Décision

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Jacques c. Pétroles Therrien inc.

2015 QCCS 4079

 

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 

DATE :

24 août 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

BERNARD GODBOUT, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

Nº :

200-06-000102-080

 

SIMON JACQUES ET AL

Demandeurs

c.

 

LES PÉTROLES THERRIEN INC. ET AL

Défendeurs

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Tiers requérant

______________________________________________________________________

 

 

Nº :

200-06-000135-114

 

DANIEL THOUIN ET AL

Demandeurs

c.

 

ULTRAMAR LTÉE ET AL

Défendeurs

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Tiers requérant

JG 1744

 
______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE

-    POUR ÊTRE REMBOURSÉ DES COÛTS ENCOURUS PAR LA COMMUNICATION DES ENREGISTREMENTS DE CONVERSATIONS TÉLÉPHONIQUES INTERCEPTÉES

ET

-    DE BENE ESSE POUR ÊTRE INDEMNISÉ DE TOUT COÛT ADDITIONNEL RELATIF À LA COMMUNICATION DE TOUTE AUTRE PREUVE

______________________________________________________________________

 

[1]       Le Procureur général du Canada (ci-après « PGC »), qui agit pour le compte du Directeur des poursuites pénales (ci-après « DPP ») nommé en vertu de la Loi sur le directeur des poursuites pénales (L.C. 2006, ch. 9) et du Bureau de la concurrence dirigé par le Commissaire de la concurrence nommé en vertu de la Loi sur la concurrence (L.R.C. (1985), ch. C-34), présente à titre de « tiers requérant » dans le dossier de Simon Jacques et al c. Les Pétroles Therrien inc. et al (no : 200-06-000102-080) et dans le dossier de Daniel Thouin et al c. Ultramar Ltée et al (no : 200-06-000135-114), une requête aux termes de laquelle il demande, entre autres :

« […]

CONDAMNER les demandeurs à payer au Procureur général du Canada les coûts réels qui seront encourus par la communication des enregistrements interceptés et communiqués aux accusés visés par la décision de la Cour suprême du Canada Pétrolière impériale c. Jacques, 2014 CSC 66 dans un délai de trente (30) jours de ladite communication, cette somme étant estimée à 89 208 $ à 117 720 $ plus taxes, à parfaire, à laquelle s’ajouterait la somme estimée de 113 616 $ plus taxes et du coût de logiciel, à parfaire, si la communication des enregistrements audio caviardés devait être faite. »

[2]       Et, dans l’hypothèse où il serait ordonné au PGC de communiquer d’autres documents en réponse aux requêtes des demandeurs :

« LIMITER au strict nécessaire l’étendue de la communication de documents;

CONDAMNER les demandeurs à payer une indemnité raisonnable au Procureur général du Canada ainsi contraint de communiquer des documents en sa possession, à parfaire, dans un délai de trente jours de chaque communication qui pourrait être faite, les coûts étant estimés au « SCÉNARIOS DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA DE COMMUNICATION DU DOSSIER « OCTANE», pièce R-10 

[3]       La première de ces conclusions s’inscrit évidemment dans le prolongement de l’arrêt de la Cour suprême du Canada prononcé le 17 octobre 2014 dans l’affaire Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, à laquelle le PGC fait d’ailleurs référence dans sa requête.

[4]       Les deux autres conclusions visent à la fois le dossier « Jacques » et le dossier « Thouin ».

[5]       Cette requête du PGC, un tiers à ces deux recours collectifs, arrive à un moment où il n’est pas inutile de faire le point sur la situation de la communication préalable de documents, ce qui pourra certes participer à favoriser une saine gestion et au bon déroulement de ces instances.

[6]       Par ailleurs, malgré que ces deux recours collectifs ne soient pas réunis, un seul jugement, à l’instar de la requête, sera ici prononcé, ayant pour seul objectif de favoriser une meilleure compréhension de l’analyse et des conclusions, sans plus.

Le dossier « Jacques »

[7]       Le 30 novembre 2009, notre Cour, alors présidée par Mme la juge Dominique Bélanger (maintenant à la Cour d’appel du Québec), autorisait l’exercice d’un recours collectif dans lequel, M. Simon Jacques, M. Marcel Lafontaine et l’Association pour la protection automobile reprochent aux défenderesses d’avoir contrevenu au devoir que leur imposent les articles 1457 du Code civil du Québec et 36 de la Loi sur la concurrence en se livrant à des activités anticoncurrentielles. Ce recours concerne plus précisément quatre territoires, soit : Victoriaville, Thetford Mines, Sherbrooke et Magog.

[8]       Le 17 octobre 2014, la Cour suprême du Canada, appelée à se prononcer « sur la question de savoir si une partie à un recours civil peut demander que lui soient communiqués des enregistrements de conversations privées interceptées par l’État dans le cadre d’une enquête pénale », maintenait le jugement prononcé le 28 juin 2012 par Mme la juge Bélanger, dont les conclusions sont les suivantes :

« [96] ORDONNE au Bureau de la Concurrence du Canada et au Directeur des poursuites criminelles et pénales de communiquer aux procureurs des parties, dans les soixante jours du présent jugement, une copie complète de tous les enregistrements de communications interceptées par le Bureau de la concurrence du Canada dans le cadre de l’enquête Octane ET transmises aux accusés dans le cadre de la divulgation de la preuve faite en relation avec les accusations découlant de l’enquête;

[97] ORDONNE que seuls les procureurs et les experts au présent dossier puissent prendre connaissance de cette preuve;

[98] ORDONNE au Bureau de la concurrence du Canada et au Directeur des poursuites criminelles et pénales de filtrer la preuve dans le but de protéger la vie privée de tiers complètement étrangers au litige; »

[9]       Le 8 avril 2015, le soussigné rejetait la requête que M. Jacques, s’étant prévalu des articles 398(3), 402 et 1045 du Code de procédure civile, lui avait présentée pour obtenir la permission d’interroger l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence.

[10]    Il n’est pas inutile de reproduire ici les paragraphes suivants de ce jugement :

« [11]   Il appert d’un document préparé par le Procureur général du Canada, intitulé Scénarios du Procureur général du Canada de communication du dossier d’enquête « Octane » (pièce R-10)[1], que les demandeurs ont déjà ou auront incessamment en leur possession les documents et enregistrements suivants :

1.     Documents (non caviardés) considérés publics par le Directeur des poursuites pénales (« DPP ») communiqués le 23 novembre 2010 (720 documents - 6 828 pages);

2.     Observations et déclarations statutaires (caviardées) communiquées le 30 avril 2012 (22 documents - 787 pages);

3.     Partie des documents saisis caviardés par le DPP et regroupés sur un cédérom transmis au juge soussigné le 21 juin 2013 (857 documents - 6 564 pages);

4.     Fichiers audio comportant 794 transcriptions d’écoute électronique;

5.     5910 fichiers audio d’écoute électronique dont la communication a été autorisée par l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Pétrolière Impériale c. Jacques (2 777 fichiers restant à transcrire).

[12]       Bref, les demandeurs ont obtenu ou obtiendront incessamment tous les éléments jugés pertinents par le DPP pour lui permettre d’établir une preuve hors de tout doute raisonnable dans le contexte des procédures pénales.

[13]       En matière civile, le fardeau de preuve est moins lourd. Il repose en effet sur la prépondérance des probabilités qui peut comporter une preuve par présomption[2].

[14]       Permettre à ce moment-ci l’interrogatoire de l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence dans le contexte actuel du présent dossier, même s’il se situe au stade exploratoire, ne militerait certes pas à poursuivre l’objectif ultime d’un procès qui, selon la jurisprudence, doit être la recherche et la découverte de la vérité (R. c. Nikolovski, [1996] 3 R.C.S 1197 paragr. 13 et Frenette c. Métropolitaine (La), cie d'assurance-vie, [1992] 1 R.C.S. 647).

[15]       Bien au contraire, il est à ce moment-ci dans l’intérêt des membres du groupe qu’une analyse approfondie des éléments de preuve que leurs procureurs ont et auront incessamment en leur possession soit effectuée eu égard au fardeau de preuve qu’ils doivent rencontrer, soit une preuve prépondérante, avant que ne soient effectuées d’autres démarches préalables s’inscrivant dans le cadre des procédures spéciales d’administration de la preuve prévues au Code de procédure civile. »

[11]    À l’occasion d’une conférence téléphonique tenue le 14 juillet 2015[3], portant entre autres sur une demande de prolongation du délai pour communiquer les documents concernés par l’arrêt précité de la Cour suprême, Me Mariève Sirois-Vaillancourt, représentant le PGC, précisait qu’en date du 30 juin 2015 la situation était la suivante :

« Me Sirois-Vaillancourt précise qu’en date du 30 juin 2015 :

§  3 122 transcriptions d’écoute électronique ont été communiquées;

§  1 400 transcriptions d’écoute électronique sont présentement en processus de révision du caviardage effectué (dernière étape);

       Ces transcriptions seront communiquées dès le début du mois d’août 2015.

§  800 transcriptions d’écoute électronique sont présentement en révision par le Bureau de la concurrence;

§  600 transcriptions d’écoute électronique sont présentement effectuées par la GRC et comportent des conversations plus longues.

En résumé, au début du mois d’août 2015, 4 522 transcriptions caviardées d’écoute électronique auront été communiquées. La demande de prolongation de délai du Procureur général du Canada concerne plus spécifiquement 1 400 transcriptions d’écoute électronique, soit les 800 présentement en révision et les 600 à être effectuées par la GRC.

[…]

CONSIDÉRANT les représentations de Me Sirois-Vaillancourt et de Me Lalancette, la demande du Procureur général du Canada est accordée.

Par conséquent, le Procureur général du Canada disposera jusqu’au 1er décembre 2015 pour compléter et communiquer aux parties selon la démarche convenue entre elles, la transcription caviardée des enregistrements dont il est question dans l’arrêt de la Cour Suprême du Canada Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 C.S.C 66. »

[12]    Si on additionne le nombre de transcriptions dont il a été question au cours de cette conférence téléphonique, on arrive au résultat de 5 922 (3 122 + 1 400 + 800 + 600), ce qui correspond à peu près aux 5 910 fichiers audio d’écoute électronique dont la communication a été autorisée par l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Pétrolière Impériale c. Jacques, tel que précisé au paragraphe [10] du présent jugement.

Le dossier « Thouin »

[13]    Le 6 septembre 2012, notre Cour, alors présidée par Mme la juge Dominique Bélanger, autorisait l’exercice d’un deuxième recours collectif dans lequel M. Daniel Thouin et l’Association pour la protection automobile reprochent aux défenderesses, qui sont également poursuivies dans le dossier « Jacques », d’avoir eu le même comportement anticoncurrentiel que celui décrit dans le dossier « Jacques ». Ce recours concerne plus précisément 14 territoires, soit : Coaticook, Saint-Hyacinthe, Trois-Rivières, Drummondville, Saint-Cyrille-de-Wendover, Princeville, Lac Mégantic, Plessisville, Québec, Lévis, Région de la Beauce[4], Montmagny, Région du Bas St-Laurent[5], Sept-Îles.

[14]    Dans un jugement prononcé le 8 avril 2015 (rectifié le 28 avril 2015), le soussigné accueillait la requête de M. Thouin qui, s’étant prévalu des articles 398(3), 402 et 1045 C.p.c., demandait la permission d’interroger l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence.

[15]    Encore une fois, il n’est pas inutile de reproduire ici quelques paragraphes de ce jugement qui précèdent la conclusion :

« [24]    Cependant, on ne peut ignorer qu’à ce moment-ci et dans un avenir rapproché, les demandeurs disposeront d’une grande quantité d’information qu’ils auront obtenue dans le cadre du déroulement du recours no 200-06-000102-080 (dossier « Jacques »).

[25]       D’ailleurs, les demandeurs eux-mêmes s’interrogent à savoir si l’information dont ils disposent et celle qui leur sera éventuellement communiquée concernent en partie le présent dossier.

[26]       Les demandeurs doivent faire cette vérification préalablement à toute autre démarche.

[27]       Par la suite, ils pourront, le cas échéant, interroger l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence pour obtenir, à la lumière des connaissances qu’ils auront acquises, l’information nécessaire à l’obtention des éléments de preuve pouvant se rapporter au présent litige.

[…]

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[…]

[30] PERMET aux demandeurs d’assigner l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence et/ou toute autre personne pour être interrogé à la seule fin d’obtenir des précisions concernant les éléments d’information dont ce dernier dispose quant aux territoires visés par le présent recours collectif et, le cas échéant, les documents et enregistrements pertinents se rapportant au présent litige. »

[16]    Ce jugement a fait l’objet d’une requête pour permission d’en appeler.

[17]    Le 26 mai 2015, Mme la juge Julie Dutil de la Cour d’appel accueillait cette requête pour les motifs suivants :

[4] Je suis d'avis qu'il y a lieu d'accorder la permission d'appeler. En effet, le requérant soutient que le représentant du Bureau de la concurrence, qui n'est pas partie à l'instance, ne peut être interrogé au préalable en raison de l'immunité dont bénéficie la Couronne. Il s'agit là d'une question importante qui doit être tranchée à ce stade car le jugement final ne pourra y remédier.

[5] Par ailleurs, le requérant plaide que le juge a erré en permettant une « expédition de pêche » ou une « recherche à l'aveuglette » dans les dossiers du Bureau de la concurrence.

[6] Sur cet aspect également, je crois qu'il y a lieu de permettre l'appel. Il appert des documents déposés au soutien de la requête que les parties et le juge de première instance ignorent, pour le moment, si des documents pertinents pour le présent recours font partie du dossier d'enquête « Octane ». Or, ce dossier comprend, outre les documents déjà divulgués dans les procédures pénales entreprises, environ 220 000 communications interceptées et 637 000 pages. Le coût estimé, simplement pour transcrire ces documents, est de cinq à six millions de dollars, plus taxes. Il me semble qu'il s'agit là d'un cas où l'intérêt supérieur commande que la permission d'appeler soit accordée.

[18]    Telle est la situation concernant la communication préalable de documents dans le dossier « Jacques » et le dossier « Thouin ».


Analyse

[19]    Les articles 397(4), 398(3) et 402 1er al. C.p.c. traitent de la communication d’écrits et de documents à l’étape exploratoire :

« 397. Le défendeur peut, avant production de la défense et après avis de deux jours aux procureurs des autres parties, assigner à comparaître devant le juge ou le greffier, pour y être interrogé sur tous les faits se rapportant à la demande ou pour donner communication et laisser prendre copie de tout écrit se rapportant à la demande:

[…]

 4. avec la permission du tribunal et aux conditions qu'il détermine, toute autre personne.

398. Après production de la défense, une partie peut, après avis de deux jours aux procureurs des autres parties, assigner à comparaître devant le juge ou le greffier, pour y être interrogé sur tous les faits se rapportant au litige ou pour donner communication et laisser prendre copie de tout écrit se rapportant au litige:

[…]

 3. avec la permission du tribunal et aux conditions qu'il détermine, toute autre personne.

402. Si, après production de la défense, il appert au dossier qu'un document se rapportant au litige est entre les mains d'un tiers, celui-ci sera tenu d'en donner communication aux parties, sur assignation autorisée par le tribunal, à moins de raisons le justifiant de s'y opposer.

Le tribunal peut aussi, en tout temps après production de la défense, ordonner à une partie ou à un tiers qui a en sa possession un élément matériel de preuve se rapportant au litige, de l'exhiber, de le conserver ou de le soumettre à une expertise aux conditions, temps et lieu et en la manière qu'il juge à propos. »

[Soulignements ajoutés]

[20]    Ces trois articles se retrouvent à la Section II (De l’interrogatoire préalable, de l’examen médical et de la production de documents), du Chapitre III (Des procédures spéciales d’administration de la preuve), du TITRE V (administration de la preuve et audition) du Code de procédure civile.

[21]    Les articles 397(4), 398(3) et 402 1er al. sont donc de nature exploratoire et permettent à une partie de vérifier les éléments de faits dont elle peut disposer, quoique leur admissibilité en preuve pourrait toujours être contestée, notamment en vertu de l’article 2858 C.c.Q.

[22]    Par ailleurs, en matière de recours collectif, l’article 1045 C.c.Q. donne au tribunal le pouvoir de « prescrire des mesures susceptibles d’accélérer son déroulement et de simplifier la preuve si elles ne portent pas préjudice à une partie ou aux membres […][6] ».

[23]    La jurisprudence reconnaît que cet article doit recevoir une interprétation large et libérale qui s’inscrit dans la poursuite d’une saine gestion et du bon déroulement de l’instance (4.1 C.p.c.)[7], sujet toutefois au principe de la proportionnalité (4.2 C.p.c.)[8], tout en respectant, bien entendu, les règles de justice naturelle et la règle de droit.

[24]    Dans Pétrolière Impériale c. Jacques, les juges LeBel et Wagner, au nom de la majorité, écrivent au sujet de l’étape exploratoire :

[26] Période névralgique dans cette quête de la vérité au prétoire, la phase « exploratoire » précédant l’audition favorise la communication des éléments de preuve susceptibles de permettre aux parties d’établir la véracité des faits qu’elles allèguent [références omises]. Cette phase permet à chacune des parties « d’être mieux informé[e]s sur les faits en litige et, plus spécialement, sur les moyens de preuve dont dispose la partie adverse » [références omises]. Décrivant de manière plus précise encore l’étape de la communication des pièces, le comité chargé de réformer la procédure civile québécoise affirmait d’ailleurs, au début des années deux mille, que cette étape « favorise la transparence des débats et la responsabilisation des parties et des procureurs. Elle favorise également les admissions, permet de circonscrire rapidement les questions en litige et facilite les transactions » [références omises].

[27] Conscient de l’importance de l’étape exploratoire dans le processus civil, le législateur québécois a eu tôt fait de l’encadrer en édictant une série de règles d’application générale, qui habilitent le juge à ordonner la communication de documents relatifs au litige. Contrairement aux prétentions des appelants, ce sont ces règles, et non pas les différentes lois fédérales qu’ils invoquent, qui permettent aux parties de requérir la communication des documents. En ce sens, elles constituent le fondement du « droit d’accès » à l’information [références omises].

[28] Les tribunaux ont donné une interprétation large et libérale à cet article [références omises]. Ainsi, bien que le juge jouisse d’une grande discrétion dans l’exercice de son pouvoir de contrôle de l’application de l’art. 402, il favorisera généralement la communication. À ce propos, dans un arrêt de principe de la Cour d’appel, le juge Proulx soulignait que, « au stade de l’interrogatoire préalable, tant avant qu’après défense, il y a lieu de favoriser la divulgation la plus complète de la preuve » [références omises]. Relativement au rôle de la phase exploratoire, ces propos nous semblent toujours pertinents.

[29] Cependant, s’il doit être entendu de manière large, le droit à la communication dont dispose chacune des parties à une instance civile n’est pas pour autant illimité. D’une part, comme nous le verrons plus loin, l’étendue de la communication doit parfois être restreinte pour éviter qu’il soit porté atteinte aux intérêts de tiers. […]

[30] Ainsi, il est possible de s’opposer à la communication si les documents faisant l’objet de la requête ne sont pas pertinents à l’égard du litige [références omises]. Quoique les tribunaux semblent plus prudents au moment d’évaluer la pertinence de documents de nature confidentielle, le concept de pertinence s’apprécie généralement de manière large au cours de la phase exploratoire de l’instance [références omises]. Pour être pertinent, le document demandé doit se rapporter au litige, être utile et être susceptible de faire avancer le débat [références omises].

[31] Cette obligation de pertinence empêche les parties de se livrer à une « recherche à l’aveuglette ». Elle permet d’éviter que le bon déroulement de l’instance soit ralenti, compliqué ou même compromis par l’introduction d’éléments inutiles pour établir l’existence des droits invoqués [références omises]. En ce sens, la règle de la pertinence représente une règle d’équilibre procédural qui tend à assurer l’efficacité du processus judiciaire, tout en facilitant la quête de la vérité.

[32] En l’espèce, la juge Bélanger a conclu que les éléments de preuve sollicités par les intimés sont pertinents. Rien dans le dossier ne permet de remettre en cause cette conclusion. D’une part, qu’ils aient été transcrits ou non, il est clair que les enregistrements en question constituent bel et bien des « document[s] » au sens de l’art. 402 C.p.c. [références omises]. D’autre part, particulièrement dans la mesure où les demandeurs dans le recours entrepris en l’espèce cherchent à démontrer qu’il y a eu collusion entre les défendeurs, il y a tout lieu de croire que les enregistrements visés par la requête seront utiles pour la conduite de l’instance.

[33] Pour l’application de l’art. 402 C.p.c., l’opposition à la communication peut également reposer sur une immunité de divulgation de source légale ou prétorienne [références omises]. Les appelants plaident que la Loi sur la concurrence  et le Code criminel  créent de telles exceptions. Pour les raisons qui suivent, cet argument ne nous convainc pas.

[…]

[50] L’analyse du texte de l’al. 193(2) a) C. cr. nous convainc que la communication des fruits de l’écoute électronique peut être effectuée durant la phase exploratoire de tout recours civil. Cette étape, nous l’avons vu, sert essentiellement à la préparation de l’audition de la cause. Or, les documents qui y sont alors demandés peuvent très bien l’être aux fins de témoigner à l’audience. À titre d’exemple, dans le cas qui nous occupe, on conçoit facilement que les procureurs des intimés souhaiteront interroger un représentant de l’État, tiers en possession des enregistrements des communications interceptées, afin de satisfaire aux conditions d’admissibilité d’une telle preuve matérielle.

[…]

[80] En définitive, il n’existe donc pas d’obstacle factuel ou légal à la communication des documents que sollicitent les intimés en vertu de l’art. 402 C.p.c. À notre avis, cette constatation suffit pour décider des arguments de nature constitutionnelle. Rien ne permet de conclure que cette disposition du Code de procédure civile est incompatible avec les textes et les principes soulevés par les appelants. D’ailleurs, il nous semble que l’économie même de l’art. 402, al. 1 C.p.c. rend peu plausible, sinon impossible, un tel conflit. En effet, en octroyant au juge le pouvoir de refuser d’accorder la communication s’il existe une barrière légale ou prétorienne à une telle communication, cet alinéa prévoit déjà que, au besoin, le principe de communication qu’il codifie cèderait devant un texte fédéral prohibitif applicable.

[…]

[82] Les tribunaux ont, de tout temps, exercé un droit de regard et de contrôle sur le processus d’administration de la preuve. À cette fin, ils détiennent tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de ce contrôle. Ces pouvoirs incluent celui de contrôler le processus de communication de la preuve, d’en établir les modalités et d’en fixer les limites [références omises]. Le juge qui exerce ce pouvoir durant la phase exploratoire de l’instance jouit d’une grande discrétion [références omises]. L’opportunité et l’intensité d’un tel contrôle varient donc en fonction des intérêts à protéger et des circonstances propres à chaque affaire.

[83] Le juge qui établit les modalités de la communication de documents à caractère privé doit considérer et soupeser les différents intérêts en présence. Il doit, d’une part, limiter les risques d’atteinte à la vie privée et, d’autre part, éviter de restreindre indûment l’accès aux documents pertinents, pour que les procédures demeurent équitables, que la recherche de la vérité ne soit pas entravée et que le déroulement de l’instance ne soit pas retardé de manière injustifiée [références omises]. Dans les cas où, comme en l’espèce, les documents demandés par une partie sont le produit d’une enquête pénale, le juge devra considérer — en plus des facteurs que nous venons de mentionner — l’impact de la communication de ces documents sur le bon déroulement des procédures pénales et, s’il y a lieu, sur le droit des accusés concernés à un procès juste et équitable. L’intérêt de la société en général dans le respect de ces deux principes justifie qu’on leur accorde une attention particulière. À ce sujet, bien que nous ne soyons pas en présence d’un cas de la sorte, nous tenons à souligner que l’importance de ces principes est telle qu’ils pourraient justifier l’intervention de la Couronne dans une situation de communication de documents en la possession d’une des parties au litige civil. Sur la base de ces principes, la Couronne elle-même pourrait s’opposer à ce que des documents qu’elle a déjà communiqués à un accusé, qui participe également à l’instance civile, soient communiqués à d’autres parties, ou encore demander que la communication soit assujettie à certaines modalités particulières. Les tribunaux qui détiennent un pouvoir de contrôle sur l’ensemble de l’instance devraient alors soupeser les différents intérêts en jeu pour décider si la communication demandée doit avoir lieu et, si oui, quelle doit être l’étendue de celle-ci.

[…]

[85] Dans tous les cas, tout en respectant le principe de proportionnalité qui fait intrinsèquement partie de l’art. 402 C.p.c., en plus d’être consacré à l’art. 4.2 C.p.c., le juge doit considérer l’impact financier et administratif des modalités qu’il impose, de même que leur influence sur le déroulement général de l’instance. Cette remarque vaut également pour l’étendue de la communication ordonnée, bien que la quantité de documents visés par la requête ne constitue pas, à elle seule, un motif d’irrecevabilité [références omises]. Pareillement, dans la mesure où le juge ordonne que la personne en possession des documents trie l’information avant de la communiquer, il doit également tenir compte du fardeau financier et administratif ainsi imposé à ce tiers. Conjugué au critère de la pertinence, ce facteur lui permettra de limiter au strict nécessaire l’étendue de la communication. La cour saisie de la demande de communication pourra aussi examiner la question des coûts qui lui sont afférents et imposer à la partie requérante l’obligation de payer une indemnité raisonnable à la personne qui se voit ainsi contrainte de communiquer des documents en sa possession.

[…]

[87] En l’espèce, l’ordonnance de la juge Bélanger respecte complètement ces principes. Sa portée est limitée de manière à protéger le droit à la vie privée de l’ensemble des personnes dont les conversations ont été interceptées. Ces limites assurent également que la communication ne constitue pas une entrave au bon déroulement des procédures pénales et une atteinte au droit qu’ont les défendeurs toujours accusés au pénal de subir un procès juste et équitable. Finalement, rien n’indique que l’ordonnance crée un fardeau financier et administratif excessif pour le tiers visé en l’espèce.

[25]    L’une des conclusions de la requête du PGC est à l’effet que les demandeurs, en l’occurrence M. Jacques, M. Lafontaine et l’Association pour la protection automobile, soient condamnés à lui payer « les coûts réels qui seront encourus par la communication des enregistrements interceptés et communiqués aux accusés visés par la décision de la Cour suprême du Canada Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66 […] cette somme étant estimée à 89 208 $ à 117 720 $ plus taxes […] ».

[26]    Cette conclusion concerne strictement la communication de documents ordonnée par le jugement de la Cour supérieure du 28 juin 2012, confirmé par l’arrêt de la Cour suprême du Canada le 17 octobre 2014, malgré que les juges LeBel et Wagner écrivent au paragraphe [87] de l’arrêt précité que : « Finalement, rien n’indique que l’ordonnance crée un fardeau financier et administratif excessif pour le tiers visé en l’espèce ».

[27]    Par ailleurs, dans l’hypothèse où le tribunal ordonnerait au PGC de communiquer d’autres documents, celui-ci demande de :

« LIMITER au strict nécessaire l’étendue de la communication de documents ;

CONDAMNER les demandeurs à payer une indemnité raisonnable au Procureur général du Canada ainsi contraint de communiquer des documents en sa possession […] le coût étant estimé au « SCÉNARIOS DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA DE COMMUNICATION DU DOSSIER D’ENQUÊTE « OCTANE », pièce R-10 ; »

[Reproduction textuelle]

[28]    Étant donné les deux jugements du 8 avril 2015 disposant de la requête pour permission d’interroger un tiers, ces deux conclusions pourraient éventuellement concerner, à la fois le dossier « Jacques » et le dossier « Thouin ».

[29]    Les deux recours collectifs, rappelons-le, sont basés sur les articles 1457 C.c.Q[9]. et 36 de la Loi sur la concurrence.

[30]    L’article 36 de la Loi sur la concurrence, dont l’extrait qui suit est pertinent à la présente analyse, se lit ainsi :

« 36. (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :

a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI;

b) soit du défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi,

peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

         (2) Dans toute action intentée contre une personne en vertu du paragraphe (1), les procès-verbaux relatifs aux procédures engagées devant tout tribunal qui a déclaré cette personne coupable d’une infraction visée à la partie VI ou l’a déclarée coupable du défaut d’obtempérer à une ordonnance rendue en vertu de la présente loi par le Tribunal ou par un autre tribunal, ou qui l’a punie pour ce défaut, constituent, sauf preuve contraire, la preuve que la personne contre laquelle l’action est intentée a eu un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI ou n’a pas obtempéré à une ordonnance rendue en vertu de la présente loi par le Tribunal ou par un autre tribunal, selon le cas, et toute preuve fournie lors de ces procédures quant à l’effet de ces actes ou omissions sur la personne qui intente l’action constitue une preuve de cet effet dans l’action.

[…]

(4) Les actions visées au paragraphe (1) se prescrivent :

a) dans le cas de celles qui sont fondées sur un comportement qui va à l’encontre d’une disposition de la partie VI, dans les deux ans qui suivent la dernière des dates suivantes :

(i) soit la date du comportement en question,

(ii) soit la date où il est statué de façon définitive sur la poursuite; »

[Soulignements ajoutés]

[31]    L’article 36(1) de la Loi sur la concurrence crée un recours de nature civile dont peut se prévaloir toute personne qui prétend avoir subi une perte ou un dommage à la suite d’un comportement anticoncurrentiel. Ce recours, qui se prescrit par un délai de deux ans à la suite du comportement reproché ou du jugement à la suite d’une poursuite, existe indépendamment de tout autre recours de nature pénale que l’autorité concernée peut initier.

[32]    C’est la situation qui s’est présentée dans le dossier « Jacques ».

[33]    Dans ce cas, le paragraphe (2) permet l’accès aux procès-verbaux et à la preuve produite devant l’instance pénale. Cela, en plus des moyens de preuve prévus au Code de procédure civile.

[34]    Mais qu’en est-il lorsqu’il n’y a pas eu de poursuite pénale spécifique au comportement reproché par le recours civil? C’est le cas du dossier « Thouin ».

[35]    Alors, seuls les articles du Code de procédure civile peuvent s’appliquer.

[36]    Le PGC a entre autres produit au soutien de sa requête, les pièces R-10, R-11 et R-12.

[37]    La pièce R-10 datée du 15 janvier 2015 a été amendée par la pièce R-12 datée du 3 février 2015. Cette pièce, intitulée « SCÉNARIOS DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA DE COMMUNICATION DU DOSSIER OCTANE" » nous indique précisément quelle est la situation au sujet de la communication de documents et du coût relié à cette communication.

[38]    La pièce R-11 est un tableau synthèse de la pièce R-10.

[39]    Ces pièces, dont la pièce R-10 à laquelle réfère le jugement du 8 avril 2015 prononcé dans le dossier « Jacques », permettent de regrouper ainsi les différents documents dont il est question :

« Documents communiqués aux accusés (dossier DPP)

Groupe A

a)            Documents (non caviardés) considérés publics par le DPP communiqués le 23 novembre 2010 (720 documents - 6 828 pages);

b)            Observations et déclarations statutaires (caviardées) communiquées le 30 avril 2012 (22 documents - 787 pages);

c)            Partie des documents saisis caviardés par le DPP et regroupés sur un cédérom transmis au juge soussigné le 21 juin 213 (857 documents - 6 564 pages);

Le coût relié à ces communications est de 25 200,00 $ que le PGC ne réclame pas.

Groupe B

a)            Transcription de l’écoute électronique autorisée par la Cour suprême du Canada (arrêt du 17 octobre 2014) et filtrage de cette transcription;

Le coût de cette opération est, selon la pièce R-10, de 98 000 $ à 130 000 $. Le PGC réclame dans sa requête un montant de 89 208 $ à 117 720 $ plus taxes.

Groupe C

a)          Filtrage de l’audio;

Le coût pour produire un enregistrement audio filtré est estimé à 131 000 $. Le PGC ne consent pas à communiquer ce document.

Groupe D

a)          Autres documents (58 885 documents/493 078 pages) 1,8 - 2,7 M$

Documents non communiqués aux accusés (dossier Bureau de la concurrence)

Le PGC évalue entre 4,9 et 6 M$ le coût relié à la transcription de l’écoute électronique et autres documents non communiqués aux accusés, mais qui font partie du dossier du Bureau de la concurrence. »

[40]    En résumé, à la suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada prononcé dans le dossier «Jacques», seul le montant de 89 208 $ à 117 720 $ est réellement en cause. Les autres montants dont il est question dans les pièces R-10, R-11 et R-12 sont des montants estimés pour la communication éventuelle de documents à l’égard desquels toutefois aucune entente n’est intervenue et aucune ordonnance n’a été prononcée, d’où la requête DE BENE ESSE.

[41]    Dans le jugement de la Cour supérieure prononcé le 28 juin 2012, qui ordonne la communication d’une « une copie complète de tous les enregistrements de communications interceptées par le Bureau de la concurrence du Canada dans le cadre de l’enquête Octane ET transmises aux accusés dans le cadre de la divulgation de la preuve faite en relation avec les accusations découlant de l’enquête », il n’est aucunement question du coût relié à cette démarche.

[42]    Ce jugement nous indique par ailleurs que deux avocats du Service des poursuites pénales du Canada, Section du droit de la concurrence, étaient présents lors de l’audition de la requête.

[43]    L’arrêt de la Cour suprême Pétrolière Impériale c. Jacques, prononcé le 17 octobre 2014, confirme ce jugement du 28 juin 2012 et indique également que deux avocats représentant l’intimé et le Directeur des poursuites pénales du Canada, étaient présents à l’audience.

[44]    Également dans cet arrêt, il n’est aucunement question de coût relié à cette opération. Les juges LeBel et Wagner écrivent d’ailleurs à ce sujet :

« [85] Dans tous les cas, tout en respectant le principe de proportionnalité qui fait intrinsèquement partie de l’art. 402 C.p.c., en plus d’être consacré à l’art. 4.2 C.p.c., le juge doit considérer l’impact financier et administratif des modalités qu’il impose, de même que leur influence sur le déroulement général de l’instance. Cette remarque vaut également pour l’étendue de la communication ordonnée, bien que la quantité de documents visés par la requête ne constitue pas, à elle seule, un motif d’irrecevabilité [références omises]. Pareillement, dans la mesure où le juge ordonne que la personne en possession des documents trie l’information avant de la communiquer, il doit également tenir compte du fardeau financier et administratif ainsi imposé à ce tiers. Conjugué au critère de la pertinence, ce facteur lui permettra de limiter au strict nécessaire l’étendue de la communication. La cour saisie de la demande de communication pourra aussi examiner la question des coûts qui lui sont afférents et imposer à la partie requérante l’obligation de payer une indemnité raisonnable à la personne qui se voit ainsi contrainte de communiquer des documents en sa possession.

[…]

[87] […] Finalement, rien n’indique que l’ordonnance crée un fardeau financier et administratif excessif pour le tiers visé en l’espèce. »

[Soulignements ajoutés]

[45]    La question des frais ou plus généralement du coût relié à la transcription des enregistrements audio, au filtrage de cette transcription et à la communication des documents qui en résulte n’a aucunement été discutée devant Mme la juge Bélanger.

[46]    C’est, selon la Cour suprême, au moment où une telle demande de communication est formulée que cette question devrait être discutée, car le juge doit alors « considérer l’impact financier et administratif des modalités qu’il impose » car, « conjugué au critère de la pertinence, ce facteur lui permettra de limiter au strict nécessaire l’étendue de la communication ».

[47]    Toute partie concernée par la communication demandée doit alors avoir à ce moment l’opportunité de faire valoir ses représentations que le juge devra considérer avant d’imposer, le cas échéant, les conditions et les modalités de la communication des documents qu’il pourrait ordonner.

[48]    La demande du PGC est donc tardive dans les circonstances, le jugement ordonnant la communication des documents date du 28 juin 2012.

[49]    De plus, il ne serait pas équitable, trois ans plus tard, d’imposer aux demandeurs, M. Jacques, M. Lafontaine et l’Association pour la protection automobile, le paiement d’un tel montant, sans que l’exercice auquel nous invite la Cour suprême n’ait été effectué.

[50]    Enfin, compte tenu du libellé de l’article 36(1) de la Loi sur la concurrence, on peut se demander si ces coûts font ou non partie de « toute somme supplémentaire que le Tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire […] ».

[51]    Dans un tel cas, les défendeurs qui, advenant une condamnation, pourraient se voir imposer le paiement de ce montant ont certes droit au chapitre.

[52]    C’est donc une analyse de plusieurs facteurs qui doit être faite lors d’une demande de communication de documents, les coûts de la communication demandée est nécessairement l’un de ces facteurs qui peut grandement influencer la décision car comme l’enseigne la Cour suprême : « [85] […] tout en respectant le principe de proportionnalité qui fait intrinsèquement partie de l’art. 402 C.p.c., en plus d’être consacré à l’art. 4.2 C.p.c., le juge doit considérer l’impact financier et administratif des modalités qu’il impose, de même que leur influence sur le déroulement général de l’instance

[53]    Quant aux deux autres conclusions qui pourraient éventuellement concerner à la fois le dossier « Jacques » et le dossier « Thouin », toute partie impliquée, à quelque titre que ce soit, peut d’ores et déjà être assurée que les meilleurs efforts seront faits pour « LIMITER au strict nécessaire l’étendue de la communication de documents », si telle communication est, bien entendu, demandée et ordonnée parce que jugée pertinente, après que tous aient eu l’opportunité de faire valoir leurs représentations.

[54]    En aucun cas, il ne saurait être question que l’une ou l’autre des parties impliquées dans les présents dossiers s’aventure dans une « recherche à l’aveuglette » ou s’invite à une « partie de pêche ». Ces activités ne font aucunement partie de l’étape exploratoire du déroulement de l’instance.

[55]    Concernant la conclusion visant à « CONDAMNER les demandeurs à payer une indemnité raisonnable au Procureur général du Canada […] dans un délai de trente jours de chaque communication qui pourrait être faite, les coûts étant estimés au « SCÉNARIOS DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA DE COMMUNICATION DU DOSSIER D’ENQUÊTE "OCTANE" », pièce R-10», cette conclusion ne peut être accueillie.

[56]    Premièrement, on ignore à ce moment-ci, quels documents pourraient être demandés. En effet, dans le jugement du 8 avril 2015 prononcé dans le dossier « Jacques » qui rejette la Requête pour permission d’interroger l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence, il est précisé que :

[15] Bien au contraire, il est à ce moment-ci dans l’intérêt des membres du groupe qu’une analyse approfondie des éléments de preuve que leurs procureurs ont et auront incessamment en leur possession soit effectuée eu égard au fardeau de preuve qu’ils doivent rencontrer, soit une preuve prépondérante, avant que ne soient effectuées d’autres démarches préalables s’inscrivant dans le cadre des procédures spéciales d’administration de la preuve prévues au Code de procédure civile.

[57]    Deuxièmement, dans le dossier « Thouin », on ignore, pour l’instant, dans quel contexte une telle demande de communication pourrait être formulée.

[58]    En effet, le jugement du 8 avril 2015 qui permet aux demandeurs d’assigner l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence est présentement en appel. La conclusion de ce jugement, rappelons-le, est la suivante :

[30] PERMET aux demandeurs d’assigner l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence et/ou toute autre personne pour être interrogé à la seule fin d’obtenir des précisions concernant les éléments d’information dont ce dernier dispose quant aux territoires visés par le présent recours collectif et, le cas échéant, les documents et enregistrements pertinents se rapportant au présent litige.

[59]    En effet, les avocats des demandeurs, qui sont les mêmes dans les deux dossiers, seront incessamment en possession de plusieurs documents qui leur permettront d’évaluer si une demande de communication dans le dossier « Thouin » est ou n’est pas, à leur point de vue, nécessaire. Aussi, il n’est pas inutile de rappeler que tous les défendeurs dans le dossier « Thouin » sont également défendeurs dans le dossier « Jacques » pour lequel une communication de documents est présentement en cours.

[60]    On ignore donc si une telle demande pourra être formulée au stade exploratoire selon l’article 398(3) du Code de procédure civile.

[61]    P            eut-être pourrait-elle être formulée selon l’article 402 1er al. du Code de procédure civile, comme cela fut le cas dans le dossier « Jacques »?

[62]    Si cela s’avérait impossible au stade exploratoire, la demande pourrait-elle alors être formulée en cours d’instruction, à l’occasion de l’interrogatoire d’un témoin représentant le Bureau de la concurrence?

[63]    On le constate, la demande du PGC d’être indemnisé de toute communication ultérieure est, à ce moment-ci, prématurée parce qu’on ne sait dans quel contexte elle pourrait être présentée et surtout impossible à évaluer eu égard aux enseignements de la Cour suprême du Canada. Cette demande doit se faire dans le contexte d’une demande de communication de documents, le coût étant alors un facteur important qui serait considéré dans l’étendue et les modalités d’une éventuelle ordonnance de communication.

[64]    Le PGC pourra toutefois réitérer sa demande, le cas échéant, au moment opportun, tel que l’enseigne la Cour suprême du Canada.

[65]    Malgré les conclusions qui résultent de l’analyse ci-dessus, la requête du PGC pour être indemnisé des frais encourus par la communication de documents n’a certes pas été inutile. Bien au contraire! Cette requête aura permis de faire le point sur une question importante susceptible d’être posée à nouveau au cours des prochains mois. C’est d’ailleurs pour cette raison que le PGC ne sera pas condamné aux dépens.

[66]    Enfin, il n’est pas inutile de prendre dès à présent connaissance de quelques dispositions du Nouveau Code de procédure civile adopté par le législateur le 20 février 2014 et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016. Certains de ces articles, notamment les articles 18[10] et 20[11] qui, dans un texte plus détaillé, reprennent quelques « principes directeurs de la procédure » dont la proportionnalité, s’imposeront davantage aux parties, à leurs avocats et aux juges.

[67]    Pour les motifs énoncés ci-dessus, la requête du Procureur général du Canada ne peut être accueillie.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[68]    REJETTE la Requête du Procureur général du Canada afin d’être remboursé des coûts encourus par la communication des enregistrements interceptés, et de bene esse pour être indemnisé de tout coût additionnel lié à de la communication de preuve additionnelle par l’état fédéral.

[69]     LE TOUT sans frais.

 

__________________________________

BERNARD GODBOUT, j.c.s.

 

Pour les demandeurs

Me Pierre Lebel

Me Claudia Lalancette

Me Nicolas Guimond

Bernier Beaudry

 

Me Guy Paquette

Mme Élaine Yi, stagiaire

Paquette Gadler inc.

 

Pour les défendeurs

Me Louis P. Bélanger

Me Julie Girard

Stikeman Elliott

et en représentations pour Arnault, Thibault Cléroux et Me Roxane Hardy

 

Me Pascale Cloutier

Miller Thomson

 

Me Billy Katelanos

Gowlings Lafleur

 

Me Élizabeth Meloche

Olser Hoskin & Hartcourt

et en représentations pour Me Donald Béchard (DeBlois avocats)

 

Me Sidney Elbaz

McMillan S.E.N.C.R.L.

 

Me Tommy Tremblay

Borden Ladner Gervais

 

Me Louis-Martin O’Neill

Me Pierre-Luc Cloutier

Davies Ward Phillips & Vineberg

et en représentations pour les avocats Morin & Associés inc., Pateras & Iezzoni inc. et Me Louis Belleau

 

Me Pierre Grégoire

O’Brien

 

Me Sébastien Caron

LCM Avocats inc.

 

Me Michel C. Chabot

Gravel Bernier Vaillancourt

 

Me Jean-Olivier Lessard

Clyde & Cie Canada

 

Me Charles Lapointe

Langlois Kronström Desjardins

 

Me Mariève Sirois Vaillancourt

Ministère de la justice

 

Me Pierre-Yves Guay

Me Tara DiBenedetto

Industrie Canada (Bureau de la concurrence)

 

Me Nicolas Lutz

Justice Canada

 

 



[1]    Le Procureur général du Canada a pris soin de noter ce qui suit : Bien que produisant le présent tableau afin de contribuer positivement au processus judiciaire, le Procureur général n’admet aucunement avoir une obligation juridique de communiquer les documents mentionnés, outre les enregistrements visés par l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Pétrolière Impériale c. Jacques (2014 CSC 66), ni d’assurer la transcription des enregistrements dont la transcription n’existe pas.

[2]    2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

     2846. La présomption est une conséquence que la loi ou le tribunal tire d'un fait connu à un fait inconnu.

[3]    Extrait du procès-verbal d’une conférence téléphonique tenue le 14 juillet 2015 à laquelle participaient Me Guy Paquette, Me Claudia Lalancette, Me Louis P. Bélanger et Me Mariève Sirois-Vaillancourt.

[4]    Les territoires des municipalités de Saint-Georges, Sainte-Marie, Scott, Saint-Anselme, Sainte-Agathe-de-Lotbinière, Saint-Patrice-de-Beaurivage et Vallée Jonction.

[5]    Les territoires des municipalités de Rivière-du-Loup, Rimouski et Mont-Joli.

[6]     1045. Le tribunal peut, en tout temps au cours de la procédure relative à un recours collectif, prescrire des mesures susceptibles d'accélérer son déroulement et de simplifier la preuve si elles ne portent pas préjudice à une partie ou aux membres; il peut également ordonner la publication d'un avis aux membres lorsqu'il l'estime nécessaire pour la préservation de leurs droits.

[7]    4.1. Les parties à une instance sont maîtres de leur dossier dans le respect des règles de procédure et des délais prévus au présent code et elles sont tenues de ne pas agir en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

     Le tribunal veille au bon déroulement de l'instance et intervient pour en assurer la saine gestion.

[8]    4.2. Dans toute instance, les parties doivent s'assurer que les actes de procédure choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigés, proportionnés à la nature et à la finalité de la demande et à la complexité du litige; le juge doit faire de même à l'égard des actes de procédure qu'il autorise ou ordonne.

[9]    1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

     Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

     Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

[10]   18. Les parties à une instance doivent respecter le principe de proportionnalité et s'assurer que leurs démarches, les actes de procédure, y compris le choix de contester oralement ou par écrit, et les moyens de preuve choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigé, proportionnés à la nature et à la complexité de l'affaire et à la finalité de la demande.

     Les juges doivent faire de même dans la gestion de chacune des instances qui leur sont confiées, et ce, quelle que soit l'étape à laquelle ils interviennent. Les mesures et les actes qu'ils ordonnent ou autorisent doivent l'être dans le respect de ce principe, tout en tenant compte de la bonne administration de la justice.

[11]   20. Les parties se doivent de coopérer notamment en s'informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal et en s'assurant de préserver les éléments de preuve pertinents.

     Elles doivent notamment, au temps prévu par le Code ou le protocole de l'instance, s'informer des faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et des éléments de preuve qu'elles entendent produire. »

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.