1 900 000 $ accordée par la juge, la Cour ne peut faire autrement que de noter que cette dernière s’est largement écartée du plafond d’indemnisation établi dans les arrêts Andrews, Thornton et Arnold[112], lequel plafond est applicable lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’indemniser un préjudice psychologique ne causant pas de pertes financières. Les propos tenus à cet égard par notre cour dans France Animation S.A. c. Robinson[113] sont à cet effet :

[209]    Les appelants proposent deux autres moyens d'appel concernant le paragraphe 1118 du jugement.

[210]    Ils soutiennent d'abord que le juge a commis une erreur en octroyant à M. Robinson une indemnité de 400 000 $ à titre de dommage moral ou psychologique. Plus précisément, ils prétendent que le juge aurait dû appliquer ici les règles établies dans la trilogie Andrews c. Grand Toy Alberta Ltd., Thornton c. School District No. 57 (Prince George), et Arnold c. Teno, qui a fixé un plafond pour l'indemnisation des dommages de nature non pécuniaire.

[211]    Le juge a conclu que M. Robinson a subi une atteinte psychologique pour laquelle il fixe le quantum des dommages de la façon suivante :

[985]    Le demandeur invoque l’arrêt Hill où la Cour suprême a accordé une somme de 300 000 $ à un substitut du Procureur général pour atteinte à sa réputation et diffamation par des allégations non fondées d’abus de confiance criminelles.

[…]

[991]    Les défendeurs soumettent un parallèle de quantum assimilé à la mort d’un enfant, ce qui n’est pas notre cause. En l’espèce, nous sommes devant un viol si on considère la relation très personnelle qui existe entre le personnage de Curiosité et le demandeur, son lien de paternité étant directement inspiré de sa vie, de sa famille et de ses proches et de l’intimité avec le personnage principal dans la mesure où celui-ci a été inspiré de sa propre personne, tant par son caractère que par ses attributs physiques et son patronyme.

[992]    Le Tribunal retient également que plus de quatorze ans se sont écoulés depuis l’affaire Hill et qu’il y a lieu d’actualiser cette somme de 300 000 $.

[993]    Le Tribunal conclut qu’il est raisonnable d’octroyer une somme de 400 000 $ à titre de préjudice moral en l’instance.

[212]    Par ces renvois à l'affaire Hill, le juge laisse entendre que c'est d'une atteinte à sa réputation que M. Robinson a souffert. Or, cela contredit ce qu'il a écrit au paragraphe 957 :

[957]    Il y a absence de preuve quant à ce que l’honneur et la réputation du demandeur ont été entachés par les modifications apportées à l’œuvre.

[213]    Il faut signaler ici que, dans la section 16 du jugement, le juge a rejeté la réclamation de 250 000 $ faite par M. Robinson pour atteinte à ses droits moraux visés au paragraphe 14.1(1) LDA :

14.1(1) L’auteur d’une œuvre a le droit, sous réserve de l’article 28.2, à l’intégrité de l’œuvre et, à l’égard de tout acte mentionné à l’article 3, le droit, compte tenu des usages raisonnables, d’en revendiquer, même sous pseudonyme, la création, ainsi que le droit à l’anonymat.

[214]    Cette décision n'a pas été portée en appel par les intimés.

[215]    Notons, par ailleurs, que le rapport du psychiatre Louis Côté, cité au paragraphe 965 contenu dans la section 17 du jugement, fait état d'un « état de détresse psychique très important » et de « symptômes d'anorexie, d'amaigrissement, de vomissements, de réaction physiologique, de blanchiment de sa barbe ainsi que des troubles de sommeil avec cauchemars persistants […] ». Terminant son rapport, il conclut à un diagnostic de « trouble d'adaptation avec humeur anxio-dépressive ».

[216]    En somme, il n'y a pas ici atteinte à la réputation de M. Robinson, car le juge conclut à l'absence d'une telle preuve. Il n'y a pas, non plus, atteinte à ses droits moraux visés par le paragraphe 14.1(1) LDA puisque le juge a refusé une telle réclamation et que sa décision n'a pas été portée en appel. Enfin, la preuve n'a pas établi que l'atteinte psychologique éprouvée par M. Robinson lui a causé une perte financière. Dans ces circonstances, le préjudice subi par M. Robinson est un préjudice corporel de nature non pécuniaire et doit être indemnisé selon l'enseignement de la Cour suprême dans la trilogie mentionnée plus haut.

[217]    Selon l'arrêt Godin c. Quintal, c'est à la date d'assignation et non à la date du jugement qu'il faut se placer pour fixer le plafond découlant de la trilogie. Or, en 1996, ce plafond était établi à 242 700 $. Cette indemnité maximale est généralement accordée aux victimes les plus touchées comme c'est le cas des personnes qui ont subi des blessures graves entraînant des séquelles importantes et permanentes qui les privent de toutes les petites joies de la vie.

[Renvois omis et soulignement ajouté.]

[221]     Enfin, afin de déterminer l'indemnité à être versée, la juge de première instance s'est inspirée des montants versés dans les affaires Truscott, Sophonow, Marshall et Milgaard[114] dans lesquelles les compensations accordées sont respectivement 6,5 millions, 2,5 millions, 3,83 millions et 10 millions. Il s'agit de quatre cas de condamnations injustifiées pour meurtre où les quatre accusés ont été privés de leur liberté pendant respectivement 10 ans, 45 mois, 11 ans et 23 ans. À cet égard, il importe de rappeler que l’administration fédérale n’est pas responsable de la privation de liberté de M. Hinse.

[222]     Les montants octroyés dans les affaires Truscott, Sophonow et Marshall font par ailleurs suite aux recommandations faites par des commissions d'enquête ou autres organes consultatifs. Ces montants n’ont donc pas été accordés au terme d'un processus contradictoire. Ils ne sont pas le résultat de condamnations judiciaires[115], mais sont plutôt le fruit de considérations beaucoup plus vastes que l’indemnisation de la perte subie. De plus, dans l'affaire Milgaard, le montant a été versé à la suite d'une entente négociée hors cour. Ces cas se distinguent de celui de M. Hinse, ce dernier ayant été injustement accusé de vol à main armée et non de meurtre comme dans ces quatre affaires, un crime dont les stigmates sont beaucoup plus importants.

[223]     En somme, en supposant que l'administration fédérale ait commis une faute, l'indemnité qu'elle aurait dû payer à ce chapitre aurait dû être réduite considérablement.

Les dommages exemplaires

[224]     En principe, la solidarité n'existe pas lorsqu'il s'agit de condamner plusieurs personnes au paiement de dommages exemplaires[116]. Dans l'hypothèse d'une faute de l'administration fédérale, il aurait donc fallu examiner sa conduite isolément et évaluer l'opportunité d'avoir recours ici à ce type de remède.

[225]     Concluant à l’applicabilité de la Charte québécoise à l’administration fédérale par l’effet de l’article 3 LRCE[117], la juge condamne l’appelant à verser à M. Hinse la somme de 2,5 M$ à titre de dommages exemplaires.

[226]     Il importe de rappeler qu’en matière de responsabilité civile, l’État fédéral est, en vertu de l’article 3 LRCE, régi au Québec par les règles générales prévues au Code civil. Cette disposition, en matière de responsabilité, a pour effet d’assimiler la Couronne fédérale à une personne et de l’assujettir, au Québec, au régime de la responsabilité civile en vigueur.

[227]     C’est ce que rappelait en 2010 la Cour suprême, sous la plume du juge LeBel, dans Agence canadienne d’inspection des aliments c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada[118] :

[26]        D’après l’article 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, au Québec, en matière de responsabilité, l’État est assimilé à une personne pour la réparation du préjudice causé par la faute de ses préposés. Aux termes de l’art. 2 de cette loi, la « responsabilité » s’entend de la « responsabilité civile extracontractuelle » au Québec et de la « responsabilité délictuelle » dans les provinces de common law. Conformément à l’art. 1376 C.c.Q., les règles québécoises de responsabilité civile s’appliquent aux fautes de l’administration publique, à moins qu’une partie ne puisse démontrer que d’autres règles de droit, comme celles du droit public, priment les règles du droit civil (Prud'homme c. Prud'homme, 2002 CSC 85 (CalLII), 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663, par. 31). Par conséquent, la Cour supérieure du Québec a, en règle générale, compétence sur les parties et sur l’objet du litige dans le domaine de la responsabilité civile.

[228]     Ceci étant, se pose, sur le plan méthodologique, la question de savoir si la Charte québécoise est visée par le renvoi au régime de la responsabilité civile extracontractuelle opéré par la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et si elle s’applique à la conduite des préposés du gouvernement fédéral. De l’avis de la Cour, il ne sera pas nécessaire de répondre à cette question. Ainsi que nous l’avons vu, aucune faute ne peut être reprochée au gouvernement fédéral. Partant, comme seule une atteinte illicite et intentionnelle à un droit ou à une liberté reconnus par la Charte confère à la victime le droit de réclamer des dommages punitifs ou exemplaires[119], on conviendra assez rapidement du caractère théorique de la question.

[229]     Ainsi, en l’absence d’une atteinte illicite au droit à l’honneur, à la dignité et à la réputation de M. Hinse, il n’y avait pas lieu d’accorder des dommages exemplaires à ce dernier. La même conclusion s’impose si, à titre subsidiaire encore une fois, on poursuit l’analyse aux fins de vérifier le caractère intentionnel ou non de l’atteinte alléguée.

[230]     Dans l’arrêt St-Ferdinand[120], la Cour suprême s’est penchée sur la portée à donner à l’expression « atteinte illicite et intentionnelle ». Elle fait l’analyse suivante de l’intention requise sous le deuxième alinéa de l’article 49 de la Charte québécoise[121] :

117.     Contrairement aux dommages compensatoires, l’octroi de dommages exemplaires prévu au deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte ne dépend pas de la mesure du préjudice résultant de l’atteinte illicite, mais du caractère intentionnel de cette atteinte. Or, une atteinte illicite étant, comme je l’ai déjà mentionné, le résultat d’un comportement fautif qui viole un droit protégé par la Charte, c’est donc le résultat de ce comportement qui doit être intentionnel.  En d’autres termes, pour qu’une atteinte illicite soit qualifiée d’«intentionnelle», l'auteur de cette atteinte doit avoir voulu les conséquences que son comportement fautif produira.

118.     Dans cette perspective, afin d’interpréter l’expression «atteinte illicite et intentionnelle», il importe de ne pas confondre le fait de vouloir commettre un acte fautif et celui de vouloir les conséquences de cet acte. À cet égard, le deuxième alinéa de l'art. 49 de la Charte ne pourrait être plus clair: c'est l'atteinte illicite — et non la faute — qui doit être intentionnelle. En conséquence, bien que certaines analogies soient possibles, je crois qu'il faille néanmoins résister à la tentation d’assimiler la notion d’«atteinte illicite et intentionnelle» propre à la Charte aux concepts traditionnellement reconnus de «faute lourde», «faute dolosive» ou même «faute intentionnelle».  Contra: voir, notamment, Baudouin, op. cit., aux pp. 153 et 154; L. Perret, «De l'impact de la Charte des droits et libertés de la personne sur le droit civil des contrats et de la responsabilité au Québec» (1981), 12 R.G.D. 121, aux pp. 138 et 139; G. Brière de L'Isle, «La faute dolosive — tentative de clarification», D.1980.Chron.133.  

[…]

120.     À la lumière de la jurisprudence et de la doctrine au Québec et en common law sur la question et, plus important encore, conformément aux principes d'interprétation large et libérale des lois sur les droits et libertés de la personne ainsi qu'à l'objectif punitif et dissuasif du redressement de nature exemplaire, j'estime qu'une approche relativement permissive devrait être favorisée en droit civil québécois lorsqu'il s'agit de donner effet à l'expression «atteinte illicite et intentionnelle» aux fins des dommages exemplaires prévus par la Charte.

121.     En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.

[Soulignement ajouté.]

[231]     Dans Aubry c. Éditions Vice-Versa Inc.[122], la Cour suprême réitère que ni la simple négligence, ni l’insouciance face aux droits fondamentaux d’autrui ne suffisent pour fonder une condamnation sous ce chef de réclamation.

[232]     Qu’en est-il en l’espèce? Même si on en arrivait à la conclusion que l’administration fédérale a fait preuve de négligence dans son examen du dossier, il faudrait malgré tout conclure que cela n’est pas suffisant pour rencontrer le standard élevé fixé en matière d’octroi de dommages exemplaires. Il en va ainsi parce que rien dans la preuve ne permettait de conclure que les différents ministres s’étant succédé au cours des ans ont agi avec un état d’esprit démontrant une volonté de nuire à M. Hinse ou avec une connaissance équivalente des conséquences nuisibles pour lui d’un refus.

[233]     Intéressons-nous maintenant au quantum.

[234]     L’article 1621 C.c.Q. guide les tribunaux dans l’établissement du quantum des dommages exemplaires lorsque les lois québécoises en prévoient l’octroi. Il est ainsi rédigé :

1621.   Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

[235]     Cet article indique que la somme accordée ne doit pas excéder ce qui est suffisant pour assurer la fonction préventive des dommages exemplaires. Autrement dit, ceux-ci doivent être suffisamment importants pour atteindre leur objectif de dissuasion, mais ils ne doivent pas être exagérés, pour éviter l’injustice[123]. Pour cette raison, il sera souvent référé à la règle de proportionnalité pour établir le quantum. Ainsi, récemment, dans Robinson[124], la Cour écrivait :

[237]    En ce qui concerne le quantum des dommages punitifs, la Cour suprême préconise une règle de proportionnalité. Cela signifie que les dommages punitifs doivent être proportionnés à différents facteurs comme le caractère répréhensible de la conduite du défendeur, le préjudice causé au demandeur, sa vulnérabilité, les bénéfices tirés par le défendeur et les autres dommages auxquels ce dernier a été condamné.

[…]

[247]    Selon Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, le texte même de l'article 1621 C.c.Q. pose un principe général de modération puisque l'indemnité accordée à ce chapitre doit prendre en compte, outre la gravité de la faute, l'étendue de la réparation et la situation patrimoniale du débiteur.

[236]     Toujours dans Robinson, la Cour fait un survol de la jurisprudence relativement aux sommes accordées en matière de dommages exemplaires. Vu son apparente exhaustivité, il est pertinent de retranscrire les propos tenus[125] :

[248]    L'analyse de la jurisprudence citée par les parties en matière de dommages punitifs indique que les sommes accordées à ce chapitre sont généralement modérées.

[249]    À titre d'exemple, en matière de droit d'auteur, les dommages punitifs accordés vont de 5 000 $ à 200 000 $, les montants les plus élevés étant réservés aux cas de récidivistes61. En d'autres matières, les dommages punitifs vont généralement de 5 000 $ à 250 000 $62.

[250]    La tradition jurisprudentielle canadienne applique donc rigoureusement la règle de proportionnalité. L'octroi de sommes très substantielles est exceptionnel et il accompagne des cas de conduites répréhensibles extrêmes63.

[251]    Le présent dossier ne constitue pas l'un de ces cas exceptionnels comme ce l'était dans les affaires Whiten précitée et Markarian c. Marché mondiaux CIBC inc.64 citées par les intimés dans leur mémoire. Dans l'un et l'autre de ces cas, une banque et une société d'assurance ont tenté de flouer leur client en toute connaissance de cause. Dans ces situations, le besoin de dénonciation est particulièrement pressant, ne serait-ce que pour faire savoir aux personnes impliquées que pareille conduite est intolérable et qu'elle sera vivement dénoncée.

[252]    Dans Whiten, l'assureur a refusé d'indemniser son assuré en invoquant qu'il avait participé à un incendie. Or, l'enquêteur et l'expert avec lesquels il avait fait affaire ont tous deux affirmé qu'il n'existait pas la moindre preuve d'incendie criminel. La famille dont la maison avait été incendiée était dans une situation financière très précaire. Elle a dû risquer son dernier élément d'actif pour s'engager dans un procès long et totalement inutile vu l'absence de vraisemblance de l'allégation d'incendie criminel. Le jury a conclu que l'assureur avait eu une conduite exceptionnellement répréhensible et il a octroyé des dommages punitifs de un million de dollars pour lancer un message vigoureux de châtiment, de dissuasion et de dénonciation. La Cour suprême a reconnu que le montant était élevé, mais elle a refusé d'intervenir en raison des faits très particuliers de l'affaire.

[253]    Dans Markarian, la Banque CIBC savait que ses clients, des personnes âgées et non averties en matière boursière, avaient été victimes d'une fraude de la part de l'un de ses conseillers en placement. La Banque CIBC a refusé de reconnaître sa responsabilité, elle a maintenu une position insoutenable et elle a forcé les demandeurs à subir un procès de quatre mois. Plus encore, cette conduite n'était pas isolée, mais elle s'était répétée à l'égard de plusieurs autres victimes. Ces faits ont entraîné l'attribution de dommages punitifs de un million de dollars.

[254]    Dans Hill c. Église de Scientologie de Toronto65, la Cour suprême a confirmé une condamnation à des dommages punitifs de 800 000 $ et à des dommages-intérêts compensatoires de 500 000 $ pour les dommages moraux subis en raison d'une atteinte à la réputation de l'avocat Hill. Il faut rappeler que le comportement de l'Église de Scientologie de Toronto dans la publication fausse et injurieuse concernant M. Hill était empreint de malveillance. Elle avait pris les mesures nécessaires pour que sa publication, soigneusement planifiée, soit largement diffusée de manière à ce qu'elle soit très préjudiciable. L'allégation contre l'avocat Hill était dévastatrice. On l'accusait d'abus de confiance et on lui reprochait une conduite criminelle. De plus, les agissements de l'Église de Scientologie à compter de la publication, pendant le procès et après le jugement, constituaient une tentative persistante de nuire à Hill en propageant une déclaration qu'elle savait fausse.

________________

61   Construction Denis Desjardins inc. c. Jeanson, supra, note 24 (5 000 $); 2703203 Manitoba Inc. v. Parks, 2007 NSCA 36 (40 000$); Pantis c. Pagliaro, J.E. 97-1940, SOQUIJ AZ-97011808, 1997-10-02 (C.A.) (10 000 $); Profekta International Inc. v. Lee, 75 C.P.R. (3d) 369 (C.A.F.) (10 000 $); Entral Group International Inc. c. MCUE Entreprises Corp. (Di Da Di Karaoke Company), 2010 CF 606 (100 000 $); Médias Transcontinental, s.e.n.c. c. Carignan, 2009 QCCS 2848 (7 500 $); Microsoft Corporation v. PC Village Co. Ltd., 2009 FC 401 (50 000 $); Louis Vuitton Malletier S.A. v. 486353 B.C. Ltd., 2008 BCSC 799 (200 000 $ pour le directeur de l'entreprise) et (100 000 $ pour les autres défendeurs); Médias Transcontinental, s.e.n.c. c. Soumissionnez.com inc., 2008 QCCS 1772 (2 500 $); Louis Vuitton Malletier S.A. c. Yang, 2007 CF 1179 (100 000 $); Microsoft Corporation c. 9038-3746 Québec Inc., 2006 CF 1509 (100 000 $); Icotop Inc. c. Ferrand, [2005] R.J.Q. 2376 (C.S.) (10 000 $);Canada Allied Diesel Company c. RTI Turbo inc., J.E. 2005-2238, SOQUIJ AZ-50340177, 2005-10-25 (C.S.) (10 000$); Sunard Structures Inc. v. Nelson, J.E. 2003-585, SOQUIJ AZ-50160289, 2002-12-17 (C.S.) (100 000 $); Setym International Inc. c. Belout, [2001] R.R.A. 1051 (C.S.) (8 000 $).

62    De Montigny c. Brossard (Succession), supra, note 59 (10 000 $); Vancouver (Ville) c. Ward, [2010] 2 R.C.S. 28, 2010 CSC 27 (5 000$); Banque Royale du Canada c. W. Got & Associates Electric Ltd., [1999] 3 R.C.S. 408 (100 000 $); Gauthier c. Beaumont, supra, note 56 (50 000 $); Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, supra, note 50 (200 000 $); Genex Communications inc. c. Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo,supra, note 54 (60 000 $); Solomon c. Québec (Procureur général), supra, note 53 (50 000 $); Fillion c. Chiasson, supra, note 32 (200 000 $); Larose c. Fleury, 2006 QCCA 1050 (50 000 $); Métromédia CMR Montréal inc. c. Johnson, 2006 QCCA 132 (250 000 $); Lafferty, Harwood & Partners c. Parizeau, [2003] R.J.Q. 2758 (C.A.) (50 000 $); Historia inc. c. Gervais Harding et Associés Design inc., 2006 QCCA 560 (100 000 $); Roy c. Patenaude, [1994] R.J.Q. 2503 (C.A.) (100 000 $); Montignac c. NSV Nutrinautes inc., 2008 QCCS 3465 (45 000 $); Fournier c. Clément, 2008 QCCS 4715 (25 000 $); M. B.-C. c. L. H., [2005] R.R.A. 569 (C.S.) (15 000 $).

63    Par exemple : Whiten c. Pilot Insurance Co., supra, note 57; Markarian c. Marché mondiaux CIBC inc., [2006] R.J.Q. 2851 (C.S.) [Markarian]; Hill c. Église de Scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130; Hinse c. Québec (Procureur général), 2011 QCCS 1780. Dans cette dernière affaire, des dommages punitifs de 2.5 millions de dollars ont été octroyés. Comme le jugement a été porté en appel, la Cour s'abstient de le commenter.

64   Ibid. [Markarian].

65   Supra, note 63.

[237]     Dans le même ordre d’idées, dans un article daté de 2007, l’auteure Claude Dallaire dresse un portrait chiffré des décisions rendues en matière de dommages exemplaires[126] :

386      Malgré la tendance peu élevée du quantum des dommages exemplaires, nous avons tout de même recensé près d’une cinquantaine de décisions dans lesquelles les sommes accordées ont oscillé entre 10 000 $ et 25 000 $, une vingtaine de décisions, entre 25 000 $ et 50 000 $, cinq décisions, entre 50 000 $ et 100 000 $ et sept décisions dont le quantum est de 100 000 $ ou plus avec un maximum de 1 500 000 $ pour un couple septuagénaire suite à la conduite répréhensible d’une banque.

387      Des décisions dont le quantum a dépassé 100 000 $, seulement quatre ont accordé la somme à une seule victime, soit l’affaire Perron dans laquelle la somme de 125 000 $ a été octroyée à un procureur de la Couronne, en demande reconventionnelle, l’affaire Néron (100 000 $ pour chacun des deux demandeurs), l’affaire Chiasson (200 000 $ pour un demandeur) et l’affaire Markarian (750 000 $ pour chacun des deux demandeurs). Le quantum des autres décisions devait être partagé entre plusieurs victimes.

[238]     Ces chiffres, bien qu’ils aient fluctué un peu depuis 2007, sont un indice quant au quantum généralement octroyé. Ils supportent la conclusion qu’en matière de dommages exemplaires, les tribunaux accordent des sommes généralement modérées et, appliquant la règle de proportionnalité, réservent l’octroi de sommes très substantielles aux cas de conduites répréhensibles extrêmes[127].

[239]     Ainsi, à ce jour, la plus grosse somme octroyée est de 1,5 M$ dans l’affaire Markarian[128]. Or, ici, il est question de 2,5 M$, ce qui représente un écart non négligeable d’un million de dollars. Prenant en considération les balises précédemment décrites, la question se pose de savoir si la situation est à ce point exceptionnelle qu’elle justifie un tel écart par rapport aux quantums octroyés.

[240]     Sans élaborer sur cette question, qui demeure théorique, vu l’absence d’une atteinte illicite et intentionnelle, la Cour estime qu’il est difficile de voir ce qui aurait pu justifier l'octroi d'une somme aussi importante alors qu’aucune preuve ne suggère l'existence de problèmes systémiques dans le traitement des demandes de clémence et de pardon.

Les honoraires extrajudiciaires

[241]     La Cour, dans l’arrêt Viel[129], a conclu que les honoraires extrajudiciaires ne devaient généralement être considérés comme dommages que dans le cas d'abus du droit d'ester en justice, faisant ainsi la distinction avec l'abus sur le fond :

[74]      Avant d'examiner plus avant cette question, il importe de distinguer et de définir l'abus de droit sur le fond du litige (l'abus sur le fond) de l'abus du droit d'ester en justice. L'abus sur le fond intervient avant que ne débutent les procédures judiciaires. L'abus sur le fond se produit au moment de la faute contractuelle ou extracontractuelle. Il a pour effet de qualifier cette faute. La partie abuse de son droit par une conduite répréhensible, outrageante, abusive, de mauvaise foi. Au moment où l'abus sur le fond se cristallise, il n'y a aucune procédure judiciaire d'entreprise. C'est précisément cet abus sur le fond qui incitera la partie adverse à s'adresser aux tribunaux pour obtenir la sanction d'un droit ou une juste réparation.

[75]      À l'opposé, l'abus du droit d'ester en justice est une faute commise à l'occasion d'un recours judiciaire.  C'est le cas où la contestation judiciaire est, au départ, de mauvaise foi, soit en demande ou en défense.  Ce sera encore le cas lorsqu'une partie de mauvaise foi, multiplie les procédures, poursuit inutilement et abusivement un débat judiciaire.  Ce ne sont que des exemples. […]

[77]      Soit dit avec égards, les principes de la responsabilité civile m'incitent à apporter une réponse négative à la question posée. En principe et sauf circonstances exceptionnelles, les honoraires payés par une partie à son avocat ne peuvent, à mon avis, être considérés comme un dommage direct qui sanctionne un abus sur le fond. Il n'existe pas de lien de causalité adéquat entre la faute (abus sur le fond) et le dommage. La causalité adéquate correspond à ou aux événements ayant un rapport logique, direct et immédiat avec l'origine du préjudice subi. Seul l'abus du droit d'ester en justice peut être sanctionné par l'octroi de tels dommages. Il m'apparaît erroné de transformer l'abus sur le fond en un abus du droit d'ester en justice dès qu'un recours judiciaire est entrepris. Quelques explications s'imposent.

[78]      Il est acquis au débat qu'une partie ne peut, règle générale, être compensée des honoraires payés à son avocat pour faire valoir ses droits. Le justiciable devra payer ces honoraires extrajudiciaires qu'il y ait ou non abus sur le fond. Les honoraires ne seraient d'ailleurs pas encourus si la partie adverse reconnaissait, dès le début des procédures judiciaires, sa faute même si cette dernière peut être qualifiée d'abus sur le fond (conduite abusive, répréhensible, scandaleuse, outrageante, de mauvaise foi). Dans ce cas, malgré la conduite abusive sur le fond, la partie n'aurait pas à débourser inutilement des honoraires à son avocat. Cet exemple démontre l'absence de lien de causalité suffisant entre la faute et le dommage.

[79]      À l'inverse, peu importe qu'il y ait abus ou non sur le fond, une partie qui abuse de son droit d'ester en justice causera un dommage à la partie adverse qui, pour combattre cet abus paie inutilement des honoraires judiciaires à son avocat. Il y a, dans ce cas, un véritable lien de causalité entre la faute et le dommage.

[…]

[84]      J'ajoute que l'abus du droit d'ester en justice peut naître également au cours des procédures. L'abuseur qui réalise son erreur et s'enferme dans sa malice pour poursuivre inutilement le débat judiciaire sera responsable du coût des honoraires extrajudiciaires encourus à compter de l'abus.

[Soulignement ajouté.]

[242]     En l'espèce, rien dans la preuve ne permettait à la juge de conclure à l'abus du droit d'ester en justice de la part de l’appelant. Ce dernier a fait certaines admissions dans sa défense et n'a fait entendre qu’un seul témoin, le psychiatre Lionel Béliveau, que la juge n'a pas considéré crédible. C’est bien peu pour condamner une partie aux honoraires extrajudiciaires. L'appelant n'a pas eu non plus une attitude malicieuse ou manifesté de la mauvaise foi. Il était en droit de se défendre compte tenu des montants réclamés et des principes juridiques en cause. Sa contestation judiciaire n'était pas empreinte de mauvaise foi. Il n'a pas multiplié les procédures ni poursuivi inutilement et abusivement le débat judiciaire.

[243]     De plus, la juge a accordé les honoraires extrajudiciaires encourus malgré l'entente pro bono conclu entre M. Hinse et ses avocats. Elle s'est appuyée sur un arrêt ontarien[130]. Or, la Cour dans l'affaire Hrtschan c. Mont-Royal (Ville), a déjà fait une mise en garde à l’égard des importations sans nuance des précédents de common law. Elle mentionne[131] :

[74]            J’ajouterai que, en la matière, il faut se méfier des comparaisons faciles avec les précédents de common law.  Ceux-ci doivent être utilisés avec circonspection, car ils sont issus de l’application de règles différentes.  D’ailleurs, contrairement à la croyance que semblent entretenir de nombreux plaideurs québécois, les dépens que les tribunaux de certaines provinces peuvent accorder sur la base dite « solicitor to client » ne s’identifient pas nécessairement à la facture d'honoraires et débours extrajudiciaires qu’un avocat présente à son client.  À propos de l'octroi de dépens de cette nature par les tribunaux ontariens, l'auteur Orkin écrit :

On occasion, costs will be awarded to a party on what is known as the « solicitor-client scale ».  Such costs should not be confused with what client must pay his own lawyer.

[75]      Il faut aussi préciser que les « costs » n’entrent pas dans la catégorie des dommages-intérêts.  Ils participent davantage de la nature de nos frais judiciaires, malgré qu’ils soient plus près de la réalité des coûts engendrés par un procès et qu’ils offrent une plus grande souplesse dans la détermination de ce qui est équitable.  Au terme d’une analyse portant sur le sujet, le professeur Popovici conclut :

Les costs ont un caractère indemnitaire, ce qui n'empêche pas les tribunaux de se servir de la condamnation comme punition d'un acte répréhensible. Malgré leur caractère en principe indemnitaire, les costs doivent être distingués des damages, des dommages-intérêts.

[Renvois omis.]

[244]     La juge a eu tort de se référer à une jurisprudence ontarienne pour accorder cette réclamation, les honoraires extrajudiciaires étant différents des costs.

[245]     En résumé, parce que l’appelant n'est pas de mauvaise foi et n'a pas agi avec témérité, il n'y a pas eu de sa part abus du droit d'ester en justice.

CONCLUSION

[246]     Les décisions prises par le ministre fédéral de la Justice en vertu de son pouvoir de révision et celle du gouverneur en conseil de refuser le pardon demandé ne démontrent pas en l'espèce une conduite fautive de leur part.

[247]     De surcroît, l'évaluation de l'indemnité payable en supposant l'existence d'une faute est démesurée. Ce sont l’arrestation, la condamnation et l’incarcération qui constituent le préjudice majeur subi par M. Hinse, et l'administration fédérale y est totalement étrangère. Quant aux autres préjudices, il y avait, dans le scénario le plus défavorable au gouvernement du Canada, solidarité avec les parties défenderesses à qui M. Hinse a fait remise. Enfin, il n’y avait pas lieu pour la juge d’octroyer des dommages exemplaires en l’absence d’une faute illicite et intentionnelle de l’appelant.

[248]     De tout ceci, il ressort que s'il y avait eu matière à condamnation du procureur général du Canada, le montant à être accordé à M. Hinse aurait été largement inférieur à celui qu'a déterminé la juge. Le cas à l'étude n'en demeure pas moins navrant et cette caractéristique a probablement exercé une profonde influence sur les déterminations faites en première instance.

[249]     Pour ces motifs, LA COUR :

[250]     Accueille l'appel, sans frais;

[251]     Rejette sans frais la procédure introductive d'instance dirigée contre le procureur général du Canada.

 

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

Me Bernard Letarte

Me René Leblanc

Me Vincent Veilleux

Me Lindy Rouillard-Labbé

Joyal, LeBlanc

Pour l'appelant

 

Me Guy J. Pratte

Me Alexander L. De Zordo

Me Katherine Loranger

Me Marc-André Grou

Borden, Ladner, Gervais

Pour l'intimé

 

Dates d’audience :

8 et 9 mai 2012

 



[1]     Hinse c. Québec (Procureur général), [2011] R.J.Q. 794, 2011 QCCS 1780 [Jugement dont appel].

[2]     Loi sur l'organisation policière, L.R.Q., c. O-8.1, art. 64-88 (remplacée par la Loi sur la Police, L.R.Q., c. P-13.1 le 16 juin 2000).

[3]     Hinse c. R., [1994] J.Q. no 480, J.E. 94-1000 (C.A.), inf. par [1997] 1 R.C.S. 3.

[4]     (C.S. Can., 1995-01-26), 24320.

[5]     R. c. Hinse, [1995] 4 R.C.S. 597.

[6]     R. c. Hinse, [1997] 1 R.C.S. 3.

[7]     [2010] 3 R.C.S. 585.

[8]     [2010] 3 R.C.S. 657, [Agence canadienne d'inspection des aliments].

[9]     R. v. Truscott, 225 C.C.C. (3d) 321, 2007 ONCA 575.

[10]    L.R.Q., c. C-12, art. 4.

[11]    Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, art. 24(1).

[12]    Jugement dont appel, supra, note 1, paragr. 245.

[13]    Loi de 2001 modifiant le droit criminel, L.C. 2002, c. 13, art. 71.

[14]    L.R.C. 1985, c. C-50. Le titre anglais de la loi (« Crown Liability and Proceedings Act ») en reflète la portée véritable : c'est l'État dans sa puissance exécutive qui est visé ici. Voir aussi : Peter W. Hogg, Patrick J. Monahan et Wade K. Wright, Liability of the Crown, 4e éd., Toronto, Carswell, 2011, p. 11 et s.

[15]    [2011] 3 R.C.S. 45.

[16]    Ce qui pourrait ordinairement « déplacer », pour ne pas dire « remplacer » la prérogative, en d'autres cas : Peter W. Hogg, Patrick J. Monahan et Wade K. Wright, supra, note 14, p. 19 à 21.1; Karen Horsman et Gareth Morley, Government Liability Law and Practice, ed. à feuilles mobiles (juin 2013), Toronto, Canada Law Book, 2007, p. 1-26 et 27.

[17]    Selon Hogg, Monahan et Wright, la prérogative royale de clémence n'a pas été déplacée ni remplacée par la loi, vu, précisément, l'article 749 C.cr. (Peter W. Hogg, Patrick J. Monahan et Wade K. Wright, supra, note 14, p. 23-24, note infrapaginale 118). Voir aussi, dans le même sens : Hélène Dumont, Pénologie - Le droit canadien relatif aux peines et aux sentences, Montréal, Les Éditions Thémis inc., 1993, p. 545-546

[18]    [2001] 2 R.C.S. 3.

[19]    Voir aussi : R. c. Smith, [2004] 1 S.C.R. 385, paragr. 25.

[20]    [2009] R.J.Q. 1003 (C.A., requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2009-10-08), 33216), paragr. 12 et s.

[21]    Voir aussi : Hélène Dumont, supra, note 17, p. 550.

[22]    L.R.C. (1985), c. C-45 (récemment modifiée par L.C. 2012, c. 1), dont l'article 9 précise que :

9.   La présente loi n’a pas pour effet de faire obstacle à l’application des dispositions  du Code criminel qui portent sur le pardon, ni de limiter ou d’atteindre, de quelque manière, la prérogative royale de clémence que possède Sa Majesté, toutefois, les articles 6 et 8 s’appliquent aux pardons octroyés en application de la prérogative royale de clémence ou de ces dispositions.

9.   Nothing in this Act in any manner limits or affects Her Majesty’s royal prerogative of mercy or the provisions of the Criminal Code relating to pardons, except that sections 6 and 8 apply in respect of any pardon granted pursuant to the royal prerogative of mercy or those provisions.

[23]    Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20.

[24]    À ce sujet, voir : Peter W. Hogg, Patrick J. Monahan et Wade K Wright, supra, note 14, p. 26 et 27.

[25]    Voir notamment : Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441; Canada (Premier ministre) c. Khadr, [2010] 1 R.C.S. 44, paragr. 33 et s. [Khadr].

[26]    Khadr, supra, note 25.

[27]    [1971] 115 S.J. 386.

[28]    Ibid., p. 386. On notera que, par suite d'une campagne de plusieurs années destinée à faire valoir l'innocence du fils des appelants, l'affaire a finalement été renvoyée à la Court of Appeal of England and Wales, selon un processus analogue à celui des articles 696.1 et s. C.cr. (le Criminal Appeal Act 1995, 1995 Chapter 35, établit une Criminal Cases Review Commission, qui peut renvoyer une condamnation ou une peine à une cour d'appel si, selon l'art. 13 de cette loi, « there is a real possibility that the conviction, verdict, finding or sentence would not be upheld were the reference to be made »). La Cour a conclu, au terme de son analyse, à l'absence d'erreur judiciaire, le verdict étant « safe » (R. v. Hanratty, [2002] EWCA Crim 1141, paragr. 202 - voir aussi, le paragr. 212 où l'on parle de « overwhelming proof of the safety of the conviction from an evidential perspective »).

[29]    [1976] A.C. 239.

[30]    Ibid., p. 247.

[31]    [1984] 3 All E.R. 935.

[32]    Ibid., p. 956.

[33]    Ibid., p. 950.

[34]    Id.

[35]    [1993] 4 All E.R. 442, p. 449 et s. (Queen's Bench Division).

[36]    Sur l'opportunité et le sort de la révision judiciaire, au Royaume-Uni, dans les affaires de pardon, voir notamment : B. V. Harris, « Judicial Review, Justiciability and the Prerogative of Mercy » (2003), 62 Cambridge L. J. 631.

[37]    [2001] O.J. No. 1853, 54 O.R. (3d) 215, paragr. 55 et 60.

[38]    Ibid., paragr. 55.

[39]    Ibid., paragr. 65. On notera par ailleurs que la Cour d'appel de l'Ontario est d'avis que l'exercice par le premier ministre du Canada du pouvoir de conseiller la Reine en matière de titres et distinctions est considéré comme « beyond review by the courts ».

[40]    Supra, note 25.

[41]    Ibid.

[42]    Voir l'extrait précité de l'arrêt Khadr, supra, paragr. [111].

[43]    Pas plus que ce n’est le cas du pouvoir prévu par l'article 748.1 C.cr. en matière de remise de peine (amende ou confiscation) ou de toute autre forme de pardon envisagée par l’article 749.

[44]    C'est l'opinion de la professeure Hélène Dumont : Hélène Dumont, « Le pardon, une valeur de justice et d'espoir, un plaidoyer pour la tolérance et contre l'oubli », (2000) Revue canadienne de criminologie 299, p. 302. C'est aussi celle des professeurs Cole et Manson : David P. Cole et Allan Manson, Release from Imprisonment - The Law of Sentencing, Parole and Judicial Review, Toronto, Carswell, 1990, p. 414.

[45]    [2011] A.C.F. no 1096, 2011 CF 886.

[46]    [2009] A.C.F. no 68, 2009 CAF 12 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2009-06-18), 33081).

[47]    Supra, note 20.

[48]    [2012] A.C.F. no 556, 2012 CF 505, conf. par [2012] A.C.F. no 1398, 2012 CAF 282 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2013-03-14), 35101),

[49]    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190.

[50]    [1992] 54 F.T.R. 153 (C.F.).

[51]    [1997] 1 C.F. 289 (C.F.).

[52]    McArthur v. Ontario (Attorney General), [2012] O.J. No. 5222, 2012 ONSC 5773.

[53]    Voir notamment : Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., supra, note 7, paragr. 30 in fine.

[54]    Id. Voir aussi Agence canadienne d’inspection des aliments, supra, note 8.

[55]    Agence canadienne d'inspection des aliments, ibid.

[56]    Ibid., paragr. 27.

[57]    Id.

[58]    [2004] 2 R.C.S. 17, en particulier au paragr. 27.

[59]    Gaz. C., 1947.II., vol. 81, no 12, 1er octobre 1947.

[60]    Les mêmes lettres patentes (paragr. XII) prévoient qu’il ne peut exercer la prérogative de gracier que sur avis du Conseil privé ou d'un ministre.

[61]    On pourrait ajouter à cette liste l'actuel article 748.1 C.cr. et son prédécesseur (article 685). Précédemment, et jusqu'en 1976, le Code criminel prévoyait que le gouverneur en conseil pouvait commuer une sentence de mort en emprisonnement. Tout cela relève également de la même prérogative royale de clémence.

[62]    C'est d'ailleurs le terme qu'emploient Wade et Forsyth dans Administrative Law, 9th ed., Oxford, Oxford University Press, p. 216 : « The prerogative, in fact, has ceased to be a significant source of administrative power as against the citizen. It still comprises power to take action to preserve the peace, to grant legal favours such as pardons, corporate personality or peerage, and it comprises many constitutional powers, such as the power to summon and dissolve Parliament and to assent to bills» (soulignement ajouté).

[63]    Hélène Dumont, supra, note 17, p. 544.

[64]    En pratique d'ailleurs, ces pardons et remises ne sont pas accordés à la légère et ne l'ont jamais été. Pour avoir une idée de ce qui se faisait déjà dans les années 1950, on s'en rapportera à : Gérald Fauteux, William B. Common, J. Alex. Edmison et Jos. McCulley, Rapport d'un comité institué pour faire enquête sur les principes et les méthodes suivis au Service des pardons du ministère de la Justice du Canada, publié sous l'autorité de l'honorable Stuart S. Garson, Ottawa, Edmond Cloutier, Imprimeur de la Reine et Contrôleur de la papeterie, 1956, p. 30 et s.

[65]    Supra, note 31.

[66]    Supra, note 37.

[67]    [2013] O.J. No. 2975, 2013 ONCA 449.

[68]    Supra, note 37.

[69]    Ibid., paragr. 65.

[70]    La version suivante, celle de l'art. 683 C.cr., n'est entrée en vigueur que le 15 juillet 1971 : DORS/71-309, Gaz. C. 1971.II.1088, Vol. 105, no 13.

[71]    Supra, note 15.

[72]    Par analogie, voir Imperial Tobacco Canada Ltée, supra, note 15, paragr. 90.

[73]    [2001] 3 R.C.S. 9.

[74]    [1999] R.J.Q. 398 (C.A.).

[75]    Supra, note 27.

[76]    Ibid., p. 386.

[77]    On en trouve la trace dès 1892, dans ce qui était alors l'article 748 C.cr. :

748.      Si, sur demande de la clémence de la Couronne en faveur de quelque personne convaincue d'un acte criminel, le ministre de la Justice éprouve quelque doute que cette personne aurait dû être trouvée coupable, il pourra, au lieu de recommander à Sa Majesté de faire grâce ou de commuer la sentence, après telle enquête qu'il jugera à propos, ordonner par écrit qu'un nouveau procès ait lieu à telle époque et devant telle cour qu'il jugera à propos.

748.      If upon any application for the mercy of the Crown, on behalf of any person convicted of an indictable offence, the Minister of Justice entertains a doubt whether such person ought to have been convicted, he may, instead of advising Her Majesty to remit or commute the sentence, after such inquiry as he thinks proper, by an order in writing direct a new trial at such time and before such court as he may think proper.

[78]    Ministère de la Justice du Canada, Correction des erreurs judiciaires : possibilités de réforme de l'article 690 du Code criminel, Document de consultation, Ottawa, ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 1998, p. 1.

[79]    Mot qu'il faut employer avec prudence, sans doute, depuis l'arrêt de la Cour suprême dans R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, supra, note 15, mais qui demeure utile pour décrire une certaine réalité décisionnelle.

[80]    Voir par analogie : R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, supra, note 15, notamment au paragr. 87. Sur la nature de cette ligne de conduite, qui n'a pas fait l'objet d'une preuve, on pourra tout de même consulter : Patricia Braiden et Joan Brockman, « Remedying Wrongful Convictions through Applications to the Minister of Justice Under Section 690 of the Criminal Code » (1999), 17 Windsor Yearbook of Access to Justice 3, p. 12 et s., qui montrent une réserve ministérielle certaine dans l'application de la disposition et de celles qui l'ont précédée.

[81]    En 1892, l'article 748 (voir supra, note 77) prévoyait que le ministre pouvait, s'il avait un doute sur le verdict de culpabilité, ordonner un nouveau procès « après telle enquête qu'il jugera à propos » (« after such inquiry as he thinks proper ». Dès 1923, le ministre, en vertu de l'article 1022 C.cr., peut non seulement choisir d'ordonner un nouveau procès, mais aussi de renvoyer l'affaire à la cour d'appel ou de solliciter l'assistance de cette dernière, là encore « à la suite de l'enquête qu'il juge à propos d'instituer » (« after such inquiry as he thinks proper »). L'expression est disparue avec l'article 596 C.cr., remplacée par la formule tout aussi générale « après enquête ». En 1992, la Cour fédérale rappelait par ailleurs que, saisis d'une demande de clémence en vertu de ce qui état alors l'article 617 C.cr., les différents ministres de la Justice « do not have an obligation to review materials which are not submitted by an applicant » (Henry c. Canada (ministre de la Justice), supra, note 50, p. 160). On notera par ailleurs que la Loi sur la libération des détenus, S.C. 1958, c. 38, en son article 18, paragr. 2, conférait au ministère de la Justice le pouvoir de demander à la Commission nationale des libérations conditionnelles de procéder « aux investigations ou à l'enquête qu'il peut désirer en ce qui concerne une demande à lui faite, en vue de l'exercice de la prérogative royale » (« any investigation or inquiry desired by the Minister in connection with any request made to the Minister for the exercise of the royal prerogative of mercy »).

[82]    Voir : Vancouver (Ville) c. Ward, [2010] 2 R.C.S. 28.

[83]    Ibid., paragr. 40.

[84]    Voir d'ailleurs les art. 6 et 7 C.c.Q.

[85]    [2009] 3 R.C.S. 339.

[86]    Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170.

[87]    Proulx c. Québec (Procureur général), supra, note 73.

[88]    Pour les juges des cours supérieures, voir par ex. : Morier et Boily c. Rivard, [1985] 2 R.C.S. 716; pour les juges des autres cours, en ce qui concerne le Québec, voir : Loi sur les privilèges des magistrats, L.R.Q., c. P-24. Voir aussi : Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, paragr. 57 et 58.

[89]    Vancouver (Ville) c. Ward, supra, note 82, paragr. 42, renvoyant à Miazga c. Kvello (Succession), supra, note 85, notamment au paragr. 47.

[90]    Supra, note 74, p. 419.

[91]    Supra, note 58.

[92]    Il sera intéressant de suivre à cet égard le cheminement de l'affaire Abdelrazik v. Canada (Attorney General), C.F., dossier T-1580. M. Abdelrazik poursuit l'État fédéral et le ministre des Affaires étrangères, personnellement, pour les délits de « misfeasance in public office, intentional infliction of mental suffering and breachof sections 6 and 7 of the Charter »; Abdelrazik v. Canada (Attorney General), [2010] F.C.J. No. 1028 (Aronovitch, protonotaire).

[93]    Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., supra, note 7, paragr. 72.

[94]    Voir notamment la jurisprudence citée avec approbation au paragr. 72 de l'arrêt TeleZone, ibid.

[95]    Qui était autrefois le paragr. 3(6), de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. (1970), c. C-38.

[96]    Yves Ouellette, « La responsabilité extra-contractuelle de la Couronne fédérale et l'exercice des fonctions discrétionnaires », (1985) 16 R.G.D. 49, p. 57.

[97]    Tock c. St. John's Metropolitan Area Board, [1989] 2 R.C.S. 1181, p. 1224 (j. Sopinka, qui souligne la difficulté de savoir ce que l'on entend par un préjudice inévitable et en propose d'ailleurs sa propre acception).

[98]    Voir Peter W. Hogg, Patrick J. Monahan et Wade K. Wright, supra, note 14, p. 188-189, commentant l'arrêt Burmah Oil Co. v. Lord Advocate, [1965] A.C. 75 (H.L.).

[99]    Henriette Immarigeon, La responsabilité extra-contractuelle de la Couronne au Canada, Montréal, Wilson et Lafleur (limitée), 1965, p. 202-203.

[100]   Voir par ex. : Karen Horsman et Gareth Morley, supra, note 16, p. 1-25, qui notent que « [l]ower courts have accepted government submissions that for some prerogative powers, no legal actions of any kind are possible, even when it is alleged that the prerogative has been exercised improperly and in bad faith ».

[101]   L.R.C. (1985), c. I-11.

[102]   Loi de 2001 modifiant le droit criminel, supra, note 13.

[103]   Philip Rosen, Les condamnations injustifiées dans le système de justice pénale, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement, janvier 1992.

[104]   Supra, note 51.

[105]   Hinse c. R., supra, note 3.

[106]   Jugement dont appel, supra, note 1, paragr. 97.

[107]   Article 1531 C.c.Q.

[108]   Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, vol. 1, 7e édition., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 541, paragr. 1-569.

[109]   Chartier c. Québec (Procureur général), [1979] 2 R.C.S. 474; Proulx c. Québec (Procureur général), [1997] R.J.Q. 2516, 2524 (C.S.), inf. par [1999] R.J.Q. 398 (C.A.). Décision de la Cour d’appel infirmée par [2001] 3 R.C.S. 9.

[110]   Proulx c. Québec (Procureur général), supra, note 109, paragr. 35.

[111]   Jugement dont appel, supra, note 1, paragr. 161 à 163.

[112]   Andrews c. Grand Toys Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229; Thornton c. School District No 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267; Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287.

[113]   [2011] R.J.Q. 1415, 2011 QCCA 1361, autorisations de pourvoi à la C.S.C. accueillies,  24 mai 2012, 34469, 34468, 34467 et 34466.

[114]   Jugement dont appel, supra, note 1, paragr. 184.

[115]   L’honorable Sydney L. Robins, Dans l’affaire de Steven Truscott, Avis consultatif sur la question de l’indemnisation, Ontario, 2008; L’honorable Peter Cory, The Inquiry Regarding Thomas Sophonow, Manitoba, 2000; L’honorable Gregory T. Evans, Commission of Inquiry Concerning the Adequacy of Compensation Paid to Donald Marshall, Jr. - Report of the Commissioner, Nouvelle-Écosse, 1990. 

[116]   France Animation S.A. c. Robinson, supra, note 113, paragr. 235; Solomon c. Québec (Procureur général), [2008] R.J.Q. 2127, 2008 QCCA 1832, paragr. 188-204. Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 716-717; Frédérique Levesque, L'obligation in solidum en droit privé québécois, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 327-328.

[117]   Supra, note 14.

[118]   Supra, note 8.

[119]   Supra, note 10, art. 49 al. 2.

[120]   Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211.

[121]   Ibid., paragr. 117, 118, 120 et 121.

[122]   Aubry c. Éditions Vice-Versa, [1998] 1 R.C.S. 591, paragr. 80.

[123]   Claude Dallaire, « La gestion d’une réclamation en dommages exemplaires : éléments essentiels à connaître quant à la nature et à l’objectif de cette réparation, les éléments de procédure et de preuve incontournables ainsi que l’évaluation du quantum » dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Congrès annuel du Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 129, paragr. 245.

[124]   Robinson, supra, note 113, paragr. 237 et 247.

[125]  Ibid, paragr. 248 à 254.

[126]   Claude Dallaire, supra, note 123, p. 167, paragr. 386 et 387.

[127]   Robinson, supra, note 113, paragr. 248 et 250.

[128]   Markarian c. Marchés mondiaux CIBC inc., [2006] R.J.Q. 2851, 2006 QCCS 3314. Dans Adams c. Amex Bank of Canada, [2009] R.J.Q. 1746 (C.S.), la Cour supérieure avait condamné la défenderesse à des dommages punitifs s'élevant à 2,5 M$. La Cour d'appel a cassé ce jugement sur ce point : [2012] Q.J. No. 7426, 2012 QCCA 1394, autorisation de pourvoi à la C.S.C., 2013-04-11), 35033.

[129]   Viel c. Entreprises immobilières de Terroir inc., [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.); Frappier c. Contant, 2005 QCCA 778.

[130]   1465778 Ontario inc. v. 1122077 Ontario Ltd., [2006] O.J. No. 4248, 82 O.R. (3d) 757.

[131]   Hrtschan c. Mont-Royal (Ville), [2004] R.J.Q. 1073, 2004 CanLII 29479 (C.A.), paragr. 74 et 75.

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