CSSS de l'Énergie et Paul A. Bisson inc. |
2010 QCCLP 6423 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 25 mars 2010, C.S.S.S. de l’Énergie, l’employeur, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 19 mars 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a rendue initialement le 8 janvier 2010 et déclare que la totalité du coût des prestations doit être imputée au dossier de l’employeur.
[3] Une audience s’est tenue le 24 août 2010 à Trois-Rivières en présence de l’employeur, lequel est représenté. La partie intéressée, Paul A. Bisson inc., bien que dûment convoquée est absente et non représentée à l’audience.
[4] La CSST, qui conformément à l’article 429.16 de la loi est intervenue, a informé le tribunal qu’elle ne serait pas présente à l’audience.
[5] Le dossier a été mis en délibéré le 26 août 2010 à la réception de la décision de classification de l’employeur pour l'année 2009.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder un transfert de coûts en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) au motif qu’il estime que la partie intéressée est majoritairement responsable de l’accident du travail subi le 12 janvier 2009 par Mme Renée Desmarais, la travailleuse.
LES FAITS
[7] Du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles, le tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[8] La travailleuse occupe un emploi d’agente administrative pour l’employeur.
[9] Vers l’heure du souper, le 12 janvier 2009, alors qu’elle se déplace vers la porte d’entrée des ambulances chez l'employeur, un sac à la main gauche, la travailleuse glisse sur une plaque de glace et chute sur sa main droite.
[10] Dans une réclamation qu’elle produit à la CSST le 20 février 2009, la travailleuse décrit ainsi les circonstances de la chute :
« J’ai glissé sur une plaque de glace, en face des fenêtres de la Clinique ambulatoire du Centre Laflèche. C’est arrivée le 12 janvier 2009 à l’heure de mon souper. » [sic]
[11] Dans une déclaration d’incident ou accident du travail rédigée le 12 janvier 2009 l’agent de sécurité, M. Claude Lemay reprend essentiellement la description du fait accidentel et ajoute qu’il a appelé le déneigeur pour « venir sabler ».
[12] À l’audience, l’employeur a déposé un affidavit du 20 août 2010 de M. Lemay reprenant les circonstances de la chute de la travailleuse et précisant qu’il était présent au travail le 12 janvier 2009. Il affirme notamment :
« […]
5. Je suis affecté à cet établissement depuis le ou vers le 15 septembre 2008;
6. J’ai un excellent souvenir des événements qui se sont produits eu égard à la réclamation de la lésion professionnelle de madame Renée Desmarais;
7. Ce jour-là, vers 18h40, Madame Desmarais a fait une chute sur la glace alors qu’elle circulait sur le chemin devant le Centre d’hébergement Laflèche;
8. Madame Desmarais est venue m’en informer et j’ai rempli un rapport d'accident;
9. En inspectant la chaussée et les accès à l’établissement, j’ai constaté que ces derniers étaient anormalement glacés;
10. J’ai communiqué avec l’entrepreneur responsable du déneigement afin de lui demander de venir sabler. » [sic]
[13] Un Rapport journalier signé par M. Lemay rapporte également la chute de la travailleuse.
[14] La travailleuse consulte immédiatement à l’urgence et est vue par un médecin. Les diagnostics de contusion au poignet droit et de ténosynovite de De Quervain, sont par ailleurs retenus, lesquels diagnostics sont reconnus comme une lésion professionnelle par la CSST.
[15] À la suite d’un avis du Bureau d’évaluation médicale (BEM) du 27 octobre 2009, la lésion de la travailleuse est consolidée le 20 octobre 2009, sans séquelle.
[16] Le 16 avril 2009, l’employeur demande un transfert de coûts des prestations selon les dispositions de l’article 326 alinéa 2 de la loi. À l’appui de sa demande, l’employeur soumet que l'accident du travail est survenu sur une surface glacée non sablée et que le déneigement n’est pas de sa responsabilité. Il demande donc que le coût des prestations versées dans le cadre de la réclamation de la travailleuse ne lui soit pas imputé.
[17] Le 8 janvier 2010, la CSST refuse la demande de transfert d’imputation. Cette décision est confirmée le 19 mars 2010, à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[18] Dans son analyse de la demande de transfert, la CSST retient qu’il y a effectivement un tiers responsable de l’entretien extérieur, mais que « L’employeur n’apporte aucune preuve prépondérante de négligence, faute de la tierce partie impliquée. Nous ne disposons d’aucun visuel ou témoignage venant confirmer le manquement d’entretien. »
[19] Il appert du dossier que Paul A. Bisson inc., par entente contractuelle signée le 16 octobre 2006, est responsable pour l’hiver 2006-2007 jusqu’à l’hiver 2008-2009, avec ensuite deux années d’option, des travaux de déblaiement et d’enlèvement de la neige pour le Centre de santé et de services sociaux de l’Énergie, comprenant notamment le Centre d’hébergement Laflèche situé au 1650, 6e avenue à Grand-Mère. La période couverte par le contrat débute lors de la première précipitation de neige ou premier verglas à l’automne pour se terminer à la dernière précipitation de neige ou dernier verglas au printemps à la fin du contrat.
[20] Selon la clause 11 I) du « Devis d'appel d’offres Travaux de déblaiement et d’enlèvement de la neige », laquelle fait partie du contrat de déneigement, Paul A. Bisson inc. doit conserver en tout temps les voies d’accès et de circulation libre de glace et de neige. Cette clause prévoit notamment :
« 11. Clauses spécifiques
I). Sablage déglaçage et autres (voir plans).
Il est entendu que tous les stationnements, les trottoirs, chemins d’accès devront être en tout temps non glissant, sablés et du calcium devra être étendu à ces mêmes endroits au besoin. Les paliers et les entrées devront être maintenus sécuritaires en tout temps en y répandant un peu de sable et le déglaçage devra se faire en utilisant de l’urée ou un produit équivalent qui ne détériorera pas le béton, les planchers et les tapis. L’entrepreneur devra avoir une attention toute spéciale afin de ne pas détériorer les aménagements paysagers, aucune neige ou autres produits n’y étant entassés. De plus, tout sable répandu pendant l’hiver devra être ramassé au printemps et ce sur l’ensemble des surfaces incluant : asphalte, ciment, gazon.
Advenant un dégel subit pendant la durée du contrat, l’entrepreneur devra faire tout le nécessaire afin de canaliser l’eau et de nettoyer tout amoncellement de glace ou de neige fondante. Il est de la responsabilité de l'entrepreneur de maintenir les puisards dégagés libres de glace et fonctionnels.
[…] »
[21] L’entente prévoit par ailleurs à la clause 7 concernant l’organisation du travail que :
« L’entrepreneur devra organiser son travail de façon à ce que le déblaiement se fasse pendant (à partir de 2cm au sol et immédiatement si glissant et applicable) et après chaque tempête, de façon à ce que tout espace à déblayer, tel que décrit aux esquisses, le soit en tout temps, et ce sur tous les sites. De plus l'entrepreneur veillera à ne pas obstruer les entrées et sorties des stationnements au moment du changement des quarts de travail mais que les entrées soient déblayées. »
[22] Enfin, l’entente stipule à la clause 8B) que :
« L’entrepreneur tiendra CSSSÉ indemne de toutes réclamations pour dommages résultants en pertes matérielles ou en blessures corporelles découlant directement ou indirectement de l’exécution ou la non-exécution du présent contrat. »
[23] Il appert par ailleurs de Rapports de données horaires d’Environnement Canada, pour la ville de Shawinigan, produits par l’employeur, que la température, du 9 janvier 2009 au 12 janvier 2009, a varié entre -9,5°C et -23,2°C. Il appert de ces rapports que pendant cette période dans la région de la Mauricie, les précipitations de neige ont été absentes du 9 au 11 janvier et très faibles, le 12 janvier 2009, selon le lieu de prise des données entre 0,2 et 2 cm de neige.
[24] L’employeur a déposé la décision de classification de l’employeur pour l’année 2009. Cette décision est à l’effet que l’employeur est classé dans l’unité 59020 dont le titre est : Centre hospitalier de soins généraux et spécialisés; centre hospitalier de soins psychiatriques; centre local de services communautaires; centre de réadaptation pour personnes ayant des déficiences physiques et dans l’unité 59030 dont le titre est : Centre d’hébergement et de soins de longue durée.
[25] L’employeur a enfin déposé une copie de la table des taux de cotisation pour l’année 2009 pour les unités 59020 et 59030.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[26] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit à un transfert de coûts en vertu de l’article 326 de la loi. Cet article se lit comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[27] En premier lieu, le tribunal constate que la demande de partage de coûts présentée par l’employeur le 16 avril 2009 respecte le délai prescrit par la loi.
[28] L’employeur allègue que l’accident du travail subi par la travailleuse le 12 janvier 2009 est attribuable à un tiers et qu’il est injuste de lui en imputer les coûts.
[29] Afin de disposer de la présente requête, le tribunal s’en remet comme soumis par l’employeur aux principes élaborés dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[2].
[30] Pour réussir dans son recours, l’employeur doit démontrer qu’il y a eu un «accident du travail », que cet accident est «attribuable » à «un tiers » et qu’il est «injuste » de lui en imputer les coûts.
[31] En l’espèce, il n’est pas remis en question que la travailleuse a subi un accident du travail le 12 janvier 2009.
[32] À qui cet accident est-il attribuable?
[33] Dans l’affaire Ministère des Transports et CSST, précitée, le tribunal retient la règle voulant que l’accident est attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, celles qui ont contribué non seulement de façon significative, mais plutôt de façon majoritaire à sa survenue, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %.
[34] Le tribunal ajoute que rien ne s’objecte à ce qu’aux fins de l’application de la règle, les apports combinés de plusieurs personnes équivaillent à celui d’une seule, dans la mesure où ensemble ceux-ci ont fait en sorte que l’accident se produise. Rien non plus n’interdit de conclure que l’accident est attribuable à une ou plusieurs personnes dont l’identité n’a pu être établie, en autant qu’il soit démontré qu’il s’agit bien d’un tiers.
[35] Dans le présent dossier, le tribunal conclut que l’accident est attribuable à un tiers.
[36] À la lumière des faits relatés dans la réclamation et la déclaration d’accident du travail faites par la travailleuse, le tribunal juge que l’accident du travail subi par cette dernière est attribuable à l’entrepreneur Paul A. Bisson inc. La seule raison expliquant la chute de la travailleuse est la présence de glace sur la chaussée.
[37] De l’avis du tribunal, la preuve permet de conclure par ailleurs que c’est en raison d’un mauvais entretien que la glace était présente et que c’est donc en raison de ce manque d’entretien que la travailleuse a fait une chute.
[38] La responsabilité incombait à part entière à Paul A. Bisson inc. de s’assurer que les voies d’accès soient maintenues sans neige, glace ou verglas, et ce, en tout temps et dès que la situation était requise. Le tribunal fait sien le paragraphe suivant d’une décision[3] de la Commission des lésions professionnelles dans une affaire quasi identique à la présente :
[49] La Commission des lésions professionnelles retient, par la même occasion, que l’employeur s’était déchargé de la responsabilité de veiller à ce que les chemins, entrées, stationnements et chemins des piétons soient déneigés, en tout temps, puisqu’une telle responsabilité avait été entièrement confiée à l’entrepreneur, cocontractant.
[39] En outre, rien ne permet non plus de conclure que l’accident soit attribuable à la travailleuse.
[40] Le tribunal conclut donc que l’accident du 12 janvier 2009 est donc attribuable majoritairement, à plus de 50 %, à Paul A. Bisson inc. qui doit s’assurer que « tous les stationnements, les trottoirs, chemins d’accès devront être en tout temps non glissants, sablés et du calcium devra être étendu à ces mêmes endroits au besoin. Les paliers et les entrées devront être maintenus sécuritaires en tout temps ».
[41] Paul A. Bisson inc. est un tiers puisqu’il est une personne autre que la travailleuse lésée, son employeur et les autres travailleurs qui exécutent des tâches pour ce dernier.
[42] Il s’agit maintenant de déterminer s’il est injuste d’imputer à l’employeur les coûts dus en raison de cet accident du travail attribuable à un tiers.
[43] Dans l’affaire Ministère des Transports et CSST, précitée, la Commission des lésions professionnelles identifie divers facteurs qui peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation des coûts à l’employeur a pour effet de lui faire supporter injustement le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers.
[44] Ces facteurs sont les suivants :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, réglementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[45] Selon le cas, un seul ou plusieurs de ces facteurs seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence et l’importance relative de chacun.
[46] À l’évidence, les chutes sur la chaussée glacée ne font pas partie des risques inhérents aux activités exercées dans un centre hospitalier, tel que celui de l’employeur. Qui plus est, l’entretien, le déneigement et le déglaçage des voies de circulation ne relèvent pas de l’employeur qui offre des soins hospitaliers.
[47] Par ailleurs, les circonstances de la survenance de l’événement accidentel du 12 janvier 2009 démontrent de façon prépondérante un manque d’entretien des voies de circulation. Enfin, il apparaît pour le tribunal que les probabilités que la travailleuse soit impliquée dans un événement, tel celui de janvier 2009, étaient très faibles compte tenu de tâches d’agente administrative normalement accomplies par cette dernière.
[48] Ainsi, dans les circonstances, le tribunal estime injuste d’imputer à l’employeur les coûts dus en raison de l’accident du travail subi par la travailleuse le 12 janvier 2009.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur, C.S.S.S. de l’Énergie;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 19 mars 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que les coûts dus en raison de l’accident du travail subi par la travailleuse, Mme Renée Desmarais, le 12 janvier 2009, doivent être transférés aux employeurs de toutes les unités.
|
|
|
J. André Tremblay |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Marie-Josée Hétu |
|
HEENAN BLAIKIE |
|
Représentante de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Annie Veillette |
|
VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD |
|
Représentante de la partie intervenante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.