[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement interlocutoire rendu oralement le 8 septembre 2015 par la Cour supérieure du district de Baie-Comeau (l’honorable Paul Corriveau) qui a rejeté son moyen déclinatoire visant à renvoyer le dossier devant la Supreme Court de la Colombie-Britannique pour qu’il soit statué sur la garde des enfants des parties.
[2] Pour les motifs du juge Bouchard auxquels souscrivent les juges Morin et Bich, la Cour :
[3] ACCUEILLE l’appel;
[4] INFIRME le jugement de la Cour supérieure;
[5] ACCUEILLE le moyen déclinatoire présenté par l’appelant;
[6] RENVOIE le dossier devant la Supreme Court de la Colombie-Britannique afin qu’il soit statué sur la garde des enfants des parties;
[7] SANS les frais de justice vu la nature du litige.
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MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
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BENOÎT MORIN, J.C.A. |
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JEAN BOUCHARD, J.C.A. |
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Me Yves Langlois |
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Pour l’Appelant |
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Me Nanny Beaulieu |
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Labrie Beaulieu Avocats |
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Pour l’Intimée |
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Date d’audience : |
11 mars 2016 |
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MOTIFS DU JUGE BOUCHARD |
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[8] La Cour est saisie d’un appel dans le cadre duquel il nous faut décider si la Cour supérieure du Québec est compétente pour statuer sur la garde des enfants après que la mère se soit enfuie avec ces derniers du domicile familial situé en Colombie-Britannique pour échapper au climat de violence ambiant attribuable au père, lequel souffre, apparemment, de problèmes de santé mentale.
Les faits
[9] Les parties ont fait vie commune en Colombie-Britannique pendant une quinzaine d’années. Deux enfants sont nés là-bas de leur union : X, le [...] 2006 et Y, le [...] 2009.
[10] En février 2015, l’appelant se désorganise. Il menace de mort plusieurs personnes, dont l’intimée. Selon ce que révèle la preuve qui est fragmentaire et constituée principalement de ouï-dire, il éprouve des problèmes de santé mentale. Il est à ce point dangereux que les services à l’enfance de la Colombie-Britannique doivent intervenir pour assurer la sécurité des enfants. Ils somment l’intimée de quitter l’appelant avec ceux-ci, à défaut, ils seront retirés du domicile familial.
[11] Avec l’aide du frère de l’appelant, l’intimée se réfugie tout d’abord en Ontario avec ses enfants. Ceci n’empêche pas l’appelant de la suivre et de tenter de la ramener de force dès son arrivée là-bas. De fait, il faudra l’intervention des policiers pour que l’intimée puisse poursuivre sa route avec les enfants. Elle se retrouve finalement, au mois de mars 2015, à Ville A, là où habite sa sœur.
[12] Le 27 mars, le juge Serge Francoeur de la Cour supérieure lui confie la garde des enfants dans le cadre d’une ordonnance de sauvegarde.
[13] Le 5 mai, l’appelant intente de son côté un recours devant la Cour provinciale de la Colombie Britannique pour obtenir la garde.
[14]
Le 26 mai, trois chefs de menaces en vertu de l’article
[15] Le 17 juin, la Cour provinciale de la Colombie-Britannique, dans un jugement non motivé, déclare qu’elle n’a pas juridiction pour statuer sur la demande de garde de l’appelant. Malgré tout, ce dernier présente à la Cour supérieure du district de Baie-Comeau, le 7 juillet, un moyen déclinatoire, et le 7 août, une nouvelle requête pour obtenir la garde des enfants, mais cette fois-ci devant la Supreme Court de la Colombie-Britannique.
[16] Lors de l’audience devant notre Cour, les avocats nous ont informés que ce recours était suspendu dans l’attente de notre arrêt et que l’intimée, toujours dans le cadre du recours intenté par l’appelant en Colombie-Britannique, était représentée là-bas par un avocat. Quant au jugement statuant sur le moyen déclinatoire présenté par l’appelant, la Cour supérieure a rejeté celui-ci, d’où le présent appel qu’un juge de notre Cour a autorisé le 16 décembre 2015.
[17]
Alors que l’appelant plaidait, jurisprudence à l’appui[1],
que les enfants étaient toujours domiciliés en Colombie-Britannique en raison
du caractère illicite du déménagement au Québec de l’intimée, réclamant de ce
fait l’application des articles
[18] Son jugement, rendu verbalement, tient dans le passage suivant tiré des notes sténographiques de l’audience en première instance :
Par Me Langlois
En tout cas. Vous lirez ça. Monsieur le Juge. Et je vous soumets respectueusement qu’on peut pas changer le lieu de domicile de l’enfant sans le consentement de l’autre parent.
Par la Cour
Je suis pas d’accord avec vous, Maître.
Par Me Langlois
Pardon?
Par la Cour
Je suis pas d’accord avec votre prétention. Je pense que la preuve démontre amplement que madame a dû quitter, de façon un peu obligatoire, son domicile au niveau … en Colombie-Britannique après avoir reçu de l’aide des gens compétents pour s’occuper éventuellement des problèmes qui l’entouraient, dans lesquels ses enfants vivaient. Elle a été obligée de déménager pour la sécurité de ses enfants et elle l’a fait à la demande des institutionnalistes de l’endroit, des intervenants de l’endroit. Elle est maintenant domiciliée à Ville A et la procédure pourra rester dans le district de Baie-Comeau. Votre requête est rejetée.
Les dispositions législatives applicables
[19]
Les dispositions sur lesquelles s’appuie l’appelant sont, tel que mentionné,
les articles
[20] Ainsi que le rappelait le juge Émond dans l’arrêt Droit de la famille - 143017[2], il découle de ces articles que « lorsque les père et mère n’ont pas de domicile commun, l’enfant est « présumé » domicilié chez celui de ses parents avec lequel il « réside habituellement.» Si ce lieu de résidence habituel se trouve au Québec, la garde de l’enfant doit être déterminée par la Cour supérieure du Québec, en appliquant la loi québécoise.»
[21] Se pose donc la question de savoir si les enfants sont domiciliés au Québec, ce qui nous oblige, dans un premier temps, à revenir sur les circonstances ayant entouré le déménagement de l’intimée au Québec et sur le caractère licite ou illicite de celui-ci.
Analyse
[22] La preuve au dossier, pour ce qu’il est permis d’en déduire, révèle que les services à l’enfance de la Colombie-Britannique faisaient face, au mois de février 2015, à une situation d’urgence. Les enfants devaient être retirés immédiatement de la résidence familiale pour assureur leur sécurité en raison des actes de violence commis par l’appelant.
[23] Nous ignorons le cadre législatif précis ayant permis aux autorités compétentes de la Colombie-Britannique d’agir, mais les lois provinciales en la matière étant toutes similaires selon ce qui ressort d’une revue de celles-ci par la juge Arbour, dissidente, dans Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg c. K.L.W.[3], c’est très probablement en vertu d’une disposition permettant, de manière préventive, de retirer un enfant du lieu où il se trouve pour assurer sa protection. Or, il va de soi que les effets d’une telle ordonnance sont forcément pour un temps limité, et ce, d’autant plus qu’aucune autorisation judiciaire préalable n’est généralement requise. Voici ce que rapporte la juge Arbour à ce sujet :[4]
Toutes les parties reconnaissent la constitutionnalité de l’appréhension d’enfants sans mandat en cas d’urgence. En fait, les lois de plusieurs provinces sur la protection de l’enfant prévoient cette mesure, tout en définissant différemment la situation urgente. Je viens de citer la disposition de la Loi qui prévoit la possibilité de pénétrer sans mandat, par la force, dans un endroit où un enfant est en « danger immédiat » ou a été laissé sans qu’aucune personne ne soit capable de prendre soin de lui alors qu’il est incapable de prendre soin de lui-même, cette dernière exigence supposant un risque de danger immédiat : par. 21(2). La présence d’un danger immédiat pour un enfant permet également de justifier son appréhension sans mandat en vertu des par. 27(1) et 30(1) de la Child, Family and Community Service Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 46; du par. 119(1) de la Loi sur l’enfance du Yukon, L.R.Y. 1986, ch. 22; et du par. 34(3) de la Children and Family Services Act de la Nouvelle-Écosse, S.N.S. 1990, ch. 5, où l’expression [TRADUCTION] « danger immédiat » est utilisée.
L’Alberta prévoit la possibilité d’appréhender sans mandat un enfant dont [TRADUCTION] « la vie ou la santé seraient sérieusement menacées, de façon imminente, en raison du délai requis pour obtenir une ordonnance » : Child Welfare Act, S.A. 1984, ch. C-8.1, par. 17(1.3); voir également les par. 17(9) et 17(10). Le paragraphe 33(2) de la Loi sur les services à la famille du Nouveau-Brunswick, L.N.-B. 1980, ch. F-2.2, utilise un libellé similaire pour justifier l’appréhension sans mandat, ce qui reflète la disposition ontarienne qui prévoit l’appréhension sans mandat lorsque « la santé ou la sécurité de l’enfant risqueraient vraisemblablement d’être compromises pendant le laps de temps nécessaire à l’obtention […] d’un mandat en vertu du paragraphe (2) » : Loi sur les services à l’enfance et à la famille, L.R.O. 1990, ch. C.11, par. 40(7). Le Québec désire aussi s’assurer que l’obtention d’une autorisation judiciaire préalable ne compromet pas la sécurité de l’enfant et prévoit que l’on puisse passer outre à cette exigence dans les cas où le délai compromettrait « la sécurité d’un enfant » : Loi sur la protection de la jeunesse, art. 35.3, 45 et 46.
Par ailleurs, la Child, Youth and Family Services Act, S.N. 1998, ch. C-12.1, que Terre-Neuve a récemment adoptée, prévoit l’obtention d’un mandat pour l’appréhension d’un enfant sauf si [TRADUCTION] « un risque immédiat pour la santé et la sécurité de l’enfant » résultait [TRADUCTION] « de la non-intervention pendant le laps de temps nécessaire à l’obtention d’un mandat » : par. 23(3). La Saskatchewan permet également l’appréhension sans mandat en cas d’urgence d’un enfant devant [TRADUCTION] « courir le risque de subir un grave préjudice »; mais une telle appréhension est manifestement une mesure de dernier recours, puisque la Loi prévoit qu’elle ne peut être utilisée qu’ [TRADUCTION] « en l’absence d’autres solutions réalisables » : Child and Family Services Act, S.S. 1989-90, ch. C-7.2, par. 17(1).
[24] Au Québec, à titre d’illustration, c’est l’article 46 de la Loi sur la protection de la jeunesse[5] qui encadre les mesures de protection immédiates pouvant être prises. Or, ces mesures ne sont que pour une durée maximale de 48 heures :
[25] Tout ceci pour dire que l’intimée ne pouvait pas s’autoriser du fait que les services à l’enfance de la Colombie-Britannique lui ont ordonné de quitter le domicile familial dans les circonstances décrites précédemment pour faire plus de 5 000 kilomètres et venir s’établir, de manière permanente, avec ses enfants au Québec. Ce déplacement, clairement, demeure illicite et cela étant, je ne vois aucune raison de m’écarter des propos que tenait le juge Émond dans Droit de la famille - 143017[6] :
[39] Cela étant, il est bien établi que la « résidence habituelle » de l’enfant ne peut être modifiée au gré d’un parent, sans l’autorisation de l’autre parent gardien. Dans un contexte de séparation récente qui implique un tel déplacement, le lieu de résidence habituelle de l’enfant demeure celui qui était le sien avant son déplacement.
[40] Ce
principe est énoncé dans l’arrêt Droit de la famille - 3451 où la Cour rappelle que la notion de « résidence habituelle » de l’article
Le choix de cette notion de «résidence habituelle» est
voulu. Il évite toute discussion quant à l'intention de l'un ou l'autre des
parents d'établir son domicile à un endroit plutôt qu'à un autre. Il introduit
dans la détermination du domicile de l'enfant mineur d'un couple qui ne vit
plus ensemble des éléments objectifs et concrets, plus facilement mesurables
par le tribunal que lorsqu'il s'agit de sonder les intentions des parties. Il
s'agit d'une notion connue en droit international (voir notamment ce que
j'écrivais à ce sujet dans Droit de la famille - 2454, 1996 CanLII 5881 (QC CA),
C'est donc à tort à mon avis que le juge de première instance s'appuie sur l'intention de l'intimée «to remain in Quebec» pour conclure à la compétence de la Cour supérieure pour statuer sur la garde de W... Appliquant le test de la «résidence habituelle», le premier juge aurait dû conclure qu'au moment où il se saisissait du litige opposant les parties, au début de février 1999, la «résidence habituelle» de W... était à Toronto, Ontario. Il y était né et il y avait vécu, avec ses deux parents, depuis sa naissance jusqu'au 28 janvier 1999.
[41] Dans cet arrêt, la Cour précise que le parent qui va s’établir dans un autre lieu avec l’enfant du couple, hors la connaissance ou sans le consentement de l’autre parent, avec l'intention d’en faire son nouveau domicile et celui de l’enfant, déplace l’enfant illicitement. Elle retient qu’un tel déplacement ne peut servir d’assise légale à un changement de domicile pour l’enfant:
Le déplacement de l'enfant s'est fait sans le consentement de l'appelant, hors même sa connaissance. Il n'a pas non plus acquiescé à ce déplacement, une fois informé des événements; ses actions le prouvent. Il s'agit donc d'un déplacement illicite, fait en violation du droit de garde de l'appelant.
S'agissant d'un déplacement illicite, je crois qu'il serait tout à fait inapproprié de tenir compte des faits postérieurs à ce déplacement pour déterminer le lieu de la «résidence habituelle» de l'enfant. Le déplacement illicite d'un enfant ne peut pas fonder un changement légal de son domicile. La proposition contraire ne ferait qu'encourager les parents insatisfaits d'une juridiction à prendre la Justice entre leurs mains et de changer de juridiction dans l'espoir, conscient ou non, d'y avoir une oreille plus attentive de la part des tribunaux.
[42] Je souscris à cette analyse. Accepter que le domicile d’un enfant puisse être modifié au gré d’un parent, à l’insu de l’autre, équivaudrait à reconnaître que le parent qui agit de façon unilatérale peut se prévaloir de sa propre faute au préjudice de l’enfant qui se voit ainsi privé de la présence de l’un de ses parents. Une telle proposition est irrecevable.
[Citations omises)
[26] Le juge de première instance, soit dit avec égards, a commis une erreur de droit en concluant que les enfants des parties étaient domiciliés au Québec.
[27] Je suggère en conséquence d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure, d’accueillir le moyen déclinatoire présenté par l’appelant et de renvoyer le dossier devant la Supreme Court de la Colombie-Britannique afin qu’il soit statué sur la garde des enfants des parties, le tout, sans les frais de justice vu la nature du litige.
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JEAN BOUCHARD, J.C.A. |
[1]
Droit de la famille - 3451,
[2] Supra, note 1, paragr. 38.
[3]
[4] Ibid., paragr. 31 à 33.
[5] RLRQ, C. p-34.1.
[6]
Supra, note 1, paragr. 39 à 42. Cela dit, les tribunaux québécois
demeurent compétents, au besoin, pour rendre les ordonnances conservatoires ou
d’urgence que pourrait requérir la situation, conformément aux articles
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.