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JL2977 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-05-017600-029 |
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DATE : |
22 novembre 2002 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
JEAN LEMELIN, j.c.s. |
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CLAUDE FORTIN |
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Requérant |
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c. |
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC, agissant aux droits et obligations du MINISTRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC |
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Intimé |
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et |
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LE CONSEIL DE LA MAGISTRATURE DU QUÉBEC |
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Mis en cause |
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JUGEMENT SUR REQUÊTE POUR JUGEMENT DÉCLARATOIRE |
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[1] Par sa requête pour jugement déclaratoire, le requérant demande au Tribunal de recommander au Procureur général du Québec d’assumer, à même les fonds consolidés du Revenu, les honoraires extrajudiciaires encourus pour assumer sa défense à une plainte portée contre lui devant le Conseil de la magistrature.
[2] Monsieur le juge Fortin est juge à la Cour municipale de la municipalité régionale de comté de Bellechasse. Il est aussi juge, par intérim, à deux autres cours municipales.
[3] Le juge Fortin fait l’objet d’une plainte logée devant le Conseil de la magistrature (le Conseil) le 27 janvier 2000. Le Conseil a considéré que la plainte comportait les deux volets suivants :
Ø un premier volet relatif au fait que le juge Fortin ait siégé alors qu’il faisait l’objet d’une accusation;
Ø un second volet concernant le fait que le juge Fortin faisait l’objet d’une accusation de conduite avec facultés affaiblies.
[4] Le Conseil a décidé que le fait de siéger alors qu’il faisait l’objet d’une accusation ne constituait pas, pour le juge Fortin, un manquement au Code de déontologie des juges municipaux du Québec. Le Conseil a donc rejeté la plainte à cet égard.
[5] Par ailleurs, sur le second volet, le Conseil a décidé de mener une enquête, comme le lui autorise l’article 269 de la Loi sur les tribunaux judiciaires[1].
[6] Le comité d’enquête constitué par le Conseil débute l’audition de la plainte le 25 novembre 2002, d’où l’urgence de disposer de la requête de monsieur le juge Fortin.
[7] À la demande insistante du juge Fortin et à la lumière de l’arrêt récent de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Hamann[2], le ministre de la Justice du Québec avait accepté, en juin 2001, d’autoriser les procureurs du juge Fortin à le représenter dans le cadre de la plainte portée devant le Conseil et à payer les honoraires. Toutefois, le ministre prévenait alors les procureurs du juge Fortin de ce qui suit :
« Toutefois, conformément à la décision rendue dans le dossier du juge Hamann, soyez avisé que si une condamnation devant une cour de juridiction criminelle était prononcée contre le juge Fortin relativement aux inculpations qui ont fait l’objet de la plainte, le présent mandat prendrait fin dès le jour de cette condamnation et ce, sans autre délai ni avis. »
[8]
Le 21 août 2002, la Cour d’appel du Québec, par jugement
unanime, rétablissait le verdict de culpabilité contre le juge Fortin, prononcé
par la Cour du Québec sur une accusation d’avoir conduit un véhicule à moteur
alors que son taux d’alcool était supérieur à 80 mg d’alcool par
100 ml de sang (
[9] Après le prononcé de cet arrêt, le ministre de la Justice avise les procureurs du juge Fortin, le 23 août 2002, que le mandat qui leur avait été accordé de représenter le juge Fortin devant le Conseil était révoqué et ce, rétroactivement à la date du jugement de la Cour d’appel.
[10] Dans les jours qui ont précédé l’audition de la présente requête, le Conseil, après avoir examiné la question, a décidé que le juge Fortin ne devait pas être suspendu de ses fonctions durant l’enquête.
[11] La seule question que le Tribunal doit trancher est celle de savoir si le ministre de la Justice était justifié de résilier le contrat de service des procureurs après le verdict de culpabilité prononcé contre le juge Fortin le 21 août 2002?
[12] Le juge Fortin plaide que l’étendue du privilège constitutionnel des membres de la magistrature l’autorise à réclamer que les honoraires de ses procureurs soient défrayés. Le juge Fortin est poursuivi devant le Conseil en sa seule qualité de juge où, d’ailleurs, le Conseil n’a de juridiction sur lui que parce qu’il est juge. L’indépendance judiciaire, dont notamment le caractère inamovible de la fonction est un aspect essentiel qui rend le soutien financier réclamé impératif selon le juge Fortin.
[13]
Le Procureur général soulève d’abord que la requête pour
jugement déclaratoire n’est pas le moyen procédural approprié puisque la
politique d’assumation des honoraires extrajudiciaires à laquelle réfère le
requérant, notamment au paragraphe 14 de sa requête, n’existerait
pas. Dans ces circonstances, le
Procureur général plaide que le Tribunal n’est pas en présence d’un ‘’écrit’’
dont il doit mesurer la portée ou au sujet duquel il doit apprécier les droits,
pouvoir ou obligation qui peuvent en résulter pour les parties, comme
l’envisage l’article
[14] Sur le mérite de la question, le Procureur général avance que la condamnation du juge Fortin par la Cour d’appel sur l’accusation dont il faisait l’objet l’empêche de se prévaloir du privilège de faire payer les honoraires de ses procureurs devant le Conseil. Le Procureur général s’appuie d’abord sur les principes dégagés par l’arrêt Valente[3]quant aux critères de la ‘’personne raisonnable, bien informée’’, qui ne croirait pas en l’espèce que l’indépendance judiciaire du juge Fortin risque d’être compromise parce que le ministre refuse d’assumer les honoraires de ses avocats.
[15] D’une manière plus précise, le Procureur général fonde sa position sur l’arrêt Hamann[4] de la Cour d’appel mais aussi et surtout sur le jugement de première instance rendu par la juge Dutil[5], confirmé en très grande partie par la Cour d’appel.
[16] Le moyen procédural invoqué par le Procureur général doit être rejeté.
[17] Le juge Fortin demande au Tribunal de déclarer qu’en vertu du principe de l’indépendance judiciaire, notamment de ses aspects d’inamovibilité et de sécurité financière, il a le droit de réclamer le paiement des honoraires de ses avocats.
[18] Le Tribunal estime que cette demande s’inscrit parfaitement bien dans le cadre de la demande déclaratoire prévue à 453 C.p.c. Pour disposer de cette demande, le Tribunal doit en effet examiner la portée du principe de l’indépendance judiciaire et l’étendue des privilèges qu’il confère. De plus, le Tribunal ne voit aucun autre véhicule procédural que le juge Fortin pourrait utiliser et le Procureur général a été incapable d’en suggérer un qui serait plus approprié.
[19] Finalement, l’affaire Hamann a été introduite par requête pour jugement déclaratoire et ni madame la juge Dutil ni la Cour d’appel n’y ont vu d’entorse à la procédure.
[20] Il est acquis au débat que n’ayant pas été suspendu de ses fonctions par le Conseil, le juge Fortin est un juge municipal en exercice. Il jouit donc de la pleine autorité que la Loi sur les tribunaux judiciaires[6] confère à la fonction. Il jouit aussi de tous les privilèges qui s’y rattachent, notamment celui si fondamental de l’inamovibilité.
[21] Il faut donc se demander en vertu de quoi le verdict de culpabilité prononcé contre le juge Fortin le 23 août 2002 par la Cour d’appel aurait-il pour effet de changer le statut du juge Fortin ou de diminuer les attributs ou les privilèges dont il peut bénéficier?
[22] Après que la juge Dutil l’eût décidé, la Cour d’appel a confirmé qu’un refus du ministre de la Justice de payer les honoraires des avocats d’un juge municipal qui se défend à une plainte portée devant le Conseil porte atteinte à l’indépendance de ce juge. S’appuyant sur l’arrêt Valente[7], la Cour d’appel estime que le droit de se faire entendre inclut nécessairement celui d’être assisté d’un avocat.
[23] Devant la Cour d’appel dans l’arrêt Hamann[8], l’obligation que la cour qualifie de quasi constitutionnelle du ministre d’assumer les frais de l’avocat pour défendre des plaintes résultant d’actes commis dans l’exercice des fonctions judiciaires, n’était pas contestée. Il n’était pas davantage contesté que les actes reprochés au juge Hamann avaient été posés à l’extérieur du cadre de ses fonctions de juge municipal.
[24] La Cour d’appel a défini elle-même la portée qu’elle voulait donner à son jugement dans les termes suivants :
« La partie appelante insiste pour que la Cour prononce un jugement de principe sur les questions, telles que soumises. Pour ce faire, il faut nécessairement faire abstraction de la nature des gestes reprochés à l’intimé, en l’espèce. Il peut être en effet imaginé facilement un grand nombre de cas hypothétiques où des plaintes seraient portées contre un juge pour des gestes posés à l’extérieur des cadres de sa fonction, mais qui ne justifieraient pas nécessairement quelque sanction que ce soit de la part du Conseil de la magistrature ou que ce dernier pourrait considérer sans conséquence sur l’habileté du juge à exercer ses fonctions. C’est donc dans ce contexte beaucoup plus large que la Cour doit considérer la question qui lui est posée. »
[25] Avec ce contexte, tel qu’il est défini, le Tribunal considère que le jugement de la Cour d’appel a une portée très générale. Il faut donc conclure qu’il existe une obligation quasi constitutionnelle pour le ministre de la Justice d’assumer les frais de l’avocat pour défendre un juge à des plaintes devant le Conseil, que ces plaintes résultent d’actes commis dans l’exercice des fonctions judiciaires ou à l’extérieur de ces fonctions.
[26] Dans le jugement de première instance, madame la juge Dutil avait déclaré que le ministre devait payer les honoraires des avocats du juge Hamann. Sur cette question, elle a été confirmée par la Cour d’appel. Mais la juge Dutil a imposé la limite suivante à cette obligation :
« … jusqu’à ce qu’une condamnation devant une cour de juridiction criminelle soit prononcée relativement aux inculpations décrites dans la plainte du ministre de la Justice …»
[27] La Cour d’appel ne s’est pas prononcée sur cette réserve. Vu l’absence d’un appel incident sur cette question précise de la limite à l’obligation de payer les honoraires, imposée par la juge Dutil dans ses conclusions, la Cour d’appel a été d’avis qu’elle n’avait pas à se prononcer sur le mérite de la réserve.
[28] Dans la présente cause, c’est la seule question que doit trancher le Tribunal.
[29] Le reproche dirigé contre le juge Fortin est d’avoir fait l’objet d’une accusation de conduite avec facultés affaiblies. Le juge Fortin devra se défendre contre cette plainte en regard de l’exercice de sa fonction de juge municipal. Cette défense devant le comité d’enquête ne portera pas sur l’accusation criminelle comme telle puisque le juge Fortin en a été trouvé coupable. La défense qu’il offrira devant le Conseil portera plutôt sur la question de savoir si cette condamnation pour laquelle il a été trouvé coupable le rend inhabile à siéger comme juge municipal, si elle affecte d’une manière quelconque l’exercice de sa fonction ou justifie une sanction ou réprimande que pourrait imposer le Conseil.
[30] La sanction peut évidemment être aussi sévère que la destitution du juge Fortin. C’est le Conseil, seul, qui en décidera, sur recommandation du comité d’enquête.
[31] Vu dans cette perspective, et le Tribunal est d’avis que c’est celle qu’il doit adopter, le Tribunal ne voit aucun motif valable de supprimer ou de réduire des garanties constitutionnelles objectives du juge Fortin. Il continue d’avoir le droit de défendre sa fonction sans que son indépendance judiciaire en soit compromise. S’il doit supporter les coûts de cette défense, il existe un risque qu’il ne s’y engage pas pour des raisons financières ou qu’il choisisse de démissionner. Son indépendance aurait alors été compromise par le refus du ministre de payer les honoraires de ses avocats.
[32] Obtenir la destitution d’un juge ou qu’une sanction lui soit imposée ne doit pas devenir un exercice commode ou facile pour quiconque. C’est l’essence même du caractère inamovible de la fonction de juge. Pour cette raison, le système judiciaire doit fournir au juge Fortin les moyens raisonnables pour défendre sa fonction, non pas tant dans son intérêt propre mais pour éviter que ne soit atteint en brèche le caractère inamovible de la fonction.
[33] La résiliation du contrat de services que le ministre avait donné aux procureurs de monsieur le juge Fortin après que celui-ci eût été trouvé coupable, peut être perçu comme une ingérence du pouvoir exécutif et surtout comme une indication que le ministre de la Justice est d’avis que le juge Fortin ne jouit plus des garanties constitutionnelles et des privilèges qui se rattachent à sa fonction. Cela équivaudrait pour le ministre à substituer sa décision à celle que seul le Conseil a le devoir de rendre eu égard à la plainte qu’il entendra.
[34] Pour toutes ces raisons, le Tribunal estime que le ministre de la Justice n’était pas justifié de résilier le contrat octroyé aux procureurs du juge Fortin. L’obligation de payer doit se continuer jusqu’à la décision finale relative à la plainte ou jusqu’au règlement de cette affaire.
[35] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[36] DÉCLARE que le ministre de la Justice n’était pas justifié de résilier le contrat de services des procureurs du juge Fortin après que ce dernier eût été trouvé coupable, en dernier ressort, des accusations portées contre lui;
[37] RECOMMANDE au Procureur général du Québec, à même le fonds consolidé du revenu, d’assumer les honoraires extrajudiciaires du requérant, encourus pour assumer sa défense à la plainte portée par monsieur Fernand Paré et produite sous la cote R-1 et d’en acquitter le montant dans les trente jours suivant la présentation de la note d’honoraires;
[38] Avec dépens.
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__________________________________ JEAN LEMELIN, j.c.s. |
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Me Louis Masson |
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Joli-Cœur, Lacasse, Geoffrion, Jetté, St-Pierre (casier 6) |
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Procureurs du requérant |
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Me Normand Lavoie |
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Saint-Laurent, Gagnon (casier 134) |
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Procureurs de l’intimé |
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Me Michel Jolin |
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Kronström Desjardins (casier 115) |
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Procureurs du mis en cause |
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Date d’audience : |
18 novembre 2002 |
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[1] L.R.Q c. T-16
[2] Procureur général du Québec c. Hamann, no 200-09-002498-993, C.A., le 30 avril 2001
[3] Valente c. R.,
[4] Précité, note # 2
[5] Hamann c. Ministre de la Justice
du Québec, C.S.Q.
[6] L.R.Q. c. T-16
[7] Précité, note # 3
[8] Précité, note # 2
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.