Décision

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Installations Denis Paquet inc. c. Résidences Tyron inc.

2014 QCCQ 7316

 

 COUR DU QUÉBEC

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

« Chambre civile »

 

N° :

200-22-066997-131

 

DATE :

18 juillet 2014

 

________________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE DOMINIQUE LANGIS, J.C.Q. (JL 4155)

________________________________________________________________________

 

 

LES INSTALLATIONS DENIS PAQUET INC.

 

Demanderesse

 

c.

 

RÉSIDENCES TYRON INC.

 

Défenderesse

 

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JUGEMENT

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[1]       Les Installations Paquet inc. (Paquet inc.) réclame 37 031,15$, représentant le montant du dépôt en fidéicommis versé par Résidences Tyron inc. (Tyron inc.), en substitution d'une hypothèque légale de la construction.

[2]       Tyron inc. conteste cette réclamation et requiert la remise du dépôt au motif que l'inscription de l'hypothèque légale, le 25 février 2013, était tardive, irrégulière et faite sans droit puisque publiée bien après le délai de trente jours suivant la fin des travaux.

LA QUESTION EN LITIGE

[3]       L'inscription de l'avis d'hypothèque légale de la construction respecte-t-elle le délai prescrit à l'article 2727 du Code civil du Québec (C.c.Q.) ?

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[4]       Paquet inc. soutient que le certificat de parachèvement de l'ouvrage, émis le 25 octobre 2012 par l'architecte Fernando De Marco, ne correspond pas à l'avancement des travaux. L'immeuble n'est pas terminé et requiert à cette date des travaux essentiels à son usage complet.

[5]       Elle ajoute que le rapport sur l'état de l'immeuble, daté de juin 2013, mentionne plusieurs déficiences importantes, lesquelles doivent être corrigées pour établir la date de fin des travaux de construction.

[6]       Tyron inc. s'en remet au certificat de parachèvement de l'ouvrage du 25 octobre 2012 et plaide que le rapport de juin 2013 ne constitue qu'une liste des déficiences constatées à la suite des travaux de construction complétés.

LES FAITS

[7]       Paquet inc. est une entreprise d'installation d'armoires dans les édifices de 40 logements et plus.

[8]       En 2012, Armadi, un sous-traitant, lui confie l'installation d'armoires de cuisine et de salle de bains pour le projet Place de l'Acadie Phase II à Montréal.

[9]       Il s'agit d'un édifice de 16 étages comprenant 237 condominiums et dont le coût de construction s'élève aux environs de 55 millions de dollars.

[10]    Le 23 avril 2012, Paquet inc. dénonce son contrat avec Armadi au propriétaire et promoteur du projet.

[11]    Elle exécute son contrat jusqu'en septembre 2012, moment où elle quitte le chantier, en même temps que Armadi qui connaît des difficultés financières et qui lui doit toujours 37 031,15$. Armadi fera cession de ses biens le 18 mars 2013.

[12]    Les travaux de Paquet inc. sont alors presque terminés. Il ne reste que des déficiences à corriger et du matériel à installer, telles des portes et des poignées d'armoire.

[13]    L'architecte De Marco émet, en juin et juillet 2012, trois certificats d'achèvement substantiel, avec des listes de travaux à compléter et des déficiences à corriger : le premier vise le rez-de-chaussée jusqu'au dixième étage et les garages, le deuxième vise les onzième, douzième et treizième étages et le troisième vise les quatorzième, quinzième et seizième étages. Il déclare que ce type de certificat est émis lorsque le bâtiment, ici le Tribunal comprend plutôt les étages, est prêt à l'usage auquel il est destiné. Il ajoute que plusieurs condominiums sont déjà occupés.

[14]    Le 25 octobre 2012, il émet le certificat de parachèvement de l'ouvrage. Il témoigne que ce certificat est émis lorsque les plans sont respectés et l'ensemble des travaux sont complétés.

[15]    En novembre 2012, Tyron inc. achète des armoires de cuisine de Crotons Kitchens inc. (Crotons inc.). Celle-ci fait affaire avec D.B. Construction inc. pour leur installation.

[16]    Le représentant de D.B. construction inc., Daniel Bessette, témoigne que son entreprise installe des armoires de cuisine à la fin du mois de novembre et au début du mois de décembre 2012 dans trois condominiums, soit les unités 1454, 155 et 1358.

[17]    Daniel Bessette témoigne que son entreprise quitte l'immeuble au début du mois de décembre 2012, le travail étant complété.

[18]    Flavio Paolantonio, ingénieur et contremaître du chantier, déclare que les cuisines de certaines unités présentent des déficiences le 25 octobre 2012. Des armoires sont endommagées de façon importante et Tyron inc. ne peut s'en procurer de nouvelles, qui sont importées de Chine par Armadi.

[19]    Tyron inc. démantèle donc les armoires de cuisine de quelques unités afin de récupérer du matériel et l'utiliser pour réparer ou remplacer les armoires de cuisine présentant les déficiences et elle achète des armoires de Crotons inc. pour les installer dans les unités où il y a eu démantèlement.

[20]    Il ajoute que les travaux de construction sont bel et bien complétés le 25 octobre 2012. Les travaux subséquents qui se déroulent jusqu'à la fin décembre 2012, juste avant Noël précise-t-il, visent à corriger des déficiences.

 

[21]    Le 25 février 2013, Paquet inc. fait publier au Registre foncier une hypothèque légale de la construction.

[22]    En avril 2013, le Syndicat de la copropriété la Cité de l'Acadie Phase II mandate AMEC Environnement et Infrastructures (AMEC) pour effectuer l'inspection de l'immeuble. 

[23]    Gheorghe Cepreaga, technicien ayant exécuté le mandat pour son employeur AMEC, témoigne que cette inspection est requise dans les six mois de la livraison de l'immeuble afin que le syndicat puisse bénéficier de la garantie offerte par Garantie Habitation des Maîtres Bâtisseurs, un plan de garantie pour un édifice de condominiums de plus de quatre logements. Il ajoute que le but de son inspection consiste à identifier les déficiences et recommander les réparations ou les solutions appropriées.

[24]    M. Cepreaga procède à l'inspection les 22 avril et 21 mai 2013. Il remet son rapport en juin 2013 et rencontre les représentants du syndicat et de Tyron inc. le 10 juillet 2013.

[25]    Il conclut que l'immeuble est adéquat pour l'usage qui en est fait et qu'il est dans une condition satisfaisante. Il fait de nombreuses recommandations de corrections et de réparations, lesquelles sont mineures, à l'exception de la partie mécanique du bâtiment qui, à son avis, nécessite des corrections majeures. Il requiert également de vérifier la conformité de certains ouvrages avec la réglementation en vigueur.

[26]    À la demande de Tyron inc. et pour permettre la vente des condominiums, Paquet inc. accepte d'effectuer une substitution de sa garantie. Ainsi, en mars 2013, une entente intervient entre les parties en vertu de laquelle le procureur de Paquet inc. conserve en fidéicommis 37 031,15$ que verse Tyron inc. et convient d'accorder une mainlevée et consentement à radiation de l'hypothèque légale de la construction, ce qui se concrétise en avril 2013.

L'ANALYSE ET LA DÉCISION

[27]    Le litige porte sur la date de fin des travaux de construction et son sort dépend uniquement de la preuve quant à cette date.

 

 

[28]    Généralement, le fardeau de la preuve d'établir le moment de la fin des travaux incombe à celui qui désire faire valoir une hypothèque légale de la construction en sa faveur. Dans l'affaire Hara c. Marconair inc.[1], notre Cour s'exprime ainsi :

[34] Lorsqu'il y a contestation au sujet d'une des conditions requises pour bénéficier de l'hypothèque légale de la personne qui a participé à la rénovation d'un immeuble, en l'occurrence le respect du délai de 30 jours prévu à l'article 2727 C.c.Q., que ce soit dans le cadre d'un recours hypothécaire ou d'une demande de radiation de l'hypothèque, le fardeau appartient à celui qui prétend bénéficier de cette hypothèque.

[29]    Le Tribunal considère qu'il en est de même pour récupérer le montant déposé en fidéicommis en substitution d'une hypothèque légale de la construction.

[30]    Dans le présent cas, c'est à Paquet inc. qu'appartient le fardeau de prouver que son avis d'hypothèque de la construction a été inscrit dans les délais exigés par l'article 2727 C.c.Q. :

2727. L'hypothèque légale en faveur des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d'un immeuble subsiste, quoiqu'elle n'ait pas été publiée, pendant les 30 jours qui suivent la fin des travaux.

Elle est conservée si, avant l'expiration de ce délai, il y a eu inscription d'un avis désignant l'immeuble grevé et indiquant le montant de la créance. Cet avis doit être signifié au propriétaire de l'immeuble.

Elle s'éteint six mois après la fin des travaux à moins que, pour conserver l'hypothèque, le créancier ne publie une action contre le propriétaire de l'immeuble ou qu'il n'inscrive un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire.

[31]    Paquet inc. doit faire la preuve prépondérante que la fin des travaux s'est réalisée dans les trente jours précédant l'inscription de l'avis, le 25 février 2013, ou encore, ultérieurement à cette date.


[32]    La fin des travaux est une notion codifiée au premier alinéa de l'article 2110 C.c.Q. :

2110. Le client est tenu de recevoir l'ouvrage à la fin des travaux; celle-ci a lieu lorsque l'ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l'usage auquel on le destine.

[33]    Il faut de plus s'en remettre aux principes dégagés par la jurisprudence rendue sur le sujet. La fin des travaux est une question de faits et chaque cas est d'espèce. Elle coïncide généralement avec l'exécution intégrale du marché convenu entre le propriétaire et l'entrepreneur, selon les plans et devis ou le contrat de construction.

[34]    Dans le présent dossier, les parties n'ont pas déposé les plans et devis ni le contrat de construction de l'immeuble.

[35]    Dans les cas où il n'y a pas de plans et devis ou en l'absence de précision dans le contrat quant aux travaux à réaliser, la fin des travaux survient lorsque l'ouvrage est prêt pour les fins auxquelles on le destine :

1454. (…) S'il n'y avait pas de plans et devis ou si le contrat manquait de précision dans la description des travaux à faire, le second critère prévu à l'article 2110 C.c. devient déterminant : l'ouvrage doit être prêt aux fins destinées. [2]

[36]    Il est important de faire la distinction entre des travaux mal faits et des travaux non exécutés. Ainsi, des déficiences à corriger représentant des travaux supplémentaires ou des malfaçons ne retardent pas la fin des travaux. Il existe une jurisprudence constante à ce sujet. Un travail peut être mal fait, il n'en est pas moins fait[3].

[37]    Il convient donc d'examiner la preuve afin de déterminer la date de fin des travaux en l'espèce.

[38]    Le certificat de parachèvement de l'ouvrage a été émis en octobre 2013. À cet égard, Jacques Deslauriers précise[4] :

Ce genre de certificat en fait ne constitue qu'une présomption qui peut être renversée en prouvant qu'au moment de l'émission de ce certificat, d'autres travaux prévus au contrat restaient à faire.

 

[39]    La preuve révèle que D.B. Construction inc. a installé des armoires dans trois unités après l'émission du certificat de parachèvement de l'ouvrage. M. Paolantonio confirme que des armoires dans certaines unités ont été démantelées pour corriger des déficiences ailleurs dans l'immeuble[5].

[40]    Vu la preuve présentée, le Tribunal considère que Paquet inc. n'a pas renversé la présomption que fait peser le certificat de parachèvement de l'ouvrage relativement à la date de fin des travaux. Selon M. Paolantonio, les travaux sont bel et bien terminés au 25 octobre 2012. Les travaux subséquents visent à reprendre des travaux déjà exécutés.

[41]    Qui plus est, les travaux de D.B. Construction inc. n'ont pas d'impact sur la validité de l'inscription de l'avis d'hypothèque légale puisque les armoires ont été installées à la fin du mois de novembre et au début du mois de décembre 2012, bien avant le délai de 30 jours qui a précédé l'inscription de l'avis.

[42]    Par ailleurs, à l'examen du rapport de AMEC sur l'état de l'immeuble, on peut constater que plusieurs travaux restent à corriger puisque mal exécutés et que certains travaux ne respecteraient pas la réglementation en vigueur. La conclusion du rapport précise que la bâtisse est adéquate pour l'usage qu'il en est fait mais qu'elle nécessite des correctifs, lesquels s'avèrent majeurs au niveau mécanique.

[43]    Tel que déjà mentionné, il ne s'agit pas ici de travaux non exécutés mais de déficiences à corriger, ce qui ne retarde pas la fin des travaux. De plus, la non-conformité de certains travaux à la réglementation en vigueur est aussi reconnue pour ne pas retarder la fin des travaux. Comme le mentionne la Cour supérieure dans l'affaire Lloyd V. Lomas Holding Ltd c. Valmont Nadon Transport, C.S.M.[6] :

14. Qu'il y ait des accros à des règlements provinciaux ou municipaux de construction, il s'agit des travaux de correction qui n'auront aucun effet sur la date de fin des travaux, à moins qu'ils rendent l'immeuble impropre à l'usage auquel on le destine.


[44]    Une lecture attentive du rapport AMEC permet de constater que trois bancs extérieurs et la main courante d'un escalier prévus aux plans d'architecte sont manquants. La jurisprudence majoritaire[7] est d'avis que l'inexécution des travaux, des biens ou des services prévus aux plans ou au contrat, même s'ils sont minimes, retarde la fin des travaux. Il faut toutefois que ces travaux non exécutés soient significatifs.

[45]    La jurisprudence a souvent accepté que des travaux mineurs qui sont sans portée significative ou sans incidence particulière ne retardent pas la fin des travaux. D'ailleurs, Vincent Karim s'exprime ainsi à ce sujet[8] :

1802. Il importe cependant de préciser que des travaux prévus dans le contrat et qui demeurent inexécutés pourraient empêcher la fin des travaux. (…) Il importe de rappeler que ces travaux mineurs peuvent reporter la fin des travaux, à moins qu'il ne s'agisse de petites retouches à apporter aux travaux déjà exécutés telles qu'une retouche de peinture, nettoyage ou ajustement des portes ou des armoires, etc. Il s'agit d'une question de fait laissée à l'appréciation du tribunal qui pourra alors, à la lumière de la preuve, évaluer si vraiment les travaux mineurs permettent de reporter ou non la fin des travaux.

[46]    Le Tribunal considère que les manquements soulignés par AMEC ne sont pas significatifs quant à l'usage que l'on veut faire du bâtiment.

[47]    En somme, la preuve ne permet pas de conclure que l'hypothèque légale de la construction a été publiée à l'intérieur du délai de 30 jours prévu à l'article 2727 C.c.Q..

[48]    Le Tribunal considère plutôt qu'il est raisonnable d'inférer de la preuve que la fin des travaux est survenue bien avant les trente jours qui ont précédé l'inscription de l'avis d'hypothèque en février 2013 et qu'en conséquence, la publication de l'avis a été faite sans droit.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la demande de la demanderesse.


 

ORDONNE à la demanderesse de remettre à la défenderesse le dépôt en fidéicommis déposé par la défenderesse en vertu de l'entente P-6 en lieu et place de l'hypothèque légale de la construction.

AUTORISE la procureure de la demanderesse de remettre à la défenderesse la somme de 37 031,15$, conservée dans son compte en fidéicommis en vertu de l'entente P-6.

LE TOUT, avec dépens.

 

 

________________________________

DOMINIQUE LANGIS, J.C.Q.

 

Me Caroline Gagnon

Gagnon Girard Julien et Matte (casier 177)

Procureurs de la demanderesse

 

Me Eugène F. Balangero

19626, Kenyon Conc. 6 RR. 5

Alexandria (Ontario) K0C 1A0

Procureurs de la défenderesse

 

Date d’audience : 16 janvier 2014

 



[1]   2006 CanLII 2284 (QC C.Q.). Voir aussi Carreaux Fleury inc. c. Développement Sallette inc., J.E. 93-1484 (C.S.), p.15; Ferme Vertex inc. c. Entreprises G. Pouliot ltée, 2007 CanLII 9032 (QC C.Q.); Manricks c. Forges 3000 inc., 2007 CanLII 12589 (QC C.Q.), par. 9; Pro-Jet Démolition inc. c. Montréal (Commission Scolaire), 2005 CanLII 37224 (QC C.Q.); Édith LAMBERT, « Les sûretés », Collection Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, n° 2727 555.

[2]    Louis PAYETTE, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, par. 1454.

[3]    Carreaux Fleury inc. c. Développements Salette inc., J.E. 93-1484 (C.S.), p. 12.

[4]    Jacques DESLAURIERS, Les sûretés réelles au Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, par. 584.

[5]    M. Paolantonio déclare, en reprenant son expression, avoir «cannibalisé» cinq unités. Par contre, M. Bessette mentionne n'avoir refait que trois unités.

[6]    J.E. 96-274 (C.S.).

[7]    Carreaux Fleury inc. c. Développements Salette inc., précité, note 3; Construction Broccolini inc. c. Fiducie immobilière Dorelin, 2010 CanLII 1629 (QC C.S.).

[8]   Vincent KARIM, Contrats d'entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation) Contrat de prestation de services et l'hypothèque légale,  2e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2011, par. 1802.

 

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