JH 5215 JL 3645 JT 1474 |
2017 QCTP 18 |
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TRIBUNAL DES PROFESSIONS |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-07-000918-155 |
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DATE : |
15 février 2017 |
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CORAM : |
LES HONORABLES |
MARTIN HÉBERT, J.C.Q. RENÉE LEMOINE, J.C.Q. JACQUES TREMBLAY, J.C.Q. |
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NESSIM HABASHI |
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Appelant-Intimé |
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c.
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SOCIÉTÉ DE L’ÉNERGIE DE LA BAIE JAMES
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Intimée-Plaignante |
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JOSÉE LE TARTE, en qualité de secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec
Mise en cause |
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JUGEMENT |
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EN VERTU DE L’ARTICLE 173 DU CODE DES PROFESSIONS[1], LE TRIBUNAL PRONONCE UNE ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION DES PIÈCES P-6, P-8, P-9, P-11, P-12, P-13, P-14, P-15, P-16 ET P-17 DÉPOSÉES DEVANT LE CONSEIL DE DISCIPLINE DE L’ORDRE DES INGÉNIEURS DU QUÉBEC (Le Conseil) AINSI QU’UNE ORDONNANCE DE NON-ACCESSIBILITÉ AUX MÊMES PIÈCES.
[1] Monsieur Nessim Habashi appelle d’une décision sur culpabilité[2] rendue le 25 septembre 2013 sur deux chefs d’infraction fondés sur les articles 3.02.01 et 4.02.03 du Code de déontologie des ingénieurs[3].
[2] Les chefs d’infraction se lisent ainsi :
[…]
1.
À Montréal, le ou avant le 29 novembre 2010, l’ingénieur Nessim Habashi a
demandé à l’ingénieur Raymond Brais de cosigner le Rapport d’expertise dans le
cadre du Litige alors que Raymond Brais, à la connaissance de Nessim Habashi,
n’avait aucunement participé à la rédaction de ce Rapport d’expertise et n’en
avait pas vérifié les travaux, faisant ainsi défaut de respecter ses
obligations déontologiques d’agir avec intégrité, contrevenant ainsi à
l’article 3.02.01 du Code de déontologie et à l’article
2. À
Montréal, le ou avant le 29 novembre 1010, l’ingénieur Nessim Habashi a demandé
à l’ingénieur Raymond Brais de cosigner le Rapport d’expertise dans le cadre du
Litige alors que Raymond Brais, à la connaissance de Nessim Habashi, n’avait
aucunement participé à la rédaction de ce Rapport d’expertise et n’en avait pas
vérifié les travaux, incitant ainsi l’ingénieur Raymond Brais à violer
l’article 3.04.02 du Code de déontologie, contrevenant ainsi à l’article
4.02.03 du Code de déontologie et à l’article
[3] L’audition devant le Conseil s’est déroulée en même temps que celle qui concernait un autre ingénieur, M. Raymond Brais[4]. Monsieur Brais, bien que trouvé coupable, n’a pas déposé d’appel au Tribunal des professions.
[4] Monsieur Habashi porte aussi en appel la décision sur sanction rendue le 30 octobre 2015 le condamnant à des amendes de 1 500 $ et 2 000 $ à l’égard des chefs d’infraction et au paiement de 25% des débours communs avec le dossier 22-11-0394 concernant M. Brais.
[5] La plainte déposée à l’égard de M. Habashi n’émane pas du syndic de l’Ordre des ingénieurs du Québec mais d’une « autre personne » comme le prévoit le deuxième alinéa de l’article 128 du Code. Il s’agit donc d’une plainte privée.
CONTEXTE
[6] En 1985, M. Habashi fonde Les Consultants Cogerec Ltée (Cogerec), entreprise qu’il préside et qui effectue, exclusivement dans le domaine de la construction, la préparation et l’analyse de réclamations tant pour des donneurs d’ouvrage que pour des entrepreneurs.
[7] En 2004, Cogerec est mandatée par Janin-Bot pour l’assister dans un litige l’opposant à la Société d’énergie de la Baie-James (SEBJ).
[8] Ce mandat donne lieu à un rapport écrit (P-6) du 29 novembre 2010 signé par deux ingénieurs, M. Brais et M. Habashi. Ce document devait être déposé dans le dossier de la Cour supérieure[5] où se déroule le litige.
[9] Monsieur Habashi est le rédacteur du rapport P-6 mais a demandé à M. Brais de le relire, de le vérifier et s’il était « confortable » (selon l’expression utilisée par M. Habashi lui-même) à le signer et le présenter éventuellement devant la Cour supérieure. Monsieur Habashi, âgé alors de 66 ans, craignait de ne pas pouvoir le faire lui-même.
[10] Monsieur Brais, Vice-président de Cogerec en 2010, a été à l’emploi de la SEBJ de février 2008 à mars 2009.
[11] Après avoir obtenu le retrait du rapport P-6 du dossier judiciaire, la SEBJ reprend à son compte la plainte disciplinaire initialement déposée le 16 décembre 2011 par un employé d’Hydro-Québec, plainte qui fait l’objet du présent litige.
DÉCISIONS DU CONSEIL
Sur culpabilité
Chef 1
[12] Le Conseil prononce la culpabilité de M. Habashi à l’égard de l’article 3.02.01 du Code de déontologie qui énonce :
« 3.02.01. L’ingénieur doit s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité. »
[13] Pour arriver à cette conclusion, le Conseil détermine que M. Brais n’a pas participé à la rédaction du rapport sauf pour une relecture et une vérification de certaines pièces justificatives[6]. Cet aspect est confirmé par M. Habashi qui ajoute que M. Brais a consacré 29.5 heures à sa demande, pour relire et vérifier le rapport[7].
[14] Le rapport étant cosigné sans autre précision, cela laisse entendre que les deux ingénieurs ont participé à sa préparation et à sa rédaction[8]. On induit en erreur, selon le Conseil, le juge à qui il est destiné, les parties et leurs avocats[9].
[15] Le Conseil comprend que M. Habashi ait voulu assurer sa relève mais il se trouve ainsi à accepter que Brais témoigne pour présenter en Cour un rapport qu’il n’a pas rédigé ni préparé, manquant alors à son devoir d’intégrité.
Chef 2
[16] Le Conseil déclare coupable M. Habashi d’avoir incité M. Brais à commettre une infraction au Code de déontologie, et ce, contrairement à l’article 4.02.03 qui établit :
4.02.03. L’ingénieur ne doit pas surprendre la bonne foi d’un confrère, abuser de sa confiance, être déloyal envers lui ou porter malicieusement atteinte à sa réputation. Sans restreindre la généralité de ce qui précède, l’ingénieur ne doit pas notamment:
[…]
[…]
c) inciter un confrère à commettre une infraction aux lois et règlements régissant l’exercice de la profession.
Cette infraction que pourrait commettre M. Brais serait à l’égard de l’article 3.04.02 qui précise certaines exigences au niveau de la signature de documents par un ingénieur :
3.04.02. L’ingénieur doit apposer sa signature sur l’original et les copies de chaque consultation et avis écrits, mesurage, tracé, rapport, calcul, étude, dessin et cahier de charges qu’il a préparés lui-même ou qui ont été préparés sous sa direction et surveillance immédiates par des personnes qui ne sont pas membres de l’Ordre.
L’ingénieur peut également apposer sa signature sur l’original et les copies des documents prévus au présent article qui ont été préparés et signés par un autre ingénieur.
[17] Pour arriver à cette conclusion, le Conseil rappelle tout d’abord le paragraphe 8 de l’affidavit soumis par M. Habashi qui énonce :
« Ce dernier n’a fait que relire le rapport à ma demande et de vérifier certaines pièces justificatives et a mis un nombre limité d’heures à ces tâches (29.5 h); ».[10].
[18] Le Conseil considère que M. Brais n’aurait pas contrevenu au Code de déontologie sans l’intervention de M. Habashi[11].
[19] Selon le Conseil, le rapport P-6 ne décrit pas le rôle joué par Brais ni ne précise qu’il a seulement vérifié le rapport après qu’il soit complété[12]. Au contraire, l’utilisation du pronom « nous » à quelques reprises aurait pour effet de tromper le lecteur en l’absence de précision quant au rôle de Brais.
[20] Donc, la demande de M. Habashi de cosigner le rapport entraîne une contravention en vertu de l’article 4.02.03 à titre d’incitation à commettre une infraction au Code de déontologie. L’incitation, selon la décision, découle de l’invitation et de l’encouragement de M. Habashi auprès de l’ingénieur Brais à signer le rapport P-6 qu’il n’avait pas rédigé, ni vérifié les travaux de préparation.
[21] Le Conseil a, au même moment, condamné[13]. M. Brais sur un chef d’infraction qui lui reprochait d’avoir, le ou vers le 29 novembre 2010, signé le rapport d’expertise P-6 sans en accepter la pleine responsabilité ni l’avoir rédigé, ni même en avoir surveillé l’essentiel des travaux, contrevenant ainsi aux articles 3.04.02 du Code de déontologie et 59.2 du Code.
[22] Le Conseil considère que M. Brais, pour signer P-6, aurait dû avoir une participation plus marquée lors de sa confection.
[23] En regard de l’article 59.2 du Code, le Conseil acquitte M. Habashi sur les deux chefs.
Sur sanction
[24] Le Conseil détermine la sanction le 30 octobre 2015[14]. Il considère les deux infractions comme graves. Il conclut à des amendes après avoir considéré les représentations respectives des procureurs.
[25] Monsieur Habashi reproche essentiellement au Conseil d’avoir tardé à rendre les décisions et souhaite un allègement des sanctions pour les limiter à des réprimandes.
CADRE D’INTERVENTION DU TRIBUNAL DES PROFESSIONS
[26] Les parties s’entendent dans la foulée de l’affaire Parizeau c. Barreau du Québec[15] que l’intervention du Tribunal des professions ne sera justifiée, lorsqu’il s’agit d’une matière mixte de faits et de droit, qu’en présence d’une erreur manifeste et dominante. Par contre, en matière de question de droit ou d’absence de motivation suffisante, le Tribunal peut intervenir s’il constate une quelconque erreur.
[27] Toujours dans ce même arrêt, la Cour d’appel écrit :
[91] […] L’erreur manifeste et dominante est l’erreur qui, étant telle indiscutablement - il ne s’agit donc pas d’une divergence de vues sur l’appréciation de la preuve -, détermine l’issue du litige en ce que la conclusion du décideur des faits, c’est-à-dire le dispositif de sa décision, ne peut tenir, rendant ipso facto cette décision déraisonnable.
(Référence omise)
[28] Dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen[16], la Cour suprême du Canada souligne que l'erreur doit être « évidente », c'est-à-dire « qui ne peut être contestée dans sa nature ou son existence ». Une conclusion tirée en l'absence totale de preuve constitue une erreur manifeste. L’examen en appel consiste à déterminer si les inférences du décideur sont « raisonnablement étayées par la preuve ».
[29] À une autre occasion, la Cour Suprême du Canada, sur le même sujet, énonce :
52 […] une cour d’appel ne « réentend » pas une affaire ni ne l’« instruit à nouveau ». Elle vérifie si la décision est exempte d’erreur.
53 Le contrôle d’erreur a été décrit de différentes façons. Ces dernières années, l’expression « erreur manifeste et dominante » trouve un écho dans toute la jurisprudence. L’application de cette norme à toutes les conclusions de fait — celles portant sur « ce qui s’est passé » — est universellement reconnue; elle n’est pas subordonnée à ce que la décision contestée du juge de première instance touche à la crédibilité, à des faits prouvés directement, à des faits « inférés » ou à l’appréciation globale de la preuve.[17].
[30] À la lumière de ces enseignements, le Tribunal procède à l’examen des décisions du Conseil.
QUESTIONS EN LITIGE
[31] Les questions en litige sont :
1. Le Conseil a-t-il commis une erreur manifeste et dominante lors de sa décision sur culpabilité en concluant que M. Habashi avait manqué à son devoir d’intégrité ? (1er chef)
2. Le Conseil a-t-il commis une erreur manifeste et dominante lors de sa décision sur culpabilité en concluant que M. Habashi avait incité, contrairement à l’article 4.02.03, M. Brais à contrevenir à l’article 3.04.02 du Code de déontologie ? (2e chef)
3. Advenant une intervention du Tribunal à l’égard de la décision sur culpabilité, doit-on considérer l’infraction sous l’angle de l’article 59.2 du Code ?
4. La sanction doit-elle être modifiée, soit pour être annulée ou allégée, en raison du délai pris pour la déterminer ?
5. Qui doit supporter les déboursés, tant en première instance qu’en appel considérant qu’il s’agit d’une plainte disciplinaire privée ?
ANALYSE
Appel sur culpabilité
1. Le Conseil a-t-il commis une erreur manifeste et dominante lors de sa décision sur culpabilité en concluant que M. Habashi avait manqué à son devoir d’intégrité ? (1er chef)
[32] Le Conseil cible la demande de M. Habashi à M. Brais de cosigner le rapport P-6 comme étant une contravention à son obligation d’intégrité. Monsieur Brais n’a pas participé à la rédaction ni supervisé l’exécution de ce travail contrairement à ce que laisse entendre sa signature[18].
[33] Le Conseil reconnaît cependant que M. Brais a relu le rapport, y consacrant 29.5 heures[19]. Pour lui ce n’est pas suffisant. L’effort de confection et de rédaction du rapport aurait dû être conjoint pour justifier une cosignature par deux ingénieurs de la même entreprise.
[34] En quoi cela constitue pour M. Habashi un manque d’intégrité ? Pour le Conseil, cela induit en erreur les acteurs au litige en Cour supérieure sur la contribution réelle de M. Brais[20]. Monsieur Habashi a accepté que M. Brais témoigne éventuellement à sa place en Cour malgré son faible degré d’implication dans la réalisation de l’étude[21].
[35] L’erreur manifeste et dominante de cette décision est qu’elle évalue déraisonnablement la nature, le contenu et le contexte de rédaction du rapport P-6 et omet de tenir compte du caractère hypothétique du témoignage de M. Brais.
[36] Le rapport P-6, outre la co-signature, ne comporte pas une représentation quelconque sur les apports respectifs de Messieurs Habashi et Brais. Monsieur Habashi aurait pu, en outre, le défendre lui-même en Cour supérieure, le cas échéant.
[37] L’utilisation du pronom « nous » s’explique puisque Cogerec est la mandataire chargée de l’expertise et que les cosignataires en sont respectivement président et vice-président.
[38] La cosignature par deux ingénieurs est de plus clairement envisagée au deuxième alinéa de l’article 3.04.02 du Code de déontologie reproduit au paragraphe 16 qui précède. Les critères énoncés, au premier alinéa, d’une direction et d’une surveillance immédiate se révèlent nécessaires seulement dans le cas où la préparation du rapport relève d’un non ingénieur. En aucun autre endroit la cosignature d’un écrit par des ingénieurs est prohibée.
[39] Déjà, confrontée à une double signature d’un rapport d’expertise, la Cour supérieure énonce ceci :
4 […] Il soutient, de plus, que le fait que le
rapport soit maintenant l’œuvre de deux personnes physiques et soit signé par
deux personnes, contrevient à l’article
5 Le Tribunal va disposer dès maintenant de ce premier argument. Il est évident que le rapport d’expert doit être préparé par une personne physique, afin qu’elle puisse être interrogée et contre-interrogée. La jurisprudence citée par le représentant est tout à fait juste à cet égard mais, de l’avis du Tribunal, n’a pas pour effet d’empêcher des personnes morales d’embaucher des experts pour préparer des rapports qui seront déposés sous le nom ou l’égide de la personne morale.
6 Cette pratique est répandue dans bien des cas, que ce soit, à titre d’exemple, dans le cas d’expertises de firmes d’ingénieurs, d’experts en sols ou en fondations. Il faut, toutefois, que le rapport identifie la ou les personnes qui l’ont préparé afin qu’elles puissent être interrogées. Le fait que plus d’une personne signe le rapport ne cause pas, de l’avis du Tribunal, un problème puisqu’elles pourront être interrogées par la partie adverse. [22].
(Référence omise)
[40] D’ailleurs, M. Habashi affirme s’être inspiré d’expertises cosignées par des confrères dans une autre instance pour inviter M. Brais à le faire, dans son cas, s’il était « confortable » avec la démarche[23].
[41] Lors d’une éventuelle qualification de M. Brais à titre d’expert par la Cour supérieure, son implication dans la rédaction aurait pu faire l’objet de questions. Le fait qu’elle se limite à une lecture et à une vérification aurait-il entraîné un refus immédiat de sa possibilité de témoigner? Ce débat aurait appartenu à la Cour supérieure qui l’aurait tenu en temps et lieu et après audition des deux parties.
[42] La portée de cette double signature n’a certainement pas induit en erreur la SEBJ qui a réagi par l’intermédiaire de ses procureurs pour demander et obtenir le retrait du rapport P-6 dès les premières semaines qui ont suivi sa transmission[24]. La SEBJ invoque alors le fait que M. Brais avait travaillé pour elle sur le même chantier et avait quitté son emploi avec des données confidentielles conservées dans son ordinateur.
[43] Ainsi, le rapport P-6 fait suite à une réclamation monétaire de Janin-Bot pour avoir dû réaliser des travaux sur 94 jours de plus que ce qui était prévu au chantier Eastman 1 dirigé par la Société d’énergie de la Baie-James[25]. La réclamation est formulée en décembre 2004, mise à jour en octobre 2006 et novembre 2010. Cogerec participe à son élaboration pour Janin-Bot à compter de 2004.
[44] Le rapport P-6 résulte d’un mandat additionnel où Cogerec doit :
« - Examiner et commenter l’envergure des problèmes rencontrés par Janin-Bot et leurs conséquences,
- Identifier les méthodes disponibles pour quantifier les coûts en résultant,
- Examiner les méthodes de calcul des coûts additionnels utilisées par Janin-Bot et exprimer son opinion à cet égard, et
- Exprimer son opinion concernant les montants demandés par Janin-Bot. »[26].
[45] Le rapport est tout d’abord constitué de données fournies par Janin-Bot dont elle devra prouver la véracité en Cour supérieure. Janin-Bot a divisé la durée du projet en plusieurs périodes distinctes et a calculé le coût pour chacune[27].
[46] Cogerec commence véritablement son analyse à compter de la page 86 de l’écrit et détermine ensuite la méthode pour calculer le différentiel coût - revenu pour Janin-Bot.
[47] Le rapport P-6 en est un d’analyse, de présentation de méthodes comptables et d’appréciation de la réclamation. Il ne contient pas des constats exclusivement faits par M. Habashi à la suite d’expériences ou de présences sur le terrain.
[48] La signature de M. Brais ne constitue pas une représentation qu’il s’est approprié des données dont seul M. Habashi peut certifier la véracité. Monsieur Brais valide une démarche et des conclusions. Sa signature n’ajoute rien au texte. Elle manifeste son adhésion au contenu.
[49] Le Conseil note un écart entre les témoignages de M. Habashi et de M. Brais par rapport à l’affidavit précédemment déposé du premier[28]. Qu’un témoignage devant le Conseil puisse être plus précis que les affidavits souscrits précédemment est fréquent, voire normal.
[50] Dans notre cas, les affidavits sont donnés dans un premier temps pour démontrer la non utilisation de données confidentielles appartenant à la SEBJ par M. Brais à l’intérieur du rapport P-6. Les témoignages rendus ultérieurement devant le Conseil visent plutôt à démontrer que le rapport est l’œuvre de M. Habashi qui l’a soumis à son associé pour qu’il le valide et l’assume.
[51] Les témoignages des deux ingénieurs sont devant le Conseil concordants et conformes à leur affidavit déposé antérieurement. Monsieur Habashi prépare le rapport. Monsieur Brais le valide, le fait sien sans y changer rien sur le fond.
[52] Le Conseil a donc tort d’y voir un manque de crédibilité des témoins tel que le font voir ses énoncés :
[107] Le Conseil souligne que l’affidavit de monsieur Habashi du 27 janvier 2011 (pièce P-7), minimisait l’implication de monsieur Brais dans la préparation et la rédaction du Rapport d’expertise P-6.
[108] Or, tout au long de leurs témoignages respectifs devant le Conseil, tant monsieur Habashi que monsieur Brais ont tenté de démontrer que ce dernier était très impliqué dans la rédaction du rapport en question.[29]
[53] Au surplus le Conseil ne peut conclure à un manque d’intégrité de la part de M. Habashi sans analyser la portée de l’article 3.04.02 du Code de déontologie qui envisage la signature d’un même rapport par deux ingénieurs même si cette disposition n’est pas invoquée au chef d’infraction.
[54] La décision de culpabilité découlant de l’article 3.02.01 du Code de déontologie doit être infirmée.
2. Le Conseil a-t-il commis une erreur manifeste et dominante lors de sa décision sur culpabilité en concluant que M. Habashi avait incité, contrairement à l’article 4.02.03, M. Brais à contrevenir à l’article 3.04.02 du Code de déontologie ? (2e chef)
[55] Monsieur Habashi aurait, selon le libellé de l’infraction reprochée, incité M. Brais à contrevenir à l’article 3.04.02 du Code de déontologie en lui demandant de cosigner le rapport P-6 sans qu’il ait participé à sa rédaction et vérifié les travaux menant à sa confection.
[56] L’incitation survient lors de la demande de relire et, si M. Brais est « confortable » avec le contenu du rapport P-6, de le signer[30].
[57] L’attitude non directive[31] démontrée par M. Habashi ne concorde pas avec le constat du Conseil selon lequel il l’a « invité et encouragé » à commettre une infraction en signant un rapport.
[58] Monsieur Brais est ingénieur, vice-président de Cogerec, habitué à traiter ces réclamations monétaires à la suite de l’exécution de travaux publics. Le fait de consacrer près de 30 heures de son temps à la relecture du rapport P-6 constitue une implication non négligeable.
[59] Le Conseil conclut que, sans la demande de M. Habashi, M. Brais ne serait pas intervenu et n’aurait pas contrevenu à l’article 3.04.02[32].
[60] En l’espèce, le Tribunal croit que l’action d’inciter à commettre une infraction, dépasse une simple demande faite à un autre ingénieur, au surplus, un co-dirigeant de Cogerec. La phrase introductive de l’article 4.02.03 doit être considérée. On y traite d’un acte qui surprend la bonne foi d’un confrère, qui abuse de sa confiance, qui dénote une déloyauté à son égard.
[61] Dans la décision concernant M. Habashi, le Conseil omet de déterminer en quoi M. Brais a contrevenu à l’article 3.04.02 du Code de déontologie.
[62] La lecture de cet article révèle[33] qu’il est composé de deux alinéas.
[63] Le premier oblige un ingénieur à signer un rapport qu’il a préparé lui-même ou qui a été préparé sous sa direction et surveillance immédiate par des personnes qui ne sont pas membres de l’Ordre des ingénieurs. Cet alinéa oblige donc M. Brais à signer un rapport qu’il a préparé pour en assumer clairement la responsabilité. Cette responsabilité ne peut être assumée lorsque le rapport a été préparé par des non ingénieurs, que si ce travail a été dirigé et supervisé étroitement par le signataire.
[64] Le deuxième alinéa autorise cependant M. Brais à signer un rapport préparé et déjà signé par un autre ingénieur, en l’occurrence M. Habashi.
[65] Afin de démontrer la contravention de M. Brais au Code de déontologie, la SEBJ nous réfère à la décision[34] qui le concerne sous le chef d’infraction qui invoque l’article 3.04.02 et qui se lit comme suit :
À Montréal, le ou vers le 29 novembre 2010,
l’ingénieur Raymond Brais a signé le Rapport d’expertise sans en accepter la
pleine responsabilité ni l’avoir rédigé, ni même en avoir surveillé l’essentiel
des travaux, contrevenant ainsi à l’article 3.04.02 du Code de déontologie
et à l’article
[66] Le Conseil s’exprime ainsi sur l’infraction reprochée à M. Brais[35] :
[192] Au paragraphe 14 de son affidavit du 27 janvier 2011, monsieur Brais indique qu’il n’a eu aucune participation dans la rédaction du rapport d’expertise déposé aux dossiers de la Cour en novembre 2010, si ce n’est qu’une relecture du rapport et de ses annexes et la vérification de certaines pièces justificatives.
[193] Or, l’article 3.04.02 stipule qu’un ingénieur doit apposer sa signature sur un rapport qu’il a préparé lui-même ou qui a été préparé sous sa direction et surveillance immédiate par des personnes qui ne sont pas membres de l’Ordre.
[194] Tel n’est pas le cas en l’espèce. Monsieur Brais n’a fait qu’une relecture du rapport et vérifié certaines pièces avant de le cosigner.
[195] En
acceptant de signer le Rapport d’expertise P-6, alors qu’il ne l’avait pas
lui-même préparé ni ne l’avait supervisé, l’ingénieur Brais a effectué une signature
de complaisance, ce qui constitue une contravention à l’article
[196] Le Conseil est donc d’avis que l’ingénieur a contrevenu à son obligation déontologique à cet égard.
(Soulignements du Tribunal)
[67] Le Tribunal croit qu’en y consacrant près de 30 heures, M. Brais, du point de vue de l’ingénieur Habashi, est en mesure de s’approprier l’analyse d’une réclamation monétaire selon une méthode qu’il maîtrise bien et qui est déjà énoncée par un confrère de façon substantielle.
[68] Monsieur Habashi attire par ailleurs notre attention sur l’obligation formelle pour le Conseil de motiver sa décision. À cette fin, il nous réfère à la décision dans Brizard c. Ingénieurs forestiers (Ordre professionnel des)[36] où se retrouve le passage suivant :
[19] S’il y a absence ou insuffisance de motivation de la décision du Conseil, il est acquis que le Tribunal n’a pas à faire preuve de déférence. Il s’agit d’une erreur de droit.
[20] Ainsi donc, si le Tribunal en vient à la conclusion que la décision du Conseil n’est pas suffisamment motivée, il procédera à sa propre analyse de la preuve et rendra la décision qui aurait dû être rendue.
(Référence omise)
[69] La SEBJ, de son côté, retient un passage de la décision Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Provencher[37] :
[57] Dans la présente affaire, l’analyse de la décision du comité de discipline permet au lecteur d’y retrouver le cheminement logique qui a été suivi pour en arriver à l’acquittement de Michel Provencher sur les six actes dérogatoires visés par le premier motif d’appel.
[58] Il y a donc lieu de conclure que la décision est suffisamment motivée.
[70] En omettant de discuter de la portée du deuxième alinéa de l’article 3.04.02 du Code de déontologie à l’égard de M. Habashi, le Conseil commet une erreur manifeste et dominante sur sa culpabilité. Sa décision reste cependant intelligible et suffisamment motivée.
[71] Le Conseil est d’avis que M. Brais a, en novembre 2010, apposé sur le rapport P-6 une signature de « complaisance », par pure politesse ou indulgence excessive ou simplement pour rencontrer le désir de M. Habashi qui souhaitait le voir dans une défense ultérieure de ce document devant le tribunal.
[72] Monsieur Brais n’a pas porté en appel sa condamnation sous l’article 3.04.02 du Code de déontologie. Selon le procureur de la SEBJ, il y aurait chose jugée plaçant M. Habashi forclos de contester l’existence de la contravention à cet article.
[73] À prime abord, le critère de l’identité des parties n’est pas respecté pour conclure à chose jugée[38].
[74] Les dossiers disciplinaires de M. Brais et M. Habashi sont demeurés distincts, donnant lieu à deux décisions du même banc le même jour. La preuve a cependant été commune.
[75] L’article 164 du Code accorde à M. Habashi un droit d’appel de la décision qui le concerne. Le fait que M. Brais ne se soit pas prévalu du même droit ne compromet pas son confrère.
[76] La question de la contravention au Code de déontologie est inhérente à l’infraction reprochée à M. Habashi et le Tribunal des professions est compétent pour en disposer.
[77] Monsieur Habashi n’a pas incité M. Brais à contrevenir au Code de déontologie lorsqu’il lui a tout simplement demandé de vérifier un ouvrage qu’il avait exécuté pour pouvoir le cosigner et peut-être le défendre ultérieurement devant la Cour supérieure. L’article 3.04.02 du Code de déontologie envisage cette situation.
[78] La déclaration de culpabilité sous le deuxième chef doit donc être cassée.
3. Advenant une intervention du Tribunal à l’égard de la décision sur culpabilité, doit-on considérer l’infraction sous l’angle de l’article 59.2 du Code ?
[79] La plainte invoque également l’article 59.2 du Code qui établit :
59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.
[80] Le Conseil note le caractère subsidiaire de cet article par rapport aux dispositions du Code de déontologie et s’abstient d’analyser la conduite de M. Habashi sous l’angle plus général qui y est envisagé.
[81] Il entrevoit un arrêt des procédures afin d’éviter des déclarations de culpabilité multiples. Sa conclusion d’acquittement va cependant plus loin. Aucun appel n’a été interjeté par la SEBJ à l’égard de cette conclusion spécifique du Conseil.
[82] Invité à plaider l’application de l’article 59.2 du Code, le procureur de la SEBJ déclare n’avoir rien à ajouter à ce qu’il a déjà dit sous l’article 3.02.01 du Code de déontologie.
[83] Le verdict d’acquittement sous l’article 59.2 du Code reste donc inchangé sur les deux chefs d’infraction puisque cette dimension n’est pas en litige.
Appel sur sanction
4. La sanction doit-elle être modifiée, soit pour être annulée ou allégée, en raison du délai pris pour la déterminer ?
[84] Vu la décision d’accueillir l’appel sur culpabilité pour les deux chefs d’infraction, les amendes imposées sont annulées.
5. Qui doit supporter les déboursés, tant en première instance qu’en appel considérant qu’il s’agit d’une plainte disciplinaire privée ?
[85] Le Tribunal peut condamner l’une ou l’autre des parties aux déboursés ou les répartir entre elles dans son jugement statuant sur l’appel[39].
[86] La SEBJ s’est prévalue du deuxième alinéa de l’article 128 du Code pour prendre le relais de la plainte initiale déposée par M. Michel Arcouette qui n’était pas syndic de l’Ordre des ingénieurs du Québec.
128. Un syndic doit, à la demande du Conseil d’administration, porter contre un professionnel toute plainte qui paraît justifiée; il peut aussi, de sa propre initiative, agir à cet égard.
Une plainte peut être portée, par ailleurs, par toute autre personne. Cette personne ne peut être poursuivie en justice en raison d’actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de ce pouvoir. [40].
[87] Le Tribunal, en rejetant la plainte, ne peut en règle générale condamner la SEBJ à payer les déboursés car elle est une partie privée :
175. […] Toutefois, lorsque le plaignant en première instance est une personne qui a porté plainte en vertu du deuxième alinéa de l’article 128, le tribunal ne peut condamner cette partie aux déboursés que s’il a acquitté le professionnel sur chacun des chefs contenus dans la plainte et que la plainte était abusive, frivole ou manifestement mal fondée.
(Soulignement du Tribunal)
[88] Aucune représentation n’a été faite par M. Habashi sur le fait que la plainte était abusive, frivole ou manifestement mal fondée, une condition essentielle pour que le Tribunal puisse prononcer une condamnation aux déboursés[41].
[89] La plainte déposée à l’égard de M. Habashi, traitée en parallèle avec celle de M. Brais et en tenant compte du contenu de cette dernière, permet de conclure à l’existence d’un débat légitime.
[90] Aucune condamnation au paiement de déboursés n’est prononcée.
[91] La décision du Conseil condamnant M. Habashi à payer les déboursés en première instance[42] est également infirmée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[92] ACCUEILLE l’appel de M. Nessim Habashi;
[93] INFIRME la décision sur culpabilité du Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec rendue le 25 septembre 2013;
[94] INFIRME la décision sur sanction du Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec rendue le 30 octobre 2015;
[95] ACQUITTE M. Nessim Habashi des deux chefs d’infraction qui lui étaient reprochés;
[96] INFIRME la condamnation aux déboursés prononcée par le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec;
[97] Sans adjudication sur le paiement des déboursés en appel.
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__________________________________ MARTIN HÉBERT, J.C.Q.
__________________________________ RENÉE LEMOINE, J.C.Q.
__________________________________ JACQUES TREMBLAY, J.C.Q. |
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Me Patrick Henry |
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Robinson, Sheppard, Shapiro et Me Jean-Claude Hébert |
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Procureurs de l’Appelant-Intimé |
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Me Sean Griffin et Me Sandra Desjardins |
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Langlois Avocats |
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Procureurs de l’Intimée-Plaignante |
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Mme Josée Le Tarte Secrétaire du Conseil de discipline de l'Ordre des ingénieurs du Québec |
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Date d'audition :
C.D. No : |
6 octobre 2016
22-11-0395 Décision sur culpabilité rendue le 25 septembre 2013 Décision sur sanction rendue le 30 octobre 2015 |
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[1] RLRQ, c. C-26, (ci-après désigné le Code).
[2] Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Habashi, 2013 CanLII 99514 (QC CDOIQ), décision sur culpabilité 25 septembre 2013 (DSC), décision sur sanction 30 octobre 2015 (DSS).
[3] RLRQ, c. I-9, r. 6 (ci-après désigné le Code de déontologie).
[4] Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Brais, 2013 CanLII, 99513 (QC CDOIQ).
[5] CSM 500-17-031975-066.
[6] D.C. vol I, p. 52, paragr. 14 de l’affidavit P-8 de M. Brais.
[7] Id., p. 103, affidavit de M. Habashi, paragr. 7, P-10.
[8] Préc. note 2, DSC paragr. 105.
[9] Id., paragr. 106.
[10] Préc., note 6, p. 103.
[11] Préc. note 2, DSC paragr. 127.
[12] Id., paragr. 130.
[13] Préc. note 4, paragr. 7 et 193 à 196.
[14] Préc. note 2.
[15]
[16]
[17]
H.L. c. Canada (Procureur Général),
[18] Préc. note 2, DSC paragr. 101.
[19] Id., paragr. 103, 104.
[20] Id., paragr. 106.
[21] Id., paragr. 111.
[22]
Mouvement laïque québécois c. Commission des écoles catholiques de
Montréal et Mousseau,
[23] M.A. p. 248 à 250 et 260.
[24] Préc. note 6, vol. II, p. 247 et suiv., pièce P-7 (Lettre de Me Bernard Tremblay du 17 janvier 2011; lettres de Me Daniel Ayotte du 27 janvier 2011 et du 11 février 2011).
[25] Préc. note 23, p. 104, Rapport P-6, page 1, placé sous enveloppe scellée.
[26] Id., page 2.
[27] Préc. note 6, vol. III, p. 597 à 603, témoignage de M. Habashi.
[28] Préc. note 2, par. 107 et 108.
[29] Préc. note 2, DSC.
[30] Préc. note 6, vol. II, DSC p. 264 à 267.
[31] Préc. note 23, p. 261 et 262, témoignage de M. Habashi.
[32] Préc. note 2, DSC paragr. 127.
[33] Préc. paragr. 16 de notre jugement.
[34] Préc. note 4, paragr. 38.
[35] Id., paragr. 39.
[36]
[37]
[38]
Art.
[39] Préc. note 1, art. 175.
[40] Id., art. 128.
[41]
Martineau c. Champoux (Avocats),
[42] Préc. note 2, DSS paragr. 118.
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