Coulombe et Camions Rouanda inc. |
2015 QCCLP 42 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 4 juillet 2013, Transport Clément Bégin inc. (Transport Bégin) dépose une requête en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), par laquelle elle demande la révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 24 mai 2013.
[2] Le 18 juillet 2013, Camions Rouanda inc. (Camions Rouanda) dépose également à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou révocation de la même décision. Il s’agit de l’employeur du travailleur au moment de sa réclamation.
[3] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la contestation produite par monsieur Simon Coulombe (le travailleur), infirme la décision rendue par la CSST le 9 octobre 2012 à la suite d’une révision administrative et déclare notamment que le travailleur a subi une lésion professionnelle soit un syndrome du canal carpien bilatéral le 21 décembre 2011.
[4] Le représentant de Transport Bégin et celui du travailleur sont présents à l’audience tenue sur les requêtes le 25 mars 2014 à Rouyn-Noranda. Le 23 décembre 2013, le procureur de Fabrinord Ltée a informé le tribunal qu’il ne serait pas présent à l’audience. Le 21 mars 2014, la procureure de Kenworth La Sarre et de Centre du camion Amos inc. a informé le tribunal qu’elle ne serait pas présente à l’audience.
[5] L’employeur, Camions Rouanda, n’est pas représenté à l’audience et n’a pas informé le tribunal de ce fait. Le tribunal siégeant révision a procédé à l’audience conformément à l’article 429.15 de la loi.
L’OBJET DES REQUÊTES
[6] Transport Bégin demande la révocation de la décision au motif qu’il n’a pu être entendu, car il n’a pas été convoqué à l’audience devant le premier juge administratif.
[7] Camions Rouanda demande «la révision» car il n’avait «reçu aucune information…pour se présenter à l’audition» et qu’il n’a donc pu notamment «élaborer sur la description de tâches du travailleur».
L’AVIS DES MEMBRES
[8] Le membre issu des associations de travailleurs et le membre issu des associations d'employeurs émettent un avis unanime. Sans vouloir élaborer de principe général, ils considèrent que dans les circonstances particulières de l’affaire, les employeurs précédents du travailleur, identifiés par la CSST et mentionnés au dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles auraient dû être considérés comme étant des parties à la contestation. Ils auraient dû être convoqués dès le départ.
[9] Dans ce contexte, ils considèrent que Transport Bégin n’a pas pu pour des raisons suffisantes se faire entendre. Ils révoqueraient la décision du 24 mai 2013 pour ce motif.
[10] Ils considèrent enfin que la requête de Camions Rouanda est irrecevable puisque hors délai et qu’il n’y a aucune preuve de motif raisonnable expliquant le défaut.
LES FAITS ET LES MOTIFS
Remarques préliminaires
[11] La décision rendue par la Commission des lésions professionnelles a également fait l’objet de requêtes en révision ou révocation de la part de Fabrinord ltée, du Centre de Camions Amos inc. et de Kenworth La Sarre inc. pour les mêmes motifs que ceux invoqués par Transport Bégin. Toutefois, ces trois requêtes ont fait l’objet de désistements.
[12] La présente décision traite donc uniquement des requêtes en révision ou révocation formulées par Transport Bégin et Camions Rouanda.
[13] La requête de Transport Bégin a été produite le 4 juillet et celle de Camions Rouanda a été produite le 18 juillet 2013. Il se pose donc la question de savoir si ces requêtes ont été produites dans un délai raisonnable comme l’exige l’article 429.57 de la loi. La jurisprudence unanime de la Commission des lésions professionnelles a établi ce délai à 45 jours.
[14] Pour les motifs exposés plus loin, le tribunal a considéré à l’audience en révision que la requête de Transport Bégin a été produite dans un délai raisonnable, puisqu’il a reçu notification de la décision que vers le 28 juin 2013.
[15] Par ailleurs, la requête en révision ou révocation de Camions Rouanda apparaît n’avoir pas été produite dans un délai raisonnable. Compte tenu que cet employeur n’est pas représenté lors de l’audience en révision, le tribunal s’en remet à la preuve documentaire. Cette preuve révèle que la décision du 24 mai 2013 a été transmise à Camions Rouanda en même temps qu’au travailleur soit le ou vers le 24 mai. Le 18 juillet 2013, le délai de 45 jours est largement dépassé. Le délai est de 55 jours. Même en déduisant 5 jours de délai postal, il n’en demeure pas moins que le délai serait de 50 jours. Camions Rouanda n’ayant soumis aucune preuve de motif raisonnable afin de justifier le défaut de respecter le délai, le tribunal en révision conclut que sa requête est irrecevable. Il n’en sera plus question dans cette décision.
Contexte juridique et factuel
[16] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si elle doit révoquer la décision du 24 mai 2013.
[17] L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[18] Le recours en révision et en révocation est prévu à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendue :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[19] Compte tenu de l’article 429.49 de la loi, une décision ne peut être révisée ou révoquée que s’il est établi un motif prévu à l’article 429.56.
[20] Transport Bégin soumet qu’il n’a pas pu se faire entendre pour des raisons qui doivent être jugées suffisantes. Il invoque spécifiquement qu’il n’a pas été convoqué à l’audience devant le premier juge administratif. Il s’agit du second paragraphe de l’article 429.56 de la loi.
[21] La jurisprudence du tribunal retient que pour être jugés suffisants, les motifs invoqués doivent être sérieux et sans qu’il n’y ait eu négligence de la part de la partie qui les invoque[2]. En outre, la partie ne doit pas avoir, par ses agissements, renoncée au droit d’être entendu[3]. Nous y reviendrons plus loin.
[22] Le tribunal en révision doit déterminer si la décision du premier juge administratif doit être révoquée au motif que Transport Bégin notamment n’a pas été convoqué à l’audience qu’il a présidé.
[23] Il convient de résumer ici la procédure et les décisions qui ont parsemé le dossier du travailleur.
[24] Le 21 décembre 2011, le travailleur a produit une réclamation à la CSST pour une maladie professionnelle soit un syndrome du canal carpien alors qu’il occupe un poste de mécanicien de camions au service de Camions Rouanda depuis 3 ans. L’annexe qu’il complète à la demande de la CSST évoque qu’il occupe un poste de mécanicien depuis 13 ans. Il n’y a toutefois aucune mention des employeurs précédents.
[25] Le 13 juillet 2012, la CSST transmet à plusieurs employeurs un formulaire faisant état du service du travailleur dans leur établissement afin d’établir leur quote-part du coût des prestations si sa réclamation était acceptée. La lettre envoyée à Industries Tanguay, Fabrinord ltée, Camions Rouanda inc., Centre du camion Amos inc., Kenworth La Sarre inc. et Transport Clément Bégin est ainsi libellée :
Nous vous informons que la personne mentionnée ci-dessus a présenté une réclamation pour un tunnel carpien bilatéral. Selon les renseignements qu’elle nous a fournis, elle aurait exercé chez vous un travail de nature à engendrer cette maladie professionnelle.
Vous trouverez donc ci-joint une copie du formulaire qu’elle a rempli. Si sa réclamation est acceptée, les informations inscrites sur ce formulaire serviront à établir votre quote-part du coût des prestations, s’il est démontré que cette personne a exercé chez vous un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle. Vous serez avisé ultérieurement de toute décision que la Commission rendra à cet effet.
De plus, si les informations inscrites sur ce formulaire vous semblaient inexactes. Nous souhaiterions en être avisé le plus rapidement possible. Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires à ce sujet ou pour toute autre question.
[nos soulignements]
[26] Le 20 juillet 2012, la CSST rend une décision dans laquelle elle refuse la réclamation du travailleur. Copie conforme de cette décision est expédiée aux employeurs mentionnés au paragraphe précédent.
[27] Le 23 août 2012, Le Centre du camion d’Amos comparaît auprès de la CSST et demande, entre autres, d’être informé du déroulement de la suite du dossier.
[28] Le travailleur a demandé la révision de la décision du 20 juillet. Celle-ci est toutefois confirmée le 9 octobre 2012. Copie de cette décision est envoyée au travailleur et à Camions Rouanda seulement. Le travailleur conteste celle-ci devant la Commission des lésions professionnelles le 24 octobre 2012.
[29] Entretemps, le 27 juillet 2012, le travailleur produit une seconde réclamation à la CSST cette fois en raison d’un syndrome de Raynaud bilatéral. Il complète alors une annexe relative à une maladie professionnelle due à des vibrations et y inscrit le nom des employeurs mentionnés au paragraphe 22.
[30] Le 5 octobre 2012, la CSST transmet à ces employeurs une lettre similaire à celle du 13 juillet 2012.
[31] Le 30 novembre 2012, la Commission des lésions professionnelles expédie un avis d’audience pour le 27 mars 2013 au travailleur, son représentant ainsi qu’à Camions Rouanda. Cet avis concerne le présent dossier.
[32] La CSST refuse la seconde réclamation du travailleur le 14 décembre 2012 et envoie une copie conforme à tous les employeurs mentionnés au paragraphe 22. Cette décision est confirmée à la suite d’une révision administrative le 4 mars 2013. Le travailleur conteste également cette décision devant la Commission des lésions professionnelles le 11 mars 2013. Il s’agit du dossier 504717.
[33] Le 13 mars 2013, la Commission des lésions professionnelles envoie au travailleur, son représentant et à Camions Rouanda seulement un avis d’audience modifié pour l’audience prévue le 27 mars suivant ajoutant le dossier 504717 au dossier visé par le premier avis, (soit le présent dossier).
[34] Le 27 mars 2013, le premier juge administratif préside l’audience dans les deux dossiers. Seuls le travailleur et son représentant sont présents. Camions Rouanda n’est pas représenté et n’a pas informé au préalable le tribunal de ce fait.
[35] À la demande du représentant du travailleur, le premier juge administratif accorde une remise de l’audience dans le dossier 504717 puisque le dossier est très récent et le représentant ne s’y est pas préparé. Il procède toutefois dans le présent dossier.
[36] Le 10 mai 2013, la Commission des lésions professionnelles détermine une nouvelle date d’audience dans le dossier 504717 au 23 septembre 2013 et expédie un avis au travailleur, à son représentant et à Camions Rouanda seulement.
[37] Le 24 mai 2013, le premier juge administratif rend la décision finale qui fait l’objet de la présente requête. Le 27 mai 2013, la Commission des lésions professionnelles expédie la décision au travailleur, son représentant, à Camions Rouanda et à la CSST Abitibi-Témiscamingue.
[38] Le 31 mai 2013, la CSST prend acte de la décision tel qu’il apparaît aux notes évolutives.
[39] Le 19 juin, l’agente de la CSST constate que la décision du 24 mai n’a pas été envoyée aux employeurs autres que Camions Rouanda.
[40] Le 20 juin[4], elle rend des décisions en matière d’imputation. Elle considère que, compte tenu de l’article 328 de la loi, les tâches exercées par le travailleur chez tous les employeurs identifiés sont de nature à engendrer la maladie professionnelle. Seules les sociétés Camnord et First Metal, fermées, ne sont pas visées.
[41] L’article 328 de la loi se lit comme suit :
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé ce travail, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue par le paragraphe 2° de l'article 312.
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1985, c. 6, a. 328.
[nos soulignements]
[42] Le même jour, le maître régional des rôles de la Commission des lésions professionnelles informe l’agente de la CSST que les autres employeurs ont été inscrits dans le dossier 504717 à titre d’employeur, de parties intéressées.
[43] Ce dossier 504717 révèle en effet que le 10 juin 2013, un avis d’inscription de nouveaux employeurs est envoyé notamment à Centre du camion Amos inc., le groupe Canam-Manac inc., Transport Clément Bégin inc., Kenworth La Sarre inc., Fabrinord ltée, et First Metals inc.
[44] Ainsi le 10 juin également, un avis d’audition modifié pour le 23 septembre 2013 est expédié à toutes les parties, de sorte que tous les employeurs mentionnés plus haut soient convoqués en même temps que le travailleur et Camions Rouanda. Une remise est finalement accordée dans ce dossier. Une nouvelle audience est convoquée pour le 22 janvier 2015.
[45] Entretemps, les employeurs Fabrinord, Centre du Camion Amos et Kenworth demandent la révision des décisions rendues les 20 juin et 18 juillet 2013 par la CSST en imputation. Les décisions sont confirmées les 4 et 5 septembre 2013 à la suite d’une révision administrative.
[46] Chacun de ces trois employeurs a contesté la décision rendue à la suite d’une révision administrative qui le concerne. L’audience dans ces dossiers est également prévue le 22 janvier 2015 (dossier 524010 Kenworth et 524011 Centre du camion Amos). Fabrinord toutefois s’est désisté le 23 décembre 2013 (dossier 523852).
[47] Camions Rouanda n’a pas contesté l’imputation faite par la CSST au-delà de la révision administrative. Cet employeur est imputé du coût des prestations liées à la lésion professionnelle du travailleur dans une proportion de 30,14%.
[48] Transport Bégin n’a pas contesté la décision rendue par la CSST le 20 juin 2013, qui lui impute 7,39% des coûts des prestations.
[49] C’est ainsi que le 4 juillet 2013, Transport Bégin a produit à la Commission des lésions professionnelles une requête en révocation de la décision du 24 mai 2013.
[50] À l’appui de sa requête, le représentant soumet que Transport Bégin n’a reçu cette décision que le 28 juin 2013, la requête est donc produite dans un délai raisonnable.
[51] Le tribunal constate que dans les notes évolutives de la CSST, l’agente mentionne, en date du 25 juin 2013, transmettre la décision du 24 mai aux employeurs non - convoqués, puisque celle-ci n’avait pas été envoyée par la Commission des lésions professionnelles.
[52] C’est ainsi qu’à l’audience en révocation, le tribunal a considéré que la requête de Transport Bégin a été produite dans un délai raisonnable et est recevable.
[53] Le représentant de Transport Bégin a admis à l’audience en révision n’avoir pas contesté la décision d’imputation de façon volontaire. Il a considéré qu’il n’avait pas besoin de le faire puisque le recours en révocation de la décision du premier juge administratif était suffisant. Il s’agit d’un choix «stratégique» du représentant.
[54] Le représentant soumet qu’il était «impossible» pour la Commission des lésions professionnelles de ne pas considérer Transport Bégin notamment, comme partie intéressée en raison des documents apparaissant au dossier et du témoignage du travailleur à l’audience.
[55] Il dirige le tribunal en révision vers la liste des employeurs précédents compilés par la CSST[5], aux lettres qui leurs ont été envoyées en juillet 2012 par la CSST[6] et au témoignage du travailleur à l’audience devant le premier juge administratif[7].
[56] Ainsi, il prétend qu’à l’évidence, les employeurs précédents identifiés étaient connus et susceptibles d’être imputés par la CSST. Ils auraient dû être convoqués compte tenu de l’article 429.13 de la loi et de l’article 12 de la Loi sur la justice administrative[8] :
429.13. Avant de rendre une décision, la Commission des lésions professionnelles permet aux parties de se faire entendre.
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1997, c. 27, a. 24.
1° de prendre des mesures pour délimiter le débat et, s'il y a lieu, pour favoriser le rapprochement des parties;
2° de donner aux parties l'occasion de prouver les faits au soutien de leurs prétentions et d'en débattre;
3° si nécessaire, d'apporter à chacune des parties, lors de l'audience, un secours équitable et impartial;
4° de permettre à chacune des parties d'être assistée ou représentée par les personnes habilitées par la loi à cet effet.
1996, c. 54, a. 12.
[57] À ce titre, le représentant soumet plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles dans lesquelles les employeurs précédents d’un travailleur ont identifiés et convoqués à titre de parties intéressées.
[58] Il produit aussi une décision où une décision d’admissibilité d’une maladie professionnelle a été révoquée au motif que les employeurs précédents n’ont pas été convoqués à titre de partie[9]. Il dépose également une décision rendue en révocation d’une décision en matière de financement où un tiers employeur n’avait pas été convoqué[10].
Analyse
[59] La question de la convocation à titre de partie intéressée des employeurs précédents d’un travailleur qui demande de faire reconnaître l’admissibilité d’une maladie professionnelle n’est pas nouvelle. Il y a toutefois peu de jurisprudence spécifique sur cela.
[60] À l’évidence, toute partie qui a une contestation devant la Commission des lésions professionnelles a droit de se faire entendre.
[61] Il conviendrait donc théoriquement de déterminer qui, dans un dossier particulier, doit être considéré comme étant une partie.
[62] Dans le cas présent, Transport Bégin allègue être une partie intéressée qui aurait dû être convoquée devant le premier juge administratif. Puisque cela n’a pas été fait, Transport Bégin n’a pu être entendu pour des raisons qui seraient suffisantes. Cela constitue selon le représentant de Transport Bégin un manquement aux règles de justice naturelle.
[63] Qu’en est-il? Pour répondre à cette question, le tribunal en révision croit utile d’adopter une démarche pragmatique. Les circonstances de l’affaire n’exigent pas d’énoncer des principes juridiques sur la notion de partie à une contestation au sujet de l’admissibilité d’une maladie professionnelle dans le cas d’un travailleur qui a été au service de plusieurs employeurs au fil du temps.
[64] Cependant, tout justiciable qui invoque un manquement à une règle de justice naturelle doit en faire la preuve. Il ne suffit pas de l’invoquer pour avoir gain de cause. Cela n’a rien d’automatique.
[65] Dans le cas présent, la non-contestation volontaire de la décision de la CSST du 20 juin 2013, qui impute à Transport Bégin une partie des coûts des prestations dues en raison de la maladie professionnelle du travailleur laisse songeur. Cet employeur a délibérément renoncé à un recours utile pouvant, s’il avait eu gain de cause, éviter toute imputation. La non-imputation est certainement là son seul intérêt réel puisque le travailleur n’est plus à son emploi.
[66] Toutefois dans les circonstances particulières de l’affaire, Transport Bégin aurait dû être convoqué à titre de partie intéressée à la contestation du travailleur.
[67] En effet, la simple lecture du dossier tel que constitué par la Commission des lésions professionnelles permet d’identifier nommément les employeurs précédents à titre de parties intéressées. La CSST a impliqué ces employeurs avant même de rendre une décision sur l’admissibilité. Centre du Camion Amos a même comparu auprès de la CSST à l’époque. Le tribunal en révision se réfère ici notamment à la liste des employeurs compilée par la CSST et aux lettres qu’elle a envoyées à ces employeurs en juillet 2012.
[68] Cependant, pour des motifs inconnus du tribunal en révision, ils n’ont pas été convoqués devant le premier juge administratif.
[69] Il s’agit vraisemblablement d’une erreur commise au greffe régional de la Commission des lésions professionnelles. En effet, les mêmes employeurs ont été par la suite, le 10 juin 2013, convoqués dans le cadre de l’autre dossier impliquant le travailleur (504717). L’audience est d’ailleurs maintenant prévue le 22 janvier 2015. Rien n’explique la non-convocation antérieure de ces employeurs devant le premier juge administratif.
[70] Dans ces circonstances bien particulières où effectivement il était évident que ces employeurs étaient connus, nommés et pressentis pour une imputation des coûts, il était essentiel de les convoquer car ils étaient déjà parties au dossier. Le défaut de le faire en temps utile devant la Commission des lésions professionnelles constitue donc un manquement au droit d’être entendu.
[71] C’est ainsi que pour ce seul motif, le tribunal en révision conclut que Transport Bégin, une partie au dossier, n’a pas pu pour des raisons suffisantes se faire entendre. Il y a donc lieu de révoquer la décision rendue le 24 mai 2013 et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience, laquelle pourrait être tenue le 22 janvier en même temps que celle prévue dans le dossier 504717.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Transport Clément Bégin inc.;
DÉCLARE irrecevable la requête de Camions Rouanda inc.;
RÉVOQUE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 24 mai 2014;
ORDONNE la tenue d’une nouvelle audience dans le présent dossier (485362) le 22 janvier 2015.
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Jacques David |
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Monsieur Marc Thibodeau |
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SYNDICAT DES MÉTALLOS |
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Représentant du travailleur |
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Me Lise Turcotte |
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BÉCHARD, MORIN, AVOCATS |
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Représentante de Centre du Camion Amos inc. et de Kenworth La Sarre inc. |
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Me Sylvain Pelletier |
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ADP SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL |
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Représentant de Fabrinord ltée |
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Monsieur Yves Brassard |
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MPATEQ (MUTUELLE DE PRÉVENTION) |
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Représentant de Transport Clément Bégin inc. |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Imbeault et S.E.C.A.L., C.L.P. 84137-02-9611, 24 septembre 1999, M. Carignan.
[3] Hall c. C.L.P. [1998] C.L.P. 1076 (C.S.).
[4] Une nouvelle détermination de l’imputation est faite le 18 juillet 2013 pour Fabrinord et Camions Rouanda.
[5] Pages 42 et suivantes du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles.
[6] Citées plus haut au paragraphe 22.
[7] Ce dernier mentionne avoir exercé des tâches de mécanicien durant 13 ans dont les trois dernières années au service de Camions Rouanda. Il ne mentionne pas les noms de d’autres employeurs à l’audience devant le premier juge administratif.
[8] RLRQ, c J-3.
[9] Groupe de construction National State inc. et Paré, 126936-62B-9911, 21 février 2001.
[10] Acier Vanguard Ltée et Dor Doctor et Brooks, 147573-71-0009, 20 juin 2003.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.