Section des affaires sociales
En matière d'indemnisation
Référence neutre : 2010 QCTAQ 11653
Dossier : SAS-M-169988-1004
MICHÈLE RANDOIN
NATALIE LEJEUNE
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL (IVAC)
[1] La requérante conteste une décision rendue en révision le 4 février 2010 par la CSST (IVAC)[1], la mise en cause, refusant une réclamation pour de la violence conjugale.
[2] Dans sa demande de prestations du 14 juin 2009, la requérante indique une date d’événement le 1er juin 2009, suite auquel elle a consulté un médecin le 11 juin suivant.
[3] On comprend de l’ensemble de la documentation que madame allègue avoir vécu de la violence conjugale sur une longue période, et que la date du 1er juin 2009 serait celle où elle a finalement quitté le domicile conjugal.
[4] Elle décrit une angoisse chronique, des problèmes de mémoire, des crises d’angoisse, etc.
[5] Le billet médical rempli le 11 juin 2009 est à l’effet d’une dépression secondaire à de la violence conjugale.
[6] Dans un document écrit le 26 mai 2009, la requérante détaille plusieurs incidents qui se sont passés entre elle et son conjoint.[2]
[7] Ce sont notamment des événements où son conjoint « bourrasse », est en colère, lance des objets, et à une occasion, aurait effectué « une prise un peu brutale » à son fils.
[8] Cependant, elle avoue : « Mais il ne m’a jamais touché, moi, physiquement. »
[9] La décision initiale du 3 novembre 2009 est à l’effet de la reconnaissance d’une violence psychologique auprès de la requérante, mais que ceci ne fait pas partie des crimes couverts par la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels[3].
[10] Dans sa demande de révision du 30 novembre 2009, la requérante indique qu’il manque un élément important aux actes auxquels fait référence la décision initiale, soit la violence physique.
[11] Elle poursuit :
« Dans ses crises, ses colères, mon ex-conjoint faisait très souvent du vacarme de manière à me terroriser. Ce pouvait être : marcher très fort, claquer des portes, fermer des tiroirs très fortement, malmener des objets et faire du fracas en les manipulant, crier, hurler, lancer des objets… Il causait d’ailleurs régulièrement des dommages de toutes sortes suite à cela (marques, bris, etc.). »
(Transcription conforme)
[12] Le 4 janvier 2010, la requérante fait parvenir divers documents à l’IVAC à l’appui de sa demande de révision, notamment un affidavit circonstancié.
[13] Aux points 5 et 7, on peut lire :
« 5- Mon ex-conjoint, S… R... [nom de l’ex-conjoint], a manifesté de la violence mentale et physique à mon endroit tout au long de notre union et m’a menacée une fois de sévices physiques ; »
Et
« 7- Il me crie alors des injures, m’insulte, me diminue, me menace et lance des objets; »
(Transcription conforme)
[14] Elle annexe également un document intitulé « Témoignage d’une victime de violence conjugale », dans lequel elle relate notamment que son ex-conjoint lui aurait avoué que si elle n’était pas partie le 1er juin 2009, il aurait fini par la frapper.
[15] Elle se plaint d’avoir été intimidée, terrorisée et avoir été contrôlée par son ex-conjoint.
[16] Référant à la violence subie, elle explique qu’elle sentait qu’ultérieurement il s’attaquerait physiquement à elle, soit directement ou via des objets lancés.
[17] Elle allègue que des propos menaçants auraient été formulés à son endroit, qu’il ne s’occupait pas d’elle lorsqu’elle était malade, qu’il lui lançait des insultes et divers propos dénigrants, etc.
[18] Comme conséquences à cette situation, la requérante explique avoir éprouvé énormément de stress et divers symptômes physiques reliés à celui-ci.
[19] Dans un document adressé au Tribunal, daté du 1er avril 2010, la requérante reprend l’essentiel des propos exprimés ci-dessus.
[20] Lors de son témoignage à l’audience, la requérante renchérit sur certains incidents où elle considère un comportement criminel de la part de son ex-conjoint, comme lorsqu’elle était malade ou qu’elle devait subir une intervention chirurgicale, et qu’il démontrait une parfaite indifférence en omettant de prendre soin d’elle.
[21] Elle comprend les affirmations faites dans la décision en révision de l’IVAC, mais trouve qu’une telle application de la loi est discriminatoire, car elle considère avoir vécu une violence psychologique importante.
[22] En effet, elle ajoute que les répercussions de la violence psychologique sur sa santé physique constituent en elles-mêmes une violence physique.
Cadre législatif
[23] Les dispositions qui s’appliquent sont celles de l’article 3 de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, qui se lit ainsi :
« 3. La victime d'un crime, aux fins de la présente loi, est une personne qui, au Québec, est tuée ou blessée:
a) en raison d'un acte ou d'une omission d'une autre personne et se produisant à l'occasion ou résultant directement de la perpétration d'une infraction dont la description correspond aux actes criminels énoncés à l'annexe de la présente loi;
b) en procédant ou en tentant de procéder, de façon légale, à l'arrestation d'un contrevenant ou d'un présumé contrevenant ou en prêtant assistance à un agent de la paix procédant à une arrestation;
c) en prévenant ou en tentant de prévenir, de façon légale, la perpétration d'une infraction ou de ce que cette personne croit être une infraction, ou en prêtant assistance à un agent de la paix qui prévient ou tente de prévenir la perpétration d'une infraction ou de ce qu'il croit une infraction.
Est aussi victime d'un crime, même si elle n'est pas tuée ou blessée, la personne qui subit un préjudice matériel dans les cas des paragraphes b ou c du présent article. »
(Les reliefs sont des soussignées)
[24] La requérante est bien au fait de la liste des crimes faisant partie de l’annexe de la Loi, puisqu’elle l’a jointe à sa lettre du 1er avril 2010 au Tribunal.
[25] Aussi, le Tribunal ne croit pas opportun de la reproduire entièrement.
[26] Le Tribunal a analysé la preuve sous l’angle de l’article 423 (intimidation par la violence), tout en vérifiant si d’autres articles pourraient être applicables au cas en l’espèce.
[27] Or, après avoir fait cet exercice, après avoir considéré l’ensemble de la preuve et avoir délibéré, le Tribunal est d’avis qu’il ne peut renverser la décision en litige pour les raisons suivantes.
Les motifs
[28] Il est important de préciser que ce ne sont pas tous les crimes énumérés au Code criminel[4] qui ouvrent le droit à l’indemnisation selon la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels.
[29] Seuls ceux retrouvés à l’annexe de la Loi peuvent être considérés par le Tribunal.
[30] La preuve est à l’effet de divers incidents démontrant de la violence psychologique sous forme d’intimidation, de colère, d’agressivité verbale, d’insultes, de dénigrement, de menaces à peine voilées, etc.
[31] De plus, il y aurait eu certains événements où l’ex-conjoint aurait omis de prendre soin de la requérante alors qu’elle était malade ou indisposée, ce que la requérante affirme être un comportement criminel.
[32] Cependant, ni à la lecture des nombreux exemples d’événements cités dans la preuve documentaire, ni lors de l’audience, le Tribunal ne constate d’agression physique manifestée envers la requérante, que ce soit directement ou indirectement via un objet quelconque.
[33] D’ailleurs, c’est ce qu’a affirmé la requérante elle-même (« il ne m’a jamais touché, moi, physiquement »).
[34] Et lorsque la requérante affirmait avoir vécu de la violence physique, les exemples donnés démontrent que l’ex-conjoint aurait malmené des objets, ce qui finissait par la terroriser.
[35] Quant aux symptômes physiques éprouvés par la requérante en réaction au climat de terreur constant et au stress, le Tribunal ne peut en faire une analogie avec les crimes prévus à l’annexe.
[36] En effet, outre les articles relatifs à la mort ou à l’agression sexuelle, les articles traitant de violence physique à l’annexe sont l’article 244 traitant du fait de causer intentionnellement des lésions corporelles, les articles 265, 266, 268 et 270 traitant des voies de fait, et les articles 267 et 269 traitant des inflictions de lésions corporelles.
[37] Aucun de ces articles n’est applicable au cas en l’espèce, soit parce que l’un réfère à la torture, l’autre à l’utilisation d’une arme à feu, ou encore concerne des voies de fait.
[38] Or, aucun des actes reprochés ne fait état de voie de fait à l’endroit de la requérante.
[39] L’article 221, soit « le fait de causer des lésions corporelles par négligence criminelle », ne trouve pas son application non plus.
[40] En lien avec l’indifférence de l’ex-conjoint lorsque madame était malade, omettant ainsi d’en prendre soin (ce que cette dernière qualifie de criminel), le Tribunal n’a pas de preuve que ce comportement aurait entraîné des lésions corporelles.
[41] Reste l’article 423 traitant de l’intimidation par la violence.
[42] Cependant, le Tribunal ne peut appliquer ce dernier au cas en l’espèce. Car on le retrouve à la partie X du Code criminel, intitulée : OPÉRATIONS FRAUDULEUSES EN MATIÈRE DE CONTRATS ET DE COMMERCE, traitant de la « Violation de contrat, intimidation et distinction injuste envers les syndiqués ».
[43] D’autres décisions du Tribunal confirment que cet article ne peut s’appliquer à des cas semblables au cas en l’espèce.[5]
[44] Ainsi, aucun des incidents relatés n’ouvre le droit à l’indemnisation selon la loi applicable.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal REJETTE le recours.
Bernard, Roy (Justice-Québec)
Mme Natalie Saulnier, stagiaire en droit
Représentante de la partie intimée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.